CA Chambéry, 1re ch., 15 octobre 2024, n° 23/01425
CHAMBÉRY
Autre
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
La Distillerie du Saint-Esprit (SAS)
Défendeur :
Cité Artisanale des Verts Prés (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pirat
Conseillers :
Mme Reaidy, M. Sauvage
Avocats :
Me Pestrin, SCP Pianta & Associes
Faits et procédure
Par acte sous seing privé du 7 octobre 2021, la société Cité Artisanale des Verts Prés a donné à bail commercial à la société Distillerie du Saint-Esprit des locaux à usage de dépôt et bureaux et 2 emplacements publicitaires situés [Adresse 2] à [Localité 3] pour une durée de 9 ans à compter de la date de l'acte, moyennant un loyer annuel de 22 200 euros hors charges et hors taxes, soit 26 640 euros TTC. Par acte d'huissier du 24 avril 2023, la société Cité Artisanale des Verts Prés a vainement délivré un commandement de payer la somme de 4 969,80 euros au titre des loyers échus visant la clause résolutoire.
Par acte d'huissier du 7 juin 2023, la société Cité Artisanale des Verts Prés a assigné la société Distillerie du Saint-Esprit devant le juge des référés du tribunal judiciaire d'Annecy notamment aux fins de faire constater la résiliation de plein droit du bail commercial.
Par ordonnance réputée contradictoire du 28 août 2023, le président du tribunal judiciaire d'Annecy a :
- Renvoyé les parties à se pourvoir au fond comme elles en aviseront mais dès à présent par provision ;
- Condamné la société Distillerie du Saint-Esprit à payer à la société Cité Artisanale des Verts Prés à titre provisionnel la somme de 8 216,30 euros à valoir sur les loyers, indemnités d'occupation, charges et taxes selon décompte arrêté au 1er juin 2023 ;
- Constaté que le bail du 7 octobre 2021 se trouve résilié par l'effet de la clause résolutoire depuis le 24 mai 2023 ;
- Fixé le montant de l'indemnité d'occupation égale au montant des loyers et des charges prévus au contrat résilié et condamné la société Distillerie du Saint-Esprit à payer à la société Cité Artisanale des Verts Prés à titre provisionnel cette indemnité d'occupation à compter du 24 mai 2023 et jusqu'à la libération effective des lieux ;
- Condamné la société Distillerie du Saint-Esprit à libérer les locaux commerciaux situés sur la commune de [Localité 3] [Adresse 2], de sa personne, de ses biens et de tout occupant de son chef, dans le mois de la notification de la présente décision ;
- Dit qu'à défaut pour la société Distillerie du Saint-Esprit d'avoir libéré les locaux commerciaux situés sur la commune de [Localité 3] [Adresse 2], de sa personne, de ses biens et de tout occupant de son chef, il sera procédé à leur expulsion avec l'assistance de la force publique, si besoin est, et au transport des meubles laissés dans les lieux dans tel garde meuble qu'il plaira à la société Cité Artisanale des Verts Prés aux frais et risques des expulsés ;
- Condamné la société Distillerie du Saint-Esprit à payer à la société Cité Artisanale des Verts Prés la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la société Distillerie du Saint-Esprit aux dépens ;
- Rejeté tous les autres chefs de demande.
Au visa principalement des motifs suivants :
La société Distillerie du Saint-Esprit n'a pas réglé les causes du commandement, ni sollicité de délais pour le règlement de cette dette dans le délai imparti, dès lors, la clause résolutoire est définitivement acquise à compter du 24 mai 2023.
Par déclaration au greffe du 3 octobre 2023, la société Distillerie du Saint-Esprit a interjeté appel de la décision en toutes ses dispositions hormis en ce qu'elle rejeté tous les autres chefs de demande de la société Cité Artisanale des Verts Prés.
Prétentions et moyens des parties
Par dernières écritures du 26 avril 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Distillerie du Saint-Esprit sollicite l'infirmation des chefs critiqués de la décision et demande à la cour de :
Statuant à nouveau,
- Juger que compte tenu de l'apurement de l'arriéré locatif en son intégralité, la clause résolutoire est réputée n'avoir jamais joué ;
- Juger n'y avoir lieu, en équité, au paiement par elle d'une indemnité au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, tant en première instant qu'en cause d'appel ;
- Débouter la société Cité Artisanale des Verts Prés de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions contraires ;
- Statuer ce que de droit quant aux dépens.
Au soutien de ses prétentions, la société Distillerie du Saint-Esprit fait notamment valoir que :
Suite au paiement du solde de l'arriéré locatif intervenu le 26 avril 2024, elle sollicite non plus de suspendre les effets de la clause résolutoire, mais de juger qu'elle sera réputée n'avoir jamais joué.
Par dernières écritures du 13 décembre 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Cité Artisanale des Verts Prés sollicite de la cour de :
- Confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé rendue par le juge des référés près le tribunal judiciaire d'Annecy le 28 aout 2023 ;
- Y ajoutant, condamner la société Distillerie du Saint-Esprit à lui payer la somme de 17 371 euros à titre provisionnel à valoir sur les loyers, indemnité d'occupation, charges et taxes selon décompte arrêté au 29 novembre 2023 ;
- En tout état de cause, constater que le bail du 7 octobre 2021 se trouve résilié par l'effet de la clause résolutoire depuis le 27 mai 2023 ;
Subsidiairement, pour le cas où la juridiction de céans accorderait des délais de paiement à la société Distillerie du Saint-Esprit,
- Dire que pour le cas où une seule des échéances ainsi accordées ne serait pas respectée, le bail sera résilié de plein droit ;
- Condamner en conséquence la société Distillerie du Saint-Esprit si une seule des échéances ainsi accordées ne serait pas respectée, le bail sera résilié de plein droit ;
- Condamner en conséquence la société Distillerie du Saint-Esprit à libérer les locaux commerciaux situés à [Adresse 2], de sa personne, de ses biens et de tout occupant de son chef, dans le mois de la notification de la présente décision ;
- Dire qu'à défaut pour la société Distillerie du Saint-Esprit d'avoir libéré les locaux commerciaux situés à [Adresse 2], de sa personne, de ses biens et de tout occupant de son chef, il sera procédé à leur expulsion avec l'assistance de la force publique, si besoin est, et au transport des meubles laissés dans les lieux dans tel garde-meubles qu'il lui plaira, aux frais et risques des expulsés ;
- Condamner la société Distillerie du Saint-Esprit à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, la société Cité Artisanale des Verts Prés fait notamment valoir que :
Les règlements effectués entre le 31 août 2023 et le 18 octobre 2023 ne couvrent pas les loyers en cours en sorte que sa créance à l'encontre du locataire s'élève à la somme de 17 371,16 euros en décembre 2023.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.
Une ordonnance en date du 13 mai 2024 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 28 mai 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la résiliation du bail
Selon l'article L 145-41 du code de commerce, « toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge ».
Le contrat de bail liant les deux parties prévoit que le preneur s'engage à payer le loyer mensuel de 1 850 euros HT et hors charges au plus tard le jour de la mise à disposition des lieux, soit le 15 septembre 2021, et d'avance entre les mains du bailleur. Ce contrat prévoit également la clause résolutoire suivante : « Il est exPréssément stipulé qu'à défaut de paiement d'un seul terme ou fraction de terme de loyer ou accessoires à son échéance ou en cas d'inexécution d'une seule des conditions du bail et un mois après une mise en demeure restée infructueuse, le bail sera résilié de plein droit en conformité des dispositions légales même dans le cas de paiement ou d'exécution postérieurs à l'expiration des délais ci-dessus. La compétence est, en tant que de besoin attribuée au magistrat des référés pour constater le manquement, le jeu de la présente clause et Préscrire l'expulsion du preneur. »
Les pièces versées aux débats démontrent que la société Distillerie du Saint-Esprit n'a plus réglé son loyer mensuel régulièrement depuis novembre 2022. Un commandement de payer, contenant la clause résolutoire, lui a été adressé par huissier en date du 24 avril 2023, en vue d'obtenir le paiement de la somme de 4 969,80 euros au titre des loyers impayés.
La société Distillerie du Saint-Esprit ne s'est pas acquittée de la somme de 4 969,80 euros dans le mois suivant le commandement de payer délivré le 24 avril 2023. Pour justifier du non-paiement, la société Distillerie du Saint-Esprit fait état de plusieurs raisons :
- Elle soutient avoir investi 19 765 euros pour l'aménagement des locaux et avoir versé de manière anticipé 9 mois de loyers entrainant une Préssion financière importante.
- Des renégociations de crédit sont en cours afin de lui permettre de faire face aux dettes et aux charges.
La banque LCL, ès qualités de garant de la société Distillerie du Saint-Esprit, a procédé à deux règlements, l'un d'un montant de 9 376,70 euros le 17 mars 2023, soit avant le commandement de payer, l'autre d'un montant de 1 723,30 euros le 10 mai 2023.
Si la société Cité Artisanale des Verts Prés soutient que l'arriéré locatif s'élève à la somme de 17 371,16 euros au 1er décembre 2023, la société Distillerie du Saint-Esprit fait valoir que le paiement du loyer a repris depuis le mois d'août 2023 et estime qu'aucune somme n'est désormais due au 26 avril 2024 dès lors qu'elle a procédé au paiement de la somme de 21 027,92 euros suite à l'obtention d'un crédit. Elle justifie ses propos en versant au débat un justificatif de virement libellé « loyers » d'un montant de 21 027,92 euros opéré le 26 avril 2024.
Certes, ce paiement est intervenu au-delà du délai accordé pour satisfaire au commandement de payer qui a expiré le mois suivant le commandement de payer délivré le 24 avril 2023. Mais dans ses premières conclusions du 14 novembre 2023, la société Distillerie du Saint-Esprit a formé une demande tendant à obtenir la suspension de la clause résolutoire et des délais de paiement. Bien que cette demande ne soit plus exactement formulée ainsi dans ses dernières conclusions du 26 avril 2024, puisqu'elle sollicite de juger que la clause résolutoire sera réputée n'avoir jamais joué, une telle prétention implique obligatoirement l'accord d'un délai de paiement de sorte qu'il doit être statué sur la suspension de la clause résolutoire et et l'accord de délais de paiement.
La résiliation du bail n'ayant pas été constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée, la demande de la preneuse tendant à obtenir la suspension de la clause résolutoire et des délais de paiement est recevable.
Au vu des règlements effectués par la preneuse qui a totalement apuré sa dette, du développement pris par son activité qui laisse augurer un avenir plus serein, il y a lieu de suspendre la clause résolutoire, d'accorder rétroactivement un délai de 13 mois à cette dernière pour apurer sa dette, de constater qu'elle s'est acquittée dans ce délai des causes du commandement délivré le 24 avril 2023 et qu'en conséquence la clause résolutoire n'a pas joué. Dès lors, la société Distillerie du Saint-Esprit demeure aux droits et obligations du bail qui lui a été consenti par la société Cité Artisanale des Verts Prés.
L'ordonnance entreprise sera réformée en ce sens.
Sur les mesures accessoires
La société Distillerie du Saint-Esprit sera tenue aux dépens de la procédure. L'équité commande de ne pas faire droit à la demande d'indemnité procédurale de la société Cité Artisanales des Verts Prés.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme l'ordonnance entreprise sauf en ses dispositions concernant les dépens et l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau,
Ordonne la suspension de la clause résolutoire insérée au bail et visée dans le commandement du 24 avril 2023,
Accorde rétroactivement à la société Distillerie du Saint-Esprit un délai de 13 mois pour apurer sa dette à compter du 24 avril 2023,
Constate qu'elle s'est acquittée dans ce délai des causes du commandement délivré le 24 avril 2023,
Dit qu'en conséquence la clause résolutoire n'a pas joué et que la société Distillerie du Saint-Esprit demeure aux droits et obligations du bail qui lui a été consenti par la société Cité Artisanale des Verts Prés,
Y ajoutant,
Condamne la société Distillerie du Saint-Esprit aux dépens d'appel,
Déboute la société Cité Artisanale des Verts Prés de sa demande d'indemnité procédurale.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.
Le Greffier, La Présidente,
Copie délivrée le 15 octobre 2024
à
Me Anne-hélène PESTRIN
la SCP PIANTA & ASSOCIES
Copie exécutoire délivrée le 15 octobre 2024
à
Me Anne-hélène PESTRIN
la SCP PIANTA & ASSOCIES