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Décisions

CA Paris, Pôle 4 - ch. 13, 15 octobre 2024, n° 24/00515

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 24/00515

15 octobre 2024

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

ARRET DU 15 OCTOBRE 2024

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/00515 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CIWNP

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 20 Novembre 2023 - Juge de la mise en état de BOBIGNY - RG n° 23/03821

APPELANTS

Monsieur [J] [P], notaire retiré de charge

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représenté par Me Thomas RONZEAU de la SCP INTERBARREAUX RONZEAU ET ASSOC, avocat au barreau de PARIS, toque : P0499

SCP DIDIER ADRIEN - NOTAIRES prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représentée par Me Thomas RONZEAU de la SCP INTERBARREAUX RONZEAU ET ASSOC, avocat au barreau de PARIS, toque : P0499

INTIMES

Monsieur [O] [I] agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société d'assurance INDEPENDENT INSURANCE SA, venant aux droits de Monsieur [V] [C], administrateur judiciaire,

Agissant ès qualités de liquidateur judiciaire de la société d'assurance INDEPENDENT INSURANCE SA

[Adresse 4]

[Localité 8]

Représenté par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Monsieur [J] [E] ès qualité de liquidateur chargé de la vérification des créances d'assurance et de l'inventaire des actifs liés au passif d'INDEPENDENT INSURANCE SA

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représenté par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Juin 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, et devant Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre

Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de Chambre

Mme Estelle MOREAU, Conseillère

Greffière, lors des débats : Mme Florence GREGORI

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 15 octobre 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et par Michelle NOMO, Greffière stagiaire, présente lors de la mise à disposition.

***

Par décision du 3 juillet 2001 prise par la commission de contrôle des assurances, les agréments

dont la Sa Independent Insurance était titulaire pour effectuer en France des opérations d'assurance lui ont été retirés.

Par décision du même jour, la même commission a désigné M. [M] [W] en qualité de liquidateur chargé de la vérification des créances d'assurance ainsi que de l'inventaire des actifs directement liés au passif d'assurance.

Sur saisine de la commission, le tribunal de commerce de Paris a, par jugement du 12 juillet 2001, ouvert une procédure de liquidation judiciaire de la Sa Independent Insurance, constaté la désignation de M. [W] ès qualités et désigné M. [V] [C] en qualité de liquidateur judiciaire des autres actifs et des opérations de liquidation.

Informée fin décembre 2016 du placement sous contrôle judiciaire de M. [W] lui interdisant d'exercer les activités de mandataire liquidateur de sociétés ou de mutuelles d'assurance en liquidation, l'Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution, ayant remplacé la commission de contrôle des assurances, a, par décision en date du 4 janvier 2017, désigné M. [J] [E] en remplacement.

Par ordonnance du 16 mai 2017, le président du tribunal de commerce de Paris a fait droit à la

demande de MM. [C] et [E] ès qualités de désignation d'un technicien spécialisé en expertise comptable et financière et nommé M. [K].

Ses travaux ont mis en évidence qu'une somme de 400 000 euros avait été versée à M. [P], notaire, par la société Independent Insurance le 6 avril 2010, par chèque BNP Paribas émis à son ordre le 17 mars 2010.

Par ordonnance de référé du 11 janvier 2021, le président du tribunal judiciaire de Bobigny a enjoint à la Scp Didier Adrien-notaires et à M. [J] [P] de communiquer à MM. [C] et [E] ès qualités la copie de l'acte authentique en vertu duquel la somme de 400 000 euros avait été versée à M. [P], notaire.

La copie de l'acte de vente du 7 juin 2010 communiquée le 10 février 2021 a fait apparaître que la vente portait sur l'acquisition par M. et Mme [M] [W] d'une villa à [Localité 9] (Var).

Par actes du 22 juillet 2021, M. [C] aux droits duquel vient M. [O] [I] et M. [E], ès qualités, ont fait assigner M. [P], notaire retiré de sa charge, et la Scp Didier Adrien-notaires, en responsabilité professionnelle devant le tribunal judiciaire de Bobigny.

MM. [C] et [E] ès qualités ont déposé une plainte auprès du procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris le 17 mars 2022 pour abus de biens sociaux et complicité d'abus de biens sociaux par M. [W] et M. [P].

Par arrêt du 10 janvier 2023, la cour d'appel de Paris a rejeté la demande de sursis à statuer et infirmé l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bobigny ayant déclaré irrecevable comme prescrite l'action de la société Independent Insurance.

Par ordonnance du 20 novembre 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bobigny a :

- déclaré recevable la demande de sursis à statuer présentée par M. [P] et la Scp Didier Adrien-notaires,

- rejeté la demande de sursis à statuer présentée par M. [P] et la Scp Didier Adrien-notaires,

- réservé les dépens,

- condamné in solidum M. [P] et la Scp Didier Adrien-notaires à payer à M. [I] et M. [E], ès qualités, une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- renvoyé l'affaire à la mise en état du 31 janvier 2024 pour conclusions impératives en défense et à défaut de clôture.

Par déclaration du 18 décembre 2023, la Scp et M. [P] ont interjeté appel de cette décision.

Dans leurs dernières conclusions, notifiées et déposées le 13 mars 2024, M. [J] [P] et la Scp Didier Adrien-notaires demandent à la cour de :

- les déclarer recevables et bien fondés en leur appel,

- infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté la demande de sursis à statuer, les a condamnés au paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et renvoyé l'affaire pour les conclusions impératives en défense,

- confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a déclaré recevable la demande de sursis à statuer,

statuant a nouveau,

- ordonner le sursis à statuer dans l'attente de l'issue et d'une décision définitive dans la procédure pénale faisant suite à la plainte déposée le 17 mars 2022 par M. [I], ès qualités et M. [E], ès qualités, visant M. [W] et M. [P],

- condamner in solidum MM. [I] et [E] ès qualités à leur payer la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter MM. [I] et [E] ès qualités de toutes leurs demandes,

- débouter M. [I] ès qualités et M. [E] ès qualités de toutes leurs demandes, y compris de leur demande au titre des frais irrépétibles et dépens,

- condamner in solidum MM. [I] et [E] ès qualités aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Thomas Ronzeau, qui pourra les recouvrer directement, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans leurs dernières conclusions, notifiées et déposées le 13 février 2024, M. [O] [I], mandataire judiciaire venant aux droits de M. [V] [C], pris en qualité de liquidateur judiciaire de la société Independant Insurance Sa et M. [J] [E], pris en qualité de liquidateur chargé de la vérification des créances d'assurance ainsi que de l'inventaire des actifs directement liés au passif d'assurance de la Sa independent Insurance demandent à la cour de :

- confirmer l'ordonnance en toutes ses dispositions,

- débouter la Scp Didier Adrien-notaires et M. [P] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,

- condamner in solidum la Scp Didier Adrien-notaires et M. [P] à leur payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner in solidum la Scp Didier Adrien-notaires et M. [P] aux entiers dépens dont distraction au profit de la Selarl LX Paris-Versailles-Reims.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 7 mai 2024.

SUR CE,

Sur la demande de sursis à statuer

Le juge de la mise en état a considéré que :

- la demande de sursis à statuer était recevable en l'absence d'autorité de la chose jugée à ce titre de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 10 janvier 2023 statuant sur la prescription,

- en l'absence de mise en mouvement de l'action publique, la plainte simple déposée par les liquidateurs de la société Independent Insurance le 17 mars 2022 n'impose pas de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale ainsi ouverte au sens de l'article 4 du code de procédure pénale,

- en opportunité, l'intérêt d'un tel sursis n'est pas suffisamment démontré dans la mesure où les conditions d'engagement de la responsabilité professionnelle du notaire sont sensiblement différentes des conditions requises pour la caractérisation des infractions visées par la plainte, ne serait-ce que s'agissant de l'élément intentionnel requis dans le second cas et indifférent dans le premier.

M. [P] et la Scp Didier Adrien-notaires font valoir que :

- l'action publique a été mise en mouvement puisqu'un juge d'instruction a été saisi,

- il est incontestable que l'issue de la procédure pénale en cours aura une incidence sur le litige en responsabilité professionnelle contre le notaire dont est saisi le tribunal judiciaire et il est dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice qu'un sursis à statuer soit ordonné,

- l'issue de la procédure pénale dans le cadre de laquelle il devra être examiné si les éléments constitutifs de l'infraction pénale reprochée à M. [W] sont établis, d'une part, et si les faits reprochés à M. [P] sont fondés et de nature à constituer l'infraction de complicité prétendue ou si, au contraire, ce dernier a été victime d'une fraude mise en 'uvre par M [W], d'autre part, aura nécessairement une incidence sur le sort du litige dont est saisi le tribunal, puisque les investigations menées vont éclairer la juridiction civile sur le comportement et les éventuels manquements du notaire,

- dans le cadre de cette procédure pénale, les juges devront notamment déterminer si M. [P] était en mesure de suspecter la fraude reprochée à M. [W], alors même que les intimés soutiennent que, compte tenu du système élaboré mis en 'uvre, elle était difficile à déceler et qu'ils auraient mis dix-sept ans à le faire, et s'il a pu se rendre complice d'une telle fraude,

- à défaut de surseoir à statuer, il y aurait un risque de contrariété de jugement et de double indemnisation.

MM. [I] et [E] ès qualités répondent que :

- les appelants ne formulent aucune critique à l'encontre de l'ordonnance dont appel et n'apportent aucun nouvel élément qui viendrait illustrer la nécessité que soit prononcé un sursis à statuer,

- ils ne rapportent pas la preuve que la procédure pénale aurait une incidence sur la procédure civile,

- la fraude est clairement établie étant donné que M. [W] a masqué l'achat d'un bien immobilier sur la Côte d'Azur à son profit, par une fausse opération d'assurance, acte de vente que les notaires ont eux-mêmes tenté de leur cacher.

La cour n'est pas saisie d'un appel sur la recevabilité de la demande de sursis à statuer.

L'article 4 du code de procédure pénale énonce que :

L'action civile en réparation du dommage causé par l'infraction prévue par l'article 2 peut être exercée devant une juridiction civile, séparément de l'action publique.

Toutefois, il est sursis au jugement de cette action tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement.

La mise en mouvement de l'action publique n'impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu'elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil.

Les appelants indiquent que leur conseil a pu avoir confirmation lors d'un entretien avec le greffe de la mise en mouvement de l'action publique, celui-ci ayant précisé que le dossier est enregistré au cabinet du doyen des juges d'instruction sous le numéro d'instruction 22 257 000 635 mais que M. [P] n'ayant à ce jour reçu aucune convocation, il n'est pas en mesure de rapporter la preuve de cette ouverture d'information et les intimés sont taisants sur ce point.

En toute hypothèse, la plainte déposée auprès du procureur de la République près du tribunal judiciaire de Paris le 17 mars 2022 l'a été pour abus de biens sociaux par M. [W] et complicité d'abus de biens sociaux par M. [P] et les appelants agissent devant le tribunal judiciaire de Bobigny sur le fondement de la responsabilité professionnelle du notaire et de la scp notariale pour la réparation d'un dommage distinct de celui causé par l'infraction reprochée puisqu'aux termes de leur assignation, ils reprochent à M. [P] et à la Scp Didier Adrien -notaires d'avoir manqué à leur obligation de vérification de l'origine des fonds.

Dès lors, la mise en mouvement de l'action publique, à supposer qu'elle soit effective, ce qui n'est pas établi, n'impose pas de surseoir à statuer dans le cadre de la présente instance et le sursis demandé n'est pas opportun en l'espèce, alors que l'action civile est intentée depuis juillet 2021 et que MM. [I] et [E] ès qualités estiment avoir suffisamment d'éléments pour justifier de la faute professionnelle qu'ils reprochent à M. [P] et à la Scp Didier Adrien-notaires.

La décision du juge de la mise en état est en conséquence confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande de sursis à statuer formée par les appelants.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dispositions relatives aux dépens et aux frais de procédure de première instance sont confirmées.

Les dépens d'appel doivent incomber à M. [P] et à la Scp Didier Adrien-notaires, partie perdante in solidum, lesquels sont également condamnés in solidum à payer à MM. [I] et [E] ès qualités une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme l'ordonnance en toutes ses dispositions,

Condamne M. [J] [P] et la Scp Didier Adrien-notaires in solidum aux dépens, dont distraction au profit de la Selarl LX Paris-Versailles-Reims,

Condamne M. [J] [P] et la Scp Didier Adrien-notaires in solidum à payer à M. [J] [E] pris en qualité de liquidateur chargé de la vérification des créances d'assurance ainsi que de l'inventaire des actifs directement liés au passif d'assurance de la Sa independent Insurance et M. [O] [I], mandataire judiciaire, pris en qualité de liquidateur judiciaire des autres actifs et des opérations de liquidation de ladite société, une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,