CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 11 octobre 2024, n° 22/11256
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
The Oz (SAS)
Défendeur :
It Collection (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ardisson
Conseillers :
Mme L'eleu de la Simone, Mme Guillemain
Avocats :
Me Cheviller, Me Vignaud, Me Teytaud, Me Valluis
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Denis ARDISSON, Président de chambre et par Damien GOVINDARETTY, Greffier, présent lors de la mise à disposition.
1. La société IT Collection a pour activité la création et la vente de vêtements et d'accessoires promus par des influenceurs et sous ses marques '[N]', 'RECC' et 'Parisienne et Alors' exploitées sur des sites de vente sur Internet dont elle est propriétaire.
2. Souhaitant refondre ses sites de vente et en confier l'administration à un tiers, la société IT Collection a convenu avec la société The Other Store, par un acte du 11 juin 2019 intitulé 'lettre d'intention' décrivant leur projet de partenariat de 'e-commerce' dans un point 1 désignant la 'Contractualisation du projet' et dans un point 2 relatif un 'Term sheet' avec pour objet de confier à la société The Other Store 'la création et l'administration exclusive de ses sites web marchands (...) comprenant l'hébergement, l'administration des ventes des produits via le site et éventuellement les marketsplaces, la communication commerciale et promotionnelle en ligne du site, la gestion des stocks (analyse performance produits)'.
3. Aux termes du point 1 sur la Contractualisation, il était stipulé que :
'IT COLLECTION et THE OTHER STORE s'engagent à finaliser les termes et conditions du Projet du Contrat sur la base du Contrat Type, en y intégrant notamment des éléments arrêtés dans le Term Sheet (cf. ci-dessous), sans modification substantielle dans le Contrat.
- IT COLLECTION et THE OTHER STORE fourniront leurs meilleurs efforts pour signer le Contrat dans les délais meilleurs et au plus tard le 31 octobre 2019 ("Date de signature"). Si le Contrat ne devait pas être signé à cette date, cette lettre d'intention ferait office de document de référence dans La relation entre les 2 sociétés.'
4. Et aux termes du point 2 du terme sheet, il était stipulé que :
'Les parties sont convenues, s'agissant du projet et du Contrat que le contrat sera conclu pour une durée de 4 ans'.
5. Le term sheet stipulait par ailleurs que la société The Other Store percevrait une commission mensuelle assise sur le chiffre d'affaires produits nets de retours avec un taux de commission dégressif par tranches, la première tranche de 15 % pour un chiffre d'affaires inférieur ou égal à 3 millions d'euros HT, puis dégressif de 1 % par million de chiffre d'affaires supplémentaire.
6. Enfin, le terme sheet stipulait que :
'Il a été convenu entre les Parties que le 1ère année commencera au 1er janvier 2020 (...) Dans le cas où les Parties n'atteindraient pas en fin d'année 2021 un Chiffre d'Affaires sur le Groupe de marques confiées actuel de 6 000 000 € (sous réserve que les budgets d'acquisition Marketing soient proportionnels en 2021), les Parties conviennent que l'une et l'autre pourront entre le 1er janvier 2022 et le 31 mars 2022 :
Soumettre à l'autre partie des modifications contractuelles, y compris liées aux taux de commission,
Mettre un terme au Contrat sous un préavis de six (6) mois'.
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7. A la suite d'une réunion lors de laquelle la société The Other Store a présentée la maquette qu'elle avait ébauchée pour le site de la marque RECC, la société IT collection indiqué par courriel du 3 septembre 2019 n'être pas satisfaite du résultat et refuser la poursuite de leur partenariat pour ce site, puis au fur et à mesure du déploiement des sites des marques [N] et Parisienne et Alors, ainsi que de leur administration par la société The Other Store, la société IT collection a dénoncé par courriels des insatisfactions sur les prestations.
8. Alors que la société IT collection avait réglé 665.685,51 euros de commissions calculées au taux de 10%, la société IT collection a soumis à la société The Other Store par lettre recommandée du 16 juillet 2021 l'offre de mettre un terme amiable et définitif à leur relation d'affaires au 31 décembre 2021 ainsi que l'offre d'appliquer un taux de commission de 13 % depuis le début des relations d'affaires au motif que les mises en exploitation des sites web des marques [N] et Parisienne au motif qu'elles avaient démarrées les 29 janvier et 5 mai 2020.
9. Après avoir vainement mis en demeure la société IT collection de régler le solde des commissions qu'elle avait facturée sur la base du taux de 15 % devant être appliquées sur la base d'un chiffre d'affaires inférieur à trois millions d'euros HT, la société The Other Store l'a assignée le 26 octobre 2021 en paiement de la somme de 186.110,23 euros devant le juge des référés du tribunal de commerce qui, par ordonnance du 9 décembre 2021, a renvoyé l'affaire devant la juridiction du fond.
10. Par lettre du 17 décembre 2021, la société IT collection a relevé que la société The Other Store n'avait par pas déféré à son offre du 16 juillet 2021, réitérée le 22 septembre suivant, et estimant qu'elle n'avait pas remédié aux nombreux manquements dans l'exécution de ses prestations, elle a dénoncé la résolution anticipée pour faute de ses engagements à effet du 31 décembre 2021 assorti d'un préavis de deux mois et réclamé le transfert des identifiants et des codes d'accès, ainsi que tout élément permettant la poursuite de l'exploitation complète et régulière des sites.
11. Alors que la société The Other Store a contesté cette résiliation dans une lettre du 23 décembre 2021, la société IT collection a dénoncé dans une seconde lettre du 3 janvier 2022, la résiliation du contrat avec un préavis de six mois avec effet au 3 juillet 2022 au motif que le montant du chiffre d'affaires était inférieur à l'objectif de six million d'euros stipulé au term sheet.
12. Par courrier du 11 janvier 2022, la société The Other Store a contesté l'application de cette modalité contractuelle de résiliation au motif, d'une part, que le chiffre d'affaires n'était pas rapporté aux ventes du site RECC, et d'autre part, que les budgets d'acquisition marketing étaient en retrait des montants visés au terme sheet de 280.000 euros pour le site RECC et de 60.000 euros pour chacun des sites [N] et Parisienne et Alors.
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13. Devant la juridiction du fond, la société The Other Store a réclamé la condamnation de la société IT collection à lui payer la somme totale de 238.441,86 euros à parfaire au titre factures de commissions impayées, 1.760 euros sauf à parfaire au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement, et 115.302 euros au titre du préjudice subi du fait de la décision unilatérale de la priver de l'exploitation du site RECC.
14. La société IT collection a pour sa part conclu à la résolution du contrat et réclamé la condamnation de la société The Other Store à payer la somme de 765.970,66 euros au titre de la perte de recettes, 30.000 euros au titre du préjudice d'image subi et demandé qu'il soit ordonné à la société The Other Store, sous astreinte, le transfert de l'intégralité des droits de propriété et de toute information (et notamment, sans que cette liste ne soit exhaustive, l'ensemble des codes d'accès administrateur, codes sources et codes application, identifiants et mots de passe de l'intégralité des équipements, services et logiciels) relatifs à la gestion des sites Musier et Parisienne et Alors.
15. Par son jugement du 25 mai 2022, le tribunal commerce de Paris a :
- dit que les parties ont conclu le 6 juin 2019 un contrat à durée indéterminée, résilié par la société IT collection à effet du 3 juillet 2022,
- dit que le taux de 10 % HT du chiffre d'affaires produits net de retour est applicable aux commissions de la société The Other Store sur les ventes des sites '[N]' et 'Parisienne et Alors',
- débouté la société The Other Store de ses demandes au titre des factures impayées et des frais de recouvrement,
- condamné la société IT collection à payer à la société The Other Store la somme de 26.400 euros à titre d'indemnité pour non-transfert du site 'RECC',
- débouté la société IT collection de sa demande au titre du préjudice lié à la perte de recettes,
- ordonné le transfert par la société The Other Store à la société IT collection dans un délai de 15 jours à compter de la décision à intervenir, de toutes informations, codes et fichiers relatifs à la gestion des sites '[N]' et 'Parisienne et Alors', à la seule exception des contenus issus d'un effort créatif propre de la société The Other Store allant au-delà de la simple mise en 'uvre d'un progiciel ou de la transposition d'éléments fournis par la société IT collection sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard passé ce délai de 15 jours, et ce pendant 30 jours,
- débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
- condamné la société IT collection aux dépens.
PROCEDURE ET PRETENTIONS EN APPEL :
16. Vu l'appel du jugement par la société The Oz enregistré le 14 juin 2022 ;
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17. Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 5 juin 2024 pour la société The Oz, nouvelle dénomination de la société The Other Store, afin d'entendre :
- recevoir la société The Oz, en son appel et l'y déclarer bien fondée,
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions frappées d'appel,
- condamner la société IT collection à régler les sommes de :
238.441,86 euros, sauf à parfaire au titre factures non réglées, avec intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir,
1.760 euros sauf à parfaire au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement,
170.019,60 euros au titre du préjudice subi du fait de la décision unilatérale et illicite d'IT collection de mettre un terme aux relations contractuelles au 3 juillet 2022,
165.266,40 euros au titre du préjudice subi du fait de la décision unilatérale et illicite d'IT collection de la priver de l'exploitation du site RECC,
subsidiairement, si la cour d'appel devait confirmer la résiliation du contrat en juillet 2022, condamner la société IT collection à régler à la société The Oz la somme de 92.242,72 euros au titre du préjudice subi du fait de la décision unilatérale et illicite de la société IT collection de la priver de l'exploitation du site RECC avant la résiliation du contrat,
- débouter la société IT collection de l'intégralité de ses demandes,
subsidiairement,
- condamner la société The Oz à transférer à la société IT collection les seules données indispensables à l'exploitation des sites,
- ramener le montant de l'astreinte à 200 euros par jour de retard à compter du 30ème jour suivant la signification du jugement dans la limite de 30 jours et se réserver la liquidation de l'astreinte,
- condamner la société IT collection à verser la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société IT collection aux entiers dépens ;
18. Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 31 mai 2024 pour la société IT collection afin d'entendre, en application des articles 1103 et suivants, les articles 1188 et 1189, les articles 1211 et suivants, et l'article 1353, alinéa 1er, du code civil, R. 131-1 et R. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution et 514 du code de procédure civile :
- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société IT collection de sa demande de résolution pour faute du contrat,
- prononcer en conséquence a résolution pour faute du contrat, à compter du 3 janvier 2022, date de réception par la société The Oz de la lettre recommandée du 17 décembre 2021, envoyée par la société IT collection,
- ordonner la restitution des commissions reçues par la société The Oz du 3 janvier 2022 au 3 juillet 2022,
- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté IT collection de sa demande de résiliation moyennant un préavis de 2 mois à compter du 3 janvier 2022, date de réception par la société The Oz de la lettre recommandée du 17 décembre 2021, envoyée par la société IT collection,
- juger en conséquence que la société IT collection a résilié la LOI dans un délai de deux mois à compter du 3 janvier 2022, soit à effet du 3 mars 2022,
- ordonner la restitution des commissions reçues par la société The Oz du 3 mars 2022 au 3 juillet 2022,
- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société IT collection de l'intégralité de sa demande de réparation du préjudice de perte de recettes,
- condamner en conséquence la société The Oz à payer la somme totale de 765.970,66 euros au total au titre du préjudice de perte de recettes,
infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société IT collection de sa demande de réparation de son préjudice d'image,
- condamner en conséquence la société The Oz à payer la somme de 30.000 euros au titre de son préjudice d'image,
- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté a condamné la société IT collection au paiement de la somme de 26.400 euros à titre d'indemnité pour non-transfert du site RECC,
- débouter la société The Oz de cette demande de condamnation,
en tout état de cause,
- confirmer le jugement en ce qu'il a dit que le taux de 10% HT du chiffre d'affaires produits net de retour est applicable aux commissions de The Oz sur les ventes des sites [N] et Parisienne & alors, en ce qu'il a débouté la société The Oz de sa demande de condamnation de la société IT collection à régler à la société The Oz la somme totale de 238.441,86 euros, au titre des commissions prétendument dues, en ce qu'il a dit que les parties ont conclu le 6 juin 2019 un contrat à durée indéterminée, résilié par la société IT collection par courrier du 17 décembre 2021, et prononcé la résiliation à effet du 3 juillet 2022 - dans l'hypothèse où les demandes de résiliation pour faute, ou subsidiairement, de résiliation moyennant un préavis de deux mois à compter de la lettre RAR du 17 décembre 2021, seraient rejetées dans le cadre de l'appel incident, et en ce qu'il a ordonné le transfert par The Oz à IT collection, dans un délai de 15 jours à compter de la décision, de toutes informations, codes et fichiers relatifs à la gestion des sites [N] et Parisienne et Alors, et ce, sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard passé ce délai de 15 jours, et ce, pendant 30 jours,
- condamner la société The Oz à payer la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société The Oz aux entiers dépens dont distraction au profit de Me François Teytaud dans les conditions de l' article 699 du code de procédure civile ;
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19. Vu les observations remises par le réseau privé virtuel le 19 juillet 2024 pour la société The Oz ;
20. Vu les observations remises par le réseau privé virtuel les 09 et 10 septembre 2024 pour la société IT collection ;
SUR CE, LA COUR,
Pour la clarté de la discussion la cour désignera la société The Other Store par sa nouvelle dénomination 'The OZ';
I. Sur la durée des engagements des parties d'après la nature de l'acte du 11 juin 2019
21. La société The OZ conteste le jugement en ce que, pour rejeter sa demande de dommages et intérêts fondée sur la résiliation anticipée des engagements des parties, il a retenu que celles-ci n'avaient pas signé de contrat dans les termes stipulés à la lettre d'intention 'au plus tard le 31 octobre 2019', et a déduit ainsi que les engagements des parties étaient souscrits à durée indéterminée, alors que l'engagement de signer un contrat et la stipulation au term sheet selon laquelle 'le contrat sera conclu pour une durée de 4 ans' doivent être compris d'après la règle interprétative des contrats de l'article 1188, alinéa 1er, du code civil selon laquelle :
Le contrat s'interprète d'après la commune intention des parties plutôt qu'en s'arrêtant au sens littéral de ses termes.
Lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s'interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation.
22. Ainsi, la société The OZ relève que cette lettre d'intention ne précise pas que certaines de ses dispositions seraient applicables au seul cas où un contrat viendrait à être signé, et d'autre part, que le term sheet désigne, à sa première ligne, l'accord des parties relatif indistinctement aussi bien aux conditions du 'projet' que du 'contrat', de sorte que la lettre d'intention doit être interprétée dans sa globalité et fait office de 'document de référence'.
23. D'autre part, la société The OZ se prévaut des investissements significatifs qu'elle devait réaliser pour le développement de la refonte des sites, leur mise en ligne et leur promotion pour conclure que l'accord pour la rémunération de ses prestations d'après le chiffre d'affaires des ventes était nécessairement envisagé par les parties sur la durée de quatre ans, cette modalité du prix constituant un élément essentiel à son consentement suivant la prescription de l'article 1114 du code civil disposant que :
L'offre, faite à personne déterminée ou indéterminée, comprend les éléments essentiels du contrat envisagé et exprime la volonté de son auteur d'être lié en cas d'acceptation. A défaut, il y a seulement invitation à entrer en négociation.
24. Il est rappelé que la règle interprétative des contrats précitée de l'article 1188 du code civil est complétée, pour l'appréciation de l'économie générale du contrat, par celle de l'article 1189 du code civil disposant que :
Toutes les clauses d'un contrat s'interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l'acte tout entier.
Lorsque, dans l'intention commune des parties, plusieurs contrats concourent à une même opération, ils s'interprètent en fonction de celle-ci.
25. Aussi, si la société The Oz est bien fondée à déduire que la durée de quatre ans entrait dans les prévisions des parties, alors qu'il est stipulé au term sheet que la 'lettre d'intention ferait office de document de référence dans la relation entre les 2 sociétés', la cour relève que l'intangibilité de cette durée doit être tempérée par la clause du term sheet rapportée au paragraphe 6 ci-dessus offrant aux parties la faculté de mettre un terme au contrat entre le 1er janvier 2022 et le 31 mars 2022 avec un préavis de six mois si le chiffre d'affaires n'atteignait pas en 2021 la valeur de six millions d'euros, faculté que la société IT collection a d'ailleurs dénoncée dans sa lettre de résiliation du 3 janvier 2022.
26. Alors que la société The Oz affirme sans démontrer que les pourcentages de sa commission de 9 à 15 % du chiffre d'affaires annuel ainsi que les conditions de dénonciation du contrat stipulés au term sheet ne satisfaisaient pas par eux-mêmes à l'économie de son investissement ainsi qu'à son consentement au partage de la valeur de son partenariat avec la société IT collection, il peut être déduit que l'économie générale du partenariat subordonnait sa durée de quatre ans à une appréciation annuelle du chiffre d'affaires réalisés sur les sites avec la faculté, soit d'une révision de l'ensemble contractuel, soit d'y mettre un terme dans le délai de six mois, de sorte que par ces motifs substitués à ceux des premiers juges, la cour confirmera la nature indéterminée des engagements des parties.
II. Sur la cause et le fondement de la rupture du contrat
- tirés de l'exécution fautive des obligations de la prestataire
27. La société IT Collection entend voir infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la résolution du contrat qu'elle poursuit sur le fondement de l'article 1224 du code civil à compter du 3 janvier 2022 en raison de la gravité des fautes qu'elle reproche à la société The OZ et au titre desquelles elle réclame sa condamnation au paiement de 765.970,66 euros de dommages et intérêts représentant les différents chefs de pertes de recettes, outre 30.000 euros de dommages et intérêts au titre de son préjudice d'image auprès de ses clients.
28. Sur la base des courriels échangés avec la société The OZ, la société IT Collection déduit la preuve, en premier lieu, que la société The OZ n'a pas respecté les délais pour le lancement des sites qu'elle avait annoncés dans les courriels qu'elles ont échangés, la promotion de la marque [N] ayant été retardée de 4 mois et celle de la marque Parisienne de 7 mois.
29. En deuxième lieu, la société IT collection estime que les prestations de la société The OZ, limitées à la refonte des sites et à leur administration, ont été exécutées avec de nombreux dysfonctionnements techniques tels que l'absence de désactivation de fiches produits d'articles des anciennes collections pour lesquelles il n'existait plus de stock pour la marque [N], des incorrections sur la confirmation des commandes en anglais, l'indisponibilité pendant trois mois de la 'newsletter' de la marque [N] après la mise en ligne du site ou encore, par la persistance des flux dans le référencement des produits de la marque Parisienne et Alors.
30. La société IT collection fait en troisième lieu grief à la société The Oz de lui avoir fait souscrire un abonnement à la plateforme de paiement Payplug plus onéreuse pour les ventes des produits sur les sites que la plateforme Monetico, enchérissant le coût de ce service de 8.600 euros par an.
31. Au demeurant, d'une part, les délais de livraison des sites n'étaient pas fixés aux termes de la 'contractualisation du Projet' ou à ceux du term sheet et les échanges de courriels sur des délais de livraison ne peuvent tenir lieu de preuve d'un engagement ferme.
32. D'autre part, connaissance prise par la cour des 'documents de cadrage' pour le développement des sites et de leur exploitation que la société The Oz a communiqués le 22 octobre 2019, ainsi que de l'ensemble des courriels échangés entre les parties, il se déduit que l'essentiel des griefs entraient dans les ajustements prévisibles et acceptables dans le lancement, l'adaptation et les correctifs des sites auxquels les réponses ont par ailleurs été, pour l'essentiel, apportées, et tandis que sur les deux premières années d'exploitation des sites des [N] et Parisienne, il est constant que les ventes des produits ont connu une progression de plus de 290 % par rapport à leur valeur de production avant le refonte et leur administration par la société The OZ, la gravité de la faute de la société The OZ dans l'exécution de ses obligations n'est pas caractérisée, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit mal fondé la résolution du contrat.
33. Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté la société IT collection de ses demandes de dommages et intérêts réclamés au titre des différents chefs de pertes de recettes, au titre de l'indemnisation au titre d'interventions sur les sites par des prestataires extérieurs, dont le lien avec les défections de la société The OZ ne sont pas établis, ainsi qu'au titre d'un préjudice d'image dont la preuve ne peut pas être déduite des rares courriels échangés entre la société IT collection et ses clients.
- tirés de la résiliation des engagements réciproques
34. Pour entendre subsidiairement infirmer le jugement en ce qu'il a retenu, au visa de l'article un 1211 du code civil, un délai de préavis raisonnable de six mois pour la résiliation effective du contrat fixée au 3 juillet 2022, la société IT collection conclut que la société The OZ est une société bien implantée sur le marché et qu'elle n'était pas dépendante du partenariat avec la société IT collection, laquelle est une petite boutique de commercialisation de prêt à porter sur Internet, de sorte que par référence aux délais retenus en matière de rupture brutale de relation commerciale établie et de la brève durée du partenariat, le délai de préavis doit être fixé à deux mois suivant sa lettre de résiliation qu'elle a notifiée le 17 décembre 2021.
35 Cependant, le délai de préavis de six mois retenu par les premiers juges correspond au même délai que le term sheet conférait aux parties pour exercer leur faculté de résilier leur
partenariat (clause visée au paragraphe 6 ci-dessus), et tandis qu'à ce titre, il est d'une part constant que les chiffres d'affaires réalisés par les trois sites en 2021 étaient significativement
inférieurs au seuil de six millions d'euros stipulé à cette clause, et d'autre part, que le term sheet ne livre aucune règle d'appréciation de la proportionnalité des dépenses d'investissement qu'il a fixées pour l'année 2021 avec le seuil de chiffre d'affaires en deçà duquel les parties pouvait dénoncer leur partenariat, la cour confirmera par substitution de motifs le jugement en ce qu'il a retenu la résiliation régulière du partenariat au 3 juillet 2022.
36. Pour ces mêmes motifs, le jugement sera aussi confirmé en ce qu'il a subséquemment débouté la société The OZ de sa demande fondée sur la résiliation anticipée fautive du contrat et en dommages et intérêts de 170.019,60 euros représentant la perte de marge sur les ventes postérieures à la date de résiliation du 3 juillet 2020.
III. Sur la détermination du taux de commission applicable au terme de fin du contrat
37. La société IT collection entend voir confirmer le jugement en ce que, visant l'article 1217 du code civil, il a retenu que les parties s'étaient tacitement accordées pour l'application d'un taux uniforme de commission de 10 % du chiffre d'affaires des produits depuis les sites [N] et Parisienne et Alors, au lieu de ceux variant en fonction du chiffre d'affaires stipulé au term sheet.
38. Elle conclut en outre au visa de l'article 1219 du code civil avoir régulièrement pu opposer son exception au paiement du taux de commission contractuel de 15 %, dont la mise en oeuvre n'est pas subordonnée à une mise en demeure préalable, et qui était justifiée par les nombreux manquements de la société The OZ à son obligation de résultat à laquelle elle était tenue en sa qualité de professionnelle des prestations informatiques et devant faire preuve d'efficacité technique, de connaissance des règles de son métier, de réaliser ses prestations avec célérité et de faire esprit d'initiative;
39. Néanmoins ainsi que cela résulte des discussions aux points II et III de l'arrêt ci-dessus, il n'est retenu à l'encontre de la société The OZ aucun manquement dans l'exécution de ses obligations, de sorte qu'aucune des dispositions du code civil relatives aux inexécutions ne sont applicables à la réfaction du taux de commission convenu entre les parties, et le fait que la société The OZ n'a pas réclamé leur application conforme aux contrats avant la rupture du contrat ne permet pas de déduire qu'elle y a renoncé.
40. En conséquence, la cour infirmera le jugement et fera droit à l'application du taux de commissions de 15% du en fonction des chiffres d'affaires des sites [N] et Parisienne et alors inférieur à trois millions d'euros et condamnera la société IT collection à lui payer la somme, non contestée, de 238.441,86 euros, outre celle de 1.760 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement prise en application de l'article L. 441-10 du code de commerce.
IV. Sur le préjudice distinct de la privation des commissions sur le chiffre d'affaires de RECC
41. La société IT collection conteste le jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer la somme de 26.400 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de son refus de confier le développement du site de la marque 'RECC', alléguant, derechef, les inexécutions de la société The OZ telles qu'elles sont rapportées aux paragraphes 28 à 30 ci-dessus ainsi que la fourniture tardive des maquettes du site et se prévalant d'un compte-rendu-rendu du 4 septembre 2019 sur la présentation des maquettes du site RECC critiquant en particulier les éléments graphiques pour la page d'accueil du site qui ne correspondaient pas aux attentes de la société IT collection et des copropriétaires de la marque RECC.
42. Cependant, il suit de la discussion au point II ci-dessus que les griefs sur les inexécutions de la société The OZ sont écartés et tandis que les seules critiques rapportées au compte-rendu ne sont pas de nature à caractériser un manquement dans l'exécution des prestations attendues justifiant une rupture unilatérale et sans mise en demeure préalable, le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société IT collection de ce chef.
43. En revanche en ce qui concerne la cause et l'assiette des dommages et intérêts propres à réparer le préjudice qui en est résulté, la société The OZ est fondée à contester le jugement, d'abord en ce qu'il a retenu l'application du taux de commission de10 %, alors qu'à la suite des motifs retenus au point III ci-dessus, et d'après le montant des chiffre d'affaires des sites, le taux de 15 % doit être appliqué.
44. La société The OZ est ensuite fondée à contester les premiers juges en ce qu'il ont qualifié le préjudice indemnisable de perte de chance qu'il a estimée à 50 %, alors que la perte de chance a pour objet la réparation de la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable, tandis que le résultat de la décision de la société IT collection de priver sa cocontractante dans la rémunération de la valeur du site qu'elles avaient convenu de réaliser au profit d'un tiers n'est pas aléatoire.
45. Alors par ailleurs que la société The OZ a été privée des commissions sur l'exploitation du site RECC pendant vingt-quatre mois de juillet 2020 à juin 2022, que la moyenne mensuelle du chiffre d'affaires pour ce site est établie à 85.409 euros, il convient sur la base du taux de marge non contesté de 30 % de réviser le montant des dommages et intérêts de ce chef à la somme de 92.242,72 euros.
V. Sur le transfert des données
46. La société IT collection renouvelle sa demande retenue par le jugement tendant à ce que soit ordonné à la société The OZ, sous astreinte, 'le transfert de toutes informations, codes et fichiers relatifs à la gestion des sites '[N]' et 'Parisienne et Alors', à la seule exception des contenus issus d'un effort créatif propre de la société The Other Store allant au-delà de la simple mise en 'uvre d'un progiciel ou de la transposition d'éléments fournis par la société IT collection'.
47. Toutefois, sous le bénéfice de la propriété de la société The OZ de ses codes informatiques relatifs qu'elle a développés pour l'interface et la gestion des données des sites, et dont elle conserve la propriété exclusive protégée par les dispositions de l'article L. 112-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, la société IT collection n'établit pas la preuve qu'elle n'a pas été destinataire de l'ensemble des données et des fichiers nécessaires au déploiement de ses nouveaux sites après les échanges intervenus entre les parties dans le courant des semaines qui ont suivi le jugement, de sorte que, au jour de la clôture des débats devant la cour, cette mesure n'a plus d'objet et peut être par conséquent rejetée.
VI. Sur les dépens et les frais irrépétibles
48. La société IT collection succombant à l'essentiel de l'action, le jugement sera infirmé en ce qu'il a tranché les demandes relatives aux dépens et aux frais irrépétibles, et statuant à nouveau de ces chefs y compris en cause d'appel, la société IT collection sera condamnée aux dépens et à payer la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
INFIRME le jugement en toutes ses dispositions, sauf celles qui ont débouté la société IT collection de ses demandes en dommages et intérêts fondée sur la résolution du contrat, débouté la société The OZ de sa demande en dommages et intérêts fondée sur la résiliation anticipée du contrat et ordonné la communication des données numériques utiles à la poursuite de l'activité de la société IT collection ;
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et ajoutant au jugement,
CONDAMNE la société IT collection à payer à la société The OZ les sommes de :
238.441,86 euros au titre des commissions due au terme du contrat du 3 juillet 2022,
1.760 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement
92.242,72 euros au titre de la résiliation unilatérale du site RECC,
CONDAMNE la société IT collection aux dépens de première instance et d'appel ;
CONDAMNE la société IT collection à payer à la société The Oz la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.