CA Paris, Pôle 1 ch. 8, 11 octobre 2024, n° 23/18307
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
A.L.I. (SARL)
Défendeur :
Valophis Habitat (EPIC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lagemi
Conseiller :
Mme Le Cotty
Avocats :
Me Coudert, Me Tondi
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Florence LAGEMI, Présidente de chambre et par Jeanne BELCOUR, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
Par acte du 15 juillet 1999, l'OPAC du Val-de-Marne a donné à bail commercial, pour une durée de neuf ans, à M. et Mme [U] un local situé [Adresse 1], à [Localité 6], pour l'exploitation d'un commerce de services funéraires, marbrerie. Par avenant en date du 6 mars 2010, le bail a été renouvelé pour une durée de neuf ans entre l'établissement public Valophis habitat, nouvelle dénomination de l'OPAC du Val-de-Marne, et M. et Mme [U]. Par avenant en date du 16 janvier 2017, la société A.L.I. est venue aux droits de M. et Mme [U].
Invoquant un arriéré de loyers et de charges, l'établissement public Valophis habitat a fait délivrer à la société A.L.I., le 6 janvier 2023, un commandement, visant la clause résolutoire, de payer l'arriéré de loyers et de charges pour un montant de 7.304 euros, puis, par actes des 24 avril et 2 mai 2023, l'a fait assigner devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Créteil aux fins de constatation de l'acquisition de la clause résolutoire, expulsion et condamnation au paiement, à titre provisionnel, de l'arriéré locatif et d'une indemnité d'occupation.
Par ordonnance réputée contradictoire du 18 septembre 2023, le premier juge a :
- constaté l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail à la date du 7 février 2023 ;
- ordonné, à défaut de restitution volontaire des lieux dans les quinze jours de la signification de l'ordonnance, l'expulsion de la société A.L.I. et de tout occupant de son chef des lieux situés [Adresse 1], avec le concours, en tant que de besoin, de la force publique et d'un serrurier ;
- dit, en cas de besoin, que les meubles se trouvant sur les lieux seront remis aux frais de la personne expulsée dans un lieu désigné par elle et qu'à défaut, ils seront laissés sur place ou entreposés en un autre lieu approprié et décrits avec précision par l'huissier chargé de l'exécution, avec sommation à la personne expulsée d'avoir à les retirer dans un délai de quatre semaines à l'expiration duquel il sera procédé à leur mise en vente aux enchères publiques, sur autorisation du juge de l'exécution, ce conformément à ce que prévoient les dispositions du code des procédures civiles d'exécution sur ce point ;
- fixé, à titre provisionnel, l'indemnité d'occupation due par la société A.L.I, à compter de la résiliation du bail et jusqu'à la libération eff ective des lieux par la remise des clés, à une somme égale au montant du loyer contractuel, outre les taxes, charges et accessoires ;
- condamné par provision la société A.L.I à payer à l'EPIC Valophis habitat la somme de 8.555 euros au titre du solde des loyers, charges et accessoires arriérés au 24 avril 2023 ainsi que les indemnités d'occupation antérieures et postérieures, outre intérêts au taux légal depuis la date de délivrance du commandement précité sur la somme principale indiquée audit commandement, et sur le solde à compter du 24 avril 2023 ;
- condamné la société A.L.I à payer les entiers dépens, en ce compris le coût du commandement, et à payer à l'EPIC Valophis habitat la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rejeté toutes les autres demandes des parties.
Par déclaration du 13 novembre 2023, la société A.L.I a interjeté appel de cette décision en critiquant l'ensemble de ses chefs de dispositif.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 1er juillet 2024, elle demande à la cour de :
- infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
statuant à nouveau,
à titre principal,
- débouter l'établissement public Valophis habitat de toutes ses demandes ;
à titre subsidiaire,
- suspendre les effets de la clause résolutoire insérée au bail du '15 juillet 2019' ;
- dire qu'elle pourra s'acquitter de sa dette entre les mains du conseil de l'intimé dans un délai de trois mois à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir ;
en tout état de cause,
- condamner l'établissement public Valophis habitat à lui payer la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 22 janvier 2024, l'établissement public Valophis habitat demande à la cour de :
- débouter la société A.L.I de toutes ses demandes ;
- confirmer en toutes ses dispositions la décision dont appel ;
- actualisant la dette locative, condamner la société A.L.I à lui payer la somme de 15.877 euros à titre de provision à valoir sur le montant des loyers arriérés, et ce avec intérêts de droit à compter du commandement de payer à hauteur de la somme de 7.304 euros et pour le surplus avec intérêts de droit à compter de l'assignation, ainsi qu'au paiement des loyers, impôts, taxes, charges échus à la date de l'arrêt à intervenir ;
- la condamner à lui payer la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel et aux dépens conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 3 juillet 2024.
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.
SUR CE, LA COUR,
Sur l'acquisition de la clause résolutoire
L'article 835, alinéa 1er, du code de procédure civile dispose : 'Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
L'article L.145-41, alinéa 1er, du code de commerce dispose : 'Toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.'
La société A.L.I fait valoir que le bailleur ne démontre pas avoir valablement fait délivrer un commandement de payer, de sorte que les conditions de l'acquisition de la clause résolutoire ne sont pas réunies.
Il ressort cependant des pièces versées aux débats que :
- un commandement visant la clause résolutoire a été délivré à l'initiative du bailleur le 6 janvier 2023, l'acte ayant été signifié à la société A.L.I. en la personne de Mme [J] [K], employée, qui a accepté d'en recevoir la copie (pièce Valophis habitat n°5) ;
- Mme [Y], gérante de la société A.L.I, a, par lettre au commissaire de justice instrumentaire en date du 12 janvier 2023, indiqué avoir réceptionné l'acte et proposé un échéancier de règlement de l'arriéré locatif (pièce Valophis habitat n°6) ;
éléments dont il se déduit que l'EPIC Valophis habitat a respecté son obligation de délivrance préalable d'un commandement.
Il est, par ailleurs, constant que les causes du commandement de payer du 6 janvier 2023 n'ont pas été réglées dans le délai d'un mois imparti par cet acte, de sorte que les conditions d'acquisition de la clause résolutoire étaient réunies le 7 février 2023.
Sur la dette locative
L'article 835, alinéa 2, du code de procédure civile prévoit : 'Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.'
Selon le décompte au 22 janvier 2024 produit par le bailleur, la dette locative s'élevait à la somme de 15.877,84 euros. Ce montant n'étant pas contesté et le bailleur sollicitant la condamnation provisionnelle de la société A.L.I au paiement de cette somme, la cour retiendra ce montant et réformera en ce sens l'ordonnance entreprise.
Sur la demande de délais de paiement
Il résulte de l'article L. 145-41 du code de commerce précité que le juge peut accorder des délais de paiement et suspendre la réalisation et les effets de la clause résolutoire.
La société A.L.I indique avoir consigné les fonds afin de régler les sommes dues au titre de l'arriéré de loyer ; elle demande de lui accorder un délai de trois mois à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir pour adresser les fonds au conseil de l'établissement Valophis habitat et, par suite, sollicite la suspension des effets de la clause résolutoire.
L'appelante justifie en l'espèce avoir consigné la somme de 15.877,84 euros sur le compte Carpa de son conseil, la SELARL Octaav (pièce A.L.I n°3). Il ressort, par ailleurs, du décompte produit par le bailleur que la locataire paie régulièrement le loyer en cours.
En considération des efforts consentis par la locataire, il convient de lui permettre d'apurer la dette locative tout en conservant son bail, de faire droit à sa demande de délais à hauteur des trois mois proposés dans les conditions prévues au dispositif, et de suspendre les effets de la clause résolutoire pendant le cours de ce délai.
Sur les frais et dépens
Il y a lieu de confirmer l'ordonnance sur les dépens et les frais irrépétibles.
La société A.L.I. sera tenue aux dépens d'appel. L'équité commande de la condamner au paiement de la somme de 1.000 euros au titre des frais irrépétibles en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
Confirme l'ordonnance entreprise en ses dispositions relatives à l'application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;
L'infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Constate la réunion des conditions d'acquisition de la clause résolutoire stipulée dans le bail liant les parties à la date du 7 février 2023 ;
Condamne la société A.L.I à payer, à titre provisionnel, à l'établissement public Valophis habitat la somme de 15.877 euros, avec intérêts au taux légal à compter du commandement de payer du 6 janvier 2023 sur la somme de 7.304 euros, à compter de l'assignation sur celle de 1.251 euros et du présent arrêt sur le surplus, à valoir sur la dette locative arrêtée suivant décompte au 22 janvier 2024 ;
L'autorise à s'acquitter de cette somme de 15.877 euros dans un délai de trois mois suivant la signification du présent arrêt, en sus des loyers courants ;
Suspend les effets de la clause résolutoire pendant le cours de ce délai, laquelle sera réputée n'avoir
jamais joué si la société A.L.I se libère dans ce délai et selon les modalités fixées en sus du paiement du loyer courant ;
Dit qu'à défaut de paiement de la somme de 15.877 euros à l'issue du délai de trois mois accordé ou du loyer courant pendant le cours de ce délai :
- la clause résolutoire reprendra son plein effet ;
- faute de départ volontaire des lieux, il pourra être procédé à l'expulsion de la société A.L.I et de tous occupants de son chef, avec le concours de la force publique et d'un serrurier ;
- le sort des meubles sera régi conformément aux dispositions des articles L. 433-1 et L. 433-2 du
code des procédures civiles d'exécution ;
- la société A.L.I sera tenue au paiement à titre provisionnel d'une indemnité d'occupation égale au montant du loyer révisé et des charges qui auraient été dus si le bail s'était poursuivi ;
Condamne la société A.L.I aux dépens d'appel avec faculté de recouvrement direct conformément à l'article 699 du code de procédure civile et à payer à l'établissement public Valophis habitat la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du même code en cause d'appel.