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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 16 octobre 2024, n° 24/03269

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Mif Investissements (SAS)

Défendeur :

Opération Foncière Mulan (SAS), Serris 15 (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gerard

Conseillers :

Mme Combrie, Mme Vincent

Avocats :

Me Juston, Me Poindessault, Me Tiret

T. com. Marseille, du 29 févr. 2024, n° …

29 février 2024

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Serris 15 est une société par actions simplifiée dont l'objet social est l'acquisition de biens immobiliers et leur gestion, ainsi que l'investissement dans des sociétés à prépondérance immobilière. Son capital social est réparti entre ses associés de la manière suivante :

- La société Parha, à hauteur de 49,99 % ;

- La société Foncière Mulan, à hauteur de 50,01 % ;

La société par actions simplifiée Foncière Mulan est un organisme professionnel de placement collectif (OPPCI). Elle a pour objet social l'investissement immobilier par l'intermédiaire de ses filiales. Son capital social est réparti entre ses associés de la manière suivante :

- La société Accamas, à la hauteur de 50 % ;

- La société Finanière Hellbou, à hauteur de 26,034 % ;

- La société MIF investissements, à hauteur de 23,96 % ;

La société de gestion de l'OPPCI Foncière Mulan, et directrice générale de cette société, est la SAS Sogenial immobilier dont l'objet social est la gestion de fonds.

M. [R] [L] est le président de Serris 15 ainsi que le président du conseil d'administration de Foncière Mulan.

Par assignation du 25 septembre 2023, la SAS MIF Investissements a saisi le président du tribunal de commerce de Marseille en référé aux fins que soit ordonnée une expertise de gestion au visa de l'article L. 225-231 du code de commerce.

Par ordonnance de référé en date du 29 février 2024, le Président du Tribunal de commerce a :

- déclaré MIF investissements recevable en sa demande ;

- débouté MIF investissements de sa demande d'expertise de gestion ;

- laissé à MIF investissements la charge des dépens ;

- rejeté tout surplus des demandes comme non justifié.

La SAS MIF Investissements a interjeté appel de cette ordonnance par déclaration du 13 mars 2024.

Dans le dernier état de ses conclusions notifiées et déposées le 3 juin 2024, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société MIF Investissements demande à la cour de :

- confirmer l'ordonnance de référé rendue par le président du tribunal de commerce de Marseille en date du 29 février 2024 en ce qu'elle a retenu la recevabilité de la demande d'expertise de gestion de MIF investissements,

- infirmer l'ordonnance de référé rendue par le président du tribunal de commerce de Marseille en date du 29 février 2024 en ce qu'elle a :

- débouté la société MIF investissements de sa demande d'expertise de gestion;

- laissé à la charge de la MIF investissements les dépens ;

- rejeté tout surplus des demandes comme non justifié ;

- rejeter l'appel incident visant à infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a déclaré recevable la demande de MIF investissements,

et statuant à nouveau :

- designer tel expert qu'il lui plaira, avec pour mission de vérifier et contrôler la régularité et l'opportunité de la convention réglementée qui englobe :

(i) l'accord sur la dilution de Foncière Mulan dans l'intérêt de ses dirigeants M. [L], M. [G] et M. [M] et leurs proches dans un premier temps avec l'augmentation du capital de Serris 15 du 21 décembre 2021 ;

(ii) la cession de ces actions nouvellement émises au bénéfice de M. [L] via sa société Parha devenue actionnaire de Serris 15 à hauteur de 49,9% dans un second temps ;

(iii) le contrat d'émission d'un emprunt obligataire d'un montant de 6.500 euros composé de 6.500 obligations convertibles en actions en date du 18 février 2022 ;

(iv) le contrat d'émission d'un emprunt obligataire d'un montant de 25.000.000 d'euros composé de 25.000 obligations simples en date du 18 février 2022 (le prêt infinity)

(v) l'acte de cautionnement solidaire conclu entre Foncière Mulan et Parha (cautions), Serris 15 (débiteur) et Bensaid avocats ès qualité de fiduciaire de la fiducie Infinity du 18 février 2022 : et de donner son appréciation sur les conséquences financières pour la Foncière Mulan de cette opération, et à cette fin :

- convoquer la société MIF investissements, la Foncière Mulan et Serris 15, dans un délai maximum d'un mois à compter de la consignation de la provision, et recueillir leurs observations relatives la convention réglementée qui englobe les opérations susvisées ;

- se faire communiquer par Foncière Mulan et Serris 15 ou tout tiers qui les détiendrait :

tout élément explicitant l'intérêt social de la société Serris 15 de révoquer la société Serris reim et/ou de désigner M. [L] comme président de Serris 15 par décision de l'associé unique ' Foncière Mulan représentée par la société Sogenial immobilier - du 21 décembre 2021 (notamment lettres, rapport du président, échanges et communications de ou entre la Foncière Mulan et/ou la société Sogenial immobilier et/ou M. [L] et/ou M. [G] et/ou M. [M]) ;

tout élément explicitant l'intérêt social de Serris 15 et de Foncière Mulan lors de l'augmentation de capital de Serris 15 du 21 décembre 2021 (notamment lettres, rapport du président, échanges et communications de ou entre Foncière Mulan et/ou Sogenial immobilier et/ou M. [L] et/ou M. [G] et/ou M. [M]) ;

tout élément explicitant l'intérêt social de la société opci fonciere Mulan de renoncer partiellement à son droit préférentiel de souscription (notamment lettres, rapport du président, changes et communications de ou entre entre Foncière Mulan et/ou Sogenial immobilier et/ou M. [L] et/ou M. [G] et/ou M. [M]) ;

le protocole d'accord du 18 février 2022 visé à la page 29 du rapport annuel et de gestion de Foncière Mulan établi par Sogenial pour l'exercice 2023 ;

tout élément, notamment correspondance, communication ou acte, préparant et/ou matérialisant un accord entre Foncière Mulan et/ou Sogenial immobilier et/ou M. [L] et/ou M. [G] et/ou M. [M] relatif à l'augmentation de capital de Serris 15 du 21 décembre 2021 ;

tout élément relatif à la politique de Sogenial immobilier de gestion des conflits d'intérêts entre les porteurs de parts et/ou actionnaires de Foncière Mulan ;

tout élément explicitant la conformité de l'opération d'augmentation de capital de Serris 15 du 21 décembre 2021 au regard de la politique de Sogenial immobilier de gestion des conflits d'intérêts ;

tout élément explicitant l'intérêt social de Serris 15 et de Foncière Mulan à conclure le contrat d'émission d'un emprunt obligataire d'un montant de 6.500 euros composé de 6.500 obligations convertibles en actions en date du 18 février 2022 (notamment lettres, rapport du président, changes et communications de ou entre entre Foncière Mulan et/ou Sogenial immobilier et/ou Serris 15 et/ou M. [L] et/ou M. [G] et/ou M. [M]) ;

tout élément explicitant l'intérêt social de Serris 15 et de Foncière Mulan à conclure le contrat d'émission d'un emprunt obligataire d'un montant de 25.000.000 composés de 25.000 obligations simples en date du 18 février 2022 avec la SELARD Bensaid avocats ès qualité de fiduciaire de la fiducie infinity (notamment lettres, rapport du président, changes et communications de ou entre Foncière Mulan et/ou Sogenial immobilier et/ou Serris 15 et/ou M. [L] et/ou M. [G] et/ou M. [M]) ;

tout élément relatif aux engagements pris et garanties données par Foncière Mulan au bénéfice de Serris 15 ;

tout élément relatif aux emprunts souscrits par Serris 15 dans le cadre du financement des acquisitions réalisées depuis le 31 décembre 2022 ;

tout élément financier et comptable de Serris 15 au titre de l'exercice 2022 ;

et plus généralement tout autre document complémentaire de nature juridique ou comptable que l'expert estimera utile pour le bon accomplissement de sa mission ;

- en tant que de besoin, entendre tout sachant que l'expert estimera utile ;

- en tant que de besoin, enquêter auprès de Sogenial immobilier en sa qualité de directeur général de Foncière Mulan, M. [L], M. [G] et M. [M] et leurs sociétés respectives Mak invest, Financiere hellbou et Argie invest, ainsi que Mme. [V] [L], Mme. [T] [L], Mme. [G] et leurs sociétés respectives, Apagan, Mak immo et Hiaste dès lors que tous sont parties la convention réglementée initiée par l'augmentation de capital de Serris 15 du 21 décembre 2021 ;

- prendre en considération et s'expliquer sur les dires et observations de MIF Investissements, Foncière Mulan et Serris 15 pouvant être formulés tout au long de l'expertise et jusqu'après la note de synthèse et/ou le pré-rapport que l'expert devra dresser sur l'opportunité et la régularité de la convention réglementée qui englobe les opérations susvisées et sur les conséquences financières de cette opération de gestion sur Foncière Mulan ;

- établir au terme de sa mission un rapport écrit rédigé comprenant une partie informative suivi d'un avis sur l'opportunité et la régularité de la convention réglementée qui englobe les opérations susvisées et sur les conséquences financières de cette opération sur Foncière Mulan ;

- fixer la provision qu'il lui plaira à valoir sur la rémunération de l'expert et autoriser toute partie intéressée à procéder à la consignation de la provision à compter de l'arrêt à intervenir ;

- renvoyer les parties en cas de difficulté dans l'organisation de l'expertise de gestion devant le juge chargé du contrôle des expertises du tribunal de commerce de Marseille ;

- condamner Foncière Mulan et Serris 15 in solidum à supporter la charge des frais et honoraires de l'expertise, y compris la provision susvisée, et le cas échéant à rembourser à la société MIF investissements toute somme qu'elle aurait avancée à ce titre ;

- ordonner un délai d'accomplissement de la mission de l'expert, ne pouvant excéder six (6) mois à compter de la date de consignation de la provision susvisée, sauf prorogation par le juge chargé du contrôle des expertises du tribunal de commerce de Marseille ;

- condamner Foncière Mulan et Serris 15 chacune à verser à la société MIF investissements une somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Foncière Mulan et Serris 15 in solidum aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, MIF investissements fait valoir que :

- L'actionnaire d'une société mère ou contrôlante se voit reconnaître le droit de réclamer des informations sur la gestion d'une filiale ; Les conditions tenant à ce que le demandeur détienne 5% au moins du capital de la société contrôlante, et à ce que la demande de référé soit précédée d'une question écrite au président de la société, objet de la demande d'expertise, sont réunies ;

- La demande d'expertise de gestion s'inscrit dans l'intérêt du groupe ;

- Une convention réglementée constitue une opération de gestion et peut donc faire l'objet d'une mesure d'expertise de gestion, et ce peu importe qu'elle ait été approuvée par la collectivité des associés ;

- Une convention réglementée n'est pas nécessairement régularisée de manière formelle et matérielle entre la société et ses dirigeants ; elle est cependant prouvée par le rapport Sogenial 2023 qui fait état d'un protocole d'accord ;

- Dès lors que des présomptions d'irrégularités ou d'atteintes à l'intérêt social sont relevées, la juridiction saisie est tenue d'ordonner l'expertise de gestion sollicitée ; le non-respect de la procédure des conventions réglementées constitue nécessairement une présomption d'irrégularité suffisante ; En toutes circonstances, les opérations litigieuses présentent un risque d'atteinte à l'intérêt social du groupe ;

Dans le dernier état de leurs conclusions notifiées et déposées le 5 juin 2024 auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile, Foncière Mulan et Serris 15 demandent à la cour, au visa des articles L. 225-231 et suivants, et L. 227-1 et suivants du code de commerce de :

- confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a débouté MIF Investissements de sa demande, considérant que l'expertise de gestion sollicité ne visait pas des opérations de gestion, et qu'elle ne revêtait aucun caractère sérieux ;

de manière incidente :

- réformer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a déclaré recevable la demande de la société MIF Investissements, considérant que le préalable relatif à l'interrogation des organes de gestion a été satisfait ;

- déclarer irrecevable la demande de MIF Investissement ;

à titre subsidiaire :

- débouter la société MIF Investissements de sa demande, comme infondée ;

en tout état de cause :

- condamner MIF Investissement à payer à Serris 15 et à Foncière Mulan la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner MIF Investissements aux entiers dépens.

Au soutien de leur prétentions, Foncière Mulan et Serris 15 font valoir que :

- Pour être recevable la demande relative à une expertise de gestion doit être précédée d'une vaine interrogation écrite des organes de gestions de la société concernée par l'opération, c'est à dire pour obtenir des réponses sur lesdites opérations de gestion ;

- Seules les décisions prises par les dirigeants de la société visée par la demande d'expertise peuvent être contrôlées, ce qui exclut du champ de l'expertise de gestion les opérations qui relèvent de la compétence d'une assemblée générale des associés ; relèvent de cette compétence la décision d'augmentation du capital d'une société, de même que la décision relative à l'émission d'un emprunt obligataire convertible en actions qui a vocation à augmenter le capital social de la société ;

- Ni l'opération envisagée dans son ensemble, ni chaque décision prise isolément ne constitue une convention réglementée ;

- La demande est dépourvue de caractère sérieux car elle ne vise à protéger que l'intérêt personnel de la demanderesse en qualité d'associée de Foncière Mulan, et non à préserver l'intérêt social du groupe ; en toutes circonstances l'intérêt social du groupe a été préservé dans le cadre des opérations en cause.

MOTIFS

En application de l'article L. 225-231 du code de commerce, rendu applicable aux sociétés par actions simplifiées par l'article L.227-1 alinéa3 du même code, un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5 % du capital social, soit individuellement, soit en se groupant sous quelque forme que ce soit, peuvent poser par écrit au président du conseil d'administration ou au directoire des questions sur une ou plusieurs opérations de gestion de la société, ainsi que, le cas échéant, des sociétés qu'elle contrôle au sens de l'article L. 233-3. Dans ce dernier cas, la demande doit être appréciée au regard de l'intérêt du groupe. La réponse doit être communiquée aux commissaires aux comptes.

À défaut de réponse dans un délai d'un mois ou à défaut de communication d'éléments de réponse satisfaisants, ces actionnaires peuvent demander en référé la désignation d'un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion.

Le respect de la procédure préalable conditionne la recevabilité de la demande d'expertise fondée sur l'article L. 225-231 du code de commerce, les questions doivent être posées au président du conseil d'administration, concerner des opérations de gestion, c'est-à-dire des actes émanant d'un organe de gestion ce qui exclut les décisions prises par l'assemblée générale des actionnaires, et concerner des actes de gestion clairement identifiés, la critique ne pouvant porter sur la politique générale de la société (Com 14 février 2006).

Les sociétés Foncière Mulan et Serris 15 soutiennent que les questions posées par la société MIF à M. [G] ne sont pas recevables en ce que ce dernier n'est pas un organe de gestion de Serris 15 et que les questions posées ne concernent pas des actes de gestion de Serris 15.

Ils contestent également le courrier adressé à l'OPCI Foncière Mulan qui n'est pas l'organe de gestion de la société Serris 15.

Sur ce, s'agissant de la procédure préalable à l'encontre de la société Serris 15, il est exclu de tenir compte d'une conversation privée qui ne répond pas aux critères du texte susvisé. Par ailleurs, les courriers échangés par voie électronique entre le président de la société MIF investissement et M. [G], ne sont pas faites au président du conseil d'administration de la société Serris 15 qui est M. [R] [L], ni même à la SAS Sogenial, directrice générale chargée de la gestion de la société Serris 15, le rôle de M. [G] au sein de la société Sogenial n'étant pas explicité.

L'appelante se prévaut d'un courrier du 16 juin 2023 adressé par le conseil de la société MIF à la SAS OPCI Foncière Mulan (pièce 20) qui évoque des décisions prises par le dirigeant de la SAS OPCI Foncière Mulan en sa qualité de président de la société Serris 15.

Il ne peut être admis, comme l'a fait le premier juge que ce courrier valait interrogation préalable du dirigeant de la SAS Serris 15, cependant, il vaut interrogation préalable du dirigeant de la SAS OPCI Foncière Mulan sur les opérations des sociétés qu'elle contrôle, en l'espèce la société Serris 15 qu'elle contrôle à hauteur de 50,1%.

La procédure est recevable à ce titre.

Comme l'a exactement rappelé le premier juge, la société MIF soutient que sa demande porte sur une opération de gestion déterminée, à savoir, une convention réglementée laquelle serait une opération globale constituée de l'augmentation de capital décidée pour la société Serris 15 au seul profit du dirigeant de l'OPCI Foncière Mulan et de ses proches, l'émission d'un emprunt obligataire convertible en actions par cette même société Serris 15 et du cautionnement donné par la société OPCI Foncière Mulan.

Or ces opérations, qu'elles soient prises isolément ou envisagées de manière globale, relèvent de la seule compétence des assemblées générales des sociétés concernées et ne constituent pas une opération de gestion imputable à l'organe de gestion de la société Serris 15 ou de la SAS OPCI Foncière Mulan.

C'est par conséquent exactement que le premier juge a débouté la société MIF Investissement de sa demande d'expertise de gestion fondée sur l'article L. 225-231 du code de commerce.

L'ordonnance de référé du 29 février 2024 est confirmée en toutes ses dispositions.

La SAS MIF Investissement, qui succombe, est condamnée aux dépens et au paiement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé du tribunal de commerce de Marseille du 29 février 2024,

Condamne la SAS MIF Investissement aux dépens,

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la SAS MIF Investissement à payer à la SAS OPCI Foncière Mulan et à la SAS Serris 15, ensemble, la somme de 5 000 euros.