CA Bordeaux, 4e ch. com., 15 octobre 2024, n° 24/01205
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
La Mezzanine (SAS)
Défendeur :
Mpj (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Franco
Conseillers :
Mme Masson, Mme Jarnevic
Avocats :
Me Serhan, Me Bodin
EXPOSE DU LITIGE:
Par acte du 20 octobre 2020, la SCI [Adresse 4] a donné en location à la SASU La Mezzanine un local à usage commercial pour son activité de café-restaurant, situé dans un ensemble immobilier constituant une galerie commerciale, [Adresse 7] dans le lotissement [Adresse 5] à [Localité 3]. Le local commercial constitue la cellule n°11 du bâtiment B de la galerie, pour une surface de 203 m2, comprenant une coursive privative et une terrasse extérieure.
Le bail a été conclu pour une durée de 9 années à compter du 20 octobre 2020, pour un loyer annuel de 28 800 euros TTC. Les parties ont convenu que le loyer serait automatiquement indexé annuellement en fonction de l'indice trimestriel des loyers commerciaux.
Par acte authentique du 8 mars 2021, la SCI [Adresse 4] a vendu à la SAS MPJ le bâtiment sis [Adresse 5] à [Localité 3] contenant dix cellules commerciales dont la cellule n°11 du bâtiment B.
Par avenant au bail du 15 mars 2021, la SAS MPJ s'est substituée dans les droits et obligations de la SCI [Adresse 4] en qualité de bailleur.
Par courrier du 1er décembre 2022, la SAS MPJ a vainement mis en demeure la SASU la Mezzanine de lui régler la somme de 28 453,03 euros au titre des loyers impayés.
Par acte de commissaire de justice du 19 janvier 2023, le bailleur a signifié au preneur un commandement de payer visant la clause résolutoire le sommant de régler sous un délai d'un mois, la somme de 34 293,23 euros correspondant aux loyers et charges arriérés.
Par acte du 15 mai 2023, la SAS MPJ a assigné la SASU la Mezzanine devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux en paiement des loyers.
Par ordonnance de référé du 12 février 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux a :
Déclaré la S.A.S. MPJ recevable en ses demandes.
Constaté l'acquisition de la clause résolutoire du bail commercial liant la S.A.S. MPJ et la S.A.S.U. La Mezzanine.
Prononcé en conséquence la résiliation du bail commercial à compter du 19 février 2023.
Dit qu'à compter du 19 février 2023, la S.A.S.U. la Mezzanine est devenue redevable d'une indemnité mensuelle d'occupation d'un montant équivalent au montant mensuel du loyer et des charges en vigueur avant cette date.
Ordonné, à défaut de restitution volontaire des lieux dans le mois de la signification de la présente ordonnance, l'expulsion de la SASU la Mezzanine et de tout occupant de son chef des lieux situés [Adresse 6] à [Localité 3], cellule 11 du bâtiment A, avec le concours, en tant que de besoin, de la force publique et d'un serrurier.
Dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte.
Dit, en cas de besoin, que les meubles se trouvant sur les lieux seront remis aux frais de la personne expulsée dans un lieu désigné par elle et qu'à défaut, ils seront laissés sur place ou entreposés en un autre lieu approprié et décrits avec précision par l'huissier chargé de l'exécution, avec sommation à la personne expulsée d'avoir à les retirer dans un délai de quatre semaines à l'expiration duquel il sera procédé à leur mise en vente aux enchères publiques, sur autorisation du juge de l'exécution, ce conformément à ce que prévoient les articles L.433-1 et R.433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution.
Condamné la S.A.S.U. la Mezzanine à payer à la S.A.S. MPJ :
1°) au titre de l'indemnité d'occupation, la somme de 2 906,29 euros par mois à compter du 19 février 2023 ;
2°) au titre des loyers, ou charges, la somme provisionnelle de 36 272,06 euros due au 19 février 2023, avec intérêts au taux légal à compter du commandement du 19 janvier 2023 pour les sommes exigibles à cette date et à compter de leur date d'échéance pour les sommes exigibles ultérieurement.
Rejeté toutes autres demandes.
Condamné la S.A.S.U. la Mezzanine aux dépens, en ce compris le coût du
commandement de payer, et la condamne à payer à la S.A.S. MPJ la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration au greffe du 13 mars 2024, la SAS Mezzanine a relevé appel de l'ordonnance aux chefs expressément critiqués.
Par ordonnance du 8 avril 2024, l'affaire a été fixée à bref délai à l'audience du 10 septembre 2024.
Le 30 avril 2024, la SAS MPJ a déposé auprès du président de la quatrième chambre commerciale de la cour d'appel de Bordeaux, une requête en rectification sur le fondement de l'article 462 du code de procédure civile. En effet, l'ordonnance du 12 février 2024 était entachée d'une erreur matérielle dans la mesure où il était mentionné que le local commercial était situé dans le bâtiment A en lieu et place du bâtiment B.
Par arrêt du 18 juin 2024, la cour d'appel de Bordeaux a ordonné la rectification des erreurs matérielles affectant l'ordonnance rendue le 12 février 2024 par le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux ; dit qu'il convenait de remplacer les mots 'Bâtiment A' par les mots 'Bâtiment B' en page 2 et 5 de l'ordonnance ; dit qu'il serait fait mention de la présente décision rectificative sur la minute et les expéditions de l'ordonnance du 12 février 2024 et qu'elle serait notifiée comme celle-ci ; dit que les dépens de l'instance en rectification resteraient à la charge du Trésor public.
Par ordonnance de référé du 11 juillet 2024, la première présidente de chambre à la cour d'appel de Bordeaux a débouté la SAS MPJ de sa demande de radiation du rôle sur le fondement de l'article 524 du code de procédure civile, débouté les parties de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et dit que chaque partie supporterait la charge de ses propres dépens.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par dernières écritures notifiées par message électronique le 6 mai 2024, auxquelles la cour se réfère expressément, la société la Mezzanine demande à la cour de :
Réformer l'ordonnance de référé en date du 12 février 2024 ;
Déclarer la société MPJ irrecevable en sa demande, n'ayant pas qualité pour agir ;
Subsidiairement,
Vu l'article L145-41 du code de commerce
Vu l'article 1343-5 du code civil
Suspendre les effets de la clause résolutoire et accorder un délai de 24 mois à la société la Mezzanine pour apurer sa dette et dire que dans ce cas, celle-ci sera réputée n'avoir jamais joué ;
Condamner la société MPJ au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par dernières écritures notifiées par message électronique le 31 mai 2024, auxquelles la cour se réfère expressément, la société MPJ demande à la cour de :
Vu les articles 696, 834, 835 et 700 du code de procédure civile,
Vu les articles 544, 1103, 1104, 1231-6, 1343-5 et 1353 du code civil,
Vu les articles L.110-3, L.126-23, L.134-3-1, L145-4 et L145-41 du code de commerce,
Vu les pièces du dossier,
Déclarer infondées les demandes de la SASU La Mezzanine ;
En conséquence,
Débouter la SASU La Mezzanine de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
Confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé rendue le 12 février 2024 par le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux (RG N° 23/01119) ;
Rectifier les erreurs matérielles commises dans l'ordonnance de référé rendue en date du 12 février 2024 (RG n° 23/01119) en remplaçant les mots « bâtiment A » par les mots « bâtiment B » au sein de la première partie et du dispositif de ladite ordonnance ;
Condamner la SASU La Mezzanine à payer à la société MPJ la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
L'ordonnance de clôture est intervenue le 27 août 2024.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux derniers conclusions écrites déposées.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la qualité à agir de la SAS MPJ
- L'appelante sollicite que les demandes de la SAS MPJ soient déclarées irrecevables pour défaut de qualité à agir. Elle rappelle que le bail du 20 octobre 2020 a été conclu entre la SCI [Adresse 4] et la SASU La Mezzanine. Or elle considère que l'acte notarié du 8 mars 2021, en vertu duquel la SCI [Adresse 4] a vendu à la SAS MPJ un bâtiment regroupant des cellules commerciales, ne mentionne pas la cellule n°11 du bâtiment B de sorte que la SAS MPJ ne rapporterait pas la preuve de sa propriété. En outre, l'appelante considère que l'avenant au bail du 15 mars 2021 aux termes duquel la SAS MPJ s'est substituée dans les droits et obligations de la SCI [Adresse 4] en qualité de bailleur ne produit pas ses effets faute d'avoir été signé par l'ancien bailleur, en l'occurrence la SCI [Adresse 4].
L'intimée réplique que la preuve de l'existence d'un contrat de bail entre des parties commerçantes se prouve par tout moyen. Elle considère le local objet du bail commercial litigieux a été mentionné dans les annexes de l'acte de vente entre la SCI [Adresse 4] et la SAS MPJ et que par avenant du 15 mars 2021 la SAS MPJ s'est substituée dans les droits de la SCI [Adresse 4]. L'intimée soutient par ailleurs que la SASU La Mezzanine se comportait bien en preneur à l'égard de la SAS MPJ en lui versant régulièrement les loyers sur son compte bancaire entre avril 2021 et février 2022.
Sur ce :
Conformément à l'article L110-3 du code de commerce, à l'égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu'il n'en soit autrement disposé par la loi.
Le juge des référés a considéré à bon droit qu'il ressortait des pièces produites par la SAS MPJ que, par acte notarié du 8 mars 2021, la SCI [Adresse 4] lui avait cédé un bâtiment situé [Adresse 5] à [Localité 3], regroupant dix cellules commerciales. Or est annexé à l'acte de vente un tableau récapitulant les locations en cours pour chacune des cellules ainsi que les noms des locataires, leur activité, la superficie de la cellule, le montant annuel du bail et la date de prise d'effet du bail. Ce tableau mentionne le bail consenti le 20 octobre 2020 à la société La Mezzanine au titre de la cellule n°11 d'une superficie de 203 m2.
Enfin, le juge des référés a relevé à juste titre l'existence d'un avenant au bail en date du 15 mars 2021 signé entre la SAS MPJ et la SASU La Mezzanine d'où il suit que cette dernière ne peut ignorer l'identité de son bailleur.
En outre, le preneur n'a jamais contesté la qualité de son bailleur malgré la mise en demeure du 1er décembre 2022 et le commandement de payer les loyers et les charges du 19 janvier 2023, tous deux adressés par la SAS MPJ.
Le juge des référés a donc jugé à bon droit que la SAS MPJ rapportait par conséquent la preuve de sa propriété et de sa qualité de bailleur sur le bien immobilier loué et qu'elle était donc recevable en sa demande. La cour confirmera l'ordonnance de ces chefs.
Sur la demande de suspension de la clause résolutoire et l'octroi de délais grâce
Sur le fondement des articles L.145-41 du code de commerce et 1343-5 du code civil, l'appelante sollicite à titre subsidiaire la suspension de la clause résolutoire pendant un délai de 24 mois, période durant laquelle elle entend apurer sa dette, au motif que la vente projetée du fonds de commerce lui permettrait de procéder à son règlement.
L'intimée considère que la SASU La Mezzanine ne justifie pas de difficultés financières ni ne propose de plan d'apurement de sa dette locative et se borne à mentionner, sans élément probant à l'appui, une cession de fonds de commerce pour arguer de son futur retour à meilleure fortune lui permettant de régler sa dette.
Sur ce :
En droit, le juge des référés est tenu de vérifier que les conditions posées par l'article L.145-41 du code de commerce sont réunies. Aux termes de cet article, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai. Les juges saisis d'une demande de délais de grâce peuvent suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée.
S'il est vrai que l'article 1343-5 du code civil permet au juge, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, de reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues, il appartient à celui qui sollicite un délai de grâce de justifier ses difficultés financières et rapporter la preuve de sa capacité financière à honorer ses engagements à l'avenir.
En l'espèce, la SASU La Mezzanine s'est bornée à solliciter la suspension de la clause résolutoire et des délais de grâce pendant 24 mois mais s'est abstenue de produire des éléments comptables permettant de démontrer une situation difficile mais passagère comme l'a justement relevé le juge des référés. Pour justifier de son retour à meilleure fortune, la SASU La Mezzanine a fait état de la vente prochaine du fonds de commerce. Toutefois, aucun élément probant ne vient appuyer cette hypothétique cession d'où il résulte que c'est à bon droit que le juge des référés a débouté la SASU La Mezzanine de sa demande de délais de paiement.
En outre, constatant qu'il ressortait des pièces versées au débat que le bail commercial liant les parties comportait une clause résolutoire en cas de loyers impayés, qu'un commandement de payer visant ladite clause et reproduisant le délai légal avait été régulièrement signifié le 19 janvier 2023, que la SASU La Mezzanine ne s'était pas acquittée de son obligation de paiement intégral de sa dette dans le délai légal et que la dette locative s'établissait au 19 janvier 2023 à la somme de 36 272,06 euros, c'est à bon droit que le juge des référés a constaté la résiliation du bail commercial le 19 janvier 2023 par l'effet de l'acquisition de la clause résolutoire.
En conséquence, la cour confirmera l'ordonnance de ces chefs.
Sur les demandes accessoires
L'appelante sollicite que la SAS MPJ soit condamnée à la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
L'intimée sollicite la condamnation de l'appelante à lui verser la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles ainsi que sa condamnation aux dépens.
Sur ce :
Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.
Aux termes de l'article 700 du code de procédure civile, la partie qui perd son procès est condamnée aux frais irrépétibles.
- Partie succombante, la cour condamnera la SASU La Mezzanine aux dépens d'appel et la condamne à payer à la SAS MPJ la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, par décision contradictoire et en dernier ressort,
Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé rendue le 12 février 2024 par le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux,
Rejette toutes autres demandes,
Y ajoutant,
Condamne la société La Mezzanine à verser la somme de 2 500 euros à la société MPJ au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Condamne la société La Mezzanine aux dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.