CA Versailles, ch. com. 3-2, 15 octobre 2024, n° 23/06725
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Alliance (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guerlot
Conseillers :
Mme Cougard, M. Baby
Avocats :
Me Dontot, Me Cathely, Me Lafon, Me Satio
EXPOSE DU LITIGE
La société Etnium de droit français a été créée par M. [W] [M] [E]-[H] le 13 février 2002 et a pour activité la communication marketing.
Le 25 janvier 2008, M. [E]-[H], la société Etnium et la République de Guinée équatoriale ont signé un protocole de création de la chaîne Africa 24. La société Etnium avait pour vocation d'être la régie de commercialisation et des ventes des espaces publicitaires de la chaîne.
Le 24 juillet 2008 a été créée la société Afrimedia Internationale de droit luxembourgeois. Depuis l'origine, M. [E]-[H] a assuré la présidence de cette société.
Le 22 janvier 2009, la société Afrimedia Internationale a créé en France la SASU Afrimedia, exerçant sous le nom commercial de " Africa 24 " ou " A24 ". Son capital social, d'un montant de 5 000 000 euros, est détenu en totalité par la société Afrimedia Internationale. Son président est M. [E]-[H]. La société Afrimedia a signé une convention de régie publicitaire exclusive avec la société Etnium.
Le 14 avril 2017, le commissaire aux comptes de la société Afrimédia, la société KPMG Audit, a informé le tribunal de commerce de Nanterre des difficultés économiques rencontrées par cette dernière.
Le 24 avril 2017, le conseil d'administration de la société Afrimedia International a constaté que sa filiale, la société Afrimedia, était en état de cessation de paiements.
Le 30 mai 2017, le tribunal de commerce de Nanterre a rejeté la demande d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire de la société Afrimedia présentée par M. [E] [H] en l'absence de démonstration de l'état de cessation des paiements au jour du prononcé de la décision et en l'état des pièces produites aux débats.
Le 1er juin 2017, la société Afrimedia a été convoquée par le tribunal de commerce de Nanterre dans le cadre de la prévention-détection.
Le 15 janvier 2018, M. [E]-[H] a déposé une nouvelle déclaration de cessation des paiements pour la société Afrimedia devant le tribunal de commerce de Nanterre, lequel, par jugement du 30 janvier 2018, a placé cette dernière en redressement judiciaire, fixé à six mois la durée de la période d'observation et désigné la société Alliance, prise en la personne de Mme [Z], en qualité de mandataire judiciaire.
Le 26 juillet 2018, la période d'observation a été renouvelée pour six mois, puis le 31 janvier 2019 jusqu'au 5 février 2019.
Le 8 février 2019, le tribunal a prononcé la liquidation judiciaire de la société Afrimedia, désigné la société Alliance en qualité de liquidateur et fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 1er décembre 2017.
L'insuffisance d'actif a été évaluée à 4 266 309, 84 euros.
Considérant que les opérations de la procédure collective avaient mis en évidence des fautes de gestion imputables à M. [E]-[H], la société Alliance, ès qualités, l'a assigné le 28 janvier 2021 en responsabilité pour insuffisance d'actif et en sanctions personnelles devant le tribunal decommerce de Nanterre, lequel, par jugement contradictoire du 13 septembre 2023, a :
- condamné M. [E]-[H] à payer la somme de 350 000 euros à la société Alliance, ès qualités, avec capitalisation des intérêts en applications des dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;
- prononcé à l'égard de M. [E]-[H] une interdiction de gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci pour une durée de trois ans ;
- condamné M. [E]-[H] à payer à la société Alliance, ès qualités, la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens ;
- ordonné l'exécution provisoire du jugement sur l'ensemble des condamnations prononcées ;
Le 29 septembre 2023, la société Alliance a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a limité la condamnation de M. [E]-[H] à 350 000 euros et la durée de l'interdiction de gérer à trois ans.
Par dernières conclusions du 16 février 2024, elle demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a retenu le principe de responsabilité pour insuffisance d'actif de la société Afrimedia à l'égard de M. [E]-[H] et l'infirmer s'agissant du montant mis à sa charge ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé une mesure de sanction personnelle à l'égard de M. [E]-[H] et l'infirmer s'agissant de la durée de ladite mesure ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné M. [E]-[H] au paiement des frais irrépétibles et des dépens ;
Statuant à nouveau sur les dispositions du jugement infirmées,
- condamner M. [E]-[H] à lui payer la somme de 1 100 000 euros en application de l'article L. 651-2 du code de commerce ;
- prononcer à l'égard de M. [E]-[H] une mesure de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer d'une durée minimum de cinq années ;
- condamner M. [E]-[H] à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouter M. [E]-[H] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à son égard ;
- condamner M. [E]-[H] aux entiers dépens de l'instance et autoriser maître Dontot, avocate au barreau de Versailles, à en recouvrer le montant pour ceux la concernant, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions formant appel incident du 7 février 2024, M. [E]-[H] demande à la cour de :
- débouter la société Alliance de son appel et de toutes fins qu'il comporte ;
- le recevoir en son appel incident et l'y déclaré bien fondé ;
Y faisant droit :
- infirmer le jugement en toutes les condamnations le concernant ;
Statuant à nouveau sur les dispositions du jugement infirmés ;
- juger qu'il n'a commis aucune faute dans la gestion de la société Afrimedia ;
- " juger que la société Alliance, ès qualités, ne rapporte ni la preuve, ni le lien de causalité entre les nombreuses prétendues fautes citées pèle mêle et le préjudice allégué " ;
En conséquence,
- débouter la société Alliance, ès qualités, de sa demande de condamnation avec intérêt au paiement de la somme de 1 100 000 euros et de sa demande de condamnation à une mesure de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer d'une durée minimum de cinq années ;
- débouter en conséquence la société Alliance, ès qualités, de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions, y compris ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé non constitué l'ensemble des prétendues fautes de gestion que le liquidateur tentait d'imputer à M. [E]-[H] ;
- condamner la société Alliance au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens et dire qu'ils pourront être recouvrés par maître Franck Lafon conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le 8 décembre 2023, le ministère public a émis un avis tendant à voir infirmer partiellement le jugement entrepris sur le quantum des sanctions. Il considère inopportun de ne pas condamner M. [E]-[H] à une faillite personnelle de dix ans, comme l'avait requis le parquet de [Localité 7]. Il s'en remet à la sagesse de la cour quant à l'aggravation du quantum de l'insuffisance d'actif à faire supporter à M. [E]-[H].
La clôture de l'instruction a été prononcée le 19 février 2024.
Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs écritures susvisées.
MOTIFS
1- Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif
1-1. Sur l'insuffisance d'actif
Aux termes de l'article L. 651-2 du code de commerce, " lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée. (') "
L'insuffisance d'actif est égale à la différence entre le montant du passif antérieur admis définitivement et le montant de l'actif réalisé de la personne morale débitrice. Elle s'apprécie à la date à laquelle le juge statue.
Le passif admis correspond aux créances antérieures au jugement d'ouverture, vérifiées par le liquidateur et admises par le juge-commissaire ; l'actif réalisé, aux sommes détenues par le liquidateur, y compris en suite de démarches de recouvrement tendant à la reconstitution du gage commun des créanciers.
Il est constant que le passif admis de la société Afrimédia s'élève à 5 701 273,90 euros et se décompose comme suit :
- passif superprivilégié : 99 882,57 euros ;
- passif du trésor public : 1 094 913 euros ;
- privilège du bailleur : 163 649,51 euros ;
- privilège de nantissement de fonds de commerce : 9 559,26 euros ;
- privilège salarial : 604 205,48 euros ;
- privilège des caisses sociales : 604 205,48 euros ;
- redevance des auteurs à titre provisionnel : 290 164,44 euros ;
- passif chirographaire : 3 303 937,44 euros.
L'actif recouvré est de 1 078 286 euros.
Au regard de ces éléments, il convient de retenir, comme le jugement, que l'insuffisance d'actif s'élève à 4 232 940,89 euros.
1-2. Sur la qualité de dirigeant de M. [E]-[H]
La qualité de dirigeant de droit de M. [E]-[H] de la société Afrimédia depuis l'origine n'est pas contestée.
1-3. Sur les fautes de gestion
La loi ne définit pas la faute de gestion. Celle-ci peut résulter d'un acte positif comme d'une abstention. La mauvaise foi n'est pas un élément constitutif de la faute de gestion. Toute faute, même non intentionnelle, peut être sanctionnée. De la même façon, peu importe que le dirigeant ait agi dans son intérêt personnel (Com. 17 juill. 2001, n° 98-12.790 ; Com. 16 déc. 2008, n° 07-18.513).
Le jugement entrepris n'a retenu qu'une faute de gestion : le défaut de règlement des obligations fiscales et sociales.
Le liquidateur reproche à M. [E] [H] les fautes suivantes :
- le défaut de paiement des obligations fiscales et sociales de la société Afrimédia ;
- la poursuite abusive d'une activité déficitaire sans prendre de mesures de redressement et qui ne pouvait conduire qu'à la liquidation judiciaire de la société Afrimedia ;
- le détournement des actifs de cette dernière ;
- l'absence de tenue d'une comptabilité régulière ;
a- Sur le défaut de règlement des obligations fiscales et sociales
Le liquidateur expose que le passif de nature fiscale résultant de la procédure de vérification est en relation directe avec la gestion de M. [E] [H]. Il fait valoir que ce passif a aggravé l'insuffisance d'actif et que l'importance de cette aggravation suffit à caractériser la gravité de la faute de gestion de l'intimé. Contestant l'analyse de l'intimé, il expose qu'il importe peu que le redressement fiscal lui ait été notifié après le jugement d'ouverture dès lors que les fautes de gestion à l'origine du contrôle ont été commises antérieurement à ce jugement.
L'intimé observe que pour retenir l'unique faute de gestion résultant de défaut de règlement des obligations fiscales et sociales, le tribunal a fait beaucoup de réserves dans ses motifs. Il en déduit que la faute n'est pas établie. Il ajoute que, dans son dispositif, le jugement ne retient pas de principe de responsabilité mais qu'il se limite à prononcer une condamnation de 350 000 euros.
S'agissant de la vérification fiscale portant sur les exercices 2014 et 2015 d'Afrimédia, il explique qu'ayant été dessaisi de la gestion de la société en suite de l'ouverture du redressement judiciaire du 30 janvier 2018, il n'a pas pu faire valoir ses droits à l'égard de l'administration. Il soutient qu'il y a eu perte de chance d'obtenir l'annulation de la procédure ou à tout le moins d'obtenir un abattement si le liquidateur avait contesté la procédure de vérification comme le lui demandait le juge-commissaire. Il souligne que l'administration fiscale n'a retenu à son encontre aucune man'uvre frauduleuse ou inobservation répétée d'obligations comptables de sorte qu'il n'y a pas d'élément aggravant pouvant justifier à son encontre une sanction sévère.
Il soutient que la dette fiscale n'est pas à l'origine de la défaillance de la débitrice dès lors que le redressement fiscal est intervenu postérieurement au placement en redressement judiciaire de celle-ci. Il en déduit qu'il n'existe aucun lien de causalité entre le montant du redressement fiscal admis au passif de la débitrice deux ans après le redressement judiciaire et sa défaillance constatée le 30 janvier 2018.
Réponse de la cour
Pour retenir cette faute de gestion, le tribunal a relevé qu'à la suite d'une procédure de vérification fiscale portant sur la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015, l'administration a adressé le 19 décembre 2017 à M. [E] [H], président d'Afrimédia, une proposition de redressement d'un montant de 1 100 000 euros.
Cette proposition de rectification, qui concerne les exercices clos au 31 décembre 2014 et au 31 décembre 2015 (pièce 29 du liquidateur), repose, en premier lieu, sur une contestation de la réalité et de la valorisation d'une charge facturée le 15 janvier 2014 à la société Afrimédia par la société Al Manna International Limited d'un montant de 241 680 euros passée au débit du compte 6226000 d'Afrimédia et payée par cette dernière le 24 avril 2014.
L'administration a considéré que les justificatifs produits, à savoir un mandant de conseil confié par Al Manna Intenational Limited, avait expiré fin 2013 de sorte qu'il ne pouvait fonder la facture litigieuse. Elle a également estimé que, faute d'autres justificatifs, la charge provenant de la facture litigieuse ne pouvait être regardée comme relevant d'une gestion normale de la société de sorte qu'elle ne pouvait pas être admise en déduction pour le calcul du bénéfice net de l'appelante (voir p. 4 et 5 de la proposition de rectification de l'administration fiscale).
S'agissant des conséquences financières de cette contestation, la cour observe que l'administration a retenu que " le bénéfice réputé distribué à la société Al Manna International Limited donnera lieu à l'application d'une retenue à la source au taux de 30 / 70ème " et " qu'il en résulte une retenue à la source pour l'exercice 2014 de 103 577 euros " (voir p. 17).
En second lieu, après avoir relevé que, contrairement aux affirmations des conseils d'Afrimédia, celle-ci ne recourait plus à compter de l'exercice 2014 pour les services de régie à la société Etnium mais seulement à la société Etnium International FZ-LLC pour certains clients et qu'elle travaillait en direct avec d'autres annonceurs (Bénin, Congo, Tchad et Guinée), l'administration a considéré que la société Afrimédia ne justifiait pas de la réalité des prestations effectuées par la régie Etnium International FZ-LLC. (cf. paragraphe " minorisation des recettes, p. 5 et s.)
A ce titre, il est écrit en page 12 :
" Au vu des différents éléments analysés ci-dessus, le service en conclut donc que la société Etnium International FZ LLC ne dispose d'aucun moyen humain et matériel pour l'exercice 2014, permettant de justifier d'une exploitation aux Emirats arabes unis. Pour l'exercice 2015, la présence d'un unique salarié dont les missions ne sont pas évoquées dans le contrat de travail et dont les revenus sont faibles eu égard au niveau de vie à [Localité 6], ainsi que l'absence d'actifs immobilisés dans le rapport d'audit ne permettent pas de justifier une exploitation aux Emirats arabes unis de la société Etnium International FZ-LLC. Ainsi, l'effectivité des prestations de régie réalisés par la société Etnium international FZ-LLC n'est pas démontrée pour les exercices 2014 et 2015. Par ailleurs, si l'effectivité des prestations de régies réalisées par la société Etnium International FZ-LLC venait à être démontrée ultérieurement, resterait à la charge de la société d'Afrimédia de démontrer que la commission retenue par la société Etnium International FZ-LLC est proportionnée aux fonctions et aux risques qu'elle assume. "
La cour relève en outre que, sur la base des explications de la société et de ses conseils, l'administration a estimé que la société Etnium International FZ-LLC a perçu, " sans preuve d'une quelconque effectivité de la prestation de régie ", une commission de 873 336 euros pour l'exercice 2014 et de 1 164 944 pour l'exercice 2015 de sorte que l'administration a décidé de la réintégrer dans l'imposition de la société Afrimédia. A cet égard, on peut ainsi lire en page 13 de la proposition de rectification : " Il s'ensuit des rehaussements du bénéfice imposable de 873 336 euros au titre de l'exercice 2014 et de 1 1 164 944 euros au titre de l'exercice 2015. "
De surcroît, à la suite des rehaussements d'imposition proposés, l'administration a relevé la valeur ajoutée de la société Afrimédia pour l'exercice 2014 de 4 395 236 euros ce qui a entraîné consécutivement un rappel de cotisations sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) de 16 215 euros, qui, a lui-même généré des rehaussements de taxe additionnelle et des frais de gestion 2014.
Pour l'exercice 2015, l'administration a calculé un rappel de CVAE de 18 203 euros, générant également des rehaussements de taxe additionnelle et des frais de gestion 2015.
L'administration explique par ailleurs en page 17 (voir paragraphe conséquences / minoration des recettes " que " le bénéfice distribué à la société Etnium International Limited donnera lieu à une retenue à la source de 30 /70ème ", soit au titre de l'exercice 2014 de 374 287 euros et pour l'exercice 2015 de 499 262 euros.
Par ailleurs, l'intimé ne peut pas sérieusement prétendre que la société Afrimédia a perdu une chance d'obtenir l'annulation de la procédure ou des dégrèvements au motifs que les organes de la procédure n'ont pas contesté la vérification alors que le juge-commissaire leur avait demandé.
La cour relève d'abord que l'intimé a pu, au cours d'une procédure contradictoire, apporter des explications notamment par l'intermédiaire de ses conseils sur les éléments relevés par l'administration et ensuite contester la proposition de rectification.
Ainsi, il résulte de la pièce 31 du liquidateur (courrier de l'administration du 19 avril 2018 adressé au représentant légal de la SAS Afrimédia : " réponse aux observations du contribuable) que M. [E]-[H] a contesté les rehaussements issus des minorations de recettes et le rejet de la charge insuffisamment justifiée relative à la facture de la société Al Manna International Limited.
L'administration qui a ainsi répondu aux objections de l'intimé, a rejeté ses observations et a maintenu sa proposition de rectification, son courrier précité précisant par ailleurs que le contribuable pouvait saisir la Commission des impôts directs et taxe sur le chiffre d'affaires ou la Commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires.
La cour relève ensuite que sur la question de la réalité des prestations fournies par la société Etnium International FZ-LLC, l'administration a notamment répondu que " [les] documents décrivant sommairement les frais engagés n'attestent en rien de la réalité de l'action de la régie et ne sont appuyés par aucun justificatif en provenance de tiers. De plus, il doit être mentionné que ceux-ci n'ont pas été fournis au cours du contrôle, et semble avoir été produits pour les besoins de la cause. Par ailleurs, la preuve de la réalité des moyens mis à dispositions de la régie Etnium International FZ-LLC pour exercer son activité n'a pas été apportée' "
Ou encore : " la signature du contrat avec la société Al Manna International ne suffit pas à justifier la réalité des dépenses et du caractère non exorbitant de la charge comptabilisée au profit de cette société en 2014. "
De surcroît, les autres éléments versés aux débats par l'intimé n'établissent pas que le juge-commissaire a demandé aux organes de la procédure de contester la procédure de vérification.
Ainsi, le courriel produit en pièce 153 par l'intimé (courriel du 20 septembre 2018 de M. [P], collaborateur du mandataire judiciaire) adressé à l'intimé se borne à indique que " le juge-commissaire, seul compétent à autoriser le recours à un expert intervenant hors gestion courante de la société, a donné ce jour son accord de principe sur l'intervention envisagée. Par ailleurs, ce dernier reprenant un cas de figure similaire dans un autre dossier attire notre attention sur l'utilité d'un recours à, ce que la DGFIP appelle, une interlocution qui a abouti à l'annulation totale du redressement. Dans cette perspective, Monsieur le juge-commissaire a bien voulu nous transmettre les liens ci-dessous représentant le fruit de ses recherches' "
La cour observe d'ailleurs que l'ordonnance du juge-commissaire invitant l'administrateur ou le liquidateur à engager un contentieux contre la proposition de rectification n'est pas produite aux débats.
Les courriels versés en pièces 154 (courriel du 24 mai 2019 du conseil d'Afrimédia à M. [P], collaborateur de l'administrateur) et 155 (courriel du 31 octobre 2019 du conseil d'Afrimédia à Me Noiran et Dubois) n'apportent pas d'éléments utiles sur la conduite de la procédure fiscale, hormis le fait qu'un des mails apprend qu'une décision de rejet a été rendue par la " Commission départementale'.
En tout état de cause, comme le souligne pertinemment le liquidateur, la créance fiscale n'est plus susceptible d'être remise en cause à la suite du rejet du recours contre la proposition de rectification puisque le passif fiscal a été définitivement admis par le juge-commissaire par deux ordonnances des 9 juin 2020 (pièces 32 et 33 du liquidateur).
Le non-respect des règles fiscales décrites dans la vérification fiscale dont la substance a été rappelée ci-dessus constitue une faute de gestion. Etant à l'origine du passif fiscal, cette faute est, contrairement à ce l'intimé affirme, en lien avec l'insuffisance d'actif, le passif fiscal constituant le troisième poste du passif.
Cette faute a donc manifestement aggravé l'insuffisance d'actif puisque la société Afrimédia a subi des rappels de CVAE (16 215 euros en en 2014, et 49 778 euros en 2015), des frais de gestion et des intérêts de retard au titre du contrôle CVAE (1383 + 54 + 189 euros) une retenue à la source pour l'exercice 2014 de 103 577 euros et des rehaussements du bénéfice imposable de 873 336 euros au titre de l'exercice 2014 et de 1 1 164 944 euros au titre de l'exercice 2015, des pénalités (17 771 euros pour l'exercice 2015) et intérêts de retard (3 276 euros pour l'exercice 2015).
En tout état de cause, il importe peu que le redressement ait été notifié après le jugement d'ouverture dès lors que, comme c'est le cas en l'espèce, les fautes de gestion considérées sont nées antérieurement à l'ouverture de la procédure collective.
Le tribunal a donc retenu à juste titre cette faute de gestion.
b- Sur la poursuite d'une activité déficitaire
Le liquidateur explique que l'activité de la société Afrimédia a été déficitaire depuis sa création jusqu'à sa liquidation ; que le montant des pertes cumulées entre les exercices 2008 à 2017 s'est élevé à 20 millions d'euros ; que depuis sa création, elle n'a jamais généré un chiffre d'affaires suffisant pour garantir sa pérennité et que la poursuite de son activité a reposé sur l'engagement des actionnaires de pourvoir à son financement au moyen d'apports successifs.
Il explique que depuis l'exercice 2015, les opérations comptables ont été enregistrées à la fin de chaque exercice de manière à avantager la présentation des comptes alors qu'ils étaient déficitaires en application du principe de l'annuité des comptes.
Il fait valoir que l'intimé a utilisé de " stratagèmes " pour augmenter artificiellement le chiffre d'affaires d'Afrimédia en enregistrant des factures à l'ordre de la Guinée puis en procédant dans le même temps à l'enregistrement d'un profit exceptionnel et à sa dépréciation.
Il ajoute que le rapport du 19 juin 2018 du cabinet Union fiduciaire de [Localité 8] portant sur les coûts des diffusions réalisées pour la Guinée a confirmé le caractère déficitaire de l'exploitation de la société.
Répondant aux arguments du dirigeant sur la particularité du modèle économique d'une chaîne de télévision qui impliquerait des pertes pendant plusieurs années, il observe que, selon la jurisprudence, la poursuite abusive d'une activité déficitaire est caractérisée dès lors que l'entreprise a généré des pertes pendant plus deux exercices consécutifs et observe que, si l'activité audiovisuelle est spécifique, Afrimédia a toutefois continué à enregistrer des pertes sept ans après sa création alors qu'à ce stade, elle aurait dû être rentable selon les propres critères de l'intimé.
Il considère que le dirigeant a lui-même reconnu avoir poursuivi abusivement l'activité déficitaire d'Afrimédia et que l'existence d'un pacte d'actionnaires ne saurait l'exonérer de sa responsabilité. A cet égard, il fait valoir que les pertes réalisées depuis sept ans ne peuvent pas être imputées aux actionnaires de la holding d'Afrimédia mais ressortissent uniquement de la responsabilité de l'intimé qui a sciemment et abusivement poursuivi l'activité déficitaire d'Afrimédia dans le but de servir l'intérêt de sociétés qu'il contrôlait.
Il soutient encore que l'intimé est seul responsable de la sous-capitalisation de la débitrice en tant qu'actionnaire majoritaire d'Afridia internationale, elle-même actionnaire d'Afrimédia de sorte qu'il est directement à l'origine de la défaillance de celle-ci en poursuivant son activité déficitaire sans la doter de fonds suffisants.
Contestant le jugement ayant retenu comme fait exonératoire le fait que le tribunal de la procédure collective avait rejeté une première demande de redressement judiciaire d'Afridia présentée par l'intimé, il fait valoir que la décision de poursuivre l'activité déficitaire ne peut être qu'imputée à l'intimé qui n'ignorait pas qu'il ne disposait pas des fonds suffisants lui permettant de financer les pertes générées par l'activité. Répliquant à l'intimé, il ajoute qu'il ne lui est pas reproché un défaut de déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai légal de 45 jours qui est une faute autonome de celle qui lui est reprochée.
Il termine en soulignant que le caractère abusif de la poursuite de l'activité est démontré dès lors que l'intimé savait dès 2016 que le chiffre d'affaires de 2017 serait réduit.
S'appuyant sur l'avis de spécialistes du secteur de l'audiovisuel, notamment le cabinet Roland Berger, l'intimé répond que l'équilibre financier d'un media audiovisuel est atteint au bout de 5 à 7 ans.
Il conteste le fait qu'Afrimédia ait été déficitaire pendant toute son activité et souligne que deux ans après sa création en 2009, son chiffre d'affaires a augmenté fortement de 271 % et que plus globalement son chiffre d'affaires a augmenté progressivement entre 2009 et 2015 de sorte qu'elle est arrivée à l'équilibre en 2014.
Il conteste également l'argument du liquidateur selon lequel les comptes de l'exercice 2015 seraient fictifs au motif qu'ils ont enregistré un chiffre d'affaires fictif de 2 550 480 euros sur la Guinée équatoriale alors qu'aucun contrat de communication n'a été conclu avec celle-ci. A cet égard, il observe que le grand livre d'Afrimédia n'a pas enregistré une telle facture au titre d'un contrat de communication.
Il ajoute que dans les comptes 2016 et 2017, établis sous les instructions du mandataire, Mme [O], ont été réintégrées des factures de 2015 et de 2016 et que la réalité des prestations effectuées pour la Guinée en 2015 et 2016 ont été établis par un rapport d'expertise ordonné par le juge-commissaire.
Il observe que la facture de 2 550 480 euros a été enregistrée dans les comptes 2016 selon les instructions de l'administrateur judiciaire puis dépréciée dans les comptes 2017. Il en conclut qu'il n'a pas comptabilisé dans les comptes de l'exercice 2015 cette facture litigieuse.
Il conteste encore l'argumentation du liquidateur qui prétend qu'il a procédé pour l'exercice 2015 a des enregistrements de montants croissants en vue d'avantager la présentation des comptes.
Il souligne que deux attestations du cabinet d'expert-comptable Caderas indiquent que les écritures passées en 2014 et 2015 servent, conformément à la méthode comptable, à enregistrer le chiffre d'affaires prorata temporis. Il ajoute que la certification tardive par le commissaire aux comptes des comptes 2016, n'enlève rien à la validité de son rapport et précise que selon le code de commerce, les commissaires aux comptes certifient que les comptes sont réguliers, sincères et donnent une image fidèle de l'exercice écoulé. Il rappelle que les comptes 2016 ont été certifiés sans réserve par le commissaire aux comptes.
Répondant au liquidateur sur le fait qu'il ait poursuivi l'activité d'Afrimédia malgré l'absence de non respect par la Guinée des termes du pacte d'actionnaires signé le 28 mai 2014, l'intimé explique que les revenus d'Afrimédia provenaient non pas du financement des actionnaires mais de son activité de vente d'espaces publicitaires dont les principaux acheteurs étaient des pays africains garantissant la conclusion de contrats commerciaux à hauteur de 2 500 000 euros.
Il souligne que la Guinée avait d'ailleurs été mise en demeure par l'administrateur judiciaire de payer la somme 5 100 960 euros au titre de prestations effectuées. Il en conclut que l'origine des difficultés provient du non paiement des créances d'Afrimédia en particulier par la Guinée. et ajoute que l'administrateur judiciaire fait état, dans son rapport portant sur le bilan économique, social et environnemental du 23 mars 2018 ainsi que dans son rapport sur le plan de redressement, de cette cause comme source des difficultés de la débitrice.
Il précise qu'en 2016, Afrimédia a enregistré des pertes de 7,7 euros essentiellement en raison d'une dette de 5 100 960 euros de la Guinée. Il en déduit que le paiement par cette dernière de sa créance aurait permis à Afrimédia d'éviter d'être en état de cessation des paiements.
Il conteste en outre la critique de sous-capitalisation que lui a adressé le liquidateur et explique qu'il est poursuivi en sa qualité de dirigeant non en tant qu'associé. Il fait valoir sur ce point que selon la jurisprudence, la reconstitution des fonds propres est imputable aux seuls associés.
En ce qui concerne la poursuite de l'activité, il explique que ce grief ne saurait lui reproché, aux motifs que le liquidateur, ne l'a pas poursuivi pour déclaration tardive de la cessation des paiements et que le 30 mai 2017, le tribunal de commerce qu'il avait saisi, a décidé qu'il n'y avait pas lieu d'ouvrir une procédure collective à défaut d'état cessation des paiements d'Afrimédia. Il fait en valoir qu'à la suite du jugement de redressement judiciaire du 30 janvier 2018, le tribunal a autorisé une période d'observation jusqu'en janvier 2019. Il en déduit de que tant le tribunal que l'administrateur étaient favorables à la poursuite de l'activité.
Il estime, contrairement à ce que le liquidateur affirme, que la société n'a pas généré de perte durant deux exercices consécutifs de sorte qu'il n'y a pas eu de poursuite abusive de l'activité d'Afrimédia.
S'agissant de la poursuite par l'intimé d'un intérêt personnel, le liquidateur explique que, selon la jurisprudence, la perception d'une rémunération suffit à caractériser l'intérêt personnel du dirigeant.
A cet égard, il observe que l'intimé percevait une rémunération annuelle de 84 000 euros en 2009 et de 72 000 euros à l'ouverture de la procédure collective et qu'il a perçu des sommes complémentaires par le biais des sociétés Etnium, Holding [E] à la suite de ponctions sur la trésorerie de la société Afrimédia, augmentant ainsi le caractère déficitaire de son activité.
Il ajoute que l'intérêt personnel d'un dirigeant s'apprécie également au regard des avantages que les sociétés détenues et ou dirigées par M. [E] ont pu retirer de la poursuite de l'activité de la société [E]. Il rappelle à ce titre que l'intimé a perçu des sommes de la société Etnium international dont il était le seul actionnaire avec son épouse, laquelle réalisait des bénéfices sur des prestations qu'Afrimédia aurait pu réaliser elle-même.
Il termine en observant que la Cour de cassation (Com., 27 mai 2014, pourvoi n° 13-12.319) retient l'existence d'une faute de gestion même en l'absence de poursuite par le dirigeant d'un intérêt personnel, qui est un élément aggravant.
L'intimé répond que son statut de président l'autorisait à percevoir une rémunération. Il observe que le 28 juin 2018, le juge-commissaire a autorisé, après avis favorable du liquidateur, sa rémunération en qualité de président d'Afrimédia. Il ajoute par ailleurs que les sommes complémentaires qu'il a perçues sont justifiées et correspondent à des déplacements se rapportant à des évènements éditoriaux. Il conteste enfin avoir reçu des dividendes des sociétés Etnium et Etnium international faute pour celles-ci d'avoir réalisé des bénéfices.
Réponse de la cour
S'agissant du caractère déficitaire de l'exploitation d'Afrimédia allégué par le liquidateur depuis la création de cette dernière en novembre 2008, la cour relève :
- Que selon les comptes annuels de l'exercice clos au 31 décembre 2009, la société Afrimédia a enregistré un chiffre d'affaires net de 1 6 687 829 euros, un résultat d'exploitation négatif de 3 509 755 euros et des pertes de 3 508 361 euros (pièce 45 de l'intimé) ;
- Que selon les comptes annuels de l'exercice clos au 31 décembre 2010, elle a enregistré un chiffre d'affaires net de 6 263 495 euros, un résultat d'exploitation négatif de 1 177 772 euros et des pertes de 1 216 507 euros (pièce 47 de l'intimé),
- Que selon les comptes annuels de l'exercice clos au 31 décembre 2011, elle a enregistré un chiffre d'affaires net de 6 352 733 euros, un résultat d'exploitation négatif de 1 890 150 euros et des pertes de 1 893 078 euros (pièce 49 de l'intimé),
- Que selon les comptes annuels de l'exercice clos au 31 décembre 2012, elle a enregistré un chiffre d'affaires net de 7 016 002 euros, un résultat d'exploitation négatif de 2 250 376 euros et des pertes de 2 235 068 euros (pièce 51 de l'intimé) ;
- Que selon les comptes annuels de l'exercice clos au 31 décembre 2013, elle a enregistré un chiffre d'affaires net de 5 920 994 euros, un résultat d'exploitation négatif de 2 748 845 euros et des pertes de 3 093 522 euros (pièce 53 de l'intimé);
- Que selon les comptes annuels de l'exercice clos au 31 décembre 2014, elle a enregistré un chiffre d'affaires net de 7 259 884 euros, un résultat d'exploitation négatif de 362 261 euros et des pertes de 617 780 euros (pièce 55 de l'intimé) ;
- Que selon les comptes annuels de l'exercice clos au 31 décembre 2015, elle a enregistré un chiffre d'affaires net de 6 916 886 euros, un résultat d'exploitation positif de 314 200 euros et un bénéfice de 170 890 euros (pièce 57 de l'intimé) ;
- Que selon les comptes annuels de l'exercice clos le 31 décembre 2017, le chiffre d'affaires net est de 2 158 735 euros contre 8 092 228 euros en 2016, le résultat d'exploitation est négatif à hauteur de 2 478 913 euros contre - 4 402 859 euros en 2016 et la société a enregistré des pertes de 2 658 934 euros contre 4 455 382 euros l'année précédente.
Ainsi, il résulte des comptes de la société Afrimédia que ses résultats nets ont été constamment négatifs, sauf en 2014.
L'intimé ne peut donc sérieusement affirmer que la société Afrimédia n'a pas réalisé des pertes récurrentes de manière quasi systématique depuis sa constitution.
De là, il découle que l'intimé, en sa qualité de président de la société Afrimédia, a poursuivi l'activité de cette dernière alors qu'elle était déficitaire pendant plusieurs exercices consécutifs.
Pour contester le fait que l'exploitation déficitaire de la société a été abusive l'intimé met en avant le modèle économique particulier des medias audiovisuels ' et fait état à cet égard de l'opinion de M. [D], qui a exercé des fonctions au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et dans différents medias audiovisuels.
Il est ainsi versé aux débats un rapport daté du 31 mars 2021 de ce dernier intitulé " Rapport monde et influence, media : le cas Africa 24, analyse et préconisations " (pièce 62 de l'intimé), dont l'objectif est " d'analyser le développement du groupe Africa 24 " afin de " pérenniser un outil de référence dans le paysage audiovisuel panafricain' ".
Au paragraphe " financement et modèle économique " (voir p. 20), il est indiqué que " il faut en moyenne entre 5 et 7 ans pour atteindre un équilibre financier pour un média audiovisuel : le temps d'atteindre la notoriété et de fidéliser des annonceurs en nombre suffisant. Le challenge est plus complexe pour une chaine d'information. Il est ainsi à noter qu'à la création d'Africa 24 aucune chaîne d'information n'était rentable en France. BFM ne le deviendra qu'à partir de 2017 ".
Cette spécificité du modèle économique d'un media audiovisuel générant des pertes les premières années n'est pas contestée par le liquidateur, qui observe toutefois à juste titre, que la société Afrimedia a continué à réaliser des pertes sept après sa création, comme le montre les comptes dont la teneur est rappelée ci-dessus.
La cour relève que l'intimé a été alerté, dans le cadre de l'article L. 234-2 du code de commerce relatif à la procédure d'alerte, par son commissaire aux comptes, qui avait par ailleurs certifié sans réserve les comptes d'Afrimédia de 2008 à 2016 (voir pièces 32 et s. de l'intimé), de difficultés de nature à compromettre la continuité de l'exploitation de cette dernière.
Ainsi, par un rapport spécial du 5 mai 2017 adressé à l'associé unique de la société Afrimédia et établi à la suite des explications données par l'intimé, le commissaire aux comptes expose que " la société Afrimédia a donné un mandat de régie publicitaire à la société Etnium International pour la commercialisation de ses espaces publicitaires (') La société Etnium International a comptabilisé et facturé des créances au titre des prestations rendues en 2015 par Afrimédias SAS à des Etats africains, et la société Afrimédia SAS a comptabilisé des créances sur cette régie publicitaire Etnium International au titre de ces mêmes prestations diminuées de la commission de régie Etnium International. Bien qu'aucune réclamation n'ait été formulée, à notre connaissance, par les bénéficiaires de ces prestations, les créances échues n'ont toujours pas été réglées à ce jour à Ethnium Intenational et à Afrimédia SAS (') Cette situation occasionne ainsi pour la société Afrimédia de graves problèmes de trésorerie' "
Il ressort également des pièces versées aux débats qu'un second rapport spécial d'alerte a été adressé à l'associé unique d'Afrimédia le 17 novembre 2017 par le commissaire aux comptes dont il ressort que ce dernier a décidé de reprendre le cours d'une précédente procédure d'alerte engagée en avril 2017 en raison " de graves problèmes de trésorerie occasionnés par le non encaissement de certaines créances clients ", la reprise de la procédure d'alerte étant justifiée par l'absence de signature d'un contrat entre le Cameroun et la régie publicitaire Etnium International et la chaîne Africa 24 " devant permettre à ces deux entités de générer 3,3 millions euros de chiffre d'affaires ".
On peut lire dans ce rapport :
" Constatant les difficultés financières de votre filiales, vous avez pris la décision au cours de [l'assemblée générale extraordinaire en date du 23 mai 2017] d'autoriser le président de la SAS Afrimédia à déclarer l'état de cessation des paiements de cette société ; suite à l'encaissement de créance qui ont permis de faire face aux échéances les critiques, le président du tribunal de commerce dans son jugement rendu le 30 mai 2017 a décidé de ne pas placer la société en procédure de redressement judicaire. Depuis cette date du 30 mai 2017, les encaissements reçus restent peu élevés et ont permis de payer les salariés. La trésorerie actuelle inférieure à 100 K euros ne permet pas de rembourser les dettes certaines et exigibles d'environ 2 millions d'euros' "
Si, comme le souligne le tribunal, l'intimé a entrepris vainement une première démarche auprès du tribunal de commerce aux fins de voir placer la société Afrimédia en redressement judiciaire, les éléments relevés par les commissaires aux comptes montrent qu'à l'issue de cette première procédure, nonobstant le rejet de la demande de placement en redressement judiciaire, la société ne disposait pas en mai 2017 d'une trésorerie suffisante pour faire face à ses dettes exigibles, étant observé que la faute de gestion consistant pour un dirigeant à poursuivre une exploitation déficitaire n'est pas subordonnée à la constatation d'un état de cessation des paiements (Com., 2 novembre 2016, pourvoi n° 15-11.426).
Au regard de ces éléments, il est établi que l'intimé a poursuivi l'exploitation de la société Afrimédia, déficitaire quasiment de manière permanente depuis sa création, sans que ce déficit puisse être considérée comme s'inscrivant dans une stratégie viable de développement à long terme. Cette poursuite d'une activité déficitaire, nonobstant les difficultés relevées avec la Guinée équatoriale, constitue une faute de gestion, qui compte tenu de l'importance des pertes ayant nécessairement contribué à l'insuffisance d'actif, ne peut être assimilée à une simple négligence.
S'il n'est pas discuté que les régies commerciales de la société Afrimédia, à savoir les sociétés Etnium et Etnium International, sont détenues par l'intimé, ce qui n'est pas interdit, comme le relève le tribunal, cette circonstance ne permet pas en elle-même d'affirmer que l'activité déficitaire d'Afrimédia a été poursuivie dans l'intérêt personnel exclusif de l'intimé.
Par ailleurs, s'il est constant que la réalité de prestations réalisées au cours des exercices 2014 et 2015 par Etnium International ont été remises en cause par l'administration fiscale, il n'est pas établi que l'intimé ait perçu des dividendes de la société Etnium International.
En outre, la perception, au demeurant autorisée, d'une rémunération d'Afrimédia par l'intimé, n'est pas non plus de nature à établir que M. [E] [H] a poursuivi de l'exploitation déficitaire de la société Afrimédia dans son intérêt personnel. A cet égard, il résulte de la pièce 129 de l'intimé " avis du mandataire judiciaire sur la fixation de la rémunération du dirigeant ", que le 27 avril 2018, le mandataire judiciaire a émis un avis favorable à la fixation de la rémunération mensuelle de M. [E] [H] à la somme de 5 740 euros, " sous réserve (') que tant l'exploitation que la trésorerie le permettent. "
Contrairement au tribunal, la cour retiendra que l'intimé a commis une faute de gestion en poursuivant une activité déficitaire.
Cette faute a directement aggravé l'insuffisance d'actif.
c- Sur l'absence de mesures susceptibles de redresser l'entreprise
Le liquidateur soutient que les mesures citées par l'intimé datant de 2013, soit 5 ans avant le redressement judiciaire, sont insuffisantes.
Il observe qu'aucun plan de redressement n'a été adopté par le tribunal et que l'intimé a exposé au contraire Afrimédia à d'inutiles charges de commissions importantes, artificielles et invérifiables de régies par l'intermédiaires de sociétés qu'il dirige, d'abord la société Etnium, puis ensuite, à compter de 2013, la société Etnium international de droit dubaïotes.
S'agissant du fonctionnement des régies d'Afrimédia, il souligne qu'aucun dirigeant d'une chaîne de télévision n'est propriétaire directement ou indirectement de 100 % de la société exploitant la régie publicitaire de sa chaîne.
Il souligne également que l'intimé, actionnaire majoritaire de la holding d'Afrimédia n'a pas répondu aux besoins financiers de cette dernière tout en ponctionnant ses ressources.
Il ajoute que les difficultés entre actionnaires sont indifférentes pour l'appréciation de la responsabilité du dirigeant lorsque, comme en l'espèce, celui-ci est actionnaire majoritaire du groupe et dirigeant de la hoding, de sorte qu'il disposait de toute latitude pour prendre toutes mesure permettant de pérenniser l'activité d'Afrimédia. Il explique que l'intimé pouvait éviter de recourir aux sociétés Etnium et Etnium international qui ont ponctionné des ressources d'Afrimédia à son seul profit.
Il estime que, contrairement à ce que le tribunal a jugé, l'absence de réserves des actionnaires et du commissaires aux comptes, la société KPMG sur le caractère régulier des décisions prises au sein d'Afrimédia et d'Afrimédia international ne peut être considéré comme une tentative de redressement d'Afrimédia et que la création d'une régie commerciale pour percevoir les commissions des Etats africains a été sanctionné par l'administration fiscale.
L'intimé répond qu'il a pris de nombreuses mesures pour redresser Afrimédia. Il cite notamment l'allègement de la masse salariale en 2014, la création d'une agence à [Localité 5] en 2014 permettant d'alléger les coûts de production, la résolution du conseil d'administration de la holding en 2013 et en 2017 demandant à la Guinée et au Cameroun de financer Afrimédia à hauteur de son déficit. Il expose que l'administrateur a détaillé dans son rapport de 2018 les mesures de redressement prises en 2013, 2014, 2015, 2017 et 2018.
S'agissant des critiques du liquidateur portant sur la régie commerciale d'Afrimédia assurée par les sociétés Etnium et Etnium International, il objecte que rien ne lui interdisait de détenir l'intégralité du capital de ces sociétés. S'appuyant sur le rapport du 25 janvier 2018 de l'administrateur judiciaire, il souligne que l'effectivité de l'activité des sociétés Etnium et Etnium international en tant que régies a été avérée à l'occasion de la procédure de redressement judiciaire.
Réponse de la cour
Pour établir cette faute de gestion, le liquidateur s'appuie essentiellement sur les modalités d'exploitation de la régie d'Afrimédia par des sociétés détenues par l'intimé.
Il n'est pas discuté que la régie d'Afrimédia est réalisée par les sociétés Etnium et Etnium International de droit dubaoïte, détenues en partie par l'intimé, et que, par ailleurs, certaines prestations de régie ont été directement effectuées par la société Afrimédia. Cette organisation est au demeurant bien décrite par l'administration fiscale dans sa proposition de rectification.
La cour relève que si une telle organisation n'est pas, comme l'affirme de l'appelant, courante dans le secteur des media audiovisuels, elle n'est pas pour autant interdite dès lors que les régies sont juridiquement autonomes.
Elle relève également que l'administration fiscale a mis en exergue les faiblesses d'une telle organisation qui a donné lieu à des rehaussements d'impôts évoqués ci-dessus. Ainsi, l'administration a pointé pour l'exercice 2014 l'absence de moyens humains et matériels de la société Etnium International FZ LLC et pour l'exercice 2015, la présence d'un seul salarié au salaire insuffisant pour vivre à [Localité 6] ainsi qu'une absence d'actif permettant de justifier une exploitation de la société aux Emirats Arabes Unis.
Toutefois, la cour relève en outre que l'intimé justifie des mesures qu'il a prises pour tenter de redresser Afrimédia confrontée à des pertes importantes telles que la diminution de la masse salariale (pièce 86 relative à une autorisation de licenciement de 14 personnes en 2014), ce qui est confirmé par le rapport du 20 juillet 2018 de l'administrateur judiciaire (pièce 92, voir ci-après) ou encore les mesures prises à la suite de la réunion du conseil d'administration du 24 avril 2017 de la société mère de la débitrice, la société Afrimédia International, telles qu'une demande de financement adressée aux actionnaires en application des statuts (pièce 77 de l'intimé).
Le rapport précité du 20 juillet 2018 sur la capacité financière de la société à poursuivre son activité établi par l'administrateur judiciaire expose des mesures prises pour redresser l'activité d'Afrimédia telles que la rationalisation des charges au cours des années 2012 et 2013, une réduction de la masse salariale par des licenciements de seize personnes réalisés début 2014, une refonte complète de son organisation en internalisant certaines prestations et en en externalisant d'autres en 2014 ou encore la création d'une nouvelle régie à destination des pays africains, la société Etnium International.
Il ressort en outre du rapport d'information de l'administrateur judiciaire du 24 septembre 2018 sur " le maintien de la période d'observation et la capacité financière de la société à poursuivre son activité " en vue de l'audience du 2 octobre 2018, non parfois sans une certaine contrariété avec les constats de l'administration fiscale, que " dès 2014 " la société Etnium International FZ LLC s'est dotée de moyens non contestables et a apporté la preuve de la réalité de ses actions. L'administrateur indique également : " l'organisation mise en place au sein du groupe et dont nous avons pu vérifier la matérialité dans le cadre du redressement judiciaire devrait prémunir Afrimédia SAS d'une telle contestation des revenus futurs d'Etnium international. "
La cour relève que l'administrateur a estimé en conclusion de son rapport :
" La société Afrimédia, pour traiter son passif fixé à 8 069 470,99 eurps (en ce compris la dette fiscale de 2 317 103 euros) doit réduire significativement ses charges et parallèlement augmenter son chiffre d'affaires tout en réduisant sa dépendance vis-à-vis des Etats. Mais, ces mesures s'avèreront insuffisantes et devront être complétées par un financement en provenance de la holding (') L'administrateur judiciaire estime que la société et son dirigeant démontrent agir de façon constructive et pro-active à la finalisation des opérations d'augmentation de capital, seule mesure susceptible de permettre effectivement à la société de faire face à son passif (') Compte tenu des efforts et mesures entrepris par la société et son dirigeant, il semble possible de maintenir la poursuite de la période d'observation, dont le renouvellement a été autorisé pour 6 le 26 juillet 2018 (') "
Il résulte de ces éléments que, comme le souligne le tribunal, si les mesures prises ont été sans doute insuffisantes et que des irrégularités ont été relevées par l'administration fiscale conduisant celle-ci à proposer des rehaussements d'impôts, les pièces versées aux dossiers montrent néanmoins que M. [E] [H] a pris des mesures (entrepris des démarches ' pour éviter la répétition de mesures ') aux fins d'améliorer la situation financière de la débitrice.
C'est donc à juste titre que le premier juge a considéré que cette faute de gestion n'était pas constituée.
d- Sur le détournement d'actifs
Le liquidateur soutient que la décision de confier à la société Etnium détenue et dirigée par l'intimé la mission de recouvrer les budgets des Etats africains a eu pour effet de faire porter à Afrimédia des charges indues de commissions alors que cette dernière accomplissait elle-même des prestations de régie à ses frais.
Il en déduit qu'Afrimédia aurait pu accomplir ces prestations sans supporter un commissionnement de 30 % qui a complété la rémunération de l'intimé. Il ajoute que ce système s'est accentué à compter de 2013 quand l'intimé a décidé de confier ces prestations fictives à la société doubaïote Etnium international aux termes d'un contrat opaque.
Contestant le jugement, il observe que l'absence de contestation du schéma mis en place par l'intimé par le CSA est indifférent dans l'appréciation du détournement d'actif. Il observe qu'aucun acteur majeur du secteur ne délègue à leur dirigeant le bénéfice personnel d'une régie commerciale constituée à [Localité 6] pour percevoir des commissions d'Etats africains alors qu'elles pouvaient être directement perçues par Afrimédia. Il estime que l'organisation mis en place par l'intimé a contribué à un passif fiscal définitivement fixé. Il en conclut que l'intimé a organisé le détournement d'une partie conséquente de la trésorerie de la société Afrimédia au profit de sociétés dans lesquels il était personnellement intéressé au préjudice direct des créanciers.
L'intimé répond que la régie assurée par les sociétés Etnium et Etnium International n'est pas à l'origine de l'aggravation du passif d'Afrimédia, lequel a été causé par d'importants impayés. Il explique que la création d'une régie extérieure relève d'une obligation légale, de sorte qu'en confiant la régie aux sociétés Etnium et Etnium extérieure, il n'a pas commis de faute. Il ajoute que le recours à ces sociétés découlait d'accords conclus avec les actionnaires en 2009 pour Etnium et pour la société France télévision publicité inter océans et en 2013 avec Etnium International. Il conteste l'argument du liquidateur qui considère que l'objectif de ces sociétés était d'organiser le détournement des actifs d'Afrimédia. Faisant valoir que les sociétés Etnium et Etnium international sont indépendantes d'Afrimédia, il soutient que le liquidateur ne peut présumer d'un détournement d'actifs d'Afrimédia en se fondant sur le lien juridique existant entre les régies et l'intimé. Il ajoute que la réalité du rôle des deux régies publicitaires a été mis en avant par l'administrateur judiciaire dans son rapport du 20 juillet 2018 sur la capacité d'Afrimédia à poursuivre son activité. Il en déduit que les contrats de régie ont été conclus dans l'intérêt de cette dernière et qu'en l'absence de preuve d'une confusion des patrimoines, ces contrats sont conformes à l'intérêt social d'Afrimédia.
Il souligne qu'en tout état de cause, le liquidateur n'établit pas de lien de causalité entre la faute qui résulterait d'un détournement d'actifs par l'intermédiaire des régies et l'insuffisance d'actif. Il soutient sur ce point que la liquidation d'Afrimédia est la conséquence du manquement de la Guinée dans l'exécution de ses obligations contractuelles. Il en conclut qu'il existe un lien de causalité entre la carence de la Guinée relativement au paiement de ses factures de prestations de contenus et d'espace publicitaire sur Africa 24 et la cessation des paiements d'Afrimédia. Il estime que le grief du liquidateur revient à remettre en cause le modèle économique mis en place sous l'impulsion de la Guinée et qui a abouti à la signature d'accords dans l'intérêt d'Afrimédia afin que celle-ci ne connaisse pas de difficulté financière durant phase de lancement.
Réponse de la cour
Le liquidateur soutient en substance que M. [E] [H] a détourné des actifs de la société Afrimédia par l'intermédiaire des régies, les sociétés Etium et Etium International.
Il n'est pas discuté que l'intimé est le dirigeant commun des sociétés Afrimédia, Etnium et Etnium International dont le capital est détenu intégralement par les époux [E] (pièce 29, vérification fiscale).
L'administration fiscale a estimé que la société Afrimédia ne justifiait pas au titre des exercices 2014 et 2015 de certaines charges faute de démontrer de l'effectivité de prestations de régie facturées par la société Etnium International correspondant aux charges inscrites en comptabilité. A cet égard, elle a conclu que " le montant des commissions retenues par Etnium International FZ LLC, sans preuve d'une quelconque effectivité de la prestation de régie, est donc de 873 336 euros pour l'année 2014 et de 1 164 944 euros au titre de l'exercice 2015 ". Il est constant que ces irrégularités ont conduit l'administration à proposer un rehaussement d'impôt.
Pour autant, le liquidateur qui affirme que l'organisation mise en place par l'intimé érigée au fil du temps en " véritable système a contribué à un passif fiscal supplémentaire définitivement fixé ", ne démontre pas que l'intimé a mis en place ces régies aux fins de détourner une partie conséquente de la trésorerie d'Afrimédia au profit de sociétés dans lesquelles il était personnellement intéressé au détriment des créanciers, étant observé, que le mandataire judiciaire n'a pas remis en cause, dans ses deux rapports produits, ce schéma.
La faute de gestion n'est donc pas établie et ne sera pas retenue.
e- Sur le non-respect des règles comptables
Le liquidateur expose que le redressement fiscal dont Afrimédia a été l'objet confirme que sa comptabilité n'a pas reflété une image fidèle de l'entreprise, notamment en ce que l'intimé a enregistré un chiffre d'affaires fictif en connaissance de cause de ce qu'une facture de 2015 enregistrée en comptabilité ne reposait sur aucun contrat de communication signé avec la Guinée équatoriale et que, pour cette raison, ce dernier l'a entièrement dépréciée avant d'en émettre de nouvelles en 2017, sans les enregistrer dans la comptabilité d'Afrimédia. Il ajoute que l'absence d'enregistrement dans les comptes d'Afrimédia des commissions d'Etnium international n'a pas permis à Afrimédia de recouvrer les créances lui appartenant en l'absence d'éléments comptables justificatifs qu'il appartenait à Etnium International d'apporter.
Il observe que l'intimé n'a pas apporté d'explications à ses anomalies, se bornant à invoquer l'absence de réserve du commissaire aux comptes. Il ajoute que si, le recours à des experts comptables différents pour les sociétés d'un même groupe n'est pas interdit, une telle pratique n'est toutefois pas opportune. Il estime qu'il n'a été communiqué aucun élément utile pour justifier de la réalité des prestations accomplies et expose que les explications de l'expert-comptable interrogé par l'intimé ne peuvent justifier l'enregistrement d'opérations strictement comptables pour des montants croissants.
L'intimé conteste ne pas avoir tenu de comptabilité et répond qu'il établit avoir déposé au greffe les comptes et bilan de 2009 à 2015. S'agissant de l'exercice 2016, il explique qu'il a bénéficié de plusieurs reports pour les déposer à la suite de la première procédure collective qui n'a pas abouti et suite à une longue maladie de l'intimé. Il ajoute qu'il a ensuite été dessaisi après le jugement de redressement judiciaire du 30 janvier 2018, de sorte qu'il appartenait à l'administrateur judiciaire de déposer les comptes 2016, de sorte que la comptabilisation et la dépréciation des créances 2015 et 2016 ont été faite sous la responsabilité de ce dernier. Il conteste le caractère fictif des comptes 2015 ou encore l'enregistrement d'un chiffre d'affaires fictif.
Il fait observer que le commissaire aux comptes d'Afrimédia, la société KPMG, a certifié les comptes des exercices 2009 à 2017, sans réserve et ont conclu à la sincérité au caractère sincère et régulier des comptes d'Afrimédia.
Réponse la cour
Les articles L. 123-12 à L. 123-28 et R.123-172 à R.123-209 du code de commerce imposent aux commerçants personnes physiques et personnes morales la tenue d'une comptabilité donnant une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'entreprise, au moyen de la tenue d'un livre journal et d'un grand livre. Les mouvements doivent être enregistrés chronologiquement au jour le jour et non en fin d'exercice, seuls les comptes annuels étant établis à la clôture de l'exercice.
Constitue une faute de gestion au sens de l'article L. 651-2 précité le fait, pour un dirigeant, de contrevenir à l'obligation de tenir une comptabilité et de dresser des comptes annuels réguliers, sincères et donnant une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'entreprise, dès lors que l'absence de comptabilité ou la tenue d'une comptabilité irrégulière prive l'entreprise d'un outil permettant de connaître l'évolution réelle de sa situation financière et de déceler les difficultés (Com, 12 janv. 2010, n° 08-14.342 ; 6 mars 2019, n°17-26.495) ; l'absence de tenue de toute comptabilité peut être déduite de la non-production de la comptabilité au liquidateur (Com, 6 févr. 2001, n° 98-11.239).
Il appartient au débiteur de démontrer qu'il a tenu une comptabilité (Com., 6 février 2001, pourvoi n° 98-11.239) et le fait de ne pas fournir au liquidateur un certain nombre de document comptable constitue une faute de gestion (Com., 12 janvier 2010, pourvoi n° 08-14.342).
En l'espèce, l'intimé verse aux débats :
- en pièce 20 les grands livres des exercices 2013 à 2017 ;
- les PV d'approbation des comptes des exercices 2009, 2010, 2015, 2016 (procès-verbal de l'assemblée générale de 2018, pièce 43) ; et 2017 ;
- les comptes annuels et certificat de dépôt des comptes des exercices 2009 à 2015 et le bilan 2017.
Le liquidateur soutient que l'exercice 2016 comporte des anomalies et en déduit qu'ils ne sont pas sincères et souligne que, de surcroît, ils n'ont été approuvés qu'en 2018, soit deux ans après la fin de l'exercice.
Il résulte des pièces du dossier que les comptes 2016 ont en effet été approuvés et déposés avec retard. A cet égard, l'intimé produit une ordonnance du président du tribunal de commerce du 19 octobre 2017 prorogeant jusqu'au 31 décembre 2017 le délai de tenue de l'assemblée générale appelée à statuer sur les comptes 2016 puis une seconde ordonnance du 11 janvier 2018 rejetant une nouvelle demande de prorogation (pièces 60 / 1 et 60 / 2). La pièce 43 précitée montrent que les comptes ont été approuvés seulement en 2018.
De là résulte, comme l'a retenu le tribunal, que les comptes de la société Afrimédia ont été régulièrement approuvés puis déposés au registre du commerce et des sociétés.
S'agissant de la sincérité des comptes, le liquidateur énumère de nombreuses critiques ou erreurs portant en particulier sur l'enregistrement des écritures comptables, notamment dans les postes 7060 " prestations de service ", et qui consisteraient à présenter en fin d'exercice des résultats positifs et à les annuler en début d'exercice suivant.
La cour relève que M. [E] [H] produit les rapports du commissaire aux comptes d'Afrimédia, la société KPMG, relatifs aux exercices 2009 à 2017 (pièces 30 à 39) dont il ressort que les comptes ont été considérées sincères et comme donnant une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice écoulé ainsi que la situation financière et du patrimoine de la société à la fin de l'exercice.
Le liquidateur expose que les avis du commissaire aux comptes ne sont pas probants dans la mesure où ils dépendent des diligences effectuées et dans la mesure où les commissaires aux comptes ne font pas d'analyse pluri-annuelles des comptes.
Toutefois, le liquidateur n'apporte pas d'éléments extérieurs permettant de contredire contredire l'avis de sincérité émis par le commissaire aux comptes.
En conséquence, cette faute de gestion ne sera pas retenue, comme l'a jugé le tribunal.
1-4. Sur le quantum de la sanction
Le dirigeant d'une personne morale peut être déclaré responsable sur le fondement de l'article L. 651-2 précité même si la faute de gestion qu'il a commise n'est que l'une des causes de l'insuffisance d'actif et condamné à supporter en totalité ou en partie les dettes sociales, même si sa faute n'est à l'origine que d'une partie d'entre elles (Com, 30 nov 1993, n°91-20.554, publié ; 4 juillet 2018, n°17-14.575) ; le juge n'a pas à déterminer la part de l'insuffisance d'actif imputable à chacune des fautes retenues (Com, 25 mars 2020, n°18-21.841).
En l'espèce, le liquidateur, ès qualités, sollicite la condamnation de M. [E] [H] à lui payer la somme minimum de 1 100 000 euros au titre de sa responsabilité pour insuffisance d'actif alors que le tribunal n'a retenu que la somme de 350 000 euros.
Les fautes de gestion imputables à l'intimé et retenues à hauteur de cour ont directement aggravé le passif de la société Afrimédia, essentiellement constitué par des dettes fiscales d'un montant de 1 094 913 euros.
Au regard des fautes de gestions retenues, il est proportionné à la gravité de ces fautes de condamner l'appelant à payer, la somme de 1 100 000 euros au liquidateur, ès qualités ; le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef ; l'anatocisme sollicité est de droit.
2- Sur la sanction personnelle
Le liquidateur fait valoir que les fautes de détournement des actifs de la débitrice et de poursuite d'une activité déficitaire dans l'intérêt personnel de l'intimé justifient une sanction personnelle contre ce dernier.
Il ajoute que M. [E] [H] s'est abstenu de coopérer avec les organes de la procédure en refusant d'apportant des réponses utiles à ses interrogations suscitées par l'exécution du contrat de régie signée avec la société Etnium International. Il estime que la gravité des fautes commises par l'intimé justifie une interdiction de gérer de 5 ans au lieu des 3 ans prononcés par le tribunal.
M. [E] [H] répond d'une part, que les fautes qui lui sont reprochées ne sont pas établies et que d'autre part, qu'il démontre avoir coopéré, contrairement à ce que le liquidateur affirme, avec les organes de la procédure.
Le ministère public estime que les fautes de gestion commises par M. [E] [H] justifient des sanctions personnelles. Il fait valoir que le grief d'absence de coopération de ce dernier avec les organes de la procédure collective concernant l'exécution du contrat de régie publicitaire conclu avec la société est constitué. Il est d'avis de voir prononcer à l'encontre de M. [E] [H] une sanction d'interdiction de gérer de 10 ans.
Réponse de la cour
Les dispositions des articles L. 653-1 à L. 653-11 du code de commerce sont applicables, selon l'article L. 653-1, en cas de liquidation judiciaire, aux personnes physiques dirigeants de droit ou de fait de personnes morales.
L'article L. 653-4 de ce code dispose :
" Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé l'un des faits ci-après :
1° Avoir disposé des biens de la personne morale comme des siens propres ;
2° Sous le couvert de la personne morale masquant ses agissements, avoir fait des actes de commerce dans un intérêt personnel ;
3° Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ;
4° Avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale ;
5° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale. "
Aux termes de l'article L. 653-5 de ce code, " le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant de droit ou de fait d'une personne morale contre lequel a été relevé l'un des faits ci-après :
1° Avoir exercé une activité commerciale, artisanale ou agricole ou une fonction de direction ou d'administration d'une personne morale contrairement à une interdiction prévue par la loi ;
2° Avoir, dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, fait des achats en vue d'une revente au-dessous du cours ou employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds ;
3° Avoir souscrit, pour le compte d'autrui, sans contrepartie, des engagements jugés trop importants au moment de leur conclusion, eu égard à la situation de l'entreprise ou de la personne morale ;
4° Avoir payé ou fait payer, après cessation des paiements et en connaissance de cause de celle-ci, un créancier au préjudice des autres créanciers ;
5° Avoir, en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle à son bon déroulement ;
6° Avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables ;
7° Avoir déclaré sciemment, au nom d'un créancier, une créance supposée.
L'article L. 653-8 du même code dispose :
" Dans les cas prévus aux articles L. 653-3 à L. 653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.
L'interdiction mentionnée au premier alinéa peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui, de mauvaise foi, n'aura pas remis au mandataire judiciaire, à l'administrateur ou au liquidateur les renseignements qu'il est tenu de lui communiquer en application de l'article L. 622-6 dans le mois suivant le jugement d'ouverture ou qui aura, sciemment, manqué à l'obligation d'information prévue par le second alinéa de l'article L. 622-22.
Elle peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation. "
La fixation du quantum des sanctions personnelles prévues à ces textes doit répondre au principe de proportionnalité (Com, 1er déc 2009, n°08-17.187, publié).
En l'espèce, il résulte des motifs précédents que si l'intimé a poursuivi une activité déficitaire, il n'est pas pour autant démontré qu'elle ait été poursuivie dans son intérêt personnel. Ce grief ne sera pas retenu. Il en est de même pour le grief relatif à la comptabilité fictive.
En ce qui concerne le défaut de coopération avec les organes de la procédure relativement à l'absence de transmission d'information relatif à l'exécution du contrat de régie conclu avec la société Etnium International, la cour relève que le liquidateur a sollicité l'intimé quant à des retenues sur contrat de communication 2017-2018 par le Cameroun (courrier du 18 octobre 2018, pièce 60).
Elle relève comme le tribunal que si l'administrateur a indiqué dans son rapport du 24 septembre 2018 que M. [E] [H] et la société avaient agi " de façon constructive et proactive à la finalisation des opérations d'augmentation de capital ", seule mesure susceptible à la société de faire face à son passif ou si le jugement de cession du 30 avril 2019 a fait état de l'esprit de collaboration ayant présidé les travaux avec la société depuis l'ouverture de procédure collective, l'intimé ne démontre pas pour autant avoir transmis aux organes de la procédure, comme il le pouvait en sa qualité de dirigeant d'Etnium International, les informations relatives à cette société ce qui aurait permis ainsi que l'a justement indiqué le tribunal, d'avoir un éclairage sur la situation d'Afrimédia, compte tenu des relations contractuelles existantes entre la débitrice et la société Etnium International.
Le rapport du cabinet Union fiduciaire de [Localité 8] désigné par une ordonnance du juge-commissaire du 8 juillet 2019 pour analyser les modalités de facturation et les sommes dues par Etnium Internation à Afrimédia (pièce 61 du liquidateur) ne permet pas de conclure que l'intimée et la société Afrimédia a coopéré normalement avec les organes de la procédure en ce qui concerne l'exécution du contrat conclu avec Etnium International.
Au regard de ces éléments et de la situation personnelle de M. [E] [H], c'est à juste titre que le tribunal a retenu le grief de non coopération et a condamné M. [E] [H] à une interdiction de gérer d'une durée de trois ans.
3- Sur les demandes accessoires
M. [E]-[H], qui succombe, sera condamné aux dépens.
Il convient en outre d'allouer au liquidateur, ès qualités, la somme forfaitaire prévue au dispositif au titre des frais non compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement sauf en ce qu'il a fixé le montant de la responsabilité pour insuffisance d'actif à 350 000 euros ;
Statuant à nouveau du chef infirmé ;
Condamne M. [E] [H] à payer à la société Alliance, ès qualités, la somme de 1 100 000 euros au titre de la responsabilité pour insuffisance d'actif ;
Y ajoutant ;
Condamne M. [E] [H] aux dépens ;
Condamne M. [E] [H] à payer à la société Alliance, ès qualités, la somme de 7 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.