Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 8, 11 octobre 2024, n° 24/05505

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Crèche les Petits Tourbillons (SARL)

Défendeur :

Estraime (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lagemi

Conseillers :

Mme Gaffinel, M. Birolleau

Avocats :

Me Havet, Me Blank, Me Ronin Dulon

TJ Créteil, du 13 juin 2023, n° 23/00180

13 juin 2023

Par acte du 24 novembre 2011, la SCI Estraime a donné à bail commercial à la société Crèche Les petits Tourbillons un local (lot n°4161), au rez-de-chaussée d'un immeuble situé [Adresse 2] Saint-Mandé, moyennant un loyer annuel de 27.300 euros, hors charges et hors taxes, payable trimestriellement et d'avance.

Par acte sous seing privé du 18 décembre 2015, la SCI Estraime a consenti à la société Crèche Les petits Tourbillons un autre bail commercial, portant sur un local (lot n°4162) mitoyen au premier local loué, moyennant un loyer annuel de 27.828 euros, hors charges et hors taxes, payable mensuellement et d'avance.

La société Crèche les petits tourbillons a effectué des travaux de connexion de fonctionnement entre les deux lots, entérinés par un avenant du 18 décembre 2015, de telle sorte qu'ils sont aujourd'hui totalement interdépendants.

Les loyers n'ayant plus été réglés, le bailleur a fait délivrer à la société Crèche Les Petits Tourbillons deux commandements de payer visant la clause résolutoire par actes du 20 octobre 2022, pour une somme de 13.937,04 euros au titre du bail du 24 novembre 2011, et une somme de 15.698,71 euros au titre du bail en date du 18 décembre 2015, ces sommes représentant l'arriéré locatif au 14 octobre 2022.

Par acte du 21 décembre 2022, la SCI Estraime a fait assigner la société Crèche Les Petits Tourbillons devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Créteil aux fins, notamment, de constatation de l'acquisition de la clause résolutoire, expulsion et paiement, par provision, de l'arriéré locatif et d'une indemnité d'occupation.

Par ordonnance du 13 juin 2023, le premier juge a :

débouté de la société Crèche Les Petits Tourbillons de ses demandes de délais de paiement et de suspension des effets de la clause résolutoire ;

s'agissant du bail du 24 novembre 2011,

constaté l'acquisition de la clause résolutoire à la date du 21 novembre 2022 ;

ordonné l'expulsion de la société Crèche Les Petits Tourbillons des locaux situés [Adresse 2] à [Localité 10] à défaut de départ volontaire dans les quinze jours de la signification de la présente ordonnance, avec le concours, en tant que de besoin, de la force publique et d'un serrurier ;

statué sur le sort des meubles ;

fixé, à titre provisionnel, l'indemnité d'occupation due par la société Crèche Les Petits Tourbillons, à compter de la résiliation du bail et jusqu'à la libération effective des lieux, à une somme égale au montant du loyer contractuel outre les taxes, charges et accessoires et condamné la société Crèche Les Petits Tourbillons à la payer ;

condamné par provision la société Crèche Les Petits Tourbillons à payer à la SCI Estraime la somme de 39.763,26 euros au titre des loyers et charges impayés au mois de mai 2023 inclus avec intérêts au taux légal à compter du 21 décembre 2022 ;

s'agissant du bail du 18 décembre 2015,

constaté l'acquisition de la clause résolutoire à la date du 21 novembre 2022 ;

ordonné l'expulsion de la société Crèche Les Petits Tourbillons des locaux situés [Adresse 2] à [Localité 10] à défaut de départ volontaire dans les quinze jours de la signification de la présente ordonnance, avec le concours, en tant que de besoin, de la force publique et d'un serrurier ;

statué sur le sort des meubles ;

fixé, à titre provisionnel, l'indemnité d'occupation due par la société Crèche Les Petits Tourbillons, à compter de la résiliation du bail et jusqu'à la libération effective des lieux, à une somme égale au montant du loyer contractuel outre les taxes, charges et accessoires et condamné la société Crèche Les Petits Tourbillons à la payer ;

condamné par provision la société Crèche Les Petits Tourbillons à payer à la SCI Estraime la somme de 31.586,42 euros au titre des loyers, charges, accessoires et indemnités d'occupation impayés au mois de mai 2023 inclus avec intérêts au taux légal à compter du 21 décembre 2022 ;

condamné la société Crèche Les Petits Tourbillons aux dépens en ce compris le coût des commandements de payer et à régler à la SCI Estraime la somme de 1.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 26 juin 2023, la société Crèche Les Petits Tourbillons a relevé appel de cette décision en critiquant l'ensemble de ses chefs de dispositif.

Par jugement du 11 juillet 2023, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Crèche Les Petits Tourbillons.

Par arrêt du 24 novembre 2023, la cour a constaté l'interruption de l'instance et donné aux parties un délai expirant le 24 janvier 2024 pour la reprendre, précisant qu'à défaut d'accomplissement, dans ce délai, des diligences nécessaires, la radiation de l'affaire sera prononcée.

L'affaire a été radiée du rôle de la cour par mention au dossier le 24 janvier 2024, puis réinscrite le 26 mars suivant.

Dans leurs conclusions remises et notifiées le 20 août 2024, la société Crèche Les Petits Tourbillons et les sociétés AJ Associés et Asteren en leur qualité respective d'administrateur judiciaire et liquidateur judiciaire de la première demandent à la cour de :

infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

dire n'y avoir lieu à référé.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 16 mai 2024, la SCI Estraime demande à la cour de :

la juger recevable et bien fondée en ses demandes ;

confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a condamné par provision la société Crèche Les Petits Tourbillons au paiement des arriérés locatifs tels qu'indiqués dans l'ordonnance, des dépens et d'une indemnité procédurale ;

Compte tenu de l'évolution du litige et du jugement d'ouverture du redressement judiciaire à l'égard de la société Crèche Les Petits Tourbillons en date du 11 juillet 2023,

fixer, à titre privilégié, le montant de sa créance au passif de la société Crèche Les Petits Tourbillons pour lesdites sommes à savoir :

39.763,26 euros au titre du solde des loyers, charges, accessoires et indemnités d'occupation arriérés au mois de mai 2023 inclus ;

31.586,42 euros au titre du solde des loyers, charges, accessoires et indemnités d'occupation arriérés au mois de mai 2023 inclus ;

807,13 euros au titre des dépens ;

1.000 euros au titre des frais irrépétibles ;

y ajoutant,

actualiser et fixer, à titre privilégié, le montant total de sa créance au passif de la société Crèche Les Petits Tourbillons à hauteur de 87.043,42 euros, comprenant les échéances des loyers, charges, accessoires et régularisation de charges dues jusqu'à l'ouverture du redressement judiciaire de la société Crèche Les Petits Tourbillons et non comprises dans l'ordonnance déférée ;

débouter la société Crèche Les Petits Tourbillons, la société AJ associés, en sa qualité d'administrateur judiciaire de la société Crèche Les Petits Tourbillons et la société FIDES, en qualité de mandataire judiciaire de cette société de l'ensemble de leurs demandes ;

condamner la société Crèche Les Petits Tourbillons à lui payer la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par jugement du 17 juillet 2024, la liquidation judiciaire de la société Crèche Les Petits Tourbillons a été prononcée.

Compte tenu de cet élément constituant une cause grave au sens de l'article 803 du code de procédure civile, l'ordonnance de clôture en date du 3 juillet 2024 a été révoquée le 5 septembre suivant, à l'audience fixée pour les plaidoiries de l'affaire, afin d'admettre les dernières conclusions de l'appelante. La clôture de l'instruction a été, à nouveau, prononcée à cette date, avant l'ouverture des débats et sans opposition des parties.

Pour un exposé plus détaillé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie expressément à la décision déférée ainsi qu'aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

Sur les demandes dirigées contre la société Crèche Les Petits Tourbillons

Aux termes de l'article L. 622-21 du code de commerce :

'I.- Le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant :

1° A la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ;

2° A la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent.

II.- Il arrête ou interdit également toute procédure d'exécution de la part de ces créanciers tant sur les meubles que sur les immeubles ainsi que toute procédure de distribution n'ayant pas produit un effet attributif avant le jugement d'ouverture.

III.- Les délais impartis à peine de déchéance ou de résolution des droits sont en conséquence interrompus'.

Il résulte de ce texte que l'action introduite par le bailleur avant la mise en redressement judiciaire du preneur, en vue de faire constater l'acquisition de la clause résolutoire prévue au bail commercial pour défaut de paiement des loyers ou des charges échus antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure ne peut, dès lors qu'elle n'a donné lieu à aucune décision passée en force de chose jugée, être poursuivie après ce jugement.

En l'espèce, le jugement d'ouverture de la procédure collective de la société Crèche Les Petits Tourbillons est intervenu le 11 juillet 2023, au cours de l'instance d'appel, cette société ayant fait l'objet, à cette date, d'un redressement judiciaire converti en liquidation judiciaire le 17 juillet 2024.

Il en résulte que la décision entreprise n'était pas passée en force de chose jugée lors du jugement d'ouverture et que l'action en constatation de l'acquisition de la clause résolutoire prévue au bail pour défaut de paiement des loyers ou des charges échus antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure ne peut être poursuivie.

En outre, l'instance en référé tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une provision n'est pas une instance en cours interrompue par l'ouverture de la procédure collective du débiteur, de sorte que la cour d'appel, statuant sur l'appel formé par ce dernier contre l'ordonnance l'ayant condamné au paiement d'une provision, doit infirmer cette ordonnance et dire n'y avoir lieu à référé, la demande en paiement étant devenue irrecevable en vertu de la règle de l'interdiction des poursuites édictée par l'article L. 622-21 du code de commerce.

Il revient en effet au seul juge-commissaire de se prononcer sur la déclaration de créance, ce qui prive le juge des référés du pouvoir de statuer sur la créance.

Il convient en conséquence, comme le sollicite le liquidateur de la société Crèche Les Petits Tourbillons, d'infirmer l'ordonnance entreprise et de dire n'y avoir lieu à référé s'agissant des demandes dirigées contre elle.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dépens de première instance et d'appel seront supportés par la SCI Estraime, qui sera déboutée de sa demande formée au titre des frais irrépétibles, aucune considération d'équité ne commandant de l'accueillir.

PAR CES MOTIFS

Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de la SCI Estraime ;

Condamne la SCI Estraime aux dépens de première instance et d'appel ;

Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.