CA Rouen, 1re ch. civ., 16 octobre 2024, n° 24/00229
ROUEN
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Architecture bas normande (SARL), Mutuelle des architectes français-MAF (Sté)
Défendeur :
Axa France Iard (SA), Socotec Construction (SAS), Generali Iard (SA), Smabtp (SAMCV), Syndicat des Copropriétaires de la (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Wittrant
Conseillers :
Mme Deguette, Mme Bergere
Avocats :
Me Mosquet-Leveneur, Me Charbonneau, Me Germain, Me Loevenbruck, Me Draghi-Alonso, Me Cothereau, Me Bart, Me Pruvost, Me Hurel, Me Jougla, Me Tarteret
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
La [Adresse 9], située à l'angle des [Adresse 10], et composée de cinq bâtiments, a été édifiée par la société Jl Pronier Promotion, désormais liquidée. La maîtrise d'oeuvre avait été confiée au cabinet d'architectes Decocq et Associés, aux droits duquel vient aujourd'hui la Sarl Architecture Bas Normande (Arbane), le lot gros oeuvre à la société Millery Entreprise aujourd'hui liquidée, le lot carrelage-faïence-chape à la société Patrizio aujourd'hui liquidée, et une mission de contrôle technique à la Sas Socotec Construction.
Sa réception est intervenue le 3 février 2011.
Par ordonnance du 15 décembre 2020, le juge des référés du tribunal judiciaire du Havre a fait droit à la demande de réalisation d'une expertise présentée les 8, 9, et 11 septembre 2020 par le syndicat des copropriétaires de la résidence et plusieurs copropriétaires se plaignant de la survenue de multiples désordres. Il a désigné à cet effet M. [G] [S].
Le 29 mars 2023, le balcon de l'appartement n°204 du bâtiment D s'est effondré et a emporté le balcon du logement n°104 situé à l'étage du dessous, occasionnant le décès d'une personne se trouvant sur le premier balcon.
Le même jour, le maire de [Localité 11] a pris un arrêté de mise en sécurité de l'ensemble des balcons de la résidence et d'une interdiction d'y accéder et l'expert judiciaire a préconisé l'étaiement de ceux-ci. Parallèlement, une enquête pénale a été ouverte et, l'expertise judiciaire, interrompue.
Suivant actes de commissaire de justice des 30 et 31 mai 2023, le syndicat des copropriétaires a fait assigner la Sarl Arbane et son assureur la Maf, et la Sa Generali Iard, assureur de la société Millery Entreprise, devant le juge des référés du tribunal judiciaire du Havre en paiement d'une provision de 42 130,92 euros à valoir sur le coût de l'étaiement des balcons de la résidence.
Par exploits des 4, 5, et 7 juillet 2023, les sociétés Arbane et Maf ont appelé en garantie la Sas Socotec Construction et son assureur la Sa Axa France Iard, également assureur dommages-ouvrage, et la Smabtp, assureur de la société Patrizio.
Ces instances ont été jointes.
Par ordonnance du 7 novembre 2023, le juge des référés a :
- condamné in solidum la Sarl Architecture Bas Normande et la Sa Mutuelle des Architectes Français à payer au syndicat des copropriétaires de la [Adresse 9] une provision d'un montant de 42 130,92 euros à valoir sur le coût des mesures conservatoires qu'il a exposé pour l'étaiement des balcons de la copropriété, avec intérêts au taux légal à compter de la présente ordonnance,
- condamné in solidum la Sarl Architecture Bas Normande et la Sa Mutuelle des Architectes Français aux dépens,
- condamné in solidum la Sarl Architecture Bas Normande et la Sa Mutuelle des Architectes Français à payer au syndicat des copropriétaires de la [Adresse 9] une indemnité de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes.
Par déclaration du 17 janvier 2024, les sociétés Arbane et Maf ont formé un appel contre l'ordonnance en toutes ses dispositions.
Un calendrier de procédure été notifié aux parties le 5 février 2024 en application des articles 905 et suivants du code de procédure civile.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 17 juin 2024, la Sarl Architecture Bas Normande (Arbane) venant aux droits du cabinet Decocq et Associés et la société Maf sollicitent, en application des articles 835 du code de procédure civile, 1240 du code civil (anciennement 1382), et L.124-3 du code des assurances, de :
- voir infirmer l'ordonnance du tribunal judiciaire du Havre du 7 novembre 2023 en ce qu'elle a :
. condamné in solidum la Sarl Architecture Bas Normande et la Maf à payer au syndicat des copropriétaires de la [Adresse 9] une provision d'un montant de 42 130,92 euros à valoir sur le coût des mesures conservatoires qu'il a exposé pour l'étaiement des balcons de la copropriété, avec intérêts au taux légal à compter de l'ordonnance,
. condamné in solidum la Sarl Architecture Bas Normande et la Maf aux dépens,
. condamné in solidum la Sarl Architecture Bas Normande et payer au syndicat des copropriétaires de la [Adresse 9] une indemnité de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
. débouté les parties du surplus de leurs demandes,
statuant à nouveau, de voir
à titre principal,
- dire et juger que la demande de condamnation provisionnelle formée par le syndicat des copropriétaires Le Clos Saint Romain à leur encontre est irrecevable comme étant forclose,
- débouter celui-ci de sa demande visant à obtenir leur condamnation in solidum à lui verser, ensemble avec la Sa Generali Iard, une provision à hauteur de 42 130,92 euros TTC,
- mise hors de cause,
à titre subsidiaire,
- dire et juger que la demande de condamnation provisionnelle formée par le syndicat des copropriétaires Le Clos Saint Romain à leur encontre se heurte à des contestations sérieuses,
- débouter celui-ci de sa demande visant à obtenir leur condamnation in solidum à lui verser, ensemble avec la Sa Generali Iard, une provision à hauteur de 42 130,92 euros TTC,
en tout état de cause,
- condamner les sociétés Generali Iard ès qualités d'assureur de la société Millery Entreprise, Socotec Construction, Axa France Iard, et Smabtp ès qualités d'assureur de Patrizio, à les relever et garantir de toute condamnation qui serait prononcée à titre provisionnel à leur encontre au profit du syndicat des copropriétaires Le Clos Saint Romain,
- débouter le syndicat des copropriétaires Le Clos Saint Romain, les sociétés Generali Iard, Smabtp, Socotec Construction, et Axa France Iard, de leurs demandes dirigées à leur encontre,
- condamner in solidum le syndicat des copropriétaires Le Clos Saint Romain, les sociétés Generali Iard, Socotec Construction, Axa France Iard, et Smabtp, à leur verser une somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en plus des dépens.
Elles font valoir à titre principal que la demande de provision est manifestement forclose, ce qui constitue une contestation sérieuse à sa recevabilité.
Elles précisent que les désordres en cause relatifs au balcon 204 ou 104 du bâtiment D, objets de la demande de provision visés dans l'assignation du 30 mai 2023, ne sont pas ceux dénoncés dans l'assignation en référé-expertise délivrée les 8, 9, et 11 septembre 2020 concernant des infiltrations en façades à proximité des loggias ; que les premiers désordres affectent des parties privatives, alors que les seconds touchent des parties communes ; que les loggias décrites par M. [E], architecte de la copropriété, dans son rapport du 5 décembre 2019, sont distinctes des balcons ; qu'en outre, aucun désordre n'a été constaté sur les façades du bâtiment D lors de la visite de l'expert judiciaire en novembre 2022 hormis une microfissuration au niveau du balcon du logement n°104 qui n'a pas été dénoncée par les parties lors de l'expertise, ne fait pas partie du champ des investigations, et n'est pas à l'origine de la chute de ce balcon. Elles concluent que l'assignation du 30 mai 2023 n'a pas interrompu le délai de forclusion.
Elles ajoutent que les désordres, objets de la demande de provision, ne se sont pas manifestés dans le délai d'épreuve de dix ans après la réception, mais postérieurement le 29 mars 2023, de sorte que l'action en garantie décennale fondée sur ces désordres et engagée le 30 mai 2023 est nécessairement forclose.
Elles indiquent encore que ces désordres, qui ne sont pas évolutifs, ne constituent pas une aggravation des désordres dénoncés dans l'assignation en référé-expertise dont le caractère décennal n'a pas été constaté par l'expert judiciaire ; que la preuve de l'existence d'un désordre initial de nature décennale dénoncé dans le délai d'épreuve et celle d'ouvrages et de désordres identiques ne sont donc pas rapportées ; qu'il n'y a donc pas d'identité entre ces désordres.
Elles exposent subsidiairement que la contestation sérieuse tenant à l'absence de détermination et de preuve d'une imputabilité des désordres dénoncés à l'encontre du maître d'oeuvre même investi d'une mission complète fait obstacle à l'allocation d'une provision au profit du syndicat des copropriétaires ; que le premier juge a d'ailleurs retenu que la cause de l'effondrement des balcons n'était pas connue à ce jour, ce qui constitue une autre contestation sérieuse ; que leur absence de démonstration de l'existence d'une cause étrangère exonératoire soulignée par le juge des référés est hors de propos dans la mesure où n'est pas même démontré un lien d'imputabilité.
Elles ajoutent que les conditions d'exécution de l'étanchéité des balcons ne sont pas imputables à la mission Det de maîtrise ; qu'en outre la Sarl Arbane n'était pas en charge de la mission Bet structure béton expressément exclue du contrat de maîtrise d'oeuvre au même titre que les plans d'exécution restés à la charge des entreprises ; que le défaut de conception invoqué par le syndicat des copropriétaires n'est pas caractérisé, ni même mentionné par M. [E] dont la note unilatérale n'est pas suffisante à démontrer la responsabilité décennale de la maîtrise d'oeuvre.
Elles recherchent en tout état de cause la garantie des sociétés Generali Iard, Smabtp, Socotec Construction, et Axa France Iard.
Elles précisent que la société Millery Entreprise, assurée de la Sa Generali Iard, était en charge du lot maçonnerie gros oeuvre incluant l'étude de la structure béton et la réalisation des balcons ; que la Sa Generali Iard qui oppose les conditions générales de la police d'assurance pour refuser sa garantie ne démontre pas qu'elles ont été portées à la connaissance de son assurée ou qu'elles lui ont été remises ; qu'en tout état de cause, la garantie obligatoire couvre le paiement des travaux de réparation de l'ouvrage à la réalisation duquel l'assuré a contribué qui incluent les mesures conservatoires d'étaiement.
Elles estiment que la Sas Socotec Construction, en qualité de contrôleur technique, devait s'assurer du respect des normes de construction, de la sécurité des personnes, de la solidité de la construction tant au niveau de l'ossature, du clos et du couvert, que des équipements faisant corps avec les ouvrages ; qu'elle a failli dans sa mission de prévention d'un aléa technique portant atteinte à la sécurité des personnes ; que la responsabilité de celle-ci est invoquée par M. [E] dans sa note du 20 avril 2023.
Elles considèrent que la société Patrizio, en charge du lot carrelage-faïence, est intervenue sur le sol des balcons et devait faire toutes les sujétions relatives à son ouvrage, notamment le traitement de l'imperméabilité de l'interface balcon-plancher ; que la Smabtp ne conteste pas être l'assureur de celle-ci.
Elles concluent au rejet des demandes en garantie formées contre elles en raison de l'absence de démonstration d'un lien entre les défauts d'exécution allégués au niveau des balcons et les missions dont la Sarl Arbane était en charge et d'une faute de sa part dans leur exécution.
Par dernières conclusions notifiées le 30 avril 2024, le syndicat des copropriétaires de la [Adresse 9] représenté par son syndic en exercice le cabinet Citya Lecourtois demande de voir en vertu des articles 835 du code de procédure civile, 1792 et suivants du code civil, et L.124-3 du code des assurances :
- confirmer l'ordonnance de référé rendue en toutes ses dispositions,
- corrélativement débouter la Maf et la Sarl Arbane de leur procédure d'appel,
- condamner in solidum la Sarl Arbane (venant aux droits de la société Decocq) et son assureur responsabilité décennale la Maf à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en plus des entiers dépens.
Il fait valoir qu'il a dénoncé dans le délai de la garantie décennale les désordres d'infiltrations en façades des bâtiments et au droit des loggias en lien avec les balcons qui se manifestent par des coulures blanchâtres de calcite sur les façades à la jonction avec les balcons, comme l'a constaté l'expert judiciaire.
Il précise que l'immeuble n'est pas pourvu de loggias ; que, même si M. [E] a utilisé ce terme dans sa note du 5 décembre 2019, sa description des ouvrages correspond strictement à la définition du balcon donnée par les appelantes, notamment lorsqu'il évoque 'les façades avec périphérie des dalles' et 'le raccordement des loggias aux façades' ; que l'expert judiciaire a constaté la présence des coulures relevées par M. [E] entre les raccordements de dalles des balcons et les différentes façades ; que celui-ci a bien été missionné pour examiner les façades de l'ensemble des bâtiments et donc des balcons ; que ces coulures ont contribué à corroder pendant plusieurs années les aciers des balcons, notamment des deux balcons sinistrés comme indiqué par M. [E] dans sa note du 20 avril 2023 et par M. [B], expert désigné dans le cadre de l'instruction pénale, dans son rapport d'expertise du 1er juin 2023.
Il estime que ces passages d'eau s'analysent en un désordre décennal au regard des conséquences qu'elles génèrent en termes de corrosion des aciers assurant la liaison entre les balcons et/ou les terrasses et la structure porteuse des immeubles.
Il ajoute que, si l'effondrement des deux balcons et le risque qu'un tel phénomène se reproduise pour les autres balcons sont analysés en un désordre distinct des passages d'eau entre les façades des différents bâtiments et les balcons, ils constituent un dommage évolutif des infiltrations et/ou des coulures blanchâtres dénoncées dans le délai de la garantie décennale.
Il en conclut que le moyen tiré de la forclusion de son action ne constitue pas une contestation sérieuse.
Il avance par ailleurs que l'imputabilité de désordres de nature décennale est établie à l'encontre de la Sarl Arbane, maître d'oeuvre investi d'une mission complète, sur lequel pèse la présomption de responsabilité posée par l'article 1792 du code civil, qui en l'espèce ne peut être écartée à défaut pour les appelantes de prouver la cause étrangère à l'origine des désordres.
Par dernières conclusions notifiées le 26 mars 2024, la Sa Generali Iard demande de voir :
à titre principal,
- infirmer l'ordonnance du 7 novembre 2023 en ce qu'elle a jugé que l'action du syndicat des copropriétaires de la [Adresse 9] n'est pas forclose,
- déclarer irrecevable en ses demandes ce dernier compte tenu de la forclusion,
à titre subsidiaire,
- vu l'existence de contestations sérieuses, confirmer l'ordonnance du 7 novembre 2023 en ce qu'elle n'a prononcé aucune condamnation à son encontre,
à titre plus subsidiaire :
- condamner in solidum la Sarl Arbane et la Maf, la Sas Socotec Construction et son assureur Axa France Iard, ainsi que la Smabtp à la relever et garantir indemne de l'ensemble des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre,
- condamner tout succombant à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en plus des entiers dépens.
Elle fait valoir que le délai d'épreuve de dix ans était expiré depuis le 3 février 2021 lorsque le sinistre est survenu le 29 mars 2023 ; qu'en raison de cette forclusion, sa garantie obligatoire n'est donc pas mobilisable ; que le syndicat des copropriétaires ne peut pas rattacher ce sinistre aux désordres, objets de la mission d'expertise judiciaire ordonnée le 15 décembre 2020 et visant la note de M. [E], que cette note est imprécise sur la localisation des désordres et ne fait pas mention de désordre affectant les balcons ; que les balcons qui se sont effondrés ne faisaient donc pas partie de la mission de M. [S] ; qu'en tout état de cause, qu'il s'agisse de loggias ou de balcons, l'expert judiciaire n'a jamais relevé de traces d'infiltration et/ou de calcite sur le balcon 204, ni sur les façades du bâtiment D ; qu'ainsi, les désordres dénoncés en septembre 2020 ne sont pas rattachables au sinistre survenu le 29 mars 2023 pour une cause encore inconnue.
Elle avance, comme l'a retenu le premier juge qui l'a mise hors de cause, qu'aucun élément ne démontre une faute de son assurée, qu'en effet la cause du sinistre n'a pas été déterminée, ce qui ne permet pas de fixer les imputabilités ; que le 20 avril 2023 M. [E] a procédé à un constat non contradictoire et par un simple examen visuel pour affirmer que le ferraillage des balcons effondrés est notoirement insuffisant et que tous les balcons présentent des traces d'infiltrations, alors que M. [S] ne l'a pas constaté notamment pour les balcons des appartements n°104 et 204 ; que l'état des balcons n'a pas inquiété ce dernier, ni M. [E], avant le sinistre.
Elle estime également que le juge des référés n'est pas compétent pour se prononcer sur la contestation sérieuse de l'application ou non des garanties d'une police d'assurance qui ne prennent en charge que les seuls travaux réparatoires de l'ouvrage, et non pas les mesures conservatoires d'étaiement.
En tout état de cause, elle recherche la garantie de la Sarl Arbane, en charge de la conception et du suivi d'exécution, et de la Maf, ainsi que des sociétés Socotec Construction, Axa France Iard, et Smabtp pour les raisons explicitées par les appelantes dans leurs écritures.
Par dernières conclusions notifiées le 22 avril 2024, la Sas Socotec Construction et son assureur la Sa Axa France Iard sollicitent de voir en vertu des articles 835 du code de procédure civile, 1231-1 et 1240 du code civil, L.124-3 du code des assurances, et L.125-2 du code de la construction et de l'habitation :
à titre principal,
- confirmer l'ordonnance entreprise, notamment en ce qu'elle a débouté les parties du surplus de leurs demandes, incluant l'appel en garantie infondé de la Sarl Arbane et de son assureur la Maf,
- débouter la Sarl Arbane et la Maf de leur appel en garantie infondé dirigé à leur encontre,
- débouter la Sa Generali Iard ès qualités d'assureur de la société Millery Entreprise de son appel en garantie infondé dirigé à leur encontre,
- débouter les autres intimés de leurs éventuelles demandes dirigées à leur encontre,
à titre subsidiaire, si la cour d'appel venait à entrer en voie de condamnation à leur encontre,
- retenir le principe de la responsabilité de la société Patrizio,
- condamner in solidum la Sarl Arbane et son assureur la Maf, ainsi que la Smabtp ès qualités d'assureur de la société Patrizio, et la Sa Generali Iard ès qualités d'assureur de la société Millery Entreprise, à les relever indemnes et les garantir de toutes condamnations susceptibles d'être prononcées à leur encontre,
en tout état de cause,
- condamner in solidum la Sarl Arbane et la Maf et tout autre succombant à leur verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens dont distraction au profit de Me Agathe Loevenbruck, dans les termes de l'article 699 du code de procédure civile.
Elles exposent que l'examen des conditions de la responsabilité quasi-délictuelle ne relève pas des pouvoirs du juge des référés ; que l'assignation en référé-expertise ne vise pas un désordre affectant la solidité des balcons, de sorte que le périmètre de l'expertise judiciaire ne les inclut pas, de même que la demande relative à leur étaiement ; que les balcons ne peuvent pas être assimilés aux façades comme l'a estimé le premier juge ; que M. [S] n'a d'ailleurs préconisé aucune mesure conservatoire relative à la sécurité des balcons ; qu'il ne peut être tiré aucune conclusion d'une faute éventuelle ou d'un lien de causalité entre le sinistre et la participation de la Sas Socotec Construction à l'expertise judiciaire en cours.
Elles ajoutent que le recours en garantie dirigé contre elle est prématuré dès lors qu'aucun constat, ni détermination, contradictoire de la cause de l'effondrement du balcon n'a été réalisé ; que le lien de causalité allégué par le syndicat des copropriétaires entre les coulures et ce sinistre n'est fondé que sur les constats et/ou déductions non contradictoires de M. [E] qu'il a mandaté ; que de plus aucune preuve d'une faute de la Sas Socotec Construction dans l'accomplissement de sa mission de contrôleur technique et d'un lien de causalité avec le sinistre n'est faite.
A titre subsidiaire, elles sollicitent la garantie de la Sarl Arbane, maître d'oeuvre investi d'une mission complète qui a failli dans la conception des ouvrages et la phase d'exécution des travaux, et de la Maf. Elles reprochent également à la société Patrizio d'avoir manqué au respect de ses obligations de bonne exécution des joints et des seuils au niveau du sol des balcons, ce qui aurait permis d'éviter les coulures litigieuses et engage la garantie de son assureur. Elles font enfin grief à la société Millery Entreprise d'avoir mal mis en oeuvre le ferraillage des balcons, de sorte que la garantie de son assureur est mise en jeu.
Par dernières conclusions notifiées le 27 mars 2024 et visées par les avocats des parties adverses le 19 juin 2024 aux fins de retrait des mentions relatives à la société Delamotte & Fils aux pages 1 et 8, la Smabtp sollicite de voir en vertu des articles 835 du code de procédure civile et 1240 du code civil :
- confirmer l'ordonnance de référé rendue le 7 novembre 2023 par le président du tribunal judiciaire du Havre en ce qu'elle n'a prononcé aucune condamnation à son encontre,
- juger irrecevables et mal fondées en référé la Maf et la Sarl Arbane en toutes leurs demandes,
- débouter la Maf et la société Arbane, le syndicat des copropriétaires de la [Adresse 9], Generali Iard ès qualités d'assureur de la société Millery Entreprise, Socotec Construction, et Axa France Iard, de toutes leurs demandes à son encontre et de toutes leurs demandes plus amples ou contraires,
- condamner la Maf et la Sarl Arbane au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et des entiers dépens.
Elle fait valoir que les recours en garantie engagés contre elle se heurtent à des contestations sérieuses ; qu'en effet le juge des référés n'est pas compétent pour statuer sur un principe et un quantum de responsabilité contre des constructeurs sur le terrain de la responsabilité délictuelle ; qu'en outre la faute prétendument commise par la société Patrizio n'est pas identifiée par les demanderesses, des investigations étant en cours ; que M. [E] ne met pas en cause la réalisation du carrelage des balcons ; que la preuve du bien-fondé des conditions de mobilisation de sa garantie d'assurance n'est pas établie.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 19 juin 2024.
MOTIFS
Sur la demande de provision
L'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile énonce que, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président peut accorder une provision au créancier.
L'article 122 du même code prévoit que constitue une fin de non recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
L'article 1792 du code civil indique que tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère.
Selon l'article 1792-4-1 du même code, toute personne physique ou morale dont la responsabilité peut être engagée en vertu des articles 1792 à 1792-4 est déchargée des responsabilités et garanties pesant sur elle, en application des articles 1792 à 1792-2, après dix ans à compter de la réception des travaux ou, en application de l'article 1792-3, à l'expiration du délai visé à cet article.
De nouveaux désordres constatés au-delà de l'expiration du délai décennal, qui est un délai d'épreuve, ne peuvent être réparés au titre de l'article 1792 que s'ils trouvent leur siège dans l'ouvrage où un désordre de même nature a été constaté et dont la réparation a été demandée en justice avant l'expiration de ce délai.
En l'espèce, au soutien de sa demande d'expertise présentée au juge des référés les 8, 9, et 11 septembre 2020, le syndicat des copropriétaires s'est fondé sur le rapport d'expertise du 5 décembre 2019 de M. [E], architecte expert qu'il avait mandaté. Ce dernier y précisait notamment, au point 17), avoir constaté : 'En façades, et au droit des loggias, [...] des infiltrations sur les façades en liaison avec la périphérie des dalles de loggias. L'étanchéité des sols de ces loggias avec leurs raccordements aux façades sont manifestement à reprendre.'.
Dans son ordonnance du 15 décembre 2020, le juge des référés a fait droit à cette demande en visant notamment ce rapport d'expertise relatant l'ensemble des désordres affectant l'ensemble immobilier, notamment de nombreuses infiltrations sur certaines façades.
Le débat engagé par les appelantes sur le terme de 'loggias' employé par M. [E] pour désigner les balcons est inopérant. Une loggia est, en matière de bâtiment, un balcon couvert et fermé sur les côtés dont le fond est en retrait par rapport au nu de la façade. Certes, les balcons de la copropriété Le Clos Saint Romain ne sont pas fermés sur les côtés et ne sont pas des loggias au sens strict précité. Toutefois, qu'ils soient qualifiés de balcons ou de loggias, ils constituent un prolongement extérieur de l'appartement par rapport à la façade.
Les infiltrations ainsi décrites par M. [E] et situées en façades et au droit des loggias/balcons étaient comprises dans la mission de M. [S].
Dans sa note aux parties n°3 de la réunion du 15 novembre 2022, ce dernier a précisé, à l'issue de la visite extérieure des bâtiments aux fins de constat des voiles et balcons depuis la rue, qu'il avait constaté sur le bâtiment D :
- une fissure en sous-face du balcon du logement 203,
- une fissure en sous-face du balcon du logement 104,
- une fissure en sous-face du balcon du logement 101,
- des coulures localisées en pied de balcon sur le mur du 1er étage correspondant au logement du 2ème étage 201,
- une efflorescence sur le pignon du bâtiment D pour les logements 1, 101, et 201.
Aucun désordre n'a été relevé sur le balcon de l'appartement n°204, élément générateur du sinistre du 29 mars 2023, ni au pourtour de celui-ci, ni encore au droit de celui-ci avec la façade de l'immeuble.
Postérieurement à l'effondrement de ce balcon sur celui de l'étage du dessous, M. [B], expert judiciaire réquisitionné par les enquêteurs dans le cadre de l'enquête pénale, a notamment constaté le 7 avril 2023, sur la tranche du balcon de l'appartement n°204, la présence d'une forte corrosion au droit des aciers supérieurs et d'une couleur rouillie sur le béton, ainsi que de coulures sur la façade sous l'empreinte de ce balcon. Selon lui, les causes de la chute du balcon sont multiples :
- le non-respect du plan de ferraillage et le sous-dimensionnement des aciers supérieurs de 'chapeaux' favorisant l'ouverture du joint sec au niveau de la reprise de bétonnage,
- l'absence de traitement de cette reprise de bétonnage, excluant une continuité mécanique du béton et provoquant de fait une fissure à la jonction du balcon et de la dalle,
- la détérioration au fil du temps (intempéries, UV, ...) de la bande d'étanchéité et du joint élastomère, ne stoppant plus l'infiltration d'eau au niveau de la fissure favorisant la corrosion des aciers supérieurs,
- la corrosion des aciers supérieurs : la résistance des aciers est d'autant plus faible au fil du temps que la corrosion réduit leur section efficace et donc leur résistance à la traction.
Cette conclusion se recoupe avec celle de M. [E] qui, dans sa note du 20 avril 2023, a imputé l'effondrement des balcons à leur insuffisance majeure de ferraillage au regard de leurs dimensions et à leur absence d'étanchéité. Cette dernière a permis la migration de l'eau dans les dalles de balcons et plus particulièrement à la liaison de ces dalles sur les façades de l'immeuble, à l'origine d'une oxydation des fers de liaisons raccordant les balcons à l'immeuble.
Se pose dès lors la question de savoir si les infiltrations dénoncées dans l'assignation des 8, 9, et 11 septembre 2020 ont contribué à la survenue de l'effondrement du balcon de l'appartement n°204, désordre donnant lieu aux assignations en référé-provision des 30 et 31 mai 2023, et si elles ont ainsi constitué un désordre évolutif non connu au jour de la première assignation en référé mais qui s'est révélé par la suite dans toute son ampleur et au-delà du terme de la garantie décennale.
L'appréciation de l'aggravation de ce désordre d'infiltrations dans le délai de la garantie décennale expirant le 3 février 2021, ou au contraire du caractère nouveau du désordre postérieur survenu le 29 mars 2023, constitue une contestation sérieuse quant à la recevabilité de l'action engagée par le syndicat des copropriétaires qui relève de la compétence du juge du fond. Elle ne permet pas au juge des référés de faire droit à sa demande d'octroi d'une provision. La décision contraire du premier juge sera infirmée.
Sur les demandes accessoires
L'ordonnance entreprise sera infirmée en ses dispositions sur les dépens et les frais de procédure.
Partie perdante, le syndicat des copropriétaires sera condamné aux dépens de première instance et d'appel, avec bénéfice de distraction au profit de l'avocate de la Sas Socotec Construction et de la Sa Axa France Iard.
Il est équitable de le condamner également à payer aux appelantes, prises ensemble, la somme de 2 000 euros au titre des frais de procédure non compris dans les dépens qu'elles ont exposés.
L'appel formé ayant pour origine une action vaine du syndicat des copropriétaires, à l'encontre de la Sa Generali Iard et la Smabtp chacune comme de la Sas Socotec Construction et de son assureur la Sa Axa France Iard, pris ensemble, le syndicat des copropriétaires sera condamné à leur payer à chacune la somme de 2 000 euros au titre de leurs frais de procédure.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,
Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute le syndicat des copropriétaires de la [Adresse 9] représenté par son syndic en exercice de toutes ses demandes,
Condamne le syndicat des copropriétaires de la [Adresse 9] représenté par son syndic en exercice à payer à :
- la Sarl Architecture Bas Normande et à la société Maf, prises ensemble,
- la Sa Generali Iard,
- la Smabtp,
- la Sas Socotec Construction et à la Sa Axa France Iard, prises ensemble,
la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, chacune,
Déboute les parties du surplus des demandes,
Condamne le syndicat des copropriétaires de la [Adresse 9] représenté par son syndic en exercice aux dépens de première instance et d'appel avec bénéfice de distraction au profit de Me Agathe Loevenbruck, avocate, en application de l'article 699 du code de procédure civile.