CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 16 octobre 2024, n° 23/11093
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
RSI Fréjus (SARL), In Animation (SNC)
Défendeur :
Proman Management (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gérard
Conseillers :
Mme Combrie, Mme Vincent
Avocats :
Me Cherfils, Me De Sena, Me Sassatelli
EXPOSÉ DU LITIGE
La SAS Proman management, entreprise de travail temporaire, a embauché Mme [L] [E] à compter du 5 janvier 2010 en qualité d'assistante d'agence à [Localité 3], puis en qualité d'attachée commerciale.
Son contrat de travail contient une clause de non-concurrence interdisant à la salariée d'entrer directement ou indirectement au service d'une entreprise de travail temporaire dans le secteur géographique du Var (83) et des départements limitrophes, et ce, pour une durée de 2 ans à compter de la date de la cessation du contrat.
Le contrat de travail a pris fin le 29 juin 2021 par l'effet d'une rupture conventionnelle conclue le 7 mai 2021.
Mme [L] [E] a été embauchée par la SNC In Animation, le 5 juillet 2021, pour exercer les fonctions de chargée de qualité. Cette société a pour activités principales la gestion ou la direction d'entreprises ou de sociétés, de même que la prise d'intérêts ou de participation.
La société In Animation est membre du groupe de sociétés dénommé Groupe Belvedia.
La SARL RSI [Localité 3], société du groupe Belvedia et immatriculée le 20 avril 2021, a ouvert une agence de travail temporaire à [Localité 3].
Soupçonnant que Mme [L] [E] aurait violé son obligation de non-concurrence en rejoignant en réalité la société RSI Frejus, la SAS Proman management, a, par requête du 23 septembre 2021, sollicité du président du tribunal de commerce de Fréjus, la désignation d'un commissaire de justice aux fins de recherches de documents au sein des locaux de la SARL RSI Fréjus.
Par une ordonnance en date du 4 octobre 2021, le président du tribunal de commerce de Fréjus a fait droit à la demande de la société Proman management.
Les opérations se sont déroulées le 19 octobre 2021 au siège de la société RSI Interim. À l'issue de celles-ci, le commissaire de justice a indiqué que Mme [L] [E] était présente dans l'agence mais qu'elle avait précisé qu'elle était embauchée par la société In Animation depuis le 5 juillet 2021 en tant que responsable qualité et détachée temporairement à l'agence de [Localité 3] afin d'effectuer des contrôles qualité sur le site.
La SNC In animation a notifié son licenciement à Mme [L] [E] par lettre recommandée avec accusé de réception du 3 mars 2022.
La SAS Proman management a saisi le conseil des prud'hommes de [Localité 3] pour voir dire notamment que Mme [L] [E] a violé la clause de non-concurrence qui figurait au sein de son contrat de travail.
Par actes du 28 avril 2022, la société Proman management a assigné les sociétés RSI Fréjus et In Animation devant le tribunal de commerce de Fréjus en réparation du préjudice subi à raison de la concurrence déloyale commise par ces dernières, avec la complicité de Mme [L] [E] en violation de la clause de non-concurrence qui la liait à la SAS Proman Management.
Par jugement en date du 15 mai 2023, ledit tribunal a :
- soulevé d'office une fin de non-recevoir ;
- invité les parties à mieux se pourvoir au profit du tribunal de commerce de Marseille, tribunal spécialisé pour connaitre des pratiques commerciales restrictives de concurrence visées aux articles L. 442-1, L. 442-2, L. 442-3, L. 442-7 et L. 442-8 du code de commerce,
- réservé les dépens.
Les sociétés RSI Fréjus et In Animation ont interjeté appel du jugement du tribunal de commerce de Fréjus par déclaration en date du 24 août 2023.
Par conclusions notifiées et déposées le 18 juin 2024 auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du Code de procédure civile, Les sociétés RSI [Localité 3] et In Animation demandent à la cour de :
- dire et juger recevables les concluantes en leur appel ;
- annuler ou réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
statuant à nouveau,
- juger que le tribunal de commerce de Fréjus est compétent pour connaître du litige ;
- renvoyer la cause et les parties devant ledit tribunal autrement composé ;
Si la cour devait évoquer l'affaire :
- vu l'article 1240 du code civil ;
- juger que les sociétés RSI [Localité 3] et In Animation n'ont commis aucune faute ;
- ordonner la mise hors de cause de la société RSI [Localité 3]
- juger qu'en tout état de cause, Proman management n'a subi aucun préjudice ;
- juger qu'enfin le lien de causalité est inexistant ;
à titre infiniment subsidiaire,
vu l'article 1231 du code civil,
- constater qu'il n'y a jamais eu aucune mise en demeure et que dès lors, la société Proman a perdu tout droit de solliciter la condamnation des concluantes ;
- constater par ailleurs que le Conseil de Prud'hommes de FREJUS a annulé la clause pénale stipulée dans la clause de non-concurrence ;
- débouter par conséquent la société Proman management de ses demandes portant sur cette clause et notamment les sommes de 78.995 et 31 .205,07 € auxquelles Mme [E] n'a pas été condamnée ;
- constater que pour le reste, la société Proman est tout autant irrecevable qu'infondée à solliciter l'indemnisation des préjudices qu'elle allègue, mais dont elle ne démontre ni le principe, ni le quantum ;
en tout état de cause,
- débouter la société Proman management de ses entières demandes, fins et prétentions;
- condamner la société Proman management aux entiers dépens, outre la somme de
7 500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de leurs prétentions, les sociétés RSI [Localité 3] et IN ANIMATION font valoir que :
- le tribunal de commerce a violé le principe du contradictoire en relevant d'office une fin de non-recevoir sans inviter les parties à présenter leurs observations ;
la société Proman management fondait ses demandes en première instance sur la responsabilité civile extracontractuelle dont découle l'action en concurrence déloyale, et non sur les articles L. 442-1 et suivants du code de commerce ;
- l'embauche d'un salarié lié par une clause de non-concurrence ne peut être constitutive d'une faute que si le nouvel employeur était informé de ladite clause et que c'est sciemment qu'il l'a tout de même embauché ;
- la société RSI [Localité 3] est dotée d'une personnalité morale différente de la société In Animation, et n'a jamais embauché Mme [E] ;
- il n'existe aucune preuve, ni d'un préjudice subi, ni a fortiori d'un lien de causalité entre un préjudice et une faute ;
Par conclusions notifiées et déposées le 18 juin 2024 auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du Code de procédure civile, la société Proman management demande à la cour de :
- recevoir la société Proman management en son appel incident et le dire bien fondé ;
- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Fréjus du 15 mai 2023 en ces chefs qui ont :
o soulevé d'office une fin de non-recevoir ;
o invité les parties à mieux se pourvoir au profit du tribunal de commerce spécialisé de Marseille
o réservé les dépens
en conséquence,
- prononcer la nullité du jugement du tribunal de commerce de Fréjus du 15 mai 2023
- juger le tribunal de commerce de Fréjus compétent pour connaître le litige ;
en tout état de cause, sur le fondement de l'article 88 du code de procédure civile :
- juger la cour d'appel d'Aix-en-Provence compétente pour évoquer l'affaire au fond,
statuant au fond ;
o juger que la société RSI [Localité 3] s'est rendue coupable de concurrence déloyale envers la société Proman management avec la complicité de la société In Animation engageant leur responsabilité envers la société Proman management ;
o débouter les sociétés RSI [Localité 3] et In Animation de leur demande de mise hors de cause de la société RSI [Localité 3] ;
o condamner in solidum RSI [Localité 3] et In Animation à payer les sommes de 78 995 € au titre de la clause pénale pour la période courant du 19 octobre 2021 au 5 juillet 2022 ; de 3 983,88 € à titre de remboursement de la contrepartie financière perçue par Mme [E] jusqu'au 30 novembre 2021 ; de 31 203,07 € à titre d'indemnité forfaitaire contractuelle et de 750 000 € à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale et illicite subie ;
o ordonner la publication, aux frais des sociétés RSI [Localité 3] et In Animation du jugement à intervenir dans deux quotidiens nationaux et régionaux ;
o condamner les sociétés RSI [Localité 3] et In Animation à afficher sur la page d'accueil de leur site internet, le dispositif de la décision à intervenir pendant une durée d'un mois à compter de la signification du jugement ;
en tout état de cause :
o débouter les sociétés RSI [Localité 3] et In Animation de l'intégralité de leurs demandes ;
o condamner in solidum les sociétés RSI [Localité 3] et In Animation à payer à Proman management la somme de 25 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de l'instance.
Au soutien de ses prétentions, la société Proman management fait valoir que :
- le tribunal de commerce a violé le principe du contradictoire en relevant d'office une fin de non-recevoir sans inviter les parties à présenter leurs observations ;
- la société Proman management fondait ses demandes en première instance sur la responsabilité civile extracontractuelle dont découle l'action en concurrence déloyale, et non sur les articles L. 442-1 et suivants du Code de commerce ;
Sur le fond et la faute commise :
o est pleinement déloyale l'embauche par une société d'un salarié tenu à une clause de non-concurrence envers son précédant employeur, dès lors qu'il connaissait l'existence de la clause ; la prétendue embauche de Mme [E] est fausse, masquant son réel employeur qui est RSI [Localité 3] ;
o les sociétés défenderesses ont commis des actes de concurrence déloyale en dehors de toute complicité dans la violation de la clause, en profitant, en connaissance de cause, des données confidentielles de Proman management détournées par la salariée pour démarcher activement ses clients et intérimaires ;
Sur le préjudice subi :
o le préjudice s'infère nécessairement du comportement déloyal, fût-il seulement moral ;
o la victime d'un acte de concurrence déloyale est en droit de demander réparation du préjudice patrimonial et du trouble commercial subi ;
o en étant complice de la violation de la clause de non-concurrence le nouvel employeur doit être sanctionné comme l'auteur de la violation et doit donc assumer à la fois les sanctions prévues par le contrat de travail, et le préjudice qui découle de la concurrence déloyale;
- la victime de concurrence déloyale peut obtenir du tribunal la publication du jugement aux frais du défendeur, dans un ou plusieurs journaux.
MOTIFS
En application de l'article 16 du code de procédure civile, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.
Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.
En l'espèce, il n'est pas discuté par les parties que le tribunal de commerce de Toulon a, sans inviter les parties à s'expliquer, relevé d'office le moyen tiré de l'application des articles L. 442-1, L. 442-2, L. 442-3, L. 442-7 et L. 442-8 du code de commerce, que les parties n'invoquaient pas, pour se déclarer incompétent au profit du tribunal de commerce de Marseille, tribunal de commerce spécialement désigné pour connaitre de l'application de ces textes.
Il a ainsi méconnu le principe de la contradiction, principe directeur du procès civil et à ce titre, le jugement entrepris doit être infirmé en toutes ses dispositions.
Les articles L. 442-1 et suivants du code de commerce invoqués par le tribunal de commerce de Toulon n'ont nullement vocation à s'appliquer dans le présent litige les faits de concurrence déloyale allégués ne relevant que des dispositions de l'article 1240 du code civil.
Les parties étant toutes commerçantes, le tribunal de commerce de Toulon était parfaitement compétent pour connaitre du litige.
Aux termes de l'article 88 du code de procédure civile, lorsque la cour est juridiction d'appel relativement à la juridiction qu'elle estime compétente, elle peut évoquer le fond si elle estime de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive après avoir ordonné elle-même, le cas échéant, une mesure d'instruction.
En l'espèce, la nécessité de préserver le double degré de juridiction pour qu'il soit statué au fond sur les demandes de chacune des parties commande de ne pas évoquer l'affaire en application de ce texte.
Compte tenu de la nature du litige, chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens et il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile pour l'instance d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Toulon du 15 mai 2023,
Statuant à nouveau,
Dit que le tribunal de commerce de Toulon est compétent pour connaitre du litige opposant les parties,
Dit que chaque partie conservera ses propres dépens,
Dit n'y a voir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.