Décisions
CA Lyon, 8e ch., 16 octobre 2024, n° 23/07581
LYON
Arrêt
Autre
N° RG 23/07581 - N° Portalis DBVX-V-B7H-PHIN
Décision du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de SAINT-ETIENNE en référé du 17 août 2023
RG : 23/00386
[F]
C/
[P]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
8ème chambre
ARRÊT DU 16 Octobre 2024
APPELANT :
M. [T] [F]
né le 11 Avril 1987 à [Localité 5]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Gaël SOURBE de la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat au barreau de LYON, toque : 1547
Ayant pour avocat plaidant Me Catherine BOUCHET de la SELARL BASSET-BOUCHET-HANGEL, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE
INTIMÉ :
M. [N] [P]
né le 11 Novembre 1953 à [Localité 6]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 7]
Représenté par Me Jean-yves DIMIER de la SELARL JEAN-YVES DIMIER, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 03 Septembre 2024
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 10 Septembre 2024
Date de mise à disposition : 16 Octobre 2024
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Bénédicte BOISSELET, président
- Véronique DRAHI, conseiller
- Nathalie LAURENT, conseiller
assistés pendant les débats de William BOUKADIA, greffier
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport,
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Bénédicte BOISSELET, président, et par William BOUKADIA, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
EXPOSÉ DU LITIGE
Depuis 2020, M. [T] [F] est propriétaire d'une parcelle de terrain située sur la commune de [Localité 7] sur laquelle il entrepose des véhicules dédiés à son activité sportive de stock-car sur circuit.
Sur la parcelle voisine, M. [N] [P] est propriétaire d'une maison d'habitation.
Par ordonnance de référé réputée contradictoire rendue le 17 août 2023, le Président du Tribunal Judiciaire de Saint-Étienne a':
Interdit à M. [T] [F] tout stockage de véhicules, accessoires de véhicules et objets encombrants hétéroclites visibles de la terrasse de M. [N] [P] dans un délai de deux semaines à compter de la signification de la présente décision sous astreinte de 150 € par jour d'infraction,
Dit se réserver la liquidation de l'astreinte,
Condamné M. [T] [F] à verser à M. [N] [P] les sommes suivantes':
2'000 € à titre de provision à valoir sur l'indemnisation du préjudice et pour résistance abusive,
2'190,40 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamné M. [T] [F] aux dépens.
Le juge des référés a retenu en substance':
Que M. [F] entrepose depuis plus d'un an quelques véhicules et accessoires de véhicules en mauvais état qui sont visibles depuis le terrain de M. [P] alors que, par un arrêt du 16 février 2021, la cour d'appel de Lyon avait constaté un entassement conséquent de véhicules et d'objets divers, avait considéré que cette situation constituait une pollution visuelle pour le voisin qui doit pouvoir disposer de sa terrasse comme d'un espace de détente et avait en conséquence interdit à M. [F] tout stockage';
Que si les véhicules actuellement stockés sont moins nombreux, cet entreposage constitue toujours un trouble manifestement illicite en ce qu'il est visible depuis la terrasse de M [P]';
Qu'il n'est pas sérieusement contestable que l'amoncellement de véhicules et d'objets ait généré un préjudice visuel et constitue une résistance abusive aux décisions de justice justifiant d'allouer à M. [P] une provision.
Par déclaration en date du 4 octobre 2023, M. [T] [F] a relevé appel de cette décision en tous ses chefs et, par avis de fixation du 11 octobre 2023 pris en vertu de l'article 905 et suivants du Code de procédure civile, l'affaire a été fixée à bref délai.
***
Aux termes de ses écritures remises au greffe par voie électronique le 6 novembre 2023 (conclusions d'appelant), M. [T] [F] demande à la cour':
Vu les dispositions de l'article 809 et suivants du Code de Procédure Civile,
Vu les dispositions de l'article 542, 561, 954 du Code de Procédure Civile,
Vu les dispositions de l'article L 541-21-4 du Code de l'Environnement,
Vu le procès-verbal de constat dressé par Maître [R], Commissaire de Justice à [Localité 4] (Puy-de-Dôme) le 3 février 2020,
Vu le procès-verbal de constat dressé par Maître [L], Commissaire de Justice à [Localité 6] (Loire) le 29 septembre 2023,
Infirmer en toutes ses dispositions l'Ordonnance de référé rendue le 17 août 2023 par le Tribunal Judiciaire de Saint-Étienne,
Et, statuant à nouveau,
Dire qu'il n'existe aucun trouble anormal de voisinage,
Débouter M. [N] [P] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
Condamner M. [N] [P] à verser à M. [T] [F] la somme de 3'500 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
Condamner M. [N] [P] à verser à M. [T] [F] la somme de 3'000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
Le condamner aux entiers dépens de l'instance, qui comprendront le coût du constat du Commissaire de Justice dressé par Maître [L], le 29 septembre 2023.
Il expose avoir déménagé en mai 2021 et il déplore que, malgré le suivi de courrier mis en place, la poste n'a pas communiqué sa nouvelle adresse à l'huissier de justice qui a, en conséquence, délivré l'assignation selon un procès-verbal de recherches infructueuses. Il ajoute qu'il avait déclaré sa nouvelle adresse à l'ensemble des administrations de sorte que l'huissier, qui pouvait également interroger les voisins, était en mesure de le localiser. En tout état de cause, il souligne que ces circonstances expliquent sa non-comparution en première instance.
Sur le fond, il affirme que les procès-verbaux produits par l'intimé n'ont pas été pris depuis la terrasse de ce dernier mais depuis le chemin communal et en zoomant considérablement lors de la prise de photographies. Il conteste que les trois véhicules visibles (un véhicule Peugeot, une remorque et un tracteur), situés à 20-25 mètres de la terrasse, puissent constituer gêne visuelle. Il ajoute qu'il a fait ériger une palissade de sorte que la situation n'est pas comparable à celle de 2021. Il souligne que sa parcelle n'est pas en zone naturelle protégée comme mentionné par erreur par l'huissier de justice mais en zone agricole. Il ajoute que le tas de bois, recouvert de tôle ondulée et de quelques pneus, n'est pas visible depuis chez son voisin, sauf à se pencher. Il invoque les attestations d'autres voisins ne souffrant d'aucune gêne. Il considère qu'il ne fait qu'user de son droit de propriété conformément à la destination agricole des lieux et il sollicite des dommages et intérêts pour procédure abusive.
***
Aux termes de ses écritures remises au greffe par voie électronique le 31 octobre 2023 (conclusions d'intimé), M. [N] [P] demande à la cour':
Confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé rendue le 17 août 2023 par Madame la Première vice-présidente du Tribunal judiciaire de Saint-Étienne,
Y rajoutant :
Condamner M. [T] [F] à payer à M. [N] [P] la somme de 4'800 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de la procédure d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Jean-Yves Dimier, avocat de la SELARL Jean-Yves Dimier, en application de l'article 699 du Code de procédure civile.
Il rappelle que par un arrêt du 16 février 2021, il a obtenu la condamnation de son voisin à retirer de sa parcelle 21 véhicules visibles de sa terrasse mais qu'il a également été fait interdiction à celui-ci de procéder à tout stockage qui soit visible depuis sa terrasse. Il soutient que l'appelant ne respecte pas cette interdiction et il dénonce, outre la pollution visuelle subie, la crainte pour sa santé compte tenu du caractère vraisemblablement non-dépollué des épaves de véhicules automobiles. Il invoque les procès-verbaux de constat en date des 16 septembre 2021 et 27 octobre 2022 établissant la persistance du trouble. Il reconnaît que M. [F] a fait débarrasser son terrain mais après l'ordonnance de référé du 17 août 2023 qui doit en conséquence être confirmée.
***
Il est renvoyé aux écritures des parties pour plus ample exposé des moyens venant à l'appui de leurs prétentions.
MOTIFS,
A titre liminaire, il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes des parties tendant à voir la cour «'juger'» lorsqu'elles ne constituent pas des prétentions au sens des articles 4, 5, 31 et 954 du code de procédure civile mais des moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions.
Sur la demande d'enlèvement de véhicules et accessoires de véhicules :
Aux termes du premier alinéa de l'article 835 du Code de procédure civile, le juge statuant en référé dans les limites de sa compétence peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures de remise en état qui s'imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
En l'espèce, M. [P] justifie avoir fait signifier à M. [F], par exploit du 11 mars 2021, l'arrêt rendu le 16 février 2021 par la cour d'appel de Lyon ayant, d'une part, confirmé la décision de première instance condamnant M. [F] sous astreinte à retirer de sa parcelle une liste de 21 véhicules, et d'autre part, ayant interdit au même tout stockage de véhicules et d'accessoires de véhicules qui soit visible depuis sa terrasse. M. [P], qui expose que M. [F] a régulièrement retiré les 21 véhicules reconnus judiciairement comme constituant une pollution visuelle, prétend en revanche que son voisin ne respecte pas l'interdiction de stockage énoncée pour l'avenir par la cour d'appel. Pour en rapporter la preuve, il produit deux procès-verbaux de constats établis les 16 septembre 2021 et 27 octobre 2022 par commissaire de justice.
Dès lors que l'interdiction énoncée par la décision de la cour d'appel se limite au seul stockage qui soit visible depuis la terrasse de M. [P], M. [F] est fondé à considérer qu'il n'y a pas lieu de tenir compte des constatations opérées depuis la route par le commissaire de justice mandaté par son voisin.
Sous cette précision, la cour observe que le procès-verbal établi le 16 septembre 2021 atteste de la présence, à cette date, de trois engins visibles depuis la terrasse de M. [P], soit un petit engin de chantier, un véhicule sous une bâche et une remorque. Le procès-verbal établi le 27 octobre 2022 atteste de la présence, à cette date, des mêmes engins visibles depuis la terrasse de M. [P], outre un petit tracteur de couleur blanche. Ainsi, le non-respect de la décision judiciaire rendue le 16 février 2021 est établi et par conséquent, au jour où le juge des référés a statué, cette situation constituait à elle seule un trouble manifestement illicite.
A cet égard, il est indifférent que les véhicules et accessoires de véhicules litigieux étaient situés à distance de 20 à 25 mètres et qu'ils étaient partiellement camouflés par une bâche et par la végétation puisque, même s'ils ne constituaient pas une gêne visuelle compte tenu de leur éloignement et de leur faible nombre, ils enfreignaient l'interdiction édictée par la décision de la cour d'appel. La cour relève que cette interdiction ne limite pas excessivement les droits de M. [F] puisque le terrain de ce dernier est suffisamment vaste pour y entreposer des véhicules à des endroits non-visibles depuis la terrasse de M. [P].
Sous ces précisions et sans qu'il ne soit nécessaire pour M. [P] de rapporter la preuve d'une gêne visuelle caractérisant un trouble anormal de voisinage, la décision attaquée a justement considéré que la présence de véhicules et accessoires de véhicules visibles depuis la terrasse de M. [P] constituait un trouble manifestement illicite pour enfreindre l'interdiction judiciaire édictée le 16 février 2021 et qu'il convenait en conséquence de faire cesser ce trouble.
La décision attaquée, en ce qu'elle a imparti à M. [F] deux semaines pour retirer les véhicules litigieux, sera confirmée, étant relevé que les parties s'accordent pour expliquer que l'appelant a, suite à la signification de la décision attaquée de première instance, régulièrement procédé à cet enlèvement comme il en justifie en produisant le procès-verbal de constat dressé le 29 septembre 2023 par Maître [L], commissaire de justice.
Sur la demande de provision à valoir sur l'indemnisation de préjudices':
En vertu de l'article 835 du Code de procédure civile, il peut être alloué en référé, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, une provision au créancier.
Le droit pour un propriétaire de jouir de sa chose de la manière la plus absolue est limité, en dehors de l'hypothèse de l'usage prohibé par la loi ou les règlements tel qu'énonce à l'article 544 du Code civil, par l'obligation qu'il a de ne causer à la propriété d'autrui aucun dommage dépassant les inconvénients normaux du voisinage.
L'appréciation de la normalité, à l'appréciation souveraine des juges du fond, se fait notamment en fonction des circonstances de temps et de lieu.
En l'espèce, il a été vu ci-avant que les véhicules et accessoires de véhicules qui étaient visibles depuis la terrasse de M. [P] en septembre 2021 et octobre 2022 étaient uniquement constitués d'un petit engin de chantier, d'un véhicule, d'une remorque et d'un petit tracteur de couleur blanche, distants de plus de 20 mètres et partiellement camouflés par une bâche et de la végétation. D'ailleurs, les photographies annexées aux procès-verbaux de commissaire de justice des 16 septembre 2021 et 27 octobre 2022 n'objectivent pas, avec l'évidence requise devant le juge des référés, une gêne visuelle s'attachant à la présence de ces engins.
Par ailleurs, même en considérant que l'entreposage de ces engins constituait une résistance abusive opposée par M. [F] au respect d'une décision de justice antérieure, M. [P] ne justifie pas, en l'absence notamment de mise en demeure préalable à son action judiciaire et en l'absence de preuve d'une gêne visuelle évidente, de préjudices qui en serait résulté.
Dès lors, la décision attaquée, qui a condamné M. [F] à payer à M. [P] une provision de 2'000 € à valoir sur l'indemnisation d'un préjudice résultant d'un préjudice visuel et d'une résistance abusive aux décisions de justice, sera infirmé.
Statuant à nouveau, la cour rejette la demande de provision présentée par M. [P] pour l'indemnisation de préjudices.
Sur la demande d'indemnisation pour procédure abusive':
L'exercice d'un droit ne dégénère en abus qu'en cas de mauvaise foi ou de légèreté blâmable caractérisant une intention de nuire de son auteur.
En l'espèce, la circonstance que M. [P] ait régulièrement rapporté la preuve du trouble manifestement illicite qu'il alléguait et que sa demande d'enlèvement sous astreinte ait été accueillie excluent que son action ait été abusive.
M. [F] sera en conséquence débouté de sa demande de dommages et intérêts.
Sur les demandes accessoires':
La cour confirme la décision attaquée qui a condamné M. [F], partie perdante, aux dépens de première instance et à payer à M. [P] la somme de 2'190,40 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, montant justifié en équité.
Y ajoutant, la cour condamne M. [F], partie perdante, aux dépens à hauteur d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit de maître Jean-Yves Dimier dans les conditions prévues à l'article 699 du Code de procédure civile.
M. [F] est en conséquence débouté de sa demande tendant à ce que M. [P] supporte le coût du procès-verbal de constat dressé le 29 septembre 2023 par Maître [L], commissaire de justice.
La cour déboute les demandes respectives des parties au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme l'ordonnance de référé rendue le 17 août 2023 par le Tribunal Judiciaire de Saint-Étienne en ce qu'elle a condamné M. [T] [F] à payer à M. [N] [P] la somme de 2'000 € à titre de provision à valoir sur l'indemnisation du préjudice et pour résistance abusive.
Statuant à nouveau,
Rejette la demande présentée par M. [N] [P] en paiement d'une provision à valoir sur l'indemnisation de préjudices,
Confirme l'ordonnance déférée pour le surplus de ses dispositions,
Y ajoutant,
Rejette la demande M. [T] [F] en dommages et intérêts pour procédure abusive,
Condamne M. [T] [F] aux dépens de l'instance d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit de maître Jean-Yves Dimier, avocat de la SELARL Jean-Yves Dimier, dans les conditions prévues à l'article 699 du Code de procédure civile,
Rejette la demande de M. [T] [F] tendant à ce que M. [N] [P] supporte le coût du procès-verbal de constat dressé le 29 septembre 2023 par Maître [L], commissaire de justice.
Rejette les demandes réciproques des parties au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
Décision du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de SAINT-ETIENNE en référé du 17 août 2023
RG : 23/00386
[F]
C/
[P]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
8ème chambre
ARRÊT DU 16 Octobre 2024
APPELANT :
M. [T] [F]
né le 11 Avril 1987 à [Localité 5]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Gaël SOURBE de la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat au barreau de LYON, toque : 1547
Ayant pour avocat plaidant Me Catherine BOUCHET de la SELARL BASSET-BOUCHET-HANGEL, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE
INTIMÉ :
M. [N] [P]
né le 11 Novembre 1953 à [Localité 6]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 7]
Représenté par Me Jean-yves DIMIER de la SELARL JEAN-YVES DIMIER, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 03 Septembre 2024
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 10 Septembre 2024
Date de mise à disposition : 16 Octobre 2024
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Bénédicte BOISSELET, président
- Véronique DRAHI, conseiller
- Nathalie LAURENT, conseiller
assistés pendant les débats de William BOUKADIA, greffier
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport,
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Bénédicte BOISSELET, président, et par William BOUKADIA, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
EXPOSÉ DU LITIGE
Depuis 2020, M. [T] [F] est propriétaire d'une parcelle de terrain située sur la commune de [Localité 7] sur laquelle il entrepose des véhicules dédiés à son activité sportive de stock-car sur circuit.
Sur la parcelle voisine, M. [N] [P] est propriétaire d'une maison d'habitation.
Par ordonnance de référé réputée contradictoire rendue le 17 août 2023, le Président du Tribunal Judiciaire de Saint-Étienne a':
Interdit à M. [T] [F] tout stockage de véhicules, accessoires de véhicules et objets encombrants hétéroclites visibles de la terrasse de M. [N] [P] dans un délai de deux semaines à compter de la signification de la présente décision sous astreinte de 150 € par jour d'infraction,
Dit se réserver la liquidation de l'astreinte,
Condamné M. [T] [F] à verser à M. [N] [P] les sommes suivantes':
2'000 € à titre de provision à valoir sur l'indemnisation du préjudice et pour résistance abusive,
2'190,40 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamné M. [T] [F] aux dépens.
Le juge des référés a retenu en substance':
Que M. [F] entrepose depuis plus d'un an quelques véhicules et accessoires de véhicules en mauvais état qui sont visibles depuis le terrain de M. [P] alors que, par un arrêt du 16 février 2021, la cour d'appel de Lyon avait constaté un entassement conséquent de véhicules et d'objets divers, avait considéré que cette situation constituait une pollution visuelle pour le voisin qui doit pouvoir disposer de sa terrasse comme d'un espace de détente et avait en conséquence interdit à M. [F] tout stockage';
Que si les véhicules actuellement stockés sont moins nombreux, cet entreposage constitue toujours un trouble manifestement illicite en ce qu'il est visible depuis la terrasse de M [P]';
Qu'il n'est pas sérieusement contestable que l'amoncellement de véhicules et d'objets ait généré un préjudice visuel et constitue une résistance abusive aux décisions de justice justifiant d'allouer à M. [P] une provision.
Par déclaration en date du 4 octobre 2023, M. [T] [F] a relevé appel de cette décision en tous ses chefs et, par avis de fixation du 11 octobre 2023 pris en vertu de l'article 905 et suivants du Code de procédure civile, l'affaire a été fixée à bref délai.
***
Aux termes de ses écritures remises au greffe par voie électronique le 6 novembre 2023 (conclusions d'appelant), M. [T] [F] demande à la cour':
Vu les dispositions de l'article 809 et suivants du Code de Procédure Civile,
Vu les dispositions de l'article 542, 561, 954 du Code de Procédure Civile,
Vu les dispositions de l'article L 541-21-4 du Code de l'Environnement,
Vu le procès-verbal de constat dressé par Maître [R], Commissaire de Justice à [Localité 4] (Puy-de-Dôme) le 3 février 2020,
Vu le procès-verbal de constat dressé par Maître [L], Commissaire de Justice à [Localité 6] (Loire) le 29 septembre 2023,
Infirmer en toutes ses dispositions l'Ordonnance de référé rendue le 17 août 2023 par le Tribunal Judiciaire de Saint-Étienne,
Et, statuant à nouveau,
Dire qu'il n'existe aucun trouble anormal de voisinage,
Débouter M. [N] [P] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
Condamner M. [N] [P] à verser à M. [T] [F] la somme de 3'500 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
Condamner M. [N] [P] à verser à M. [T] [F] la somme de 3'000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
Le condamner aux entiers dépens de l'instance, qui comprendront le coût du constat du Commissaire de Justice dressé par Maître [L], le 29 septembre 2023.
Il expose avoir déménagé en mai 2021 et il déplore que, malgré le suivi de courrier mis en place, la poste n'a pas communiqué sa nouvelle adresse à l'huissier de justice qui a, en conséquence, délivré l'assignation selon un procès-verbal de recherches infructueuses. Il ajoute qu'il avait déclaré sa nouvelle adresse à l'ensemble des administrations de sorte que l'huissier, qui pouvait également interroger les voisins, était en mesure de le localiser. En tout état de cause, il souligne que ces circonstances expliquent sa non-comparution en première instance.
Sur le fond, il affirme que les procès-verbaux produits par l'intimé n'ont pas été pris depuis la terrasse de ce dernier mais depuis le chemin communal et en zoomant considérablement lors de la prise de photographies. Il conteste que les trois véhicules visibles (un véhicule Peugeot, une remorque et un tracteur), situés à 20-25 mètres de la terrasse, puissent constituer gêne visuelle. Il ajoute qu'il a fait ériger une palissade de sorte que la situation n'est pas comparable à celle de 2021. Il souligne que sa parcelle n'est pas en zone naturelle protégée comme mentionné par erreur par l'huissier de justice mais en zone agricole. Il ajoute que le tas de bois, recouvert de tôle ondulée et de quelques pneus, n'est pas visible depuis chez son voisin, sauf à se pencher. Il invoque les attestations d'autres voisins ne souffrant d'aucune gêne. Il considère qu'il ne fait qu'user de son droit de propriété conformément à la destination agricole des lieux et il sollicite des dommages et intérêts pour procédure abusive.
***
Aux termes de ses écritures remises au greffe par voie électronique le 31 octobre 2023 (conclusions d'intimé), M. [N] [P] demande à la cour':
Confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé rendue le 17 août 2023 par Madame la Première vice-présidente du Tribunal judiciaire de Saint-Étienne,
Y rajoutant :
Condamner M. [T] [F] à payer à M. [N] [P] la somme de 4'800 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de la procédure d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Jean-Yves Dimier, avocat de la SELARL Jean-Yves Dimier, en application de l'article 699 du Code de procédure civile.
Il rappelle que par un arrêt du 16 février 2021, il a obtenu la condamnation de son voisin à retirer de sa parcelle 21 véhicules visibles de sa terrasse mais qu'il a également été fait interdiction à celui-ci de procéder à tout stockage qui soit visible depuis sa terrasse. Il soutient que l'appelant ne respecte pas cette interdiction et il dénonce, outre la pollution visuelle subie, la crainte pour sa santé compte tenu du caractère vraisemblablement non-dépollué des épaves de véhicules automobiles. Il invoque les procès-verbaux de constat en date des 16 septembre 2021 et 27 octobre 2022 établissant la persistance du trouble. Il reconnaît que M. [F] a fait débarrasser son terrain mais après l'ordonnance de référé du 17 août 2023 qui doit en conséquence être confirmée.
***
Il est renvoyé aux écritures des parties pour plus ample exposé des moyens venant à l'appui de leurs prétentions.
MOTIFS,
A titre liminaire, il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes des parties tendant à voir la cour «'juger'» lorsqu'elles ne constituent pas des prétentions au sens des articles 4, 5, 31 et 954 du code de procédure civile mais des moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions.
Sur la demande d'enlèvement de véhicules et accessoires de véhicules :
Aux termes du premier alinéa de l'article 835 du Code de procédure civile, le juge statuant en référé dans les limites de sa compétence peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures de remise en état qui s'imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
En l'espèce, M. [P] justifie avoir fait signifier à M. [F], par exploit du 11 mars 2021, l'arrêt rendu le 16 février 2021 par la cour d'appel de Lyon ayant, d'une part, confirmé la décision de première instance condamnant M. [F] sous astreinte à retirer de sa parcelle une liste de 21 véhicules, et d'autre part, ayant interdit au même tout stockage de véhicules et d'accessoires de véhicules qui soit visible depuis sa terrasse. M. [P], qui expose que M. [F] a régulièrement retiré les 21 véhicules reconnus judiciairement comme constituant une pollution visuelle, prétend en revanche que son voisin ne respecte pas l'interdiction de stockage énoncée pour l'avenir par la cour d'appel. Pour en rapporter la preuve, il produit deux procès-verbaux de constats établis les 16 septembre 2021 et 27 octobre 2022 par commissaire de justice.
Dès lors que l'interdiction énoncée par la décision de la cour d'appel se limite au seul stockage qui soit visible depuis la terrasse de M. [P], M. [F] est fondé à considérer qu'il n'y a pas lieu de tenir compte des constatations opérées depuis la route par le commissaire de justice mandaté par son voisin.
Sous cette précision, la cour observe que le procès-verbal établi le 16 septembre 2021 atteste de la présence, à cette date, de trois engins visibles depuis la terrasse de M. [P], soit un petit engin de chantier, un véhicule sous une bâche et une remorque. Le procès-verbal établi le 27 octobre 2022 atteste de la présence, à cette date, des mêmes engins visibles depuis la terrasse de M. [P], outre un petit tracteur de couleur blanche. Ainsi, le non-respect de la décision judiciaire rendue le 16 février 2021 est établi et par conséquent, au jour où le juge des référés a statué, cette situation constituait à elle seule un trouble manifestement illicite.
A cet égard, il est indifférent que les véhicules et accessoires de véhicules litigieux étaient situés à distance de 20 à 25 mètres et qu'ils étaient partiellement camouflés par une bâche et par la végétation puisque, même s'ils ne constituaient pas une gêne visuelle compte tenu de leur éloignement et de leur faible nombre, ils enfreignaient l'interdiction édictée par la décision de la cour d'appel. La cour relève que cette interdiction ne limite pas excessivement les droits de M. [F] puisque le terrain de ce dernier est suffisamment vaste pour y entreposer des véhicules à des endroits non-visibles depuis la terrasse de M. [P].
Sous ces précisions et sans qu'il ne soit nécessaire pour M. [P] de rapporter la preuve d'une gêne visuelle caractérisant un trouble anormal de voisinage, la décision attaquée a justement considéré que la présence de véhicules et accessoires de véhicules visibles depuis la terrasse de M. [P] constituait un trouble manifestement illicite pour enfreindre l'interdiction judiciaire édictée le 16 février 2021 et qu'il convenait en conséquence de faire cesser ce trouble.
La décision attaquée, en ce qu'elle a imparti à M. [F] deux semaines pour retirer les véhicules litigieux, sera confirmée, étant relevé que les parties s'accordent pour expliquer que l'appelant a, suite à la signification de la décision attaquée de première instance, régulièrement procédé à cet enlèvement comme il en justifie en produisant le procès-verbal de constat dressé le 29 septembre 2023 par Maître [L], commissaire de justice.
Sur la demande de provision à valoir sur l'indemnisation de préjudices':
En vertu de l'article 835 du Code de procédure civile, il peut être alloué en référé, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, une provision au créancier.
Le droit pour un propriétaire de jouir de sa chose de la manière la plus absolue est limité, en dehors de l'hypothèse de l'usage prohibé par la loi ou les règlements tel qu'énonce à l'article 544 du Code civil, par l'obligation qu'il a de ne causer à la propriété d'autrui aucun dommage dépassant les inconvénients normaux du voisinage.
L'appréciation de la normalité, à l'appréciation souveraine des juges du fond, se fait notamment en fonction des circonstances de temps et de lieu.
En l'espèce, il a été vu ci-avant que les véhicules et accessoires de véhicules qui étaient visibles depuis la terrasse de M. [P] en septembre 2021 et octobre 2022 étaient uniquement constitués d'un petit engin de chantier, d'un véhicule, d'une remorque et d'un petit tracteur de couleur blanche, distants de plus de 20 mètres et partiellement camouflés par une bâche et de la végétation. D'ailleurs, les photographies annexées aux procès-verbaux de commissaire de justice des 16 septembre 2021 et 27 octobre 2022 n'objectivent pas, avec l'évidence requise devant le juge des référés, une gêne visuelle s'attachant à la présence de ces engins.
Par ailleurs, même en considérant que l'entreposage de ces engins constituait une résistance abusive opposée par M. [F] au respect d'une décision de justice antérieure, M. [P] ne justifie pas, en l'absence notamment de mise en demeure préalable à son action judiciaire et en l'absence de preuve d'une gêne visuelle évidente, de préjudices qui en serait résulté.
Dès lors, la décision attaquée, qui a condamné M. [F] à payer à M. [P] une provision de 2'000 € à valoir sur l'indemnisation d'un préjudice résultant d'un préjudice visuel et d'une résistance abusive aux décisions de justice, sera infirmé.
Statuant à nouveau, la cour rejette la demande de provision présentée par M. [P] pour l'indemnisation de préjudices.
Sur la demande d'indemnisation pour procédure abusive':
L'exercice d'un droit ne dégénère en abus qu'en cas de mauvaise foi ou de légèreté blâmable caractérisant une intention de nuire de son auteur.
En l'espèce, la circonstance que M. [P] ait régulièrement rapporté la preuve du trouble manifestement illicite qu'il alléguait et que sa demande d'enlèvement sous astreinte ait été accueillie excluent que son action ait été abusive.
M. [F] sera en conséquence débouté de sa demande de dommages et intérêts.
Sur les demandes accessoires':
La cour confirme la décision attaquée qui a condamné M. [F], partie perdante, aux dépens de première instance et à payer à M. [P] la somme de 2'190,40 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, montant justifié en équité.
Y ajoutant, la cour condamne M. [F], partie perdante, aux dépens à hauteur d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit de maître Jean-Yves Dimier dans les conditions prévues à l'article 699 du Code de procédure civile.
M. [F] est en conséquence débouté de sa demande tendant à ce que M. [P] supporte le coût du procès-verbal de constat dressé le 29 septembre 2023 par Maître [L], commissaire de justice.
La cour déboute les demandes respectives des parties au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme l'ordonnance de référé rendue le 17 août 2023 par le Tribunal Judiciaire de Saint-Étienne en ce qu'elle a condamné M. [T] [F] à payer à M. [N] [P] la somme de 2'000 € à titre de provision à valoir sur l'indemnisation du préjudice et pour résistance abusive.
Statuant à nouveau,
Rejette la demande présentée par M. [N] [P] en paiement d'une provision à valoir sur l'indemnisation de préjudices,
Confirme l'ordonnance déférée pour le surplus de ses dispositions,
Y ajoutant,
Rejette la demande M. [T] [F] en dommages et intérêts pour procédure abusive,
Condamne M. [T] [F] aux dépens de l'instance d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit de maître Jean-Yves Dimier, avocat de la SELARL Jean-Yves Dimier, dans les conditions prévues à l'article 699 du Code de procédure civile,
Rejette la demande de M. [T] [F] tendant à ce que M. [N] [P] supporte le coût du procès-verbal de constat dressé le 29 septembre 2023 par Maître [L], commissaire de justice.
Rejette les demandes réciproques des parties au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT