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Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 15 octobre 2024, n° 22/04235

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Benoit et Associés (SELARL), Lea Trade Finance (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Salmeron

Conseillers :

Mme Martin de la Moutte, Mme Norguet

Avocats :

Me Simon Cohen, Me Gilles Sorel, Me Maher Attye, Me Claire de Bussy

T. com. Toulouse, du 10 nov. 2022, n° 20…

10 novembre 2022

Exposé des faits et procédure :

La société Adar, constituée en 1991 avait pour activité la vente au détail et en gros de tout matériel électronique et audio vidéo, et tout spécialement de téléphones. A compter de 1995, elle a commercialisé des téléphones mobiles et des services d'abonnements aux opérateurs de téléphonie mobile.

En 1996 elle a signé un «contrat partenaire » avec la société Cellcorp, filiale de la société SFR dont l'objet était la diffusion des services de radiotéléphonie publique exploitée par la société SFR.

En 2008, la société ADAR a recentré ses activités sur les produits de mobile tout terrain, terminaux mobiles certifiés étanches et durcis destinés aux sportifs et aux professionnels, qu'elle développait sous la marque « Mobile Tout Terrain ».

La société Léa Trade, créée en 2009 exerce son activité dans le commerce de gros en proposant à ses clients des solutions de trade-finance, avec notamment des opérations d'achats pour compte de marchandises, accompagnées de diverses prestations de services logistiques et de transport de marchandises, ou de réalisation des formalités déclaratives liées à l'importation de marchandise, qu'elle exécute en qualité de commissionnaire.

Les sociétés Adar et Léa Trade se sont engagées dans le cadre d'un contrat cadre de commission du 13 décembre 2013 par lequel en qualité de commissionnaire, la société Léa Trade Finance achetait en son nom pour le compte de la société Adar, des marchandises choisies par la société Adar, selon les modalités convenues entre la société Adar et ses fournisseurs (type, quantité, prix), et s'engageait à accomplir différentes prestations de services liées à l'importation de ces marchandises en France pour le compte de la société Adar.

Ce contrat contient une clause de réserve de proprieté en faveur du commissionnaire et une garantie financiére du dirigeant de la SAS Adar d'un montant de 500.000€, à laquelle s'est ajoutée par acte du 27 novembre 2014 une nouvelle garantie autonome, d'un montant de 700 000 € étendue jusqu'au 31 décembre 2016.

Cette garantie a été ultérieurement étendue jusqu'au 31 décembre 2017.

Les parties se sont ensuite engagées dans le cadre d'un nouveau contrat de commissionnement et sont convenues d'un dispositif de facturation et d'encaissement pour compte, permettant à Adar de régler ses achats à Léa Trade Finance avec une partie du montant des reventes auprès de ses clients.

En juillet 2016, la société Léa Trade Finance a accordé à la société Adar un moratoire pour le paiement de factures s'élevant à 418 454,37 €.

Par jugement du 11 mai 2017, le tribunal de commerce de Toulouse a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société Adar, fixé la date de cessation des paiements au 30 avril 2017 et désigné la Selarl Benoit & associés en qualité de mandataire judiciaire.

Par jugement du 26 septembre 2017, le tribunal a converti le redressement judiciaire en liquidation judiciaire et désigné la Selarl Benoit et associés en qualité de liquidateur.

Par ordonnance du 21 janvier 2019, le juge commissaire a admis la créance déclarée par Léa Trade Finance au passif d'Adar pour la somme de 905.395,59 euros.

La société Léa Trade Finance a appelé la garantie autonome à première demande de Monsieur [U] et, sur autorisation du juge de l'exécution autorisé la société Léa Trade Finance à inscrire une hypothèque provisoire sur le bien immobilier de Monsieur [U] à [Localité 7] pour un montant évalué provisoirement en principal, intérêts et accessoires à la somme de 704.315,07 euros.

Par jugement du 26 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Toulouse a condamné Monsieur [U] à honorer sa garantie envers la société Léa Trade Finance.

Par arrêt du 7 décembre 2022, la cour d'appel de Toulouse a :

- confirmé le jugement du tribunal judiciaire de Toulouse du 26 janvier 2021 en toutes ses dispositions.

- Débouté M. [U] de sa demande en nullité de la garantie à première demande.

- Dit que la garantie à première demande n'est pas abusive.

- Débouté M.[U] de ses demandes en suppression des intérêts contractuels, en octroi de délais de paiement.

Par exploit du 20 octobre 2021, la Selarl Benoît & associés ès qualités et Monsieur [U] en son nom propre, ont assigné la SAS Léa Trade Finance devant le tribunal de commerce pour obtenir au visa de l'article L.650-1 du Code de commerce la condamnation de cette dernière à indemniser la liquidation judiciaire de la société Adar et [S] [U] des préjudices subis.

Par jugement du 10 novembre 2022, le tribunal de commerce a débouté le liquidateur et Monsieur [U] de leurs demandes et les a condamnés in solidum au paiement de 5000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 8 décembre 2022, Monsieur [U] a interjeté appel de ce jugement.

La clôture est intervenue le 29 avril 2024

Prétentions et moyens des parties :

Vu les conclusions notifiées le 7 mars 2023 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de M.[S] [U] et de la Selarl Benoit et associés ès qualités demandant, au visa des articles L 650-1 du code du commerce et 1104 et 1240 du code civil, de:

- Infirmer le jugement du tribunal de commerce du 10 novembre 2022 en ce qu'il a jugé que la société Léa Trade Finance ne s'était pas livrée à un soutien abusif de la société Adar et qu'il a débouté [N] [E] es qualité de liquidateur de la société Adar et [S] [U] de leurs demandes,

- Juger que la société Léa Trade Finance a soutenu abusivement la société Adar,

- Juger que la société Léa Trade Finance a exécuté de mauvaise foi le contrat de commission

En conséquence

- Condamner la société Léa Trade Finance à payer à [N] [E] ès qualités la somme de 4 245 845,99 €

- Condamner la société Léa Trade Finance à payer à [S] [U] la somme de 180 000 € à titre de dommages et intérêts correspondant à la perte de salaire et à la perte de dividendes et celle de 700 000 € en réparation du préjudice subi du fait de la garantie autonome obtenue abusivement,

- Condamner la société Léa Trade Finance à payer respectivement à [N] [E] en qualité de liquidateur judiciaire de la société Adar et à [S] [U] la somme de 5 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.

Vu les conclusions notifiées le 8 janvier 2024 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la SAS Léa Trade Finance demandant au visa de l'article L. 650-1 du Code de commerce, de

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

- Débouter la Selarl Benoit & associés ès qualités, et Monsieur [U] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;

- Condamner la Selarl Benoit et associés ès qualités, et Monsieur [U], in solidum, à verser à la société Léa Trade Finance une indemnité de 14.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par avis en date du 5 mars 2024, notifié aux parties par le RPVA, le ministère public sollicite la confirmation de la décision entreprise.

Motifs

M.[U] et le liquidateur de la société Adar poursuivent la condamnation de la société Léa Trade Finance à laquelle ils reprochent d'avoir soutenu abusivement la société liquidée, de s'être immiscée dans sa gestion et d'avoir obtenu des garanties disproportionnées.

L'article L 650-1 du code de commerce dispose que ' lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci.

Pour le cas où la responsabilité d'un créancier est reconnue, les garanties prises en contrepartie de ses concours peuvent être annulées ou réduites par le juge'.

Si la responsabilité des créanciers peut être engagée à raison des concours consentis au débiteur en cas de fraude, immixtion dans la gestion ou de disproportion des garanties, ce n'est qu'à la condition que ces concours soient eux même fautifs.

Il appartient par conséquent à M.[U] d'établir en premier lieu que la société Léa Trade finance a apporté un soutien fautif à la société Adar et en second lieu de rapporter la démonstration de l'une des conditions de la responsabilité du créancier prévue à l'article L.650-1 du code de commerce.

Le soutien est abusif lorsqu'il a été accordé en connaissance de la situation irrémédiablement compromise du débiteur.

M.[U] et le liquidateur de la société Adar font valoir que la société LTF a accordé à la société Adar, le 29 juillet 2016, un moratoire pour le règlement de sa dette de 418 454, 37 euros en 10 échéances mensuelles, et qu'elle a émis le 23 mars 2016 pour 1 155 653 Dollars US des avoirs correspondant à des marchandises acquises pour le compte de Adar mais finalement reprises par Léa Trade qui en avait payé le prix et en a conservé la propriété.

Pour établir que leur cocontractante avait connaissance d'une situation irrémédiablement compromise, M.[U] et le liquidateur soutiennent que dès 2014, la société Adar était déficitaire et que des factures sont demeurées impayées à compter de juin 2015.

Publiés en juin 2015, les comptes sociaux de l'exercice clos au 31 décembre 2014 laissent apparaître un chiffre d'affaire de 6 198 956 euros, en progression de plus de 18 % par rapport à l'exercice précédent, une trésorerie de 1 221 881 euros et des capitaux propres positif. C'est donc à juste titre par des motifs pertinents que les premiers juges ont retenu que, malgré un résultat déficitaire, la ' situation était loin d'être compromise'.

C'est également par des motifs pertinents que les premiers juges après avoir retenu qu'au 31 décembre 2015, les capitaux propres étaient toujours positifs, même si au regard d'une perte importante de 1 594 548 €, ils étaient désormais inférieurs à la moitié du capital, que le chiffre d'affaires s'élevait à 6 057 000 € et que la trésorerie restait positive à 463 000 €, a estimé qu'à cette date la situation n'était pas irrémédiablement compromise

Pour l'exercice 2016, le chiffre d'affaire s'est élevé à 5,4 millions d'euros, les pertes à 814 320 € et la trésorerie est restée positive à 171 000 €.

Néanmoins, les comptes de l'année 2015 n'ont été déposés au greffe du tribunal de commerce que le 4 octobre 2016 et rien ne démontre que la société LTF en a eu connaissance avant cette date. Ceux de l'année 2016, datés du 26 avril 2017, n'ont pu être portés à la connaissance de Léa Trade avant cette date.

Or, le moratoire a été accordé à la société en juillet 2016 et les avoirs ont été émis en mars 2016, à une date ou rien ne permettait à la société Léa Trade Finance d'envisager que la situation de sa cocontractante était manifestement compromise.

La société Léa Trade Finance relève en outre à juste titre que l'émission des avoirs qui a eu pour effet de limiter les encours de la société Adar en contrepartie de la reprise par la société Léa Trade de matériels initialement acquis pour compte, ne s'analyse pas comme un ' concours ' au sens des dispositions de l'article L 650-1 du code de commerce.

Ainsi, la démonstration d'un soutien apporté en pleine connaissance d'une situation irrémédiablement compromise n'est pas rapportée.

En outre, ni l'immixtion fautive, ni les garanties disproportionnées alléguées par M.[U] et le liquidateur ne sont établies.

En effet, rien ne démontre que, comme le soutiennent le liquidateur et M.[U], la société Léa Trade Finance s'est fautivement immiscée dans la gestion de la société Adar en lui ' donnait des ordres' ou que cette dernière 'n'avait plus aucune autonomie de gestion.'

L'examen des pièces versées aux débats et notamment le second contrat de commissionnement qui ne porte aucune date mais que la société Léa Trade Finance date du mois d'avril et le liquidateur du mois de juillet 2016, montre que les sociétés contractantes se sont accordées pour permettre à la société Adar de confier à la société Léa Trade Finance des achats pour compte, ainsi que des prestations de facturations et d'encaissement pour compte. La société Adar ne s'engageait toutefois pas à confier systématiquement ces prestations à sa cocontractante, ce qui constituait pour elle une simple possibilité.

Rien ne démontre, comme semble le soutenir la société Adar, que cette dernière a été contrainte de le faire et les pièces versées aux débats ne permettent pas de retenir que la société Léa Trade a réalisé des prestations pour le compte de la société Adar, hors la commande de cette dernière ou au delà du cadre contractuel.

Contrairement à ce que soutiennent le liquidateur et Monsieur [U], les échanges de courriers électroniques qu'ils versent aux débats ne traduisent nullement une immixtion de la société Léa Trade Finance, mais de simples échanges d'information sur les commandes et facturations en cours, ou encore le rappel des procédures comptables.

Au contraire, la société LTF verse aux débats des échanges de courriers électroniques dont il résulte que, tout en recourant aux services de LTF pour facturer, la société Adar fixait bien, dans ses rapports avec ses propres clients, les conditions et délais de paiement.

Enfin, les premiers juges ont retenu à juste titre que la garantie à première demande d'un montant de 700 000 euros accordé par le dirigeant, puis renouvelée à échéance, alors que l'encours annuel était de 700 000 euros et que la créance déclarée par LTD s'est élevée à 900 000 euros ne présente aucun caractère excessif.

Saisie par la société Léa Trade Finance d'une demande tendant à l'exécution de la garantie à première demande fournie par Monsieur [U], la cour d'appel a d'ailleurs, dans son arrêt du 7 décembre 2022, écarté le grief de disproportion invoqué par ce dernier.

La clause de réserve de propriété sur les marchandises acquises pour compte dont bénéficie la société Léa Trade Finance en exécution de la convention de commissionnement initiale puis de celle conclue en 2016 ne caractérise pas non plus une garantie excessive. D'une part, une telle garantie est usuelle et a été accordée dès l'origine des relations contractuelles et non pas en contrepartie des concours accordés à la société Adar. D'autre part, corrélée au volume des marchandises acquises et payées, la garantie résultant de la réserve de propriété ne peut par hypothèse être disproportionnée.

Le jugement qui après avoir constaté l'absence de soutien abusif, mais aussi de toute immixtion fautive ou de garanties disproportionnées, a débouté M.[U] et le liquidateur de toutes leurs demandes sera en conséquence intégralement confirmé.

Partie perdante, M.[U] et le liquidateur supporteront les dépens.

Ils devront indemniser la société Léa Trade du montant des frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'exposer pour faire valoir ses droits.

Par ces motifs

- Confirme le jugement en toutes ses dispositions

- Dit que les dépens d'appel sont à la charge de Monsieur [U] et de la procédure collective

- Dit que Monsieur [U] et la société Adar sont tenus in solidum de verser à la société Léa Trade Finance la somme de 2000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;

- Condamne Monsieur [U] au paiement de cette somme et dit que, s'agissant de la procédure collective de la société Adar, cette obligation s'exécutera par voie de fixation au passif.