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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 16 octobre 2024, n° 21/18176

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Peugeot Motocycles (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Douillet

Conseillers :

Mme Barutel, Mme Bohée

Avocats :

Me Desrousseaux, Me Morel-Fourrier, Me De Maria, Me Karsenty-Ricard, Me Moreau-Margotin

TJ Paris, du 7 sept. 2021, n° 15/06549

7 septembre 2021

***

La société de droit italien [T] & C. SpA (ci-après « la société [T] ») appartenant au groupe [T] créé en 1887, est spécialisée dans la conception, la fabrication et la distribution de véhicules à deux et trois roues, particulièrement de scooters, dont le modèle de scooter « VESPA » lancé en 1946, et plus récemment en 2006, le modèle « MP3 », qui est un scooter à trois roues, avec deux roues directrices à l'avant.

Dans le cadre de la conception et de la construction finale de ce scooter, elle expose être notamment titulaire des quatre brevets suivants :

- EP 1 363 794 (ci-après EP 794) déposé le 27 février 2001 sous priorité italienne du même jour, dont la demande a été publiée le 26 novembre 2003 et qui a été délivré le 24 mai 2006, intitulé « Véhicule à trois roues avec système de suspension à inclinaison», dont la partie française a été limitée le 28 mai 2019 ;

- EP 1 561 612 (ci-après EP 612) déposé le 1er février 2005 sous priorité italienne du 4 février 2004, dont la demande a été publiée le 10 août 2005 et qui a été délivré le 2 septembre 2008, intitulé « Dispositif anti-roulis pour véhicules »,

- EP 1 571 016 (ci-après EP 016) déposé le 1er février 2005 sous priorité italienne du 4 février 2004, dont la demande a été publiée le 7 septembre 2005 et qui a été délivré le 28 février 2008, intitulé « Dispositif de verrouillage pour suspension de véhicule » ;

- EP 1 635 234 (ci-après EP 234) déposé le 5 septembre 2005 sous priorité italienne du 8 septembre 2004, dont la demande a été publiée le 15 mars 2006 et qui a été délivré le 16 octobre 2014, intitulé « Système de contrôle pour groupes fonctionnelles d'un véhicule ».

L'apparence du modèle de scooter « MP3 » est protégée par un modèle communautaire 487723-0001, déposé le 2 mars 2006 dont est titulaire la société [T].

La société PEUGEOT MOTOCYCLES est une société spécialisée dans la fabrication et la distribution de scooters qui propose plusieurs gammes de scooters à deux roues depuis 1955, ainsi qu'une gamme de scooter à trois roues dénommée « METROPOLIS » depuis 2013.

Ayant constaté la commercialisation en France et en Italie par la société française PEUGEOT MOTOCYCLES du scooter « METROPOLIS » portant selon elle atteinte à ses droits de propriété intellectuelle, la société [T] a fait exécuter, après y avoir été autorisée le 13 mars 2015, une saisie-contrefaçon, au siège des Etablissements PEUGEOT MOTOCYCLES à MANDEURE (25), suivant procès-verbal du 8 avril 2015 et a, par acte du 6 mai 2015, fait assigner la même devant le tribunal de grande instance de Paris, en contrefaçon des revendications 1, 2, 7 à 9 de la partie française du brevet EP 794, des revendications 1, 3 et 5 de la partie française du brevet EP 612, des revendications 1, 2 et 3 de la partie française du brevet européen EP 016, des revendications 1 à 4, 6, 9 et 10 de la partie française du brevet européen EP 234, ainsi qu'en contrefaçon du dessin et modèle communautaire n° 487723-0001 ou subsidiairement en concurrence déloyale, et en parasitisme.

Par ordonnance du 14 avril 2016, le juge de la mise en état a notamment ordonné un sursis à statuer du fait d'oppositions pendantes devant l'OEB, formées par les sociétés PEUGEOT et YAMAHA, à l'encontre du brevet EP 234.

La décision de la division d'opposition de l'OEB est intervenue le 20 décembre 2016, mais a été contestée par les deux parties devant la chambre des recours.

Le juge de la mise en état a refusé, par ordonnance du 19 octobre 2017, d'ordonner un nouveau sursis et a désigné M. [L] [S] en qualité d'expert, pour procéder à une expertise de tri des pièces collectées dans le cadre de la saisie-contrefaçon.

Le rapport d'expertise a été déposé le 13 février 2018.

La chambre des recours de l'Office européen des brevets a révoqué le brevet EP 234 le 17 juillet 2018, au motif que la revendication 1 était dépourvue de nouveauté.

Par ailleurs, deux procédures ont opposé les parties en Italie devant le tribunal de Milan.

Dans un premier jugement rendu le 21 juillet 2020, le tribunal a reconnu la validité des brevets EP 794 et EP 016 de la société [T] mais l'a déboutée de ses demandes en contrefaçon de brevets et dessins et modèles. La société [T] a interjeté appel de ce jugement.

Dans un second jugement rendu le 20 septembre 2021, le tribunal de Milan a rejeté la demande en nullité du brevet EP 612 formée par la société PEUGEOT MOTOCYCLES, a retenu que le scooter « METROPOLIS » constitue la contrefaçon des revendications 1, 2 et 5 de ce brevet et a ordonné le retrait des circuits de commercialisation de ces véhicules sous astreinte.

Par arrêt du 14 octobre 2022, la cour d'appel de Milan a confirmé la validité du brevet EP 612 et la contrefaçon.

Par un arrêt du 10 avril 2024, la première chambre civile de la Cour suprême de cassation en Italie a rejeté le pourvoi formé par les sociétés PEUGEOT contre cet arrêt.

Dans le cadre de ces contentieux en Italie, deux experts ont été nommés.

Un premier expert (M. [O]) a retenu que les brevets EP 612, EP 016 et EP 794 étaient valables et que le modèle « METROPOLIS » contrefaisait les revendications 1, 2 et 5 du brevet EP 612.

Un second expert (M.[U]) a été désigné et a conclu à la nullité de la revendication 1 du brevet EP 612 (pour défaut de nouveauté au regard de l'antériorité GB 167) et à la validité des autres revendications.

Par jugement contradictoire du 7 septembre 2021 dont appel, le tribunal judiciaire de Paris a statué en ces termes :

Déboute la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS de sa demande en nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 08 avril 2015, pour défaut d'impartialité de l'expert, absence de preuves raisonnablement accessibles de l'atteinte alléguée et déloyauté, et pour révocation du brevet EP 234,

Dit non prescrites les demandes en nullité de la partie française des brevets EP 794, EP 612 et EP 016 formées par la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS, par voie d'exception,

Déboute la société [T] & C. SpA de sa demande en contrefaçon de la partie française des revendications 1, 2, 7 et 8 de la partie française du brevet EP 1 363 794, dont elle est titulaire,

Dit sans objet les demandes subsidiaires en nullité du brevet précité, pour extension au-delà de la demande et pour défaut d'activité inventive,

Déclare nulle pour défaut de nouveauté, la revendication 1 de la partie française du brevet EP 1 561 612 dont est titulaire la société [T] & C.SpA,

Dit sans objet le grief de défaut d'activité inventive de la revendication 1 de la partie française du brevet EP 1 561 612,

Déclare valables la revendication 2 et les revendications 3 à 5, 9,12, 13, 15 et 16 qui en sont dépendantes, de la partie française du brevet EP 1 561 612,

Dit que la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS a, en fabriquant et commercialisant le scooter Metropolis, commis des actes de contrefaçon des revendications 2, 5 et 9 de la partie française du brevet EP 1 561 612, dont est titulaire la société [T] & C.SpA,

Déclare irrecevable la demande en contrefaçon de la revendication 12 du brevet précité,

Déboute la société [T] & C.SpA de ses demandes en contrefaçon des revendications 3, 4, 13, 15 et 16 de la partie française du brevet EP 1 561 612,

Déboute la société [T] & C.SpA de son action en contrefaçon des revendications 1 à 3 de la partie française du brevet EP 1 571 016 dont elle est titulaire,

Dit sans objet les demandes subsidiaires formées par la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS, en nullité des revendications 1 à 3 de la partie française du brevet EP 1 571 016,

Déboute la société [T] & C.SpA de ses prétentions au titre de la contrefaçon du modèle communautaire n° 487723-0001, dont est titulaire la société [T],

Dit sans objet la demande subsidiaire formée par la société [T] C.SpA, en concurrence déloyale,

Condamne la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS à payer à la société [T] & C.SpA, la somme de 15 000 euros, en réparation à l'atteinte à la valeur de la partie française du brevet EP1 561 612 et la somme d'un million et demi d'euros, en réparation du préjudice économique subi par la société [T] & C.SpA, du fait de la reproduction des revendications 2, 5 et 9 de la partie française du brevet EP1 561 612, dont est titulaire la société [T] & C.SpA,

Dit n'y avoir lieu à la demande de droit d'information et de rappel des circuits commerciaux des scooters PEUGEOT Métropolis,

Fait interdiction à la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS de poursuivre les actes de contrefaçon et notamment la fabrication, production, reproduction, promotion, commercialisation, mise sur le marché, vente, importation, exportation, utilisation et/ou détention en France, sous quelque forme et manière que ce soit, de tout véhicule à trois roues reproduisant les revendications 2, 5 et 9 de la partie française du brevet EP 1 561 612 et ce, sous astreinte de 1 000 euros par produit fabriqué, importé, offert en vente, vendu, utilisé ou détenu, à compter de la signification du jugement à intervenir,

Dit n'y avoir lieu à publication judiciaire du présent jugement,

Déboute la société [T] & C. SpA de ses demandes au titre du parasitisme ;

Déboute la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Condamne la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS aux dépens ;

Condamne la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS à payer à la société [T] & C.SpA, la somme de 100 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

La société PEUGEOT MOTOCYCLES a interjeté appel de ce jugement le 18 octobre 2021.

Le 29 novembre 2021, la société [T] a formé un incident afin de solliciter l'exécution provisoire des mesures d'interdiction et de réparation prononcées par le tribunal à l'encontre de la société PEUGEOT MOTOCYCLES compte tenu de la situation d'urgence dans laquelle elle se trouvait, de l'ancienneté des faits de contrefaçon constatés et de l'expiration prochaine du brevet EP 612.

Par ordonnance du 8 mars 2022, le conseiller de la mise en état a rejeté cette demande.

Par ordonnance du 10 janvier 2023, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande d'expertise présentée par la société PEUGEOT MOTOCYCLES.

Dans ses dernières conclusions numérotées 4, transmises le 5 avril 2024, la société PEUGEOT MOTOCYCLES, appelante, demande à la cour de :

Vu les articles L613-3 et suivants, l'article L.614-12 du Code de la propriété intellectuelle, ensemble l'article 138(1) de la Convention sur le brevet européen et les articles L.615-5 et suivants du Code de la propriété intellectuelle,

Vu les articles 699 et 700 du Code de procédure civile,

Confirmer le jugement du Tribunal judiciaire de Paris du 7 septembre 2021 rendu par la 3ème section de la 3ème chambre de ce tribunal sous le numéro de répertoire général 15/06549, en ce qu'il a :

Dit non prescrites les demandes en nullité de la partie française des brevets EP 1 363 794, EP 1 561 612 et EP 016 ;

Débouté la société [T] & C. SpA de sa demande en contrefaçon de la partie française des revendications 1, 2, 7 et 8 de la partie française du brevet EP 1 363 794 ;

Déclaré nulle pour défaut de nouveauté, la revendication 1 de la partie française du brevet EP 1 561 612 ;

Déclaré irrecevable la demande en contrefaçon de la revendication 12 du brevet EP 1 561 612;

Débouté la société [T] & C.SpA de sa demande en contrefaçon des revendications 3, 4, 13, 15 et 16 de la partie française du brevet EP 1 561 612 ;

Débouté la société [T] & C.SpA de sa demande en contrefaçon des revendications 1 à 3 de la partie française du brevet EP 1 571 016 ;

Débouté la société [T] & C.SpA de sa demande au titre de la contrefaçon du modèle communautaire n° 487723-0001 ;

Dit sans objet la demande subsidiaire formée par la société [T] C.SpA, en concurrence déloyale ;

Dit n'y avoir lieu à la demande de droit d'information et de rappel des circuits commerciaux des scooters Métropolis ;

Dit n'y avoir lieu à publication judiciaire du jugement ;

Infirmer ce même jugement en ce qu'il a :

Déclaré valables la revendication 2 et les revendications 3 à 5, 9, 12, 13, 15 et 16 qui en sont dépendantes, de la partie française du brevet EP 1 561 612 ;

Dit que la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS a, en fabriquant et commercialisant le scooter Metropolis, commis des actes de contrefaçon des revendications 2, 5 et 9 de la partie française du brevet EP 1 561 612, dont est titulaire la société [T] & C.SpA ;

Condamné la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS à payer à la société [T] & C.SpA, la somme de 15 000 euros, en réparation à l'atteinte à la valeur de la partie française du brevet EP1 561 612 et la somme d'un million et demi d'euros, en réparation du préjudice économique subi par la société [T] & C.SpA, du fait de la reproduction des revendications 2, 5 et 9 de la partie française du brevet EP1 561 612, dont est titulaire la société [T] & C.SpA ;

Fait interdiction à la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS de poursuivre les actes de contrefaçon et notamment la fabrication, production, reproduction, promotion, commercialisation, mise sur le marché, vente, importation, exportation, utilisation et/ou détention en France, sous quelque forme et manière que ce soit, de tout véhicule à trois roues reproduisant les revendications 2, 5 et 9 de la partie française du brevet EP 1 561 612 et ce, sous astreinte de 1 000 euros par produit fabriqué, importé, offert en vente, vendu, utilisé ou détenu, à compter de la signification du jugement à intervenir, condamné la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS aux dépens ;

Condamné la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS à payer à la société [T] & C.SpA, la somme de 100 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamné la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS aux dépens ;

Et statuant à nouveau,

A titre principal :

Annuler les revendications 1 à 5, 9, 12, 13, 15 et 16 de la partie française du brevet EP-B-1 561 612 ;

Débouter la société [T] & C S.p.A de ses demandes en contrefaçon des revendications 1 à 5, 9, 12, 13, 15 et 16 de la partie française du brevet EP-B-1 561 612 par les véhicules Metropolis I, II et III ;

Ordonner la transmission de l'arrêt à intervenir à l'INPI aux fins d'inscription auprès du Registre National des Brevets ;

Débouter la société [T] & C S.p.A pour le surplus de ses demandes ;

Condamner la société [T] & C S.p.A à payer à la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS la somme de 666 000 euros (six cent soixante-six mille euros) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais exposés en première instance ;

Condamner la société [T] & C S.p.A à payer à la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS la somme de 100 000 euros (cent mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel ;

Condamner la société [T] & C S.p.A aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction, s'agissant des dépens d'appel, au profit de la SCP August & Debouzy et associés en application de l'article 699 du code de procédure civile.

A titre subsidiaire :

Juger n'y avoir lieu à faire interdiction à la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS de poursuivre les actes de fabrication, production, reproduction, promotion, commercialisation, mise sur le marché, vente, importation, exportation, utilisation et/ou détention en France, de ses scooters Metropolis I, II et III ;

Juger n'y avoir lieu à ordonner le rappel par la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS de ses scooters Metropolis I, II et III ;

Juger que la société [T] & C S.p.A ne peut prétendre à la réparation de son préjudice moral et financier qu'à hauteur de la somme de 625 108 euros pour la période allant jusqu'à l'arrêt à intervenir, dès lors que la part du dispositif contrefait dans les bénéfices de PEUGEOT MOTOCYCLES SAS est au mieux de 1,4 %, compte tenu du nombre de titres de propriété industrielle détenus par [T] & C S.p.A. sur les systèmes anti-tilting,

Juger que la société [T] & C S.p.A peut prétendre à réparation du préjudice financier subi du fait des ventes de scooters après l'arrêt à venir de la Cour d'appel, en l'absence de mesure d'interdiction, à hauteur de 42 000 euros,

Débouter la société [T] & C S.p.A pour le surplus de ses demandes ;

A titre plus subsidiaire :

Juger n'y avoir lieu à faire interdiction à la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS de poursuivre les actes de fabrication, production, reproduction, promotion, commercialisation, mise sur le marché, vente, importation, exportation, utilisation et/ou détention en France, de ses scooters Metropolis I, II et III ;

Juger n'y avoir lieu à ordonner le rappel par la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS de ses scooters Metropolis I, II et III ;

Juger que la société [T] & C S.p.A ne peut prétendre à la réparation de son préjudice moral et financier qu'à hauteur de la somme de 2 110 000 euros pour la période allant jusqu'à l'arrêt à intervenir, cette somme correspondant aux dommages ordonnés par le tribunal au prorata des scooters vendus depuis le jugement et jusqu'à l'arrêt à intervenir,

Juger que la société [T] & C S.p.A peut prétendre à réparation du préjudice financier subi du fait des ventes de scooters après l'arrêt à venir de la Cour d'appel, en l'absence de mesure d'interdiction, à hauteur de 42 000 euros,

Débouter la société [T] & C S.p.A pour le surplus de ses demandes.

Dans ses dernières conclusions numérotées 2, transmises le 12 mars 2024, la société [T] & C S.p.A., intimée et appelante incidente, demande à la cour de :

Vu les articles L.613-3, L.615-1, L.615-5-2, L. 615-7, L. 615-7-1, L.513-4, L. 521-5, L. 521-7 et L. 521-8 du Code de la propriété intellectuelle,

Vu l'article 1240 du Code civil,

Vu le brevet européen EP 1 561 612 B1

Vu le modèle communautaire n°487723-0001,

Sur la validité des revendications 1, 2 , 3 à 5, 9, 12, 13, 15 et 16 du Brevet EP'612

1/Sur la prescription des demandes reconventionnelles en annulation de brevet.

Infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

Dit non prescrites les demandes en nullité de la partie française du brevet EP 612 et formées par la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS,

Statuant à nouveau,

Dire et juger que la demande reconventionnelle en annulation formée par la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS en date du 18 octobre 2018 est irrecevable dès lors qu'elle est prescrite et infondée,

2/ Sur la validité des revendications 1,2,3 à 5, 9, 12, 13, 15 et 16 du Brevet EP'612,

Confirmer le jugement en ce qu'il a :

Déclare valables la revendication 2 et les revendications 3 à 5, 9, 12, 13, 15 et 16 qui en sont dépendantes, de la partie française du brevet EP 1 561 612,

L'infirmer en ce qu'il a :

Déclaré nul pour défaut de nouveauté, la revendication 1 de la partie française du brevet EP 1 561 612 dont est titulaire la société [T] & C.SpA,

Statuant à nouveau,

Déclarer valable la revendication 1 de la partie française du brevet EP 1 561 612

En tout état de cause, constater la validité des revendications 1 à 5, 9, 12, 13, 15 et 16 du brevet européen EP 1 561 612 ;

Sur la contrefaçon des revendications 1 à 5, 9, 13, 15 et 16 du brevet EP'612 et du modèle communautaire n° 487723-0001 et ses conséquences

1/ Sur la contrefaçon des revendications 1 à 5, 9, 13, 15 et 16 du brevet EP'612 et du modèle communautaire n° 487723-0001

Confirmer le jugement en ce qu'il a :

Dit que la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS a, en fabriquant et commercialisant le scooter Metropolis, commis des actes de contrefaçon des revendications 2, 5 et 9 de la partie française du brevet EP 1 561 612, dont est titulaire la société [T] & C.SpA,

Fait interdiction à la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS de poursuivre les actes de contrefaçon et notamment la fabrication, production, reproduction, promotion, commercialisation, mise sur le marché, vente, importation, exportation, utilisation et/ou détention en France, sous quelque forme et manière que ce soit, de tout véhicule à trois roues reproduisant les revendications 2, 5 et 9 de la partie française du brevet EP 1 561 612 et ce, sous astreinte de 1 000 euros par produit fabriqué, importé, offert en vente, vendu, utilisé ou détenu, à compter de la signification du jugement à intervenir,

L'infirmer en ce qu'il a :

Débouté la société [T] & C.SpA de ses demandes en contrefaçon des revendications 3, 4, 13, 15 et 16 de la partie française du brevet EP 1 561 612,

Débouté la société [T] & C.SpA de ses prétentions au titre de la contrefaçon du modèle communautaire n° 487723-0001, dont est titulaire la société [T],

Statuant à nouveau,

Juger que la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS a commis des actes de contrefaçon des revendications 1 à 5, 9, 13, 15 et 16 du brevet européen EP 1 561 612 ;

Juger, au regard des deux premières versions du scooter METROPOLIS, que la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS se rend coupable de la contrefaçon des droits issus du modèle communautaire n° 487723-0001 ;

2/ En conséquence, sur la réparation des préjudices nés des actes de contrefaçon

Confirmer le jugement en ce qu'il a retenu le principe de condamnation de la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS à indemniser les préjudices subis par la société [T] & C.SpA du fait des actes de contrefaçon,

L'INFIRMANT sur le montant accordé,

Et statuant à nouveau :

Condamner la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS à payer à la société [T] & C.SpA, la somme de 100 000 euros, en réparation du préjudice moral subi par la société [T] & C.SpA, ,

Condamner la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS à payer à la société [T] & C.SpA, la somme de 22.500.000 euros, en réparation du préjudice économique subi par la société [T] & C.SpA, du fait de la reproduction des revendications 1 à 5, 9, 13, 15 et 16 de la partie française du brevet EP1 561 612 et du modèle communautaire dont est titulaire la société [T] & C.SpA ;

Sur le parasitisme

Infirmer le jugement en ce qu'il a :

Débouté la société [T] & C. SpA de ses demandes au titre du parasitisme,

Statuant à nouveau,

Juger que la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS se rend coupable d'actes de parasitisme à l'encontre de la société [T] S.p.A ;

Condamner la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS, à payer à la société [T] S.p.A., en réparation du préjudice du fait distinct des actes de concurrence parasitaire, la somme de 500.000 euros à titre de dommages et intérêts provisionnels ;

Sur les autres demandes de la SOCIETE [T] formulées en tout état de cause

INFIRMER le jugement en ce qu'il a :

Dit n'y avoir lieu à la demande de droit d'information et de rappel des circuits commerciaux des scooters PEUGEOT Métropolis,

Dit n'y avoir lieu à publication judiciaire du présent jugement,

Statuant à nouveau,

Ordonner le rappel des circuits commerciaux et la remise à la société [T] S.p.A., aux frais de la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS, de tout véhicule contrefaisant les revendications 1 à 5, 9, 13, 15 et 16 de la partie française du brevet EP 1 561 612 B1, en possession de la défenderesse à la date du jugement à intervenir et assortir cette mesure d'une astreinte de 10.000 euros par jour de retard passé un délai d'un mois suivant la signification du jugement à intervenir ;

Enjoindre à la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS de communiquer, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard, dans un délai d'un mois à compter de la signification du jugement à intervenir, les informations ou documents suivants:

les nom et adresse des fabricants, distributeurs, fournisseurs du modèle de commande (UCE) argué de contrefaçon ;

les quantités produites et commercialisées de scooter METROPOLIS en France depuis sa première commercialisation ;

ainsi que sur le prix obtenu pour les scooters et la marge bénéficiaire réalisée, avec le détail des marges brutes et des marges nettes réalisées en France depuis sa première commercialisation.

Dire que ces documents et informations comptables et financiers devront être certifiés par un Cabinet d'expertise-comptable ;

Ordonner, à titre de dommages et intérêts complémentaires, la publication par extrait du jugement à intervenir dans cinq journaux, revues et/ou périodiques du choix de la demanderesse, aux frais exclusifs de la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS, sans que le coût de chacune de ces insertions puisse excéder la somme de 10.000 euros Hors Taxes ;

Ordonner la publication du jugement à intervenir sur la page d'accueil du site Internet de la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS et ce, pendant une durée de 6 mois, aux seuls frais de la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS, sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir, et autoriser la publication du jugement sur le propre site Internet de la société [T] S.p.A ;

et y ajoutant,

Faire interdiction à la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS de poursuivre les actes de contrefaçon et des actes parasitaires, et notamment la fabrication, production, reproduction, promotion, commercialisation, mise sur le marché, vente, importation, exportation, utilisation et/ou détention en Europe sous quelque forme et manière que ce soit, des scooters METROPOLIS qui contrefont ses scooters MP3, reproduisant les revendications 1 à 5, 9, 13, 15 et 16 de la partie française du brevet EP'612 portant sur le scooter MP3 de la société [T] ainsi que le modèle communautaire n°487723-0001 et ce sous astreinte de 5.000 euros par infraction constatée, à compter de la signification de l'arrêt à intervenir.

Condamner la société PEUGEOT MOTOCYCLES à verser à titre complémentaire aux dommages et intérêts, une somme supplémentaire de 2,145 millions d'euros à la société [T] dans le cas où la mesure d'interdiction ne serait pas prononcée.

Débouter la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

Condamner la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS, à payer à la société [T] S.p.A. la somme de 200.000 euros au titre de l'article 700 d'appel du Code de procédure civile ;

La condamner aux entiers dépens, y compris les coûts de la saisie-contrefaçon.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 mai 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur les chefs non contestés du jugement

Le jugement n'est pas contesté en ce qu'il a :

débouté la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS de sa demande en nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 8 avril 2015, pour défaut d'impartialité de l'expert, absence de preuves raisonnablement accessibles de l'atteinte alléguée et déloyauté, et pour révocation du brevet EP 234,

dit non prescrites les demandes en nullité de la partie française des brevets EP 794 et EP 016 formées par la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS, par voie d'exception,

débouté la société [T] & C. SpA de sa demande en contrefaçon de la partie française des revendications 1, 2, 7 et 8 de la partie française du brevet EP 1 363 794, dont elle est titulaire,

dit sans objet les demandes subsidiaires en nullité du brevet précité, pour extension au-delà de la demande et pour défaut d'activité inventive,

déclaré irrecevable la demande en contrefaçon de la revendication 12 du brevet EP 612 précité,

dit sans objet les demandes subsidiaires formées par la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS, en nullité des revendications 1 à 3 de la partie française du brevet EP 1 571 016,

dit sans objet la demande subsidiaire formée par la société [T] C.SpA, en concurrence déloyale,

débouté la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive ;

dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Il est donc définitif sur ces points.

Sur la prescription de la demande en nullité du brevet EP 612

La société [T] soutient que la demande reconventionnelle en annulation du brevet EP 612 soulevée pour la première fois le 18 octobre 2018 par la société PEUGEOT MOTOCYCLES est prescrite. Elle rappelle que l'article L.615-8-1 du code de la propriété intellectuelle tel qu'issu de la loi PACTE n° 2019-486 du 22 mai 2019, qui institue l'imprescriptibilité de l'action en nullité de brevet, n'a pas d'effet rétroactif, conformément à l'article 2 du Code civil, ajoutant que les exceptions au principe de non-rétroactivité sont d'interprétation stricte, de sorte que toute loi nouvelle ne prévoyant pas expressément une dérogation au principe de non rétroactivité ne peut être implicitement reconnue comme telle.

Elle estime que c'est à tort que le tribunal s'est fondé sur l'article 124 de la loi Pacte pour dire que le nouveau droit prévoyant l'imprescriptibilité des actions en nullité des titres de propriété industrielle était applicable, y compris aux actions qui auraient été prescrites sous l'empire de l'ancien droit, compte tenu de la volonté du législateur de faire disparaître tous les titres nuls.

Elle en déduit que cette demande formée depuis plus de cinq après la date de publication de la demande (le 10 août 2005) ou de la date de délivrance du brevet EP 612 (le 2 septembre 2009) est prescrite. Elle ajoute que ce délai a en tout état de cause commencé à courir au plus tard dès le 11 juillet 2012, date à laquelle la société PEUGEOT a déposé une demande de brevet concernant un « train roulant pour véhicule à deux roues avant inclinables latéralement » ou en mai 2013, date de lancement du scooter Metropolis.

En réponse, la société PEUGEOT MOTOCYCLES considère que son action n'est pas prescrite en vertu de l'article L. 615-8-1 du code de la propriété intellectuelle institué par la loi PACTE et de son article 124, de sorte que l'imprescriptibilité s'applique aux titres en vigueur au jour de la publication de cette loi, que la prescription ait ou non été acquise.

Elle soutient, à titre subsidiaire, que la nullité des revendications est invoquée à titre d'exception et qu'elle est donc imprescriptible.

L'article L. 615-8-1 du code de la propriété intellectuelle issu de la loi Pacte 2019-486 du 22 mai 2019 dispose que « L'action en nullité d'un brevet n'est soumise à aucun délai de prescription.»

L'article 124 III de la loi PACTE rappelle en outre que « ces dispositions s'appliquent aux titres en vigueur au jour de la publication de la loi. Ils sont sans effet sur les décisions ayant force de chose jugée. »

Avant l'entrée en vigueur de la loi 2019-486 du 22 mai 2019, l'action principale en nullité d'un brevet était soumise au délai de prescription de droit commun prévu à l'article 2224 du code civil aux termes duquel « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ».

L'article 2 du code civil prévoit que la loi ne dispose que pour l'avenir et qu'elle n'a pas d'effet rétroactif.

En l'absence d'une volonté contraire expressément affirmée, la loi ne peut produire effet que pour l'avenir. Il résulte de ce principe que, lorsque le législateur modifie le délai d'une prescription, cette loi n'a point d'effet sur la prescription définitivement acquise (Cass., Civ.1, 27 septembre 1983, 82-13.035).

Enfin l'article 2222 du code civil prévoit que « La loi qui allonge la durée d'une prescription ou d'un délai de forclusion est sans effet sur une prescription ou une forclusion acquise. Elle s'applique lorsque le délai de prescription ou le délai de forclusion n'était pas expiré à la date de son entrée en vigueur. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé ».

Il résulte de ces dispositions que lorsque le législateur allonge le délai d'une prescription, cette loi n'a pas d'effet sur la prescription définitivement acquise, à moins qu'une volonté contraire soit expressément affirmée dans ladite loi.

Les nouvelles dispositions relatives à la prescription de l'action en nullité d'un brevet doivent être considérées comme allongeant la durée de la prescription, puisqu'elles rendent celle-ci imprescriptible. En outre, aucune mention expresse dans le texte en cause ne révèle une volonté du législateur d'appliquer les nouvelles dispositions aux prescriptions définitivement acquises.

Il s'ensuit que le nouvel article L. 615-8-1 du code de la propriété intellectuelle n'est pas applicable aux actions en nullité de brevet dont la prescription était déjà acquise lors de l'entrée en vigueur de la loi Pacte le 24 mai 2019.

Il convient donc d'examiner si l'action en annulation initiée par la société PEUGEOT MOTOCYCLES à l'encontre du brevet EP 612, se trouvait déjà prescrite à la date de publication de la loi Pacte, le 23 mai 2019.

Or, que l'on envisage comme point de départ de la prescription, non discuté au demeurant par la société PEUGEOT MOTOCYCLES, la date de publication de la demande de brevet EP 612 (10 août 2005), la date de délivrance de ce brevet ( 2 septembre 2009), le lancement du modèle MP3 par la société [T] en 2006, l'annonce par Peugeot en 2008 du développement d'un scooter à trois roues en 2008, faisant l'objet d'une demande de brevet 2 993 207 le 11 juillet 2012 intitulé « train roulant pour véhicule à deux roues avant inclinables latéralement », la cour retient qu'un constructeur de l'envergure de la société PEUGEOT MOTOCYCLES ne pouvait ignorer le brevet déposé par la société [T], leader sur le marché des scooters à trois roues depuis 2006 et son principal concurrent direct, au plus tard à la date de la publication de sa demande de brevet , et connaissait à cette date les faits lui permettant d'exercer son action, au sens de l'article 2224 du code civil régissant le point de départ de la prescription quinquennale alors applicable.

En conséquence, en présentant une demande reconventionnelle en annulation du brevet EP 612 pour la première fois le 18 octobre 2018, il convient de retenir que son action était prescrite au moins depuis le 11 juillet 2017, soit avant la publication de la loi PACTE.

Le principe nouveau d'imprescriptibilité ne saurait, conformément aux développements ci-dessus, faire renaître ce droit éteint, de sorte que la demande reconventionnelle en annulation du brevet EP 612 formée à titre principal doit être jugée irrecevable comme étant prescrite, le jugement dont appel étant infirmé de ce chef.

Cependant, la cour rappelle qu'en vertu des articles 71 et 72 du code de procédure civile, une défense au fond, qui constitue tout moyen tendant à faire rejeter comme non justifiée, après examen du fond du droit, la prétention de l'adversaire, peut être proposée en tout état de cause, ce dont les deux parties conviennent.

En conséquence, les moyens présentés par la société PEUGEOT MOTOCYCLES au titre de la nullité du brevet EP 612 qui lui est opposé au titre de la contrefaçon constituant une défense au fond échappent à la prescription et l'appelante est en conséquence fondée à les invoquer dans la présente instance.

Présentation et portée du brevet EP 612

Présentation du brevet

Le brevet EP 612, dont la demande a été déposée le 1er février 2005 par la société [T], délivré le 2 septembre 2008, intitulé « Dispositif anti-roulis pour véhicules », concerne un dispositif anti-roulis pour véhicules à trois ou quatre roues, afin d'empêcher un mouvement d'oscillation d'un véhicule autour de son axe longitudinal (roll) et la chute latérale de l'engin, pendant les arrêts ou la marche à vitesse réduite. Mentionnant l'intérêt croissant pour les véhicules « hybrides » alliant à la fois les caractéristiques d'une motocyclette en termes de manipulation et la stabilité habituelle des véhicules à quatre roues, le fascicule du brevet décrit un véhicule à trois roues, déjà connu de l'art antérieur, comportant un système de direction avant basé sur une cinématique quadrilatère articulée (un quadrilatère articulé) [page 1 lignes 6 à 23], deux roues directrices avant et une roue arrière fixe et deux suspensions avant indépendantes, qui permet aux roues avant, dans les virages, de rester substantiellement adhérentes au terrain, mais déplore « en raison de la particularité structurelle de ce type de véhicule » le risque de basculement du quadrilatère articulé, dans certaines conditions de déplacement, comme celles d'une vitesse très faible ou à l'arrêt et en stationnement [page 1 lignes 25- 27].

Ainsi, les avantages en termes de stabilité et de maniabilité du véhicule apportés par la structure quadrilatérale articulée et par les suspensions indépendantes associées aux deux roues avant directrices notamment quand le scooter circule normalement, suivant alors le mouvement de roulis de l'engin notamment dans les virages, peuvent dans certaines conditions et particulièrement à l'arrêt ou à faible vitesse entraîner des problèmes d'équilibre latéral avec le risque que le véhicule tombe.

Le brevet se propose donc, pour garantir tant la maniabilité d'un véhicule à deux roues, que la stabilité d'un véhicule à quatre roues, de fournir pour un engin à trois ou quatre roues, équipé d'un système de direction avant, doté d'une structure quadrilatère articulée et de deux suspensions indépendantes, un dispositif anti-roulis fiable et sûr [page 1 lignes 28 à 33 et page 2 lignes 1-2] et également simple et rentable [page 2 lignes 3-4], comprenant un élément d'arrêt, un élément de verrouillage et un groupe de stationnement [page 2 lignes 9 à 16]. La description suggère secondairement d'y associer, conjointement au blocage des roues, un dispositif d'arrêt de courses des suspensions avant, commandé par le même groupe de stationnement.

Le véhicule concerné doté de deux roues directrices avant et d'une roue arrière, est ainsi équipé d'un système de direction avant à structure quadrilatère articulée [page 2 lignes 9-10; page 3 lignes 11-12], réalisé avec deux traverses horizontales rigides, reliées au cadre par le biais de tiges cylindriques fixées en leur centre et deux tubes disposés sur le côté des traverses horizontales et reliés aux suspensions avant indépendantes [page 3 lignes 12 à 14]; les deux roues avant possèdent chacune une suspension indépendante, laquelle est dotée d'un amortisseur indépendant [page 3 lignes 9 et 10].

Le véhicule est équipé d'un dispositif anti-roulis qui comporte :

- un élément d'arrêt, qui peut être un disque de frein de type quadrant, solidaire de la traverse supérieure du quadrilatère [page 3 lignes 18 à 20 ; lignes 30-32], qui suit le mouvement du quadrilatère [page 4 ligne 1], muni d'un étrier [page 4 lignes 2 à 6] ;

- un élément de verrouillage qui verrouille la position de l'élément d'arrêt par rapport au cadre du véhicule et empêche le roulis [page 3 lignes 23-25],

- un groupe de stationnement, qui commande l'étrier, l'élément de verrouillage, qui se ferme sur le disque de frein et qui agit également sur les dispositifs d'arrêt de course des suspensions.

Ce dispositif anti-roulis comporte également un dispositif d'arrêt de course de chacune des suspensions [page 3 lignes 26-27], qui comprennent chacune, un amortisseur doté de deux parties relativement coulissantes [page 3 lignes 30 à 32], d'une tige solidaire et d'un étrier de frein [page 4 lignes 14 à 22], et qui est activé par le groupe de stationnement précité.

Le fascicule du brevet comporte huit figures et seize revendications, dont une principale et les autres dépendantes.

Figure 1

Les revendications 1 à 5, 9, 12 13, 15 et 16, seules opposées au soutien de l'action de la titulaire, sont libellées comme suit :

- revendication 1 : « Dispositif anti-roulis (1) pour un véhicule (100) du type équipé d'un système de direction avant avec une structure (41,42,37,36) quadrilatérale articulée et avec deux suspensions avant (34, 35) indépendantes, caractérisé en ce qu'il comprend au moins un élément d'arrêt (2), intégralement avec un élément de ladite structure quadrilatérale dans ses mouvements de roulis, au moins un élément de verrouillage (3) pour verrouiller la position dudit au moins un élément d'arrêt (2) empêchant les mouvements de roulis de ladite structure (41,42,37,36) quadrilatérale, et un groupe de stationnement (4) guidé par des moyens de commande (20) pour commander ledit élément de verrouillage ».

- revendication 2 : « Dispositif anti-roulis (1) selon la revendication 1, caractérisé en ce que ledit groupe de stationnement (4) agit aussi sur au moins un dispositif d'arrêt de course (14,14') desdites suspensions avant (34,35) ».

- revendication 3 : « Dispositif anti-roulis (1) selon les revendications 1 et 2, caractérisé en ce que ledit groupe de stationnement (4) agit aussi sur une mâchoire de frein (10) du frein arrière du véhicule ».

- revendication 4 : « Dispositif anti-roulis (1) selon l'une quelconque des revendications précédentes, caractérisé en ce que ledit groupe de stationnement (4) comprend un actionneur de stationnement (5) agissant sur une vis sans fin (19) pour activer une pompe (12) reliée à un système hydraulique (13) adapté à la commande dudit élément de verrouillage (3) et dudit élément d'arrêt de course (14) ».

- revendication 5 : « Dispositif anti-roulis (1) selon l'une quelconque des revendications précédentes, caractérisé en ce que ledit élément de verrouillage (3) comprend un élément (23) d'étrier fermement attaché au cadre dudit véhicule (100), commandé pour se fermer/s'ouvrir sur ledit élément d'arrêt (2) par ledit groupe de stationnement (4) ».

- revendication 9 : « Dispositif anti-roulis (1) selon l'une quelconque des revendications 2 à 7, caractérisé en ce que ledit actionneur (5) est un actionneur électromécanique ».

- revendication 12 : « Dispositif anti-roulis (1) selon la revendication 8, 10 ou 11, caractérisé en ce que lesdits moyens de commande (20) comprennent un dispositif de sécurité pour limiter la vitesse de rotation maximum du moteur avec l'élément de verrouillage (3) fermé ».

- revendication 13 : « Dispositif anti-roulis (1) selon la revendication 9, caractérisé en ce que lesdits moyens de commande (20) comprennent une unité de commande électronique adaptée pour commander automatiquement ledit actionneur (5) selon des paramètres de déplacement du véhicule (100) ».

- revendication 15 : « Dispositif anti-roulis (1) selon la revendication 9, caractérisé en ce que lesdits moyens de commande (20) comprennent au moins un capteur pour détecter des anomalies dans le système et un indicateur optique relié audit capteur d'anomalies pour indiquer visuellement lesdites anomalies au conducteur ».

- revendication 16 : « Dispositif anti-roulis (1) selon la revendication 13, 14 ou 15, caractérisé en ce que lesdits moyens de commande (20) comprennent un bouton pour l'actionnement dudit actionneur (5) et de l'élément de verrouillage (3) à la discrétion du conducteur ».

Définition de la personne du métier

Selon l'appelante, l'homme du métier se définit comme un ingénieur mécanicien spécialisé dans le domaine des véhicules légers qui dispose de connaissances sur les engins de deux à quatre roues et connait particulièrement les problèmes de stabilité des engins de ce type ainsi que les solutions que l'on peut y apporter.

La société [T] considère qu'il s'agit d'un ingénieur mécanicien spécialisé dans le domaine des véhicules basculants légers.

La cour rappelle que la personne du métier est celle qui possède les connaissances normales du domaine technique en cause et est capable, à l'aide de ses seules connaissances et aptitudes professionnelles, de concevoir la solution du problème que propose de résoudre l'invention.

Au vu du domaine technique en cause, la cour retient, comme le tribunal, que la personne du métier est un ingénieur mécanicien spécialisé dans le domaine des véhicules légers de deux à quatre roues.

Sur la portée du brevet et l'interprétation des revendications 1 et 2

Selon la société PEUGEOT MOTOCYCLES, le tribunal a étendu la portée du brevet qui ne mentionne dans sa revendication 1 que l'existence d'un quadrilatère et non de deux, cet élément ayant été ajouté postérieurement par l'examinateur de l'OEB par référence à une autre antériorité. Ainsi, selon elle, le problème technique posé par le brevet est d'éviter le basculement du véhicule à basse vitesse induit par la structure à parallélogramme unique et double suspension avant indépendante et non à empêcher le roulis dans un véhicule, la revendication 1 proposant comme solution à ce problème un élément d'arrêt disposé sur le quadrilatère et un élément de verrouillage disposé sur le châssis, la revendication 2 visant, selon elle, à résoudre un autre problème, soit celui du blocage des suspensions indépendantes disposées sur les côtés du quadrilatère articulé et prévoit une solution consistant à intégrer des dispositifs d'arrêt pour chacune de ces suspensions. La société PEUGEOT MOTOCYCLES retient en conséquence que la revendication 1 limite la protection à un élément d'arrêt verrouillé par un élément de verrouillage sur commande (partie caractérisante) appliqué à un système à parallélogramme unique à double suspension (décrit dans le préambule) et que la solution au problème de l'inclinaison du scooter est apportée par un élément d'arrêt unique qui, étant fixe par rapport à la traverse du parallélogramme, peut totalement bloquer le mouvement d'inclinaison lorsque l'étrier est activé, de sorte que selon elle ce brevet porte sur un dispositif anti-roulis particulier connu de l'art antérieur appliqué à une cinématique de train avant particulière. En outre, selon elle, la revendication 2 ajoute à l'objet de la revendication précédente des dispositifs d'arrêt distincts du dispositif de verrouillage de la revendication 1 qui arrêtent le mouvement de chacune des deux suspensions indépendantes.

La société PEUGEOT MOTOCYCLES considère également que la notion de roulis mentionnée dans le brevet vise uniquement l'inclinaison très forte du véhicule provoqué par le mouvement du parallélogramme articulé et qui est arrêté par le dispositif d'arrêt de la revendication 1 et non les faibles inclinaison que peut connaître le scooter lorsqu'il rencontre un obstacle liées à l'existence des deux suspensions indépendantes qui sont bloquées par les moyens distincts de la revendication 2. La société PEUGEOT MOTOCYCLES retient en conséquence que le brevet ne vise qu'une unique structure quadrilatérale rigide articulée sur le cadre du véhicule qui permet d'incliner le véhicule notamment pour tourner, sans effet sur la suspension ou l'amortissement des chocs, puis deux suspensions indépendantes qui absorbent les chocs, les deux structures étant indépendantes et les dispositifs d'arrêt de course étant ainsi également indépendants pour chacune des suspensions attachées à une roue. Elle estime en conséquence que le brevet EP 612 repose sur une séparation entre deux fonctions, l'une liée au contrôle du roulis et l'autre liée à l'absorption des chocs.

La société [T] conteste cette interprétation et rappelle que le véhicule visé au brevet est un véhicule pouvant présenter un mouvement-roulis (inclinaison latérale) généré par le mouvement de la structure quadrilatérale et/ou par le mouvement des suspensions indépendantes et que, pour bloquer complètement tout mouvement de roulis de ce véhicule, il convient de bloquer le mouvement du quadrilatère articulé défini dans la partie caractérisante de la revendication 1 (qui ne se limite pas à un quadrilatère unique) et celui des suspensions indépendantes défini dans la revendication 2 au moyen du groupe de stationnement qui comprend des moyens de commande de verrouillage et d'arrêt de course, cette dernière étant une revendication fonctionnelle, couvrant toutes les mises en 'uvre structurelles possibles. Elle plaide que le mouvement de roulis visé au brevet concerne ainsi tant l'inclinaison du véhicule lors d'un virage par exemple, lié à la présence d'une structure en quadrilatère, que l'inclinaison générée par le jeu des suspensions lorsqu'il rencontre un trou ou une bosse sur la chaussée. Elle ajoute qu'il convient de ne pas confondre la notion de suspension, qui sert à relier les masses non suspendues telles les roues aux masses suspendues, tels que le châssis ou le moteur, et la notion d'amortisseur qui a une autre fonction, à savoir affaiblir la violence d'un choc. Elle rappelle que le brevet mentionne deux suspensions indépendantes permettant ainsi un mouvement indépendant d'une roue par rapport à l'autre.

Sur ce, conformément à l'article 69 de la CBE ' Etendue de la protection', la cour rappelle que l'étendue de la protection conférée par le brevet européen est déterminée par les revendications, qui, au sens de l'article 84, définissent l'objet de la protection demandée et doivent être claires et concises et se fonder sur la description et être interprétées à la lumière de la description et des dessins.

Le protocole interprétatif de l'article 69 précise que le brevet doit être interprété comme définissant une position qui assure à la fois une protection équitable au titulaire du brevet et un degré raisonnable de sécurité juridique aux tiers.

En outre, pour interpréter les revendications afin d'en déterminer le contenu, la personne du métier les examine avec un goût pour la synthèse, en faisant preuve d'un esprit constructif et non destructeur, de manière à en dégager le sens sur le plan technique et de telle sorte que l'ensemble de l'exposé du brevet soit pris en considération. C'est animé par la volonté de comprendre et en mobilisant des compétences d'analyse normales qu'il interprète par conséquent les revendications, la description et les dessins sur la base de leur contexte (Chambre des recours de l'OEB, 18 mars 2021 T 1365/16).

S'agissant de l'art antérieur le plus proche, le premier paragraphe de la description du brevet mentionne le document WO 02/068228 décrivant un véhicule à trois roues comprenant deux structures quadrilatérales articulées comprenant un dispositif de blocage anti-roulis. S'il n'est pas contesté que cette référence a été ajoutée par l'examinateur de l'OEB, il n'en demeure pas moins qu'il appartient à la cour d'apprécier la validité du brevet tel qu'il a été délivré et publié et non tel que rédigé au stade la demande.

Le brevet mentionne également, au titre de l'art antérieur, le document IT2003MIA001108 qui concerne un tricycle à deux roues avant comportant un parallélogramme unique muni de deux suspensions pour chacune des roues avant.

En conséquence, la cour considère, comme les premiers juges, que la notion de « quadrilatère articulé » mentionnée dans la revendication 1, dès lors que le brevet mentionne au titre de l'art antérieur une structure unique ou une structure comportant deux quadrilatères ne doit pas être entendue, comme le suggère la société PEUGEOT MOTOCYCLES, comme un quadrilatère unique, (ce que ne mentionne au demeurant pas la revendication 1 qui fait référence à « une structure quadrilatérale articulée »), mais, conformément à la partie descriptive, comme s'étendant à toute solution dans laquelle au moins un quadrilatère est présent, de sorte que le tribunal n'a pas étendu la portée du brevet.

Par ailleurs, dans la partie descriptive du brevet, il est clairement mentionné (page 3 lignes 12 et suivantes) que « le mécanisme de direction est basé sur un mouvement cinématique du quadrilatère articulé réalisé avec deux traverses horizontales rigides reliées au cadre par le biais de tiges cylindriques fixées en leur centre et deux tubes disposés sur le côté des traverses horizontales reliées aux suspensions avant indépendantes. Pour éviter un éventuel basculement du véhicule qui peut se produire par exemple lorsque le véhicule se déplace en dessous d'une certaine vitesse ou avec un angle de roulis nul, un dispositif anti-roulis selon la présente invention est prévu », de sorte que le problème technique posé par le brevet est d'éviter le basculement du véhicule à basse vitesse causé par la structure à parallélogramme et double suspension avant indépendante.

De plus, si la notion de roulis n'est pas définie en tant que telle, la description évoquant le « basculement » du véhicule, elle est aisément comprise par la personne du métier comme le mouvement de rotation du corps du véhicule par rapport à son axe longitudinale.

Dans ce cadre, l'objet de la revendication 1 du brevet est de bloquer les mouvements de roulis de la structure quadrilatérale articulée grâce à trois éléments distincts, tels que déjà décrits, afin d'en éviter la déformation et le basculement latéral du scooter. La revendication 2 fonctionnelle prévoit, en outre, que ce dispositif anti-roulis comporte également un dispositif d'arrêt de course permettant le blocage des deux suspensions, destinées elles à amortir les chocs dus aux inégalités de la surface de la route et concourant, implicitement mais nécessairement, à l'effet anti-roulis et compris comme tel par la personne du métier, dispositif ainsi commandé par le même « groupe de stationnement » mentionné dans la revendication 1, les moyens ainsi mis en 'uvre concourant donc à la même fonction. Contrairement à ce que soutient la société PEUGEOT MOTOCYCLES, la revendication 2 ne mentionne nullement l'existence de deux dispositifs d'arrêt de course indépendants, fonctionnant eux-mêmes de manière indépendante.

Ainsi, si le dispositif anti-roulis de la revendication 2 ne joue en lui-même aucun rôle sur le blocage de la structure quadrilatérale tel que décrit dans la revendication 1, dès lors que cette fonction est mentionnée dans le brevet et revendiquée dans la revendication 2, la société PEUGEOT MOTOCYCLES ne peut être suivie lorsqu'elle affirme que l'objet du brevet se limite à la seule résolution du basculement latéral de l'engin visé à la revendication 1.

La cour considère en conséquence que le dispositif anti-roulis décrit par le brevet EP 612 porte à la fois sur le blocage du quadrilatère articulé et sur celui des suspensions indépendantes, commandé par le même groupe de stationnement et non pas sur deux fonctions séparées.

Sur la validité des revendications 1 à 5, 9, 12, 13, 15 et 16 du brevet EP 612

La cour rappelle qu'elle n'examine les moyens de nullités opposés par la société PEUGEOT MOTOCYCLES qu'en ce qu'ils sont invoqués à titre de défense au grief de contrefaçon, la demande en annulation ayant été jugée prescrite.

Sur la validité de la revendication 1

Au regard du grief d'insuffisance de description

Selon la société PEUGEOT MOTOCYCLES, la revendication 1 est insuffisamment décrite en ce qu'elle mentionne au moins un élément d'arrêt et un élément de verrouillage alors que la description ne comporte aucun exemple ni suggestion concernant la possibilité de réaliser l'invention avec plusieurs éléments d'arrêts ou de verrouillage.

En outre, l'appelante relève que le brevet ne précise pas que les barres horizontales du parallélogramme doivent nécessairement être rigides alors que la société [T] estime que cette condition doit être remplie pour permettre l'empêchement du mouvement de roulis de la structure.

La société PEUGEOT MOTOCYCLES retient également que le brevet ne comporte qu'un seul mode de réalisation avec une structure quadrilatérale articulée mais ne donne aucune information concernant la réalisation d'un dispositif à plusieurs quadrilatères.

En réponse, l'intimée soutient que l'homme du métier comprendra que la «structure quadrilatérale articulée» est une structure en forme de parallélogramme comportant des barres horizontales et des montants verticaux, et que l'expression « au moins un » élément d'arrêt ou « au moins un » élément de verrouillage signifie qu'il peut y en avoir un ou plusieurs et qu'un tel système avec une structure quadrilatérale articulée peut tout à fait être munie d'une autre structure quadrilatérale articulée que peut concevoir l'homme du métier spécialisé dans ce domaine ; que par ailleurs, un parallélogramme articulé comporte normalement des éléments rigides (ce qui ressort d'ailleurs largement de l'ensemble du brevet) ; que la critique relative au nombre de « structure quadrilatérale articulée » relève d'une appréciation de la portée du brevet, et qu'en tout cas, l'homme du métier comprendra que la revendication 1 peut porter sur plusieurs structures quadrilatérales articulées, puisqu'aucune limitation n'est mentionnée et que la description du brevet mentionne une antériorité comprenant deux quadrilatères articulés.

L'article 138-1-b) de la Convention de Munich du 5 octobre 1973 sur la délivrance des brevets européens (CBE) dispose que le brevet européen est déclaré nul par les tribunaux d'un État contractant 'si le brevet européen n'expose pas l'invention de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter'.

Selon l'article 83 de la convention de Munich, 'L'invention doit être exposée dans la demande de brevet européen de façon suffisamment claire et complète pour que l'homme du métier puisse l'exécuter'.

En application de l'article 69 de la CBE, l'étendue de la protection conférée par le brevet européen est déterminée par les revendications, étant toutefois précisé que 'la description et les dessins servent à interpréter les revendications'. Selon l'article 1 de son protocole interprétatif, ce texte ne doit pas être lu comme signifiant que la description et les dessins servent uniquement à dissiper les ambiguïtés que pourraient receler les revendications ni comme réservant à celles-ci le rôle de lignes directrices, mais doit être interprété comme définissant une position intermédiaire qui assure à la fois une protection équitable au titulaire du brevet et un degré raisonnable de certitude aux tiers.

Ainsi, la question de savoir si une invention a été exposée de façon suffisamment claire et complète au sens de l'article 83 de la CBE doit s'apprécier sur la base du contenu global de la demande de brevet ou du brevet, y compris la description et les dessins et non uniquement sur la base de la teneur des revendications.

L'invention est considérée comme suffisamment décrite lorsque l'homme du métier, à la lecture du brevet considéré dans son ensemble constitué de la description, des dessins et des revendications, est en mesure de mettre en 'uvre ou de reproduire l'invention sans avoir à recourir à des informations extérieures autres que celles qui relèvent de sa compétence et de ses connaissances générales, et sans effort allant au-delà de celles-ci.

Cette condition est satisfaite dès qu'il est indiqué clairement au moins un mode de réalisation permettant à l'homme du métier d'exécuter l'invention. A cet égard, dans sa décision T500/20 du 18 janvier 2023, la chambre des recours de l'OEB a précisé : « la chambre ajoute que l'argument généra, avancé en l'espèce est malheureusement entendu de plus en plus souvent, non seulement dans le présent domaine et plus largement en mécanique, selon lequel l'invention ne serait pas suffisamment divulguée sur toute l'étendue de la revendication, applique mal une approche développée principalement dans le domaine de la chimie pour les inventions où un aspect central de l'invention est une gamme de composition ou de valeurs de paramètres. (') Dans les inventions revendiquées qui n'impliquent pas une gamme de valeurs de paramètres ou de compositions, fonder un argument d'insuffisance sur cette approche est inapproprié et peut être rejeté d'emblée pour cette raison. C'est particulièrement le cas lorsque, comme en l'espèce, une invention vise un concept largement défini exprimé en termes de caractéristiques structurelles ou fonctionnelles génériques d'un appareil ou d'une méthode. Dans ce cas, il suffit normalement de fournir un seul exemple détaillé ou une seule réalisation pour illustrer comment ce concept peut être mis en pratique de telle sorte que les principes sous-jacents puissent être compris par l'homme du métier concerné et qu'il puisse reproduire l'invention revendiquée en utilisant ses connaissances générales communes sans charge excessive. Il ne suffit donc pas, pour démontrer l'insuffisance, de concevoir un exemple correspondant aux termes de la revendication qui ne fonctionne pas parce qu'il n'atteint pas entièrement ou pas du tout l'effet revendiqué
1: Emphase ajoutée par la cour

. Un tel exemple ne prouve pas que le concept revendiqué ne fonctionne pas ; il reflète plutôt les limitations qui sont inhérentes à toute entreprise technologique et qui peuvent ouvrir la voie à un développement (inventif) futur. La charge de la preuve est très lourde pour pouvoir invoquer successivement l'insuffisance dans un cas comme celui-ci : la partie doit démontrer par une argumentation convaincante fondée sur les principes sous-jacents, si nécessaire étayée par des preuves, que le concept revendiqué ne fonctionne pas, parce qu'il ne permet pas d'obtenir l'effet souhaité dans quelque mesure que ce soit ou parce qu'il va à l'encontre des lois de la nature. Ou ils doivent démontrer que la divulgation manque d'informations sur un aspect important de l'invention revendiquée, sans lequel l'homme du métier ne peut pas réaliser l'invention revendiquée sans charge indue. »

En outre, le fait que certains éléments indispensables au fonctionnement de l'invention ne figurent ni explicitement dans le texte des revendications ou de la description, ni dans les dessins représentant l'invention revendiquée, n'implique pas nécessairement que l'invention n'est pas exposée dans la demande de façon suffisamment claire et complète pour qu'une personne du métier puisse l'exécuter, dès lors que ces éléments indispensables appartiennent à ses connaissances générales (Com., 23 janvier 2019, 17-14.673 et 16-28.322).

La cour approuve les premiers juges qui ont retenu que la personne du métier est en mesure, du fait de ses connaissances professionnelles dans le domaine, de modifier le nombre d'éléments d'arrêt et de verrouillage même si la description ne donne qu'un seul exemple de réalisation, sauf pour la cour à ajouter que la condition de suffisance de description est satisfaite dès lors qu'il est indiqué clairement au moins un mode de réalisation permettant à l'homme du métier d'exécuter l'invention, ce qui est le cas présent.

En outre, la personne du métier sait d'évidence qu'une structure quadrilatère articulée de ce type d'engins comporte nécessairement des barres horizontales rigides et ce d'autant que le brevet mentionne, dans sa partie descriptive en page 3, que « le mécanisme de direction est basé sur un mouvement cinématique du quadrilatère articulé réalisé avec deux traverses horizontales rigides
2: Soulignement ajouté par la cour.

reliées au cadre par le biais de tiges cylindriques fixées en leur centre et deux tubes disposés sur le côté des traverses horizontales reliées aux suspensions avant indépendantes ».

Enfin, le fait que le brevet ne comporte que la description d'un mode de réalisation comprenant une structure quadrilatérale articulée ne saurait lui faire encourir le grief d'insuffisance de description, dès lors que, comme déjà rappelé, il est indiqué clairement au moins un mode de réalisation permettant à l'homme du métier d'exécuter l'invention.

Le moyen de nullité pour insuffisance de description doit en conséquence être écarté.

Au regard du grief de défaut de nouveauté

Pour contester la nouveauté, la société PEUGEOT MOTOCYCLES oppose le document DE 1 063 473, qui concerne un tricycle à deux roues inclinables à l'avant liées par un parallélogramme et qui enseigne le verrouillage d'un parallélogramme à faible vitesse pour empêcher l'inclinaison du tricycle de sorte que, selon elle, ce document divulgue toutes les caractéristiques de la revendication 1 qui doit être annulée en conséquence. Elle soutient, à titre subsidiaire, que l'objet de la revendication 1 est dépourvu de nouveauté par rapport au document FR 544 720, si comme le retient la société [T], les barres du parallélogramme sont capables «d'absorber les aspérités du sol» et constituent ainsi les deux suspensions avant indépendantes.

La société [T] conteste ce moyen de nullité soulignant que le document DE 473 ne divulgue pas un dispositif anti-roulis et contient un vice de conception concernant le blocage de l'inclinaison latérale, de sorte que l'invention qui y est revendiquée ne fonctionne pas et constitue une invention non aboutie.

L'article 54 « Nouveauté » de la Convention sur le brevet européen dispose que :

« 1) Une invention est considérée comme nouvelle si elle n'est pas comprise dans l'état de la technique.

2) L'état de la technique est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet européen par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen.

3) Est également considéré comme compris dans l'état de la technique le contenu de demandes de brevet européen telles qu'elles ont été déposées, qui ont une date de dépôt antérieure à celle mentionnée au paragraphe 2 et qui n'ont été publiées qu'à cette date ou à une date postérieure ».

L'élément de l'art antérieur n'est destructeur de nouveauté que s'il renferme tous les moyens techniques essentiels de l'invention dans la même forme, le même agencement et le même fonctionnement en vue du même résultat technique. L'antériorité, qui est un fait juridique dont l'existence, la date et le contenu doivent être prouvés par tous moyens par celui qui l'invoque, doit être unique et être révélée dans un document unique dont la portée est appréciée globalement.

La société PEUGEOT MOTOCYCLES oppose comme en première instance au titre du défaut de nouveauté de la revendication 1 le document DE 1 063 473 ( ci-après DE 473), non cité dans la procédure de délivrance du brevet EP 612, ni dans la procédure initiée en Italie, soit une demande de brevet allemand publiée le 13 août 1959 et qui concerne un tricycle avec deux roues inclinables à l'avant liées par un parallélogramme.

Comme le tribunal, la cour constate que le brevet DE 473 concerne un véhicule à trois roues, comportant une roue avant ou arrière et deux roues directrices, disposées l'une à côté de l'autre, de manière symétrique autour de l'axe longitudinal et un parallélogramme de liaison disposé au centre entre les essieux des roues directrices. Les deux corps d'essieux appartenant au parallélogramme sont amortis par des ressorts, dans le plan de symétrie des roues directrices. La direction du véhicule et l'inclinaison des roues sont commandées séparément par des moyens distincts, ce qui permet une tenue de route du véhicule indépendante des conditions du sol et des vibrations. Le déplacement du centre de gravité intervient de manière identique dans les deux sens, par le conducteur et par l'inclinaison des roues et permet d'éviter le risque d'accident par basculement du fait de la force centrifuge dans les virages. Le parallélogramme de liaison peut être bloqué dans une position quelconque par un dispositif de verrouillage, ce qui correspond à la revendication 2 du brevet et est décrit en page 2 lignes 10-12, à savoir un patin de freinage, fixé sur la bielle, comportant un étrier et un bras (page 2 lignes 30-31), un câble, un levier d'actionnement du frein, le blocage et le ressort, afin que le châssis ne puisse s'incliner (page 3 lignes 6-7). Les corps d'essieu sont amortis dans le plan de symétrie des roues directrices par des ressorts (page 2 lignes 28-29).

La structure ainsi décrite du brevet précité concerne un véhicule à trois roues avec deux roues directrices, qui comporte un quadrilatère articulé et deux suspensions avant indépendantes, muni d'un dispositif pour éviter le basculement de l'engin, lequel comporte un élément d'arrêt intégré à la structure quadrilatère (l'étrier de frein), un dispositif de verrouillage de celle-ci (le patin de freinage) et des moyens de commande (serrage et desserrage du frein d'immobilisation).

C'est en conséquence à juste titre que le tribunal a retenu que le brevet DE 473 divulgue dans un seul et même document, l'ensemble des éléments de la revendication 1 du brevet EP 612, en vue du même résultat technique, à savoir un dispositif anti-roulis, afin d'éviter le basculement latéral de l'engin.

A cet égard, la cour constate que si, dans ses écritures, la société [T] continue de soutenir que ce brevet ne porte pas sur un dispositif anti-roulis, elle n'apporte cependant aucune critique quant à la motivation retenue par le tribunal s'agissant de la divulgation des éléments de la revendication 1 du brevet arguant seulement que ce document contiendrait un vice de conception s'agissant du blocage de l'inclinaison latérale et correspondrait ainsi à une invention non aboutie.

Cependant, le débat ainsi introduit quant à la reproductibilité des enseignements de ce document se base uniquement sur des extrapolations établies à partir de figures schématiques, sans aucune démonstration technique objective.

De plus, la cour rappelle que, pour interpréter les revendications d'un brevet afin d'en déterminer le contenu, la personne du métier les examine avec un goût pour la synthèse, en faisant preuve d'un esprit constructif et non destructeur, de manière à en dégager le sens sur le plan technique et de telle sorte que l'ensemble de l'exposé du brevet soit pris en considération.

De même, l'ancienneté de ce document ne saurait remettre en cause sa pertinence pour apprécier la nouveauté de cette revendication et, ce, alors qu'il n'est pas contesté qu'il constitue un élément de l'art antérieur relatif au même domaine technique.

C'est en conséquence par de justes motifs en fait et en droit que le tribunal a retenu que la revendication 1 principale est antériorisée par le document DE 473 et se trouve dépourvue de nouveauté. Cependant, l'action en nullité ayant été jugée prescrite, le jugement sera réformé en ce qu'il a annulé cette revendication.

Néanmoins, s'agissant d'un moyen de nullité invoqué par la société PEUGEOT MOTOCYCLES à titre de défense au grief de contrefaçon, la cour retient que cette revendication ne peut en conséquence être opposée par la société [T] au titre de la contrefaçon du brevet EP 612.

Au regard du grief de défaut d'activité inventive

Dans la mesure où la condition première de nouveauté n'est pas remplie, il n'y a pas lieu d'examiner le grief de défaut d'activité invoqué par la société PEUGEOT MOTOCYCLES pour contester la validité de la même revendication.

Sur la validité de la revendication 2

La cour rappelle que si la validité d'une revendication principale entraîne celle des revendications placées sous sa dépendance, l'annulation d'une revendication principale pour défaut d'activité inventive ou défaut de nouveauté n'entraîne pas automatiquement celle des revendications dépendantes. Il en résulte que toute revendication valable, fût-elle dépendante, est susceptible de faire l'objet d'une contrefaçon prohibée. (Com., 24 avril 2024, pourvoi n° 22-15.379)

Dans la mesure où il a été jugé que la revendication 1 encourrait la nullité pour défaut de nouveauté et ne pouvait être opposée à la société PEUGEOT MOTOCYCLES, il convient de considérer que la revendication 2 devient indépendante et d'examiner comme telle sa validité.

Au regard du grief de défaut de nouveauté

Selon la société PEUGEOT MOTOCYCLES, la revendication 2 ne vise aucun moyen technique précis et se contente d'indiquer qu'il y a au moins un dispositif d'arrêt de course desdites suspensions, de sorte qu'il n'est protégé que deux dispositifs d'arrêt de course pour chacune des deux suspensions avant et que cette revendication est ainsi susceptible d'être antériorisée par tout type de dispositif d'arrêt de course de suspensions.

Dans la mesure où la société PEUGEOT MOTOCYCLES n'identifie aucun document susceptible de constituer une antériorité de toute pièce renfermant tous les moyens techniques essentiels de cette revendication dans la même forme, le même agencement et le même fonctionnement en vue du même résultat technique, ce moyen de nullité ne peut être retenu par la cour.

Au regard du grief d'insuffisance de description

La société PEUGEOT MOTOCYCLES soutient que l'insuffisance de description de la revendication 1 rejaillit nécessairement sur la revendication 2.

La revendication 2 ajoute au dispositif anti-roulis décrit à la revendication 1 un dispositif d'arrêt de course des suspensions géré par le groupe de stationnement permettant conjointement le blocage du quadrilatère articulé et l'arrêt de course des suspensions avant.

Il a déjà été jugé que la revendication 1 était suffisamment décrite et la société PEUGEOT MOTOCYCLES ne démontre nullement que les enseignements apportés par la revendication 2 sont insuffisamment décrits.

Ce moyen de nullité doit en conséquence être écarté.

Au regard du grief du défaut d'activité inventive

L'article 56 de la CBE dispose qu'« une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d'une manière évidente de l'état de la technique ».

L'appréciation du caractère inventif implique de déterminer si, eu égard à l'état de la technique, la personne du métier, au vu du problème que l'invention prétend résoudre, aurait obtenu la solution technique revendiquée par le brevet en utilisant ses connaissances professionnelles et en effectuant de simples opérations. L'activité inventive se définit au regard du problème spécifique auquel est confronté l'homme du métier.

La cour rappelle en outre que l'état de la technique le plus proche à sélectionner doit être pertinent, c'est-à-dire qu'il doit correspondre à une utilisation semblable et appeler le moins de modifications structurelles et fonctionnelles pour parvenir à l'invention revendiquée. Cet état de la technique le plus proche doit donc viser à atteindre le même objectif ou à obtenir le même effet que l'invention ou, au moins, appartenir au même domaine technique que l'invention revendiquée ou à un domaine qui lui est étroitement lié.

Ainsi, le seul critère de l'ancienneté d'une antériorité invoquée au titre de l'état de la technique ne peut, à lui seul, la disqualifier, même s'agissant de l'examen de l'activité inventive.

Par ailleurs, la cour rappelle que le problème technique posé est d'éviter le basculement ou le renversement du scooter à très basse vitesse dans un véhicule équipé d'un système de direction avec une structure quadrilatère articulée et deux suspensions avant indépendantes.

La société PEUGEOT MOTOCYCLES oppose plusieurs antériorités ou combinaisons d'antériorités au soutien du grief pour défaut d'activité inventive, qu'il convient d'examiner comme suit.

En partant des systèmes connus de blocage des suspensions

La société PEUGEOT MOTOCYCLES retient que le seul objet de la revendication 2 est le blocage des suspensions qui était déjà connu de l'état de la technique des véhicules notamment tracteurs pour en faciliter le chargement et le déchargement ou pour les tricycles ou fourches de vélo pour des suspensions arrière et que l'homme du métier sait ainsi qu'il est souhaitable ' notamment à basse vitesse ' de bloquer les suspensions. Elle en déduit que, confronté au problème de stabilité des véhicules à trois roues, il lui est évident d'appliquer cette solution connue de sorte que, dès lors que la revendication 2 ne fait qu'exprimer cette solution souhaitée en visant des « dispositifs d'arrêt de course » (sans préciser leur mode de fonctionnement), elle n'implique aucune activité inventive.

L'intimée objecte que ces documents soit appartiennent à des domaines techniques trop éloignés dans lesquels l'homme du métier ne serait pas allé chercher, soit concernent des solutions qui de toute façon ne conduiraient pas à la solution du brevet EP 612, soit concernent des problèmes techniques différents, la société PEUGEOT MOTOCYCLES cherchant, selon elle, en produisant de nombreux documents à complexifier artificiellement les débats et ce alors que la revendication 2 en cause ne se limite pas au seul blocage de suspensions.

Sur ce, la société PEUGEOT MOTOCYCLES oppose pour la première fois en cause d'appel quatre nouveaux documents.

Le document US 2002/0109400 (brevet publié le 15 août 2002) appartient effectivement au domaine des systèmes de suspension à ressort mais concerne cependant des machines telles que des tracteurs ou analogues, soit un domaine technique différent de celui des scooters à trois roues, et, s'il évoque le verrouillage du système de suspension, c'est à l'occasion d'un changement de charge, soit un problème différent du dispositif anti-roulis en cause dans le brevet EP 612.

Il en est de même du brevet FR 2 044 297 déposé le 14 mai 1969 intitulé « suspension blocable pour véhicule » qui concerne des véhicules lourds comme les engins de travaux publics, soit un domaine qui est très éloigné de la problématique anti-roulis évoquée dans le brevet EP 612.

S'agissant du document EP 1 346 907 publié le 24 septembre 2003, il envisage le blocage des suspensions d'un tricycle avec deux roues arrières non directrices au moyen d'un système positionné de manière centrale. Ainsi, rien n'incite la personne du métier à le considérer comme pertinent pour envisager un blocage des suspensions de deux roues avant directrices, sauf à faire preuve d'activité inventive.

Enfin, le document US 62117049 publié le 17 avril 2001 concerne la fourche avant d'un vélo avec une suspension, soit un domaine technique différent de celui du blocage du roulis d'un scooter à trois ou quatre roues.

La cour retient en conséquence que ces documents appartiennent soit à des domaines trop éloignés dans lesquels la personne du métier ne serait pas allée chercher, soit envisagent des solutions qui ne conduiraient pas aux enseignements du brevet EP 612, la société PEUGEOT MOTOCYCLES ne démontrant au demeurant nullement comment la personne du métier aurait adapté ces systèmes pour aboutir à l'invention en cause, étant rappelé que la revendication 2 ne se limite pas au seul blocage des suspensions.

En partant du document US 3 883 153

La société PEUGEOT MOTOCYCLES cite également le document US 3 883 153, relatif à un dispositif d'arrêt, qui divulgue un système de blocage des suspensions mécaniquement. Elle retient qu'il est également constitué d'une tige (appelée entretoise), qui coulisse dans un suppresseur de ressort, dont des mâchoires bloquent le mouvement, afin, à l'instar du brevet EP 612, de stabiliser la suspension, dans diverses situations de conduite. Selon elle, même si le stationnement n'est pas mentionné, l'homme du métier trouve encore dans ce document l'enseignement qu'il est connu, en fonction des besoins, de bloquer la course des suspensions. Elle en conclut qu'à partir du document DE 473 l'homme du métier peut aboutir au mécanisme de stabilisation de la suspension comme enseigné dans le brevet EP 612 en se servant des enseignements du document US 153 qui décrit un système de blocage de suspensions constitué identiquement d'une tige, qui coulisse dans un suppresseur de ressort dont les mâchoires bloquent le mouvement.

La société [T] constate d'abord que son adversaire procède par affirmation sans qu'aucune démonstration ne soit faite et ce d'autant que le document US 153 a pour objectif de diminuer l'effet de plongée d'un véhicule en cas de freinage violent, de sorte que l'homme du métier n'aurait pas envisagé ce document comme point de départ puisqu'il ne permet pas de résoudre un problème de blocage du roulis (mouvement latéral) causé par un quadrilatère articulé et/ou par une suspension; le document US 153 vise en outre une situation dynamique alors que son brevet EP 612 vise une situation statique (vitesse nulle ou très réduite). Elle retient en conséquence que l'homme du métier n'aurait donc pas combiné ce document avec le document DE'473 et ce d'autant que ce dernier ne suggère pas de bloquer le ressort placé sur ses roues et que, s'il avait voulu le faire, il aurait été contraint de réaliser un nombre important de modifications techniques pour parvenir à l'invention, et ce faisant, de faire preuve d'activité inventive, puisqu'il aurait dû combiner les enseignements de ces documents applicables à des structures très différentes, et qu'il aurait dû également ajouter un groupe de stationnement agissant à la fois sur un élément de verrouillage et un élément d'arrêt de course, ce qui n'est ni enseigné, ni même suggéré par aucun de ces deux documents. Elle souligne également que si l'invention était évidente pour l'homme du métier, au vu de l'ancienneté des documents opposés, soit 1953 et 1975, il l'aurait réalisée et divulguée avant le dépôt de son brevet en 2005.

Le document US 3 883 153, brevet publié le 13 mai 1975 porte sur un appareil pour annuler et/ou supprimer l'action de ressort entre les supports de roue et le bâti d'un véhicule et plus spécifiquement « un dispositif de suppression de ressort pour empêcher que le véhicule pique du nez pendant son action de freinage. » Ainsi, il convient de constater que ce dispositif n'a pas pour objet un dispositif anti-roulis (mouvement latéral) à faible vitesse ou à l'arrêt soit une situation quasi statique, mais au contraire tend à résoudre un problème proportionnel à la vitesse et la dynamique longitudinale du véhicule afin d'en limiter l'effet de plongée en cas de vitesse élevée et de freinage violent, la description évoquant l'exemple des véhicules de police ou tractant une remorque ou les camping-car, de sorte que la personne du métier n'était nullement incitée à envisager ce document comme point de départ permettant d'aboutir à l'invention.

Le seul fait que ce document mentionne, à une reprise, dans la partie descriptive et au demeurant de manière contradictoire qu'« il est avantageux de bloquer les supports de ressort du train avant sur une ligne droite d'autoroute à revêtement lisse. Cela stabilise le véhicule à haute vitesse et dans les virages, de sorte que les policiers ont un meilleur contrôle (') », ne peut suffire à retenir que ce dispositif envisage également un effet anti-roulis, comme le soutient la société PEUGEOT MOTOCYCLES.

C'est en conséquence, à juste titre, que le tribunal a retenu que ce document ne concernait pas un dispositif d'arrêt de course de suspension mais un ressort qui ne poursuit pas l'objectif d'éviter un basculement latéral, comme un dispositif anti-roulis, mais un basculement vers l'avant.

S'agissant de la combinaison suggérée des enseignements des documents US 153 et DE 473, la société PEUGEOT MOTOCYCLES n'explique nullement, au vu de la problématique envisagée par US 153, soit limiter l'effet de plongée d'un véhicule en cas de freinage important, les raisons pour lesquelles la personne du métier aurait été incitée à les combiner avec DE 473 (déjà examiné au titre de la nouveauté de la revendication 1) pour aboutir à un dispositif pour remédier au basculement latéral à l'arrêt ou à basse vitesse d'un scooter, sauf à raisonner a posteriori ou à faire preuve d'activité inventive.

Il n'est pas davantage établi que la personne du métier, partant du document DE 473, qui ne suggère nullement la nécessité de verrouiller les suspensions des roues, aurait été incitée à le combiner avec les enseignements du brevet US 153 et serait, en outre, parvenue à l'invention qui suggère un dispositif permettant d'arrêter la course des suspensions et ce d'autant que les éléments de la structure dans le document US 153 sont positionnés dans le cadre alors que ceux du brevet DE 473 en sont éloignés, sauf à procéder à d'importantes modifications techniques dépassant les seules expériences de routine et à faire preuve, à nouveau, d'activité inventive.

Enfin, rien dans ces documents ne suggère la présence d'un groupe de stationnement commandant tout à la fois l'élément de verrouillage et le dispositif d'arrêt de course, tel que décrit dans l'invention.

La cour retient en conséquence que le document US 153 seul ou combiné avec le document DE 473 ne détruit pas l'activité inventive de la revendication opposée.

En partant des antériorités du brevet [T] EP 016

La société PEUGEOT MOTOCYCLES rappelle que la revendication 2 du brevet EP 612 porte sur un dispositif d'arrêt de course des suspensions avant, revendiqué fonctionnellement, sans aucune indication sur sa structure et qu'un tel dispositif d'arrêt de course est bien connu de l'état de la technique puisque dans le brevet EP 016 déposée par la société [T] (qui a la même date de priorité), son adversaire indique elle-même, au paragraphe [0006], qu'un dispositif d'arrêt de course de la suspension est connu.

La société PEUGEOT MOTOCYCLES affirme que les documents cités en première instance à l'encontre du brevet EP 016 divulguent également des mécanismes de blocage de la course de suspensions purement mécaniques, qui ont pour objet de bloquer la suspension d'un véhicule (DE 195 32 510 C2) et, que dans le cas du document US 6 247 564, il est même suggéré que le blocage de la suspension peut être utile à l'arrêt, pour permettre aux passagers de monter et descendre du véhicule. Elle en déduit qu'il n'y a rien d'inventif pour l'homme du métier à prévoir un blocage de suspension à l'arrêt, comme l'indique fonctionnellement la revendication 2 du brevet EP 612.

La société [T] relève que si des mécanismes de blocage de suspension existaient, leur simple existence ne saurait priver la revendication 2 du brevet EP 612 de toute activité inventive dès lors que cette revendication, qui se lit avec la revendication 1, ne se limite pas à un tel blocage.

Le document DE 195 32 510, brevet allemand publié le 6 mars 1997, concerne un amortisseur pour véhicules automobiles avec un mécanisme de verrouillage avec pour objectif «de créer un amortisseur de vibrations avec des tubes coulissant les uns dans les autres de manière télescopique, qui bloque, dans une position quelconque, l'ensemble de la suspension du véhicule, c'est-à-dire la compression et la détente, et est conçu de manière courte axialement et constitué de quelques pièces, le cas échéant les amortisseurs de vibrations existants pouvant être équipés ultérieurement sans grand effort. »

Le document US 6 247 564 est un brevet américain publié le 19 juin 2001 qui concerne un dispositif de verrouillage de suspension ayant pour objet de « proposer un dispositif de blocage de suspension pneumatique pour automobile pour empêcher le rebond de haut en bas lorsque les passagers montent ou descendent du véhicule.»

Ainsi, si ces documents démontrent l'existence de mécanismes de blocages de suspensions antérieurs au brevet EP 612, ce que ne conteste pas la société [T], ils ne suffisent pas à détruire l'activité inventive de sa revendication 2 qui se lit avec la revendication 1 et ne se limite pas à ce seul blocage déjà connu.

Ainsi la société PEUGEOT MOTOCYCLES ne démontre pas comment à partir de ces documents la personne du métier serait parvenue à l'invention revendiquée.

Sur les motifs additionnels de nullité invoqués par la société PEUGEOT MOTOCYCLES

La société PEUGEOT MOTOCYCLES, prenant en compte l'interprétation faite par le tribunal qui a retenu que le brevet EP 612 couvrait toutes les structures de suspensions, y compris les doubles triangulations comme présentes dans son scooter « METROPOLIS », entend opposer d'autres antériorités pour contester la validité du brevet qu'il convient d'examiner comme suit.

Défaut de nouveauté et d'activité inventive par rapport au scooter ITALJET

La société PEUGEOT MOTOCYCLES rappelle qu'avant le dépôt du brevet EP 612 par la société [T], la société ITALJET avait déjà développé un prototype de scooter à trois roues qu'elle a tenté de commercialiser, sous la référence « Scooop », scooter ayant notamment fait l'objet d'articles de presse et de publicités en 2000 et qui était connu par son adversaire qui s'est rapproché un temps de la société ITALJET. Selon la société PEUGEOT MOTOCYCLES, ce scooter présente la même structure que le scooter « METROPOLIS », avec deux paires de triangles portant chacun une roue (sans suspension), un amortisseur unique reliant les deux paires de triangles, des pièces en quart de cercle prévues sur chacun des triangles supérieurs et un frein susceptible de bloquer ces deux pièces en quart de cercle, de sorte que si la revendication 1 et suivantes sont interprétées aussi largement que le propose la société [T], alors ces revendications sont dépourvues de nouveauté et/ou d'activité inventive au regard de la divulgation antérieure du scooter « Scooop ».

La société [T] constate que ce scooter n'a jamais été commercialisé, la société ITALJET ayant fait faillite et que la société PEUGEOT MOTOCYCLES se fonde uniquement sur un article publié à l'époque sur ce prototype ainsi que sur des photographies qui ne permettent pas de connaître précisément les éléments qui composent ce véhicule, ni d'établir la manière dont coopèrent ses différentes pièces, ce que l'expert [U] a relevé dans son rapport, de sorte qu'il n'est pas destructeur de nouveauté des revendications R1 et R2.

Afin d'asseoir ces moyens de nullité, la société PEUGEOT MOTOCYCLES oppose un prototype « Tartare » de scooter à trois roues que la société ITALJET a tenté de commercialiser sous la marque « Scoop » et produit notamment des articles de presse datés de septembre 2000, outre des photographies et une vidéo de démonstration.

Il est établi que ce prototype divulgue un véhicule à trois roues doté d'un système de direction à deux quadrilatères articulés qui peut être bloqué par un dispositif électrohydraulique pour le stationnement ou l'arrêt du véhicule.

Cependant, ces seuls éléments ne permettent pas à la cour de connaître précisément les éléments qui composent ce véhicule ni, surtout, d'établir comment les différentes pièces de ce scooter à trois roues coopèreraient entre elles pour parvenir aux caractéristiques de la revendication 2 devenue principale du brevet EP 612. Ainsi, il n'est pas possible d'établir avec certitude comment le système de blocage ou l'amortisseur présent sur ce scooter sont associés aux quadrilatères articulés d'un point de vue structurel et fonctionnel, nonobstant certains commentaires de la presse, qui mentionnent certes « un dispositif d'arrêt » mais sans cependant entrer dans les détails de son fonctionnement et sans indiquer précisément comment il interagit avec le reste de la structure.

Ces documents ne permettent de divulguer ni l'élément d'arrêt, ni l'élément de verrouillage, ni le groupe de stationnement commandant l'élément de verrouillage, ni le dispositif d'arrêt de course des suspensions avant, de sorte que ce prototype ne constitue pas une antériorité de toute pièce de l'invention susceptible de détruire la nouveauté de la revendication 2 ainsi opposée.

La société PEUGEOT MOTOCYCLES qui invoque dans l'intitulé de ses conclusions que ce scooter attesterait également du défaut d'activité inventive ne démontre cependant nullement, eu égard à l'état de la technique, que la personne du métier, au vu du problème que l'invention prétend résoudre, aurait obtenu la solution technique revendiquée par le brevet en utilisant ses connaissances professionnelles et en effectuant de simples opérations et en partant du modèle de scooter ainsi très partiellement divulgué.

Défaut de nouveauté par rapport au document JP 6 171 569

La société PEUGEOT MOTOCYCLES oppose également le document JP 6 171 569 qui divulgue un tricycle à deux roues avant directrices qui présente la même structure que le scooter « METROPOLIS », avec deux paires de triangles portant chacun une roue, un amortisseur unique reliant les deux paires de triangles, des pièces en quarts de cercle prévues sur chacun des triangles inférieurs des paires de triangles et un frein susceptible de bloquer ces deux pièces en quart de cercle. Elle soutient que si la revendication 1 est interprétée aussi largement que le propose la société [T], cette dernière est dépourvue de nouveauté au regard de l'état de la technique que représente ce document japonais. Elle estime qu'il en est également de même pour la revendication 2, le document divulguant selon elle un groupe de stationnement et des éléments de commande.

La société [T] conteste la pertinence de cette antériorité qui ne concerne pas un dispositif anti-roulis et porte sur une trottinette pour enfant. Elle retient que la description ne permet pas d'établir que ce véhicule possède un moteur ou qu'il peut se mouvoir de façon autonome lorsqu'il est conduit par un conducteur et qu'il ne décrit pas de groupe de stationnement guidé par des moyens de commande pour commander un élément de verrouillage et un dispositif d'arrêt de course de suspensions.

Le document JP 6 171 569 est un brevet du 21 juin 1994 intitulé « dispositif de sécurité contre le retournement pour motocyclette » qui présente un véhicule à deux roues avant directrices montées sur un système de deux quadrilatères articulés avec deux suspensions indépendantes avec un dispositif anti-roulis.

Il divulgue ainsi dans son préambule :

« [But] Un mécanisme dont une roue avant de la motocyclette est divisée en deux, à gauche et à droite et le bâti principal peut être fixé sur le montant de la roue avant chaque fois que cela est nécessaire.

[Configuration] La plaque de support en forme d'éventail 7 est fixée sur les montants 3, 6 supportant les pneus de roue avant 26, 27, la plaque de support 15 est fixée sur le bras de fixation central 13 fixé sur le châssis de véhicule et les montants 3, 6 peuvent tourner librement. Comme représenté sur la figure 9, il s'agit d'un mécanisme qui, lorsque toute la motocyclette s'incline, si le frein de support 15 est activé, il est fixé, avec serrage, avec la plaque de support en forme d'éventail 7 pour maintenir l'inclinaison de toute la motocyclette. »

Le document mentionne également l'existence d'un frein tel une pince qui agit sur deux demi-disques respectivement solidaires des deux quadrilatères articulés associés à la jambe du guidon, de sorte qu'il convient de retenir qu'il divulgue également l'existence d'un élément d'arrêt solidaire du quadrilatère et un élément de blocage qui agit sur l'élément d'arrêt pour bloquer le roulis du quadrilatère.

Il doit cependant être relevé que le frein n'est pas décrit en tant que tel, ni la manière dont il est commandé. En outre, rien dans ce document n'enseigne l'existence d'un groupe de stationnement permettant, au moyen d'une commande, de commander l'élément de blocage ou de verrouillage et le dispositif de course des suspensions .

En conséquence, ce document ne détruit pas la nouveauté de la revendication 2 opposée.

Sur la validité des autres revendications

La cour rappelle que la validité d'une revendication principale entraîne celle des revendications placées sous sa dépendance.

En conséquence, la revendication 2 devenue principale ayant été reconnue valable, les revendications 3 à 5, 9, 12, 13, 15 et 16 qui en sont dépendantes et qui portent sur des composants techniques notamment sont également valables, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'examiner les moyens opposés pour en contester la validité opposés par la société PEUGEOT MOTOCYCLES.

Sur les faits de contrefaçon du brevet EP 612

La société [T] soutient que les revendications opposées sont totalement reproduites par le scooter METROPOLIS, qui est un véhicule à trois roues présentant deux roues directrices à l'avant et un dispositif anti-roulis avec une structure de quadrilatère articulé, chaque roue du scooter disposant d'un quadrilatère articulé permettant à la roue correspondante de s'incliner sur les côtés, ce que son adversaire ne contestait pas au début de la procédure, la structure désormais décrite comme un bras triangulaire constituant sans conteste, selon elle, un des côtés du parallélogramme décrit, le scooter présentant également deux suspensions indépendantes. Sur ce point, elle conteste notamment les attestations produites et les essais auxquels s'est livré le salarié de la société PEUGEOT MOTOCYCLES. Elle ajoute que le scooter METROPOLIS comprend également un élément d'arrêt et de verrouillage ainsi qu'un groupe de stationnement guidé par des moyens de commande, ce groupe de stationnement agissant sur le dispositif d'arrêt des suspensions avant et déduit que l'ensemble des revendications opposées est contrefait par la société PEUGEOT MOTOCYCLES.

La société PEUGEOT MOTOCYCLES soutient essentiellement que son modèle de scooter ne constitue par la contrefaçon du brevet EP 612 ni dans son préambule, ni dans sa partie caractérisante.

Ainsi, s'agissant du préambule, elle rappelle que la revendication 1 du brevet EP-B-1 561 612 vise une structure quadrilatérale articulée, avec deux suspensions indépendantes, qui supporte les deux roues, seul mode de réalisation décrit, alors que le scooter METROPOLIS présente des essieux à bras doubles, connus en soi, un amortisseur unique, commun aux deux essieux. Elle conteste la version de son adversaire qui soutient que les essieux à bras doubles présents sur son scooter formeraient deux structures quadrilatérales articulées avec le cadre du véhicule, ce qui est contraire selon elle à la description et à la revendication dans lesquelles la structure quadrilatérale articulée est distincte du cadre du véhicule sur lequel elle est articulée. Elle ajoute que si cette interprétation devait être retenue, il n'y aurait alors plus de suspensions indépendantes, son adversaire ne pouvant soutenir que les mêmes éléments dans son scooter constituent en même temps la structure quadrilatérale et les suspensions indépendantes.

Toujours s'agissant du préambule, elle constate que son scooter ne présente pas deux suspensions indépendantes mais deux essieux classiques à bras doubles, chacun supportant une roue et un amortisseur unique reliant ces deux essieux, les expériences qu'elle a fait réaliser permettant de constater que ces suspensions ne sont pas indépendantes, puisque lorsqu'une roue rencontre un obstacle, la position de l'autre roue est modifiée.

S'agissant de la partie caractérisante, elle soutient que son scooter ne comporte pas l'élément d'arrêt décrit mais deux demi-disques reliés chacun à la structure supportant d'une part la roue droite et d'autre part la roue gauche, et non à une structure unique, soit deux éléments d'arrêts indépendants. Elle en déduit en conséquence que son scooter utilise une structure avec une paire de doubles triangles indépendante portant chacune une roue et un amortisseur unique reliant les deux suspensions, soit une structure totalement différente du brevet EP 612 qui revendique un parallélogramme unique distinct du châssis avec deux suspensions indépendantes portant chacune une roue.

L'appelante affirme que la revendication 2 ne peut être interprétée qu'en même temps que la revendication 1 dont elle dépend et que dans le brevet opposé, les dispositifs d'arrêts de course de la revendication 2 sont des dispositifs distincts, chacun adapté à bloquer l'une des suspensions indépendantes de la revendication 1. Or, selon elle, sur le scooter METROPOLIS, il n'existe pas de suspensions indépendantes et il n'est prévu qu'un seul et unique dispositif de blocage qui bloque l'ensemble de la structure et empêche tout mouvement. Il est ainsi, selon elle, totalement contradictoire de prétendre que ce dispositif de blocage unique constitue d'une part l'élément d'arrêt et l'élément de verrouillage de la revendication 1, et constitue d'autre part et simultanément les deux dispositifs d'arrêt de course de chacune des suspensions indépendantes, énoncés à la revendication 2, de sorte que cette dernière n'est pas reproduite.

En application des dispositions du dernier alinéa de l'article 64 de la Convention de Munich (CBE), la contrefaçon d'un brevet européen est appréciée conformément à la législation nationale.

Aux termes de l'article L. 615-1, alinéas 1 et 2, du code de la propriété intellectuelle, « Toute atteinte portée aux droits du propriétaire du brevet, tels qu'ils sont définis aux articles L.613-3 à L.613-6, constitue une contrefaçon. La contrefaçon engage la responsabilité civile de son auteur ».

La contrefaçon est réalisée lorsque les moyens essentiels, constitutifs de l'invention revendiquée, se retrouvent dans le ou les produits incriminés.

Sur la reproduction de la revendication 1

La cour ayant retenu que la revendication 1 encourait la nullité pour défaut de nouveauté et ne pouvait être opposée à la société PEUGEOT MOTOCYCLES, les demandes en contrefaçon formées par la société [T] à ce titre doivent être rejetées.

Sur la reproduction de la revendication 2

La revendication 2, toujours opposable, se lit en combinaison avec la revendication 1, à laquelle sont ainsi ajoutés l'arrêt de la course des deux suspensions avant indépendantes des roues et l'action du groupe de stationnement, de sorte que la contrefaçon suppose que soient reproduites l'ensemble des caractéristiques de ces revendications.

La société PEUGEOT MOTOCYCLES ne conteste pas que le scooter METROPOLIS comporte un dispositif anti-roulis.

Sur ce, au vu des pièces produites et, notamment, le manuel technique et la documentation d'atelier du scooter METROPOLIS ainsi que le schéma extrait de la demande de brevet déposée par la société PEUGEOT MOTOCYCLES, la cour constate que le scooter METROPOLIS présente un système de direction avant doté d'une double structure quadrilatérale articulée, double structure dont il a déjà été retenu qu'elle était concernée par le périmètre de protection du brevet.

Par ailleurs, alors que la société PEUGEOT MOTOCYCLES ne contestait pas cette description technique de « structure quadrilatérale » lors de ses premières écritures, elle soutient désormais que la cinématique de sa suspension porte en réalité sur deux paires de triangles distincts, situés à droite et à gauche.

Cependant, la cour constate que cette notion de triangle recouvre en fait la forme de la barre inférieure horizontale de chacune des deux structures quadrilatérales qui sont bien présentes dans le scooter METROPOLIS, les deux « barres » verticales étant constituées d'un côté par le bras latéral et de l'autre par le cadre, cette double structure apparaissant au demeurant clairement sur les photographies du scooter METROPOLIS produites par la société PEUGEOT MOTOCYCLES dans ses écritures à l'occasion de tests réalisés en interne (et notamment pages 194 et 195). En outre, le brevet EP 612 ne mentionne pas que la structure quadrilatérale est « distincte » du cadre, ni que les suspensions sont séparées et distinctes de la structure quadrilatérale, ces dernières étant seulement décrites comme « indépendantes ».

Au surplus, dans la description de la demande de brevet WO 2014/009637 déposée par la société PEUGEOT MOTOCYCLES décrivant le train roulant du scooter METROPOLIS en cause, est clairement mentionnée la présence de « quadrilatère déformable ».

Les parties débattent ensuite longuement sur l'existence ou non de deux suspensions indépendantes sur le scooter METROPOLIS.

La cour constate que le scooter incriminé est effectivement doté de deux suspensions reliées par un amortisseur hydraulique, qui empêcherait, selon la société PEUGEOT MOTOCYCLES, tout mouvement indépendant des deux suspensions.

Cependant, comme le démontre la société [T], la notion de suspension ne se confond pas avec la notion d'amortisseur : ainsi, la suspension peut se définir comme l'ensemble des organes qui assurent la liaison entre un véhicule et ses roues, transmettent aux essieux le poids du véhicule et permettent de relier élastiquement les roues au châssis pour absorber les chocs dus aux inégalités de la surface de roulement, alors que l'amortisseur constitue un dispositif distinct destiné à amortir ou amoindrir la violence d'un choc ou les vibrations d'une machine, même si, évidemment, les amortisseurs peuvent venir en complément de la suspension.

En conséquence, le seul fait que le scooter Métropolis soit doté d'un amortisseur unique commun aux deux suspensions ne saurait constituer une preuve structurelle de non-contrefaçon.

Puis, chacune des deux parties a fait réaliser des tests non contradictoires permettant d'étudier le comportement du scooter METROPOLIS lorsqu'il rencontre un obstacle afin d'établir s'il dispose ou non de manière fonctionnelle de suspensions indépendantes.

La cour retient qu'au sens du domaine technique du brevet, deux suspensions indépendantes sont deux suspensions qui permettent à chaque roue avant de bouger verticalement indépendamment l'une de l'autre, sans que soit exclue l'existence d'efforts de rappel élastiques consécutifs et secondaires.

Or, à cet égard, les expériences menées par M. [H], salarié de la société PEUGEOT MOTOCYCLES, ne se différencient pas réellement de celles menées par la société [T] : ainsi, il en ressort que quand une des roues du scooter METROPOLIS rencontre un obstacle figuré par une calle, on constate clairement que la roue concernée se soulève alors que l'autre roue reste stable, confirmant le caractère indépendant des deux suspensions, même si on peut constater l'existence d'un léger « effort » qui est cependant sans effet sur le mouvement de l'autre roue.

Aussi, il convient d'en déduire que les deux suspensions du scooter METROPOLIS sont indépendantes, en ce qu'elles permettent à chaque roue du même essieu de se déplacer verticalement et de réagir à une imperfection de la route indépendamment l'une de l'autre, l'unique amortisseur commun pouvant contraindre les variations de rebond des suspensions qui, elles, restent indépendantes.

La cour retient en conséquence que le scooter METROPOLIS reproduit intégralement le préambule de la revendication 1, soit un « Dispositif anti-roulis pour un véhicule du type équipé d'un système de direction avant avec une structure quadrilatérale articulée et avec deux suspensions avant indépendantes ».

Puis, ce scooter comporte un dispositif anti-roulis réalisé grâce au blocage de la structure du double quadrilatère, deux éléments d'arrêt, constitués de deux demi-lunes qui sont liées aux bras supérieurs du double quadrilatère et un élément de verrouillage, consistant en une pince ou étrier, qui verrouille la position des demi-lunes et qui assure le blocage de cette structure.

En outre, le scooter comprend un bouton de commande « anti-tilting » qui permet d'actionner l'étrier qui stoppe le mouvement des demi-lunes et donc le roulis.

Ainsi, la partie caractérisante de la revendication 1, soit un « dispositif anti-roulis ('.) caractérisé en ce qu'il comprend au moins un élément d'arrêt, intégralement avec un élément de ladite structure quadrilatérale dans ses mouvements de roulis, au moins un élément de verrouillage pour verrouiller la position dudit au moins un élément d'arrêt empêchant les mouvements de roulis de ladite structure quadrilatérale, et un groupe de stationnement guidé par des moyens de commande pour commander ledit élément de verrouillage», est intégralement reproduite.

Par ailleurs, et contrairement à ce que soutient la société PEUGEOT MOTOCYCLES, les pièces versées aux débats et notamment la documentation d'atelier et le manuel relatifs au scooter, démontrent que lorsque, par l'action du groupe de stationnement, l'étrier bloque les demi-lunes, chaque suspension est également bloquée, de sorte que la revendication 2 qui se lit « Dispositif anti-roulis selon la revendication 1, caractérisé en ce que ledit groupe de stationnement agit aussi sur au moins un dispositif d'arrêt de course desdites suspensions avant » est intégralement reproduite.

Sur la reproduction des autres revendications opposées

La société PEUGEOT MOTOCYCLES soutient que les revendications dépendantes ne peuvent être contrefaites du seul fait que la revendication 1 ne l'est pas, outre qu'elles sont nécessairement nulles, tant elles visent des caractéristiques banales.

La société [T] maintient, comme en première instance, que toutes les revendications opposées sont contrefaites par le scooter Metropolis.

S'agissant de la revendication 3 qui décrit l'action du groupe de stationnement sur la mâchoire du frein arrière du véhicule, la cour constate qu'il n'est produit en cause d'appel aucun élément nouveau de nature à remettre en cause la juste appréciation faite par le tribunal qui a retenu que, dans le scooter en cause, le système de verrouillage de l'inclinaison et le système de freinage ne sont pas actionnés simultanément car le frein dispose d'un moteur séparé et qu'en conséquence, la revendication 3 n'était pas contrefaite.

La revendication 4 décrit un des éléments du groupe de stationnement soit un « actionneur de stationnement » agissant sur une vis sans fin pour activer une pompe reliée à un système hydraulique adapté à la commande des éléments de verrouillage et d'arrêt de course.

Or, comme le constate la société [T] elle-même, le système hydraulique décrit n'est pas reproduit puisque c'est un système mécanique qui est présent sur le scooter PEUGEOT.

La contrefaçon par équivalence ne peut davantage être retenue, la société [T] ne démontrant pas que cette caractéristique prétendument reproduite par équivalence par des moyens distincts mais en vue du même résultat présente une fonction nouvelle et non une fonction connue de l'art antérieur.

En conséquence, la cour retient, comme le tribunal, que la revendication 4 n'est pas reproduite.

La revendication 5 décrit l'élément de verrouillage qui comprend un étrier fermement attaché au cadre du véhicule commandé par le groupe de stationnement.

Or, le scooter Métropolis, comme l'a relevé le tribunal, comporte un double élément à coulisse fixé au cadre qui agit sur les demi-lunes pour en bloquer le mouvement, de sorte que la revendication 5 est reproduite.

La revendication 9 décrit l'actionneur comme étant électromécanique.

Comme en première instance, la société PEUGEOT MOTOCYCLES en dénonce la banalité et l'absence de validité sans en contester la reproduction.

Or, cette revendication même banale est valable car combinée avec les revendications 2 à 7 dont elle est dépendante, de sorte qu'il convient de retenir que cette revendication est également reproduite.

La revendication 13 précise que le moyen de commande comprend une unité de commande électronique adaptée pour commander automatiquement l'actionneur de stationnement selon des paramètres de déplacement du véhicule.

Cependant, comme relevé s'agissant de la revendication 4, l'actionneur de stationnement dans le scooter METROPOLIS n'agit pas sur une vis sans fin, ni ne commande le frein arrière, comme dans le brevet EP 612, de sorte que l'actionneur de stationnement mentionné dans cette revendication 13 n'est pas reproduit.

S'agissant de la combinaison 15 qui enseigne la composition des moyens de commande qui comprennent un capteur pour détecter des anomalies dans le système et un indicateur optique qui est relié à ce capteur pour indiquer les anomalies au conducteur, la société [T] verse aux débats un extrait de la documentation d'atelier du scooter METROPOLIS qui illustre la présence de capteurs capables de détecter une anomalie et qui déclenchent un voyant lumineux pour en alerter le conducteur.

La société PEUGEOT MOTOCYCLES qui se contente de dénoncer le caractère banal des revendications dépendantes ne formule aucune remarque quant à la reproduction de cette revendication.

Au vu de cet ensemble d'éléments, la cour retient que la revendication 15 qui se lit en combinaison avec les revendications 9 et 2 à 7 est en conséquence reproduite dans le scooter METROPOLIS.

La revendication 16 enseigne que les moyens de commande comprennent un bouton pour le déclenchement de l'actionneur de stationnement et de l'élément de verrouillage à la discrétion du conducteur. Comme déjà vu pour la revendication 13, dans la mesure où l'actionneur de stationnement mentionné dans cette revendication n'est pas reproduit, il ne peut être retenu une reproduction de la revendication 16.

En conséquence, la cour retient que le scooter Metropolis contrefait les revendications 2, 5, 9 et 15 du brevet EP 612. Le jugement déféré doit être confirmé, sauf en ce qu'il n'a pas retenu la contrefaçon de la revendication 15 et doit être infirmé de ce chef.

Sur les faits de contrefaçon du modèle communautaire N°487723-0001

La société [T] soutient en substance que les deux premières versions du scooter Metropolis constituent une contrefaçon de son modèle communautaire au regard des nombreuses et importantes similitudes qui suscitent chez l'observateur averti une impression visuelle globale similaire, ce que confirme selon elle un sondage qu'elle a fait réaliser.

La société PEUGEOT MOTOCYCLES rappelle que l'appréciation de la contrefaçon de dessins et modèles suppose que la comparaison des vues entre le modèle enregistré et le METROPOLIS soit réalisée de façon objective ; or, elle constate que pour effectuer la comparaison, la société [T] n'utilise pas l'ensembles des photographies du modèle tel qu'il a été déposé et utilise en outre une photographie de la face avant qui ne fait pas l'objet de cette protection.

Elle ajoute que les caractéristiques sur lesquelles son adversaire se fonde pour assoir sa comparaison sont quasiment toutes techniques (et non esthétiques), soulignant que celles-ci ne peuvent pas bénéficier de la protection par les dessins et modèles, outre que certaines caractéristiques techniques invoquées par [T] ont largement été divulguées.

Elle retient que la comparaison objective des caractéristiques esthétiques, réalisée vue par vue, entre le modèle enregistré et le scooter METROPOLIS permet de constater l'absence de ressemblances et ainsi l'absence d'impression visuelle d'ensemble identique pour l'observateur averti qui a une connaissance étendue du secteur des motocycles, ce que confirme selon elle un sondage qu'elle a fait réaliser, outre que le tribunal de Milan a déjà statué de ce même sens, par une décision devenue définitive.

L'article 19 du règlement (CE) 6/2002 du 12 décembre 2001 relatif aux dessins et modèles communautaires dispose que :

« 1. Le dessin ou modèle communautaire enregistré confère à son titulaire le droit exclusif de l'utiliser et d'interdire à tout tiers de l'utiliser sans son consentement. Par utilisation au sens de la présente disposition, on entend en particulier la fabrication, l'offre, la mise sur le marché, l'importation, l'exportation ou l'utilisation d'un produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé ou auquel celui-ci est appliqué, ou le stockage du produit à ces mêmes fins.

2. Le dessin ou modèle communautaire non enregistré ne confère cependant à son titulaire le droit d'interdire les actes visés au paragraphe 1 que si l'utilisation contestée résulte d'une copie du dessin ou modèle protégé.

L'utilisation contestée n'est pas considérée comme résultant d'une copie du dessin ou modèle protégé si elle résulte d'un travail de création indépendant réalisé par un créateur dont on peut raisonnablement penser qu'il ne connaissait pas le dessin ou modèle divulgué par le titulaire».

Ces dispositions doivent être lues à la lumière de l'article 10 du même texte selon lequel:

« 1- la protection conférée par le dessin ou modèle communautaire s'étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l'utilisateur averti une impression visuelle globale différente.

2. Pour apprécier l'étendue de la protection, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l'élaboration du dessin ou modèle ».

Il résulte de ces textes que la protection conférée par l'enregistrement d'un dessin ou modèle, national ou communautaire, s'étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l'observateur averti une impression visuelle d'ensemble différente.

Par ailleurs, si la contrefaçon s'apprécie par les ressemblances et non par les différences, ces dernières ne peuvent être ignorées ou qualifiées de détail, lorsqu'elles portent précisément sur les éléments caractéristiques du modèle prétendument contrefait et revendiquées comme nouvelles, comme le distinguant des autres modèles préexistants et lorsque les ressemblances constatées relèvent de la reprise d'un même genre ou d'un emprunt au domaine public.

En outre, en vertu de l'article 8 du même règlement, « un dessin ou modèle communautaire ne confère pas de droits sur les caractéristiques de l'apparence d'un produit qui sont exclusivement imposées par sa fonction technique ». Et selon la CJUE, pour apprécier si des caractéristiques de l'apparence d'un produit sont exclusivement imposées par la fonction technique de celui-ci, il y a lieu d'établir que cette fonction est le seul facteur ayant déterminé ces caractéristiques, l'existence de dessins alternatifs n'étant pas déterminante, selon le critère dit « de la multiplicité de la forme ».

Ainsi, comme l'a justement retenu le tribunal, quand bien même l'apparence du scooter est constituée de l'assemblage d'éléments exclusivement techniques ayant une vocation fonctionnelle (tels que les roues, les phares, le carénage, le coffre, les rétroviseurs'), le choix de l'apparence des éléments composant le scooter n'a pas été déterminé exclusivement par la seule nécessité de remplir une fonction technique mais a été guidé, également, par d'autres considérations, notamment liées à l'apparence et à l'aspect visuel du produit, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'exclure ce scooter du bénéfice de la protection au titre des dessins et modèles.

En l'espèce, le modèle tel que déposé dans la catégorie « cycle et motocycle » porte sur un « cyclomoteur » et comporte sept photographies d'un scooter à trois roues.

La cour retient, comme le tribunal de l'Union Européenne dans sa décision du 24 septembre 2019 concernant un modèle de scooter de la société [T], que l'utilisateur averti du dessin ou modèle en cause est la personne qui utilise un scooter pour ses propres déplacements, qui connait les différents dessins ou modèles de scooters existant dans le commerce et qui possède un certain degré de connaissance quant aux éléments que ces produits comportent normalement. Ainsi, compte tenu de son intérêt pour les véhicules en question, cette personne peut s'entendre comme désignant un utilisateur à la fois doté d'une vigilance particulière et particulièrement attentif et sensible au design et à l'esthétique des produits concernés.

S'agissant du degré de liberté du créateur, la cour considère qu'il peut être qualifié de moyen compte tenu à la fois de la fonctionnalité et de la technicité du produit mais aussi d'une possibilité de création quant à certains accessoires qui le composent, comme le démontre la société [T] en versant aux débats des photographies d'autres scooters.

Il convient donc de procéder, au regard de cet utilisateur averti qui présente un niveau d'attention relativement élevé, à une comparaison entre les représentations figurant au dépôt du modèle opposé, qui déterminent le périmètre du monopole concédé à la société [T] et non à partir de photographies du scooter MP3 effectivement commercialisé, et les scooters METROPOLIS I et II, en tenant compte du degré de liberté moyen du créateur.

Or, la comparaison globale à laquelle s'est livrée la cour des scooters METROPOLIS présentés dans une configuration identique à chacune des figures du modèle opposé, soit des vues de face et d'arrière, de dessus, de dessous, de profil gauche et droit et de trois quarts, permet de retenir qu'il produit une impression d'ensemble différente de celle du modèle n°487723-0001 opposé.

Extraits des conclusions de la société PEUGEOT MOTOCYCLES illustrant de manière non contestée les deux scooters :

Modèle protégé Scooter Métropolis

Ainsi, si les deux scooters présentent la même structure s'agissant d'un véhicule équipé de deux roues avant et d'une roue arrière, d'un carénage, de deux rétroviseurs, d'un pare-brise avant et d'optiques à l'avant et à l'arrière, d'un coffre, d'une selle à la forme ergonomique, soit autant d'éléments fonctionnels indispensables sur ce type d'engin, il n'en demeure pas moins que l'impression d'ensemble produite par le modèle opposé n'est nullement similaire aux scooters METROPOLIS pour l'utilisateur averti.

À cet égard, la cour constate que le modèle opposé présente un aspect plus arrondi et ramassé, alors que les scooters METROPOLIS offrent des formes plus saillantes et plus anguleuses, en particulier dans la vue de face et de trois quarts. L''il de l'observateur averti sera également attiré par la structure en plastique du METROPOLIS plus imposante, la répartition de l'équilibre plastique/structure métallique des deux scooters se différenciant nettement.

La cour retient également, comme le relève la société PEUGEOT MOTOCYCLES, que le scooter du modèle déposé est pensé comme un tout, sans décrochage au niveau du repose pied, le carénage se poursuivant de l'avant vers l'arrière, avec une forme plongeante alors que sur le scooter METROPOLIS, il existe deux parties plus distinctes au niveau du châssis entre la partie avant et la partie arrière séparée par un repose-pied horizontal.

L'utilisateur averti notera également les différences existant s'agissant des structures entourant les optiques de face, arrondies sur le modèle opposé et plus anguleuses sur le METROPOLIS, de la forme du radiateur inférieur nettement distincte dans les deux modèles, ainsi que de la structure basse, évidée dans le modèle déposé alors que sur le METROPOLIS la structure avant se prolonge entre les roues.

Ces mêmes constats peuvent être faits à partir de la vue arrière des engins en cause: le modèle déposé par la société [T] présente des feux arrondis, disposés sous le coffre, alors que les feux arrières du METROPOLIS sont de forme triangulaire et placés en haut du coffre, dont l'aspect est plus marqué et saillant, autant d'éléments qui seront également pris en compte par l'utilisateur averti à la fois doté d'une vigilance particulière et particulièrement attentif et sensible au design et à l'esthétique des produits concernés.

Ces différences d'aspect et de lignes ont au demeurant été relevées par la presse spécialisée.

S'agissant du sondage DOXA de février 2015 sur lequel s'appuie la société [T], la cour relève que les photographies reproduites dans ce sondage ne correspondent pas aux photographies du modèle tel que déposé mais reproduisent différentes vues du scooter MP3 tel que commercialisé. Par ailleurs, le sondage ne porte que sur le modèle [T] et le modèle PEUGEOT, de sorte qu'en le focalisant uniquement sur ces deux modèles, il n'est pas possible de déterminer si les éventuelles ressemblances observées correspondent à des ressemblances portant sur l'esthétique relevant du design ou relevant de la structure et du type de scooter lui-même. En outre, le public interrogé retenu a été celui des utilisateurs de motos, qui ne peut être confondu totalement avec celui qui utilise des motocyclettes.

L'ensemble de ces éléments conduit la cour à considérer les résultats ainsi obtenus avec circonspection quant à la prétendue démonstration de la contrefaçon de modèle.

Par ailleurs, la cour fait siennes les constatations opérées par le tribunal qui a notamment relevé que chacun des scooters en cause présenté séparément est globalement distingué et identifié par les sondés.

En conséquence, la cour retient, comme le tribunal, que la contrefaçon du modèle communautaire n° 487723-001 dont est titulaire la société [T] n'est pas caractérisée de sorte que les demandes formulées à ce titre doivent être rejetées, le jugement déféré étant confirmé de ce chef.

Sur les faits de parasitisme

La société [T] soutient qu'au vu des investissements importants engagés pour la promotion de son scooter MP3, de sa particulière notoriété et de l'image d'innovation et de qualité qui y est associée, elle démontre que ce dernier représente une valeur économique individualisée. Elle estime en conséquence qu'en reproduisant de manière servile son scooter, la société PEUGEOT MOTOCYCLES a entendu se placer dans son sillage et bénéficier ainsi de ses investissements et de la notoriété de son produit. Elle souligne que la présente demande se distingue de celles formulées au titre de la contrefaçon de brevet, en ce qu'elle a tend à obtenir la réparation du préjudice né de la volonté de la société PEUGEOT MOTOCYCLES de tirer profit de cette notoriété et des investissements promotionnels consentis. Critiquant la décision des premiers juges, elle rappelle que les investissements éventuellement réalisés par son concurrent ne peuvent suffire à écarter la qualification de parasitisme, et que ce dernier peut être caractérisé indépendamment de tout détournement de clientèle.

La société PEUGEOT MOTOCYCLES conteste tout comportement parasitaire, rappelant qu'elle constitue une société historique et que les premiers cycles PEUGEOT ont été commercialisés dès le XIXème siècle, de sorte qu'elle n'avait pas besoin de la notoriété de la société [T] pour se lancer sur le marché du scooter à trois roues. Elle estime également que son adversaire ne verse aucun élément probant sur les investissements réellement consentis et qu'au travers de ces demandes, la société [T] tente de s'arroger un monopole sur le principe même du scooter à trois roues. Elle ajoute avoir elle-même engagé des investissements conséquents pour promouvoir son scooter et qu'en tout état de cause, le scooter MP3 reste le leader sur le marché, les parts de marché du METROPOLIS ayant, elles, diminué.

Sur ce, la cour rappelle que le parasitisme économique est une forme de déloyauté, constitutive d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil, qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.

Il appartient à celui qui se prétend victime d'actes de parasitisme d'identifier la valeur économique individualisée qu'il invoque, ainsi que la volonté d'un tiers de se placer dans son sillage.

Le savoir-faire et les efforts humains et financiers propres à caractériser une valeur économique identifiée et individualisée ne peuvent se déduire de la seule longévité et du succès de la commercialisation du produit et, les idées étant de libre parcours, le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en 'uvre par un concurrent ne constitue pas, en soi, un acte de parasitisme (Com., 26 juin 2024, pourvoi n° 23-13.535).

Par ailleurs, il appartient à la société [T] de démontrer l'existence d'un préjudice distinct de celui invoqué au titre de la contrefaçon de son brevet en sa qualité à la fois de titulaire et d'exploitante des droits issus de son brevet.

Sur ce, la cour retient qu'au vu tant des investissements financiers consentis afin de promouvoir le scooter MP3, du succès commercial rencontré ( ce dernier étant toujours leader sur le marché des scooters à trois roues), de sa forte notoriété qui ressort des nombreuses campagnes de publicité notamment en France mais aussi des très nombreux articles de presse mettant en avant sa stabilité, sa puissance et son confort, fruit d'un savoir-faire, la société [T] identifie l'existence d'une valeur économique individualisée.

Cependant, le fait pour la société PEUGEOT MOTOCYCLES d'avoir lancé un scooter à trois roues en 2013, soit sept années après que la société [T] a lancé sur le marché son scooter, en le déclinant, puisqu'il a déjà été retenu qu'il ne constituait pas une contrefaçon sur le terrain des dessins et modèles, la presse, notamment lors de son lancement, au travers d'études comparatives entre les deux modèles, ayant relevé la singularité du modèle PEUGEOT, ne constitue pas en soi une faute et un acte de parasitisme, traduisant la volonté de la société PEUGEOT MOTOCYCLES de se placer dans le sillage de la société [T], en dehors de tout autre comportement déloyal démontré, autre que la contrefaçon de son brevet.

En outre, il doit être relevé que la société PEUGEOT MOTOCYCLES jouit, tout autant que la société [T], d'une notoriété certaine et ancienne notamment dans le marché des cycles et cyclomoteurs et n'a jamais entendu dans sa communication se référer à son concurrent et ainsi tirer indument profit de sa notoriété, son savoir-faire ou de ses investissements.

C'est en conséquence à juste titre que le tribunal a débouté la société [T] de ses demandes formulées au titre du parasitisme, le jugement déféré étant confirmé de ce chef.

Sur les demandes de la société [T]

Les demandes de dommages et intérêts

La société [T] soutient d'abord avoir subi un préjudice moral lié, d'une part, à l'atteinte au titre, soulignant avoir investi massivement dans la recherche pour aboutir à la conception de ce scooter, et en particulier à la fonction « anti-tilting » lui permettant d'avoir une stabilité comparable à celle d'une voiture, tout en conservant la maniabilité d'un deux roues et, d'autre part, à la banalisation de son invention, outre l'atteinte à son image d'entreprise innovante. Elle invoque également l'existence d'un préjudice commercial en terme de manque à gagner et de pertes subies, eu égard à la masse contrefaisante, au taux de report, à la durée des faits en cause outre l'importance du brevet dans le scooter en cause. Elle retient que son préjudice doit être calculé à partir du chiffre d'affaires total réalisé par la société PEUGEOT MOTOCYCLES sur la vente des scooters contrefaisants auquel elle applique un pourcentage de 53,3% (correspondant au pourcentage de français interrogés dans un sondage qu'elle a fait réaliser qui estiment que leur acte d'achat d'un scooter à trois roues dépend de la présence du système anti-roulis), puis son taux de marge à hauteur de 30%, soit une somme de 22.486.798 euros.

La société PEUGEOT MOTOCYCLES conteste les demandes formulées à son encontre, soulignant que le brevet invoqué ne concerne qu'un détail d'implémentation du scooter, qui n'a jamais été mis en avant de manière particulière par la société [T] dans sa communication, de sorte que les dommages et intérêts ne peuvent être évalués sur la totalité de son chiffre d'affaires à partir des ventes du scooter Métropolis mais tout au plus en prenant en considération la part de l'invention comparée l'ensemble des brevets nécessaires pour sa mise en 'uvre. Elle ajoute qu'en outre, au regard de sa notoriété, de nombreuses ventes du scooter Métropolis sont liées à l'attachement des consommateurs à sa marque nationale, outre que la société [T] reste dominante sur le secteur et que la perte alléguée de parts de marché est liée essentiellement à la multiplication des concurrents sur ce secteur des scooters à trois roues. S'agissant de l'atteinte au titre, la société PEUGEOT MOTOCYCLES constate que son adversaire ne verse aucun élément sur le préjudice subi en conséquence, soulignant qu'un de ses brevets a été révoqué par l'OEB et que la validité de son brevet est largement remise en cause.

L'article L.615-7 du code de la propriété intellectuelle dispose que « Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :

1° Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;

2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;

3° Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.

Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée. »

Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que la directive 2004/48/CE du 29 avril 2004, dont l'article L. 615-7 assure la transposition en droit français, vise à atteindre un niveau élevé de protection des droits de propriété intellectuelle, qui tient compte des spécificités de chaque cas et est basé sur un mode de calcul des dommages-intérêts tendant à rencontrer ces spécificités (CJUE, 17 mars 2016, Liffers, C-99/15, point 24), dont le choix relève de la partie lésée.

Il est en outre acquis que le préjudice doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties (Cass. Com. 8 juin 2017 15-21.357).

La cour rappelle d'abord que la contrefaçon, rejetée au titre du modèle communautaire, n'est établie que s'agissant des revendications 2, 5, 9 et 15 du brevet EP 612, soit le dispositif anti-roulis et d'arrêt de course des suspensions, la cour retenant, comme le tribunal, qu'il ne peut être qualifié de détail d'implémentation du scooter, puisqu'il contribue à en assurer tout à la fois la maniabilité, la stabilité et la fiabilité, même s'il ne constitue qu'une part de la technologie mise en 'uvre dans le scooter METROPOLIS.

La contrefaçon ainsi constatée du brevet EP 612 constitue incontestablement une atteinte au monopole et au droit privatif en résultant, et contribue à la banalisation de cette invention, pouvant laisser croire aux concurrents présents sur le marché que cette technologie spécifique est libre de droit et elle porte en outre atteinte à l'image de la société [T], reconnue à l'origine comme une entreprise pionnière et innovante.

La cour considère que le préjudice moral subi à ce titre sera justement réparé par l'octroi d'une somme de 50.000€, le jugement étant infirmé quant au quantum de la somme allouée.

Par ailleurs, il résulte des pièces versées, non contestées sur ce point, que sur une période comprise entre son lancement en 2013 et la fin du mois d'août 2024, la société PEUGEOT MOTOCYCLES a commercialisé en France 18.691 scooters METROPOLIS représentant un chiffre d'affaires pour les distributeurs de 148.835.205€ (au regard du prix public moyen pratiqué), soit, avec un taux de marge de 30% retenu par la cour, un bénéfice de l'ordre de 44.650.561€, étant rappelé toutefois que la société PEUGEOT MOTOCYCLES ne commercialise pas ce produit directement auprès du public mais via un réseau de distributeurs, de sorte que le bénéfice doit être minoré en conséquence de l'ordre de 10%, soit un bénéfice net de 40 millions d'euros, la société [T] ne pouvant être suivie quand elle affirme que le préjudice subi doit être évalué à partir du chiffre d'affaires de la société PEUGEOT MOTOCYCLES.

Contrairement à ce que soutient la société [T], le taux de report ne peut être considéré comme total, la société PEUGEOT MOTOCYCLES bénéficiant d'une notoriété certaine et les consommateurs pouvant être amenés à choisir un scooter MP3 par référence à la marque française PEUGEOT. Néanmoins, eu égard à la position de leader occupée par le scooter de la société [T] sur toute la période, alors qu'il n'est pas contesté, en outre, que cette dernière aurait eu les capacités industrielles pour produire un nombre plus important de scooters, ce taux de report peut être raisonnablement fixé à hauteur de 75%.

Il doit aussi être pris en considération la part contributive du brevet dans le produit contrefait, tenant compte à la fois de l'apport technologique que constitue le dispositif anti-tilting dans la maniabilité et la stabilité du scooter, mais aussi de ce que ce dernier est un produit complexe intégrant de nombreux autres aspects techniques et technologiques (comme le démontre notamment le dépôt de plus d'une cinquantaine de brevets par la société [T]) et également des caractéristiques esthétiques, part qui peut donc être estimée à hauteur de 10%, outre que la contrefaçon n'a pas été reconnue pour l'ensemble des revendications du brevet. La société [T] ne peut ainsi être suivie lorsqu'elle estime que la présence du système anti-roulis conditionne majoritairement la décision d'achat des consommateurs, n'ayant au demeurant jamais axé spécifiquement sa communication sur ce point auprès du public. A cet égard, le sondage invoqué par la société [T] réalisé en italien et dont il n'est produit qu'une traduction partielle permet seulement de relever que la présence du système « Roll Lock », dont on ignore s'il recouvre intégralement la technologie mise en 'uvre dans le brevet EP 612, a été décisive dans la décision d'achat du scooter MP3 pour 18% du public concerné.

Il s'ensuit que le manque à gagner subi par la société [T] peut être évaluée à 3.000.000€ selon le calcul suivant, en partant du bénéfice réalisé sur le volume contrefaisant, en tenant compte du taux de report de 75% et de la part contributive du brevet dans le produit contrefait à hauteur de 10%, soit 40.000.000x 75% x 10%.

S'agissant de la perte de marché avérée, la société [T] passant d'une situation de monopole en 2010 à une part de marché de l'ordre de 60% en 2023, elle doit cependant être relativisée car la société [T] reste largement dominante sur le secteur, la société PEUGEOT MOTOCYCLES étant loin derrière elle, sa part de marché se réduisant même avec l'arrivée de nouveaux concurrents, comme en attestent les graphiques établis par la société PEUGEOT MOTOCYCLES non contestés sur ce point.

Ainsi, si jusqu'en 2011, la société [T] occupait tout le marché du scooter à trois roues, elle a d'abord perdu son monopole en raison de l'arrivée de constructeurs tiers, la société PEUGEOT MOTOCYCLES ne lançant son modèle qu'en 2013. Par ailleurs, de 2013 à 2020, les parts de marché de la société [T] sont restées globalement stables autour de 75% tandis que celles de la société PEUGEOT MOTOCYCLES ont oscillé entre 11 et 21%. Et, si à compter de 2021 notamment, les parts de marché de la société [T] diminuent, passant à une moyenne de 60%, il en est de même de la part de marché du METROPOLIS qui représente alors 13% du marché, part qui continue de baisser en 2022-2023, alors que les parts de marché des autres concurrents ont continué de progresser.

En conséquence, au vu de cet ensemble d'éléments appréciés distinctement, la cour considère que le préjudice économique subi par la société [T], s'agissant tant du manque à gagner que de la perte de marché subie en lien avec les faits de contrefaçon établis du brevet EP 612 par la société PEUGEOT MOTOCYCLES, sera justement réparé par l'octroi d'une somme de 3 000 000€, sans qu'il soit nécessaire au surplus d'ordonner une mesure d'information, le jugement déféré étant infirmé quant au quantum de la somme allouée.

Les demandes de rappel et d'interdiction

La société PEUGEOT MOTOCYCLES conteste les demandes de mesures d'interdiction et de rappel présentées à nouveau par la société [T], soulignant notamment qu'elles ne sont ni justifiées, ni proportionnées, puisque le brevet en cause ne porte que sur un détail d'implémentation du système anti-tilting, que ni les ventes ni les parts de marché de la société [T] ne sont affectées par les faibles ventes des scooters METROPOLIS et que le brevet opposé doit prochainement expirer le 1er février 2025. A titre subsidiaire, elle souligne qu'une compensation pécuniaire peut venir réparer le préjudice invoqué.

La société [T] rappelle que les mesures d'interdiction et de rappel sont pleinement justifiées eu égard aux atteintes portées à ses droits afin de les préserver, le dispositif contrefait représentant selon elle une partie substantielle de son scooter. Elle souligne que les mesures sollicitées sont proportionnées au regard des intérêts en présence, nonobstant l'expiration prochaine de son brevet, qui ne peut occulter les faits de contrefaçon auxquels s'est livrée la société PEUGEOT MOTOCYCLES depuis plus de 10 ans. A titre subsidiaire, elle formule une demande de compensation financière.

Au vu des circonstances particulières du cas d'espèce, s'agissant d'une instance introduite d'abord sur la base de quatre brevets dont un a été invalidé, l'instance d'appel ne portant plus que sur le brevet EP 612 dont l'expiration est proche et qui a fait l'objet de débats longs et nourris s'agissant de sa portée, portant sur une masse contrefaisante relativement limitée et alors que la part de marché occupée par la société PEUGEOT MOTOCYCLES est en diminution depuis 2021, la cour considère que la mesure de rappel et d'interdiction sollicitée apparaît disproportionnée au regard des intérêts en présence et entraînerait pour le contrefacteur mais aussi pour les tiers de bonne foi une rigueur excessive non justifiée par le droit d'exclusivité, alors qu'une mesure de compensation pécuniaire est à même de réparer les droits de la partie lésée, la société [T] ayant admis avoir accordé une licence concernant son exploitation à un autre concurrent.

Aussi, tenant compte notamment du fait que la société PEUGEOT MOTOCYCLES a fait le choix de continuer de commercialiser son scooter malgré les termes du jugement de première instance du 7 septembre 2021 qui avait constaté les faits de contrefaçon du brevet EP 612, des volumes estimés de vente de produits sur la période à venir avant l'expiration de la protection du brevet le 1er février 2025, soit environ 300 scooters, il doit être allouée à la société [T] une somme de 150.000€ à titre de compensation pécuniaire destinée à rétablir celle-ci dans ses droits, en l'absence de mesures d'interdiction et de rappel ordonnées.

En conséquence, le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de rappel des circuits commerciaux des scooters PEUGEOT mais infirmé en ce qu'il a fait droit aux mesures d'interdiction sollicitée.

La demande de publication

La cour considère qu'au vu des circonstances de l'espèce, le préjudice subi par la société [T] est suffisamment réparé par l'octroi des dommages et intérêts, de sorte que le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens

La société PEUGEOT MOTOCYCLES, succombant, sera condamnée aux dépens d'appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées.

Enfin, l'équité et la situation des parties commandent de condamner la société PEUGEOT MOTOCYCLES à verser à la société [T] une somme de 150.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, cette somme complétant celle allouée en première instance.

PAR CES MOTIFS,

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a :

Dit non prescrites les demandes en nullité de la partie française du brevet EP 612 formées par la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS,

Déclaré nulle pour défaut de nouveauté, la revendication 1 de la partie française du brevet EP 1 561 612 dont est titulaire la société [T] & C.SpA,

Débouté la société [T] & C.SpA de ses demandes en contrefaçon de la revendications 15 de la partie française du brevet EP 1 561 612,

Condamné la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS à payer à la société [T] & C.SpA, la somme de 15 000 euros, en réparation à l'atteinte à la valeur de la partie française du brevet EP1 561 612 et la somme d'un million et demi d'euros, en réparation du préjudice économique subi par la société [T] & C.SpA, du fait de la reproduction des revendications 2, 5 et 9 de la partie française du brevet EP1 561 612, dont est titulaire la société [T] & C.SpA,

Fait interdiction à la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS de poursuivre les actes de contrefaçon et notamment la fabrication, production, reproduction, promotion, commercialisation, mise sur le marché, vente, importation, exportation, utilisation et/ou détention en France, sous quelque forme et manière que ce soit, de tout véhicule à trois roues reproduisant les revendications 2, 5 et 9 de la partie française du brevet EP 1 561 612 et ce, sous astreinte de 1 000 euros par produit fabriqué, importé, offert en vente, vendu, utilisé ou détenu, à compter de la signification du jugement à intervenir,

L'infirme de ces chefs ,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déclare prescrite la demande reconventionnelle en nullité du brevet EP 1 561 612 formée par la société PEUGEOT MOTOCYCLES à titre principal,

Dit que la société PEUGEOT MOTOCYCLES est bien fondée à invoquer la nullité du brevet EP 1 561 612, par voie d'exception,

Dit que la revendication 1 du brevet EP 1 561 612 ne peut être opposée au titre de la contrefaçon par la société [T] à la société PEUGEOT MOTOCYCLES,

Dit que la société PEUGEOT MOTOCYCLES a, en fabriquant et commercialisant le scooter Metropolis, commis des actes de contrefaçon de la revendications 15 de la partie française du brevet EP 1 561 612, dont est titulaire la société [T] & C.SpA,

Condamne la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS à payer à la société [T] & C.SpA, les sommes de 50.000 euros, en réparation du préjudice moral et de 3 000 000 euros en réparation du préjudice économique subi du fait de la reproduction des revendications 2, 5, 9 et 15 de la partie française du brevet EP1 561 612, dont est titulaire la société [T] & C.SpA,

Déboute la société [T] & C.SpA de ses demandes d'interdiction ;

Condamne la société PEUGEOT MOTOCYCLES SAS à payer à la société [T] & C.SpA une somme complémentaire de 150.000 euros, en l'absence de mesures d'interdiction et de rappel,

Condamne la société PEUGEOT MOTOCYCLES aux dépens d'appel,

Condamne la société PEUGEOT MOTOCYCLES à verser à la société [T] & C.SpA une somme de 150.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.