CA Paris, Pôle 1 ch. 10, 21 septembre 2023, n° 22/19951
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Adare Finance Dac (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pruvost
Conseillers :
Mme Lefort, M. Trarieux
Avocats :
Me Boccon Gibod, Me Poisson, Me Sefrioui
Déclarant agir en vertu d'une décision de justice rendue en Grande Bretagne le 19 octobre 2020, la société Adare finance DAC a régularisé à l'encontre de M. [Y] :
- le 18 mai 2021, un procès-verbal d'indisponibilité des certificats d'immatriculation de 7 véhicules Mercedes Benz, Mercedes Benz AMG, Bentley, Maserati, Cadillac, Lamborghini et Aprilia ; il lui sera dénoncé le 21 mai 2021 ;
- le 25 mai 2021 :
* une saisie de valeurs mobilières et de droits d'associé entre les mains de la société Financière Immobilière Bordelaise, pour avoir paiement de la somme de 10 774 865,61 euros ;
* un nantissement judiciaire provisoire entre les mains de la société Financière Immobilière Bordelaise pour avoir conservation de la somme de 10 781 685,37 euros ;
* une saisie de valeurs mobilières et de droits d'associé entre les mains de la SCI Corniche 397, pour avoir paiement de la somme de 10 774 967,77 euros ;
* un nantissement judiciaire provisoire entre les mains de la SCI Corniche 397, pour avoir conservation de la somme de 10 781 619,17 euros ;
* une saisie de valeurs mobilières et de droits d'associé entre les mains de la SNC Parc des alpines, pour avoir paiement de la somme de 10 775 069,73 euros ;
* un nantissement judiciaire provisoire entre les mains de la SNC Parc des alpines, pour avoir conservation de la somme de 10 781 552,97 euros.
Ces mesures ont été dénoncées à M. [Y] le 31 mai 2022.
Saisi de contestations par M. [Y] selon assignations datées des 17 et 28 juin 2021, le juge de l'exécution a, suivant jugement en date du 25 novembre 2021, après avoir ordonné la jonction des instances :
- ordonné la mainlevée de la saisie de valeurs mobilières et de droits d'associé opérée entre les mains de la SNC Parc des alpines, après avoir relevé que M. [Y] ne détenait pas de parts sociales dans cette société ;
- ordonné la mainlevée du procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation, uniquement en ce qu'il portait sur les véhicules Cadillac (immatriculé [Immatriculation 3]) et Mercedes GLE (immatriculé [Immatriculation 10]), au motif que l'un avait été vendu et que M. [Y] avait besoin de l'autre pour son activité professionnelle ;
- annulé la saisie de droits incorporels pratiquée le 25 mai 2021 entre les mains de la SNC Parc des alpines ainsi que le nantissement judiciaire provisoire des parts sociales de ladite société, après avoir relevé que M. [Y] ne détenait plus de parts dans cette société, ce qui n'était pas contesté par la société Adare finance DAC ;
- rejeté les autres contestations de M. [Y] ;
- condamné M. [Y] à payer à la société Adare finance DAC la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [Y] aux dépens.
Selon déclaration en date du 22 décembre 2021, M. [Y] a relevé appel de ce jugement.
En ses conclusions notifiées le 23 février 2022, il expose :
- que la dénonciation du procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation est irrégulière, car il n'existe pas de ventilation des sommes dues en principal et intérêts, qui ne peuvent être calculés ; que le taux de conversion n'est pas mentionné ;
- que la nullité des saisies de valeurs mobilières et de droits d'associé est encourue pour les mêmes motifs, au visa de l'article R. 232-5 du code des procédures civiles d'exécution ;
- qu'il en est de même des nantissements judiciaires provisoires, en vertu de l'article R. 532-4 du même code ;
- que les véhicules Maserati, Cadillac et Lamborghini ont été cédés respectivement en 2008, 2019 et 2005 et ne pouvaient dès lors faire l'objet de mesures d'exécution ;
- que par application de l'article L. 112-2 5°) du code des procédures civiles d'exécution, les biens dont l'usage lui est nécessaire pour l'exercice de sa profession ne peuvent pas être saisis ; qu'il parcourt régulièrement une distance de 500 km pour les besoins de celle-ci ; que le véhicule Bentley, à raison duquel il existe un crédit amortissable jusqu'en 2024, n'est ainsi pas saisissable ;
- que c'est son fils qui utilise le véhicule Mercedes Benz, et son épouse le véhicule Mercedes AMG ;
- qu'il y a eu abus de saisie, eu égard à la multiplicité des mesures d'exécution qui ont été diligentées à son encontre ;
- qu'il peut se prévaloir, par application de l'article L. 611-10-2 du code de commerce, de l'ordonnance rendue par le président du Tribunal de commerce de Paris ayant reporté la dette de la société Yellowstone Capital Management dont il est le garant ;
- que la décision britannique fondant les poursuites n'est pas conforme à l'ordre public français ; qu'en effet la procédure de summary judgment n'instaure pas de véritable débat au fond, si bien qu'il n'a pas pu administrer la preuve des faits par lui allégués ; que cette décision de justice ne doit dès lors pas recevoir application en France ;
- que l'autorité de chose jugée ne peut pas être utilement opposée par la partie adverse sur ce point, car le jugement du juge de l'exécution statuant sur cette question est frappé d'appel ;
- que le montant des condamnations qui ont été prononcées à son encontre est disproportionné ; que la déchéance du terme a été prononcée par la société Adare finance DAC de façon abusive ;
- que les clauses pénales réclamées doivent être réduites par application de l'article 1231-5 du code civil ;
- que des délais de paiement doivent lui être accordées, dans la mesure où l'activité des sociétés qu'il dirige a été fortement impactée par l'épidémie de Covid 19.
M. [Y] demande en conséquence à la Cour de :
- infirmer le jugement ;
- annuler les deux saisies de valeurs mobilières et de droits d'associé du 25 mai 2021 ;
- annuler les nantissements judiciaires provisoires et en ordonner la mainlevée ;
- ordonner la mainlevée du procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation ;
- subsidiairement, juger que les véhicules ne sont pas saisissables ;
- encore plus subsidiairement, refuser l'exécution de la décision britannique fondant les poursuites ;
- réduire les clauses pénales à un euro ;
- reporter ou rééchelonner la dette sur 24 mois ;
- condamner la société Adare finance DAC au paiement de la somme de 20 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- la condamner aux dépens.
Par ordonnance en date du 20 octobre 2022 le président de la chambre a constaté l'interruption de l'instance à la suite du décès du conseil de l'appelant.
Par acte en date du 9 novembre 2022, remis en l'étude du commissaire de justice instrumentaire, la société Adare finance DAC a assigné M. [Y] devant la Cour. Le 6 décembre 2022, elle a sollicité la réinscription de l'affaire.
Dans ses conclusions notifiées le 9 décembre 2022, la société Adare finance DAC réplique :
- que le 27 novembre 2019, a été régularisé un contrat de frais de prolongation entre la société Yellowstone Capital Management, M. [Y] et elle-même ; que ladite société n'a pas payé les frais à leur échéance, si bien que la déchéance du terme a été prononcée, et elle a été mise en demeure de payer, ainsi que M. [Y], garant ;
- qu'une requête en jugement sommaire (summary judgment) a été déposée par ses soins, devant la High Court of Justice, un jugement étant rendu le 19 octobre 2020 et un 'order' délivré le 22 octobre 2020 ; qu'ils ont été signifiés le 22 octobre 2020 ;
- que la société Yellowstone Capital Management et M. [Y] doivent régler les sommes de 9 571 015 $ et 968 764 $, outre les intérêts aux taux de 12,5 % et 2 % ;
- que le procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation est régulier au regard des dispositions de l'article R. 223 3°) du code des procédures civiles d'exécution, alors qu'une simple erreur de compte ne peut avoir pour effet sa nullité ; que ce texte n'exige pas que chaque poste de créance soit détaillé ; qu'à la lecture de l'acte, M. [Y] pouvait vérifier quelles étaient les sommes à lui réclamées ; que cet acte n'avait pas à mentionner le taux de conversion retenu ;
- qu'il n'y a aucune erreur de compte, étant rappelé que M. [Y] a été condamné à payer entre autres la somme de 1 137 798 $ au titre des intérêts échus, mais que s'y ajoutent ceux postérieurs au 20 octobre 2020 ;
- qu'il en est de même du procès-verbal de saisie-attribution (régi par l'article R. 232-5 du code des procédures civiles d'exécution) et de la saisie de valeurs mobilières et de droits d'associé (régi par l'article R 532-4 du même code) ;
- que les décomptes de créance sont exacts ;
- que s'agissant des véhicules, l'appelant ne démontre pas que ceux de marque Maserati et Lamborghini ont été cédés ;
- que de plus, tous ces véhicules sont des biens luxueux et de valeur au sens de l'article L 112-2 5°) du code des procédures civiles d'exécution, alors que l'appelant n'en a nul besoin impérieux pour l'exercice de sa profession ;
- que pour sa part, elle ne s'est rendue coupable d'aucun abus de saisie, précision étant faite que M. [Y] lui est redevable de plus de 11 millions d'euros ;
- que si une procédure de conciliation a été ouverte au Tribunal de commerce de Paris, elle ne concerne que la société Yellowstone Capital Management et non pas M. [Y], qui dès lors ne peut pas se prévaloir de l'ordonnance en date du 17 juin 2021 reportant l'exigibilité de la dette, l'article L 611-10-2 du code de commerce n'étant pas ici applicable ;
- que le titre exécutoire, à savoir la décision rendue en Grande Bretagne, ne contrevient nullement à l'ordre public français, l'appelant ayant bénéficié d'un procès équitable et ayant pu faire valoir ses moyens de défense ; que de plus, la contestation à ce sujet se heurte à l'autorité de chose jugée tirée de l'arrêt rendu par cette Cour le 16 juin 2022 ;
- que s'agissant des clauses pénales, elles sont soumises au droit anglais si bien qu'il n'est pas possible de les réduire ; que de plus, le juge de l'exécution ne peut pas modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites ;
- qu'à l'appui de sa demande de délais, M. [Y] invoque à tort les difficultés de la société FIB ; qu'en effet, il est engagé à titre personnel ; que son patrimoine est supérieur à 1,1 milliard d'euros ; qu'il n'a réglé aucun acompte.
La société Adare finance DAC demande en conséquence à la Cour de :
- infirmer le jugement en ce qu'il a ordonné la mainlevée du procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation du chef du véhicule Mercedes GLE immatriculé [Immatriculation 10] ;
- débouter M. [Y] de ses prétentions ;
- le condamner au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile
- le condamner aux dépens, qui seront recouvrés par la Selarl Lexavoué [Localité 7]-[Localité 12].
MOTIFS
En vertu de l'article R. 223-2 du code des procédures civiles d'exécution, la déclaration valant saisie prévue à l'article L. 223-1 (portant sur le certificat d'immatriculation) contient à peine de nullité :
1° Les nom et adresse du débiteur ou, s'il s'agit d'une personne morale, sa dénomination et son siège social ;
2° Le numéro d'immatriculation et la marque du véhicule saisi ;
3° La mention du titre exécutoire dont se prévaut le créancier.
Cette déclaration est signifiée à l'autorité administrative mentionnée à l'article L. 223-1.
Son acte de dénonciation doit, comme il est dit à l'article R. 223-3, comporter un décompte de créance en principal, intérêts et frais.
L'article R. 232-5 du même code énonce que l'acte de saisie de droits d'associés et de valeurs mobilières contient à peine de nullité :
1° Les nom et domicile du débiteur ou, s'il s'agit d'une personne morale, sa dénomination et son siège social ;
2° L'indication du titre exécutoire en vertu duquel la saisie est pratiquée ;
3° Le décompte des sommes réclamées en principal, frais et intérêts échus ainsi que l'indication du taux des intérêts ;
4° L'indication que la saisie rend indisponibles les droits pécuniaires attachés à l'intégralité des parts ou valeurs mobilières dont le débiteur est titulaire ;
5° La sommation de faire connaître l'existence d'éventuels nantissements ou saisies.
En application de l'article R. 532-4 du code des procédures civiles d'exécution, le nantissement des valeurs mobilières est opéré par la signification d'une déclaration à l'une des personnes mentionnées aux articles R. 232-1 à R. 232-4 selon le cas.
Cette déclaration contient :
1° La désignation du créancier et du débiteur ;
2° L'indication de l'autorisation ou du titre en vertu duquel la sûreté est requise ;
3° L'indication du capital de la créance et de ses accessoires.
Le nantissement grève l'ensemble des valeurs mobilières à moins qu'il ne soit autrement précisé dans l'acte.
La mention d'une somme erronée -ou contestée- quant au quantum de la créance n'est pas de nature à entraîner l'annulation du procès-verbal de saisie de valeurs mobilières et de droits d'associé, ou du nantissement judiciaire provisoire, ou de l'acte de dénonciation du procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation, seule une absence de mention pouvant avoir cette conséquence. Au vu des actes litigieux, ont été mentionnés sur chaque acte le principal (9 594 934,15 euros qui était la contre-valeur en euros de 11 677 577,91 $ au 10 mai 2021), les intérêts (551 556,72 euros qui est la contrevaleur en euros de la somme de 475 000 GBP à la même date), les intérêts échus (soit ceux au taux de 12,5 % depuis le 20 octobre 2020 avec anatocisme, et au taux de 2 % avec anatocisme), outre les frais. Ces sommes correspondent à celles qui ont été prévues dans la décision de la High Court of justice de Londres du 19 octobre 2020, et c'est en vain que M. [Y] se plaint de ce que le taux de conversion des sommes n'y figure pas. En effet il ne s'agit pas d'une mention obligatoire prévue par les textes susvisés et en outre, en comparant les sommes au paiement desquelles il avait été condamné (en $) et celles qui étaient réclamées dans les procès-verbaux de saisie-attribution (en euros), il lui était aisé de retrouver quel taux de change avait été appliqué.
Les articles 45 1 a) et 46 du règlement UE n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 disposent qu'à la demande de toute partie intéressée, la reconnaissance d'une décision est refusée si elle est manifestement contraire à l'ordre public de l'État membre requis, et l'exécution de ladite décision peut elle aussi être refusée.
M. [Y] avance que ces dispositions doivent recevoir application au cas d'espèce, d'une part parce que la procédure de summary judgment, qui a été appliquée par la High Court of justice de Londres, ne lui a pas permis de se défendre utilement, d'autre part au motif que les sommes au paiement desquelles il a été condamné sont disproportionnées.
La société Adare finance DAC se prévaut de l'autorité de chose jugée attachée à un précédent jugement rendu sur ce point par le juge de l'exécution de Paris le 1er juillet 2021, qui a été confirmé par un arrêt de cette Cour en date du 16 juin 2022. Selon l'article 1355 du code civil, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. Le jugement susvisé a été rendu dans le cadre d'une instance opposant les mêmes parties, mais portant sur des mesures d'exécution différentes, à savoir 6 saisies-attributions des 1er et 2 décembre 2020. Dès lors, la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de chose jugée doit être rejetée.
Sur le premier point invoqué par M. [Y], il résulte de la lecture de la décision de la High Court of justice de Londres que le demandeur a requis conformément à l'article 24.2 du règlement de procédure civile du Royaume-Uni qu'un jugement sommaire (dans le cadre de la procédure de 'summary judgment') soit rendu. Cette procédure est applicable si la Cour estime que le défendeur n'a aucune chance réelle de s'opposer avec succès aux demandes et s'il n'y a aucune raison impérieuse que l'affaire soit tranchée au cours d'un procès. Il faut, pour ce faire, que les moyens de défense du défendeur n'aient pas de perspective de succès réaliste. La High Court of justice de Londres a (paragraphe 47 de la décision du 19 octobre 2020 décidant de faire usage de cette procédure) rappelé que lors de l'audience d'une requête de jugement sommaire, elle peut trancher des questions de droit ou d'interprétation contractuelle susceptibles de régler la procédure.
Il s'avère que les défendeurs ont invoqué devant cette juridiction un certain nombre de moyens (caractère abusif de l'acte de commission de report, existence d'une contrainte économique, illicéité de la clause d'exigibilité anticipée du crédit, et possibilité qu'avait la société Yellowstone Capital Management de payer les montants indiqués dans l'acte de commission de report avant le 18 novembre 2019 de sorte qu'il n'y avait pas eu de défaut). Des demandes reconventionnelles ont été formées. Et surtout, la High Court of justice de Londres a répondu point par point aux quatre moyens de défense susvisés pour conclure que la procédure de summary judgment pouvait être utilisée.
Même si ladite procédure est moins formaliste et longue que celle de droit commun, elle a laissé au débiteur la possibilité de présenter des moyens de défense, par le biais de son avocat. Les conditions procédurales dans lesquelles la décision a été rendue par la High Court of justice de Londres ne contreviennent donc nullement à l'ordre public français.
Sur le second point, la convention de financement prévoyait que la société Yellowstone Capital Management devrait intégralement rembourser le prêt avec tous les intérêts courus et tous les autres montants dus au prêteur à la date de résiliation, que le prêt sur découvert différé porterait intérêt au taux de 10,50 % par an, que des intérêts de retard seraient dus en cas d'impayé à concurrence de 2 % supplémentaires, et qu'un acte de commission de report prévoyait que la société Yellowstone Capital Management règlerait au prêteur une somme forfaitaire de 100 000 $ pour la période s'étendant du 28 septembre au 4 octobre 2019, outre des frais journaliers d'environ 33 000 $ pour chaque jour, du 5 octobre 2019 au jour où le refinancement serait achevé. Il était également prévu que la société Yellowstone Capital Management paierait par anticipation le montant du séquestre différé, 3 250 000 $, les coûts différés moins 113 000 $, et un montant égal aux intérêts courus sur le prêt du montant du séquestre différé conformément à l'article 7. La High Court of justice de Londres a également mis en lumière un défaut de paiement et le non règlement des commissions de report. Il apparaît ainsi que la juridiction britannique n'a fait qu'appliquer les clauses de conventions que tant la société Yellowstone Capital Management que M. [Y] avaient librement signées. Dans ces conditions, c'est à tort que l'appelant prétend que les condamnations dont il a fait l'objet sont disproportionnées, et qu'en cela, elles heurteraient l'ordre public.
L'article 52 du règlement susvisé dispose qu'en aucun cas une décision rendue dans un État membre ne peut faire l'objet d'une révision au fond dans l'État membre requis. Ces dispositions sont reprises, en droit interne, par l'article R 121-1 alinéa 2 du code des procédures civiles d'exécution, selon lequel le juge de l'exécution ne peut pas modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites. Ce texte n'établit d'ailleurs aucune distinction selon qu'il s'agit d'une décision rendue par une juridiction française ou étrangère. Le juge de l'exécution ne peut dès lors pas réduire les clauses pénales et indemnités au paiement desquelles M. [Y] a été condamné.
M. [Y] se prévaut d'une décision rendue dans le cadre d'une procédure de conciliation concernant la société Yellowstone Capital Management. Le président du Tribunal de commerce de Paris a, par ordonnance datée du 17 juin 2021, reporté l'exigibilité de la dette de la société Yellowstone Capital Management envers la société Adare Finance DAC jusqu'à l'issue de la procédure de conciliation, et fait interdiction à cette dernière d'user de toute procédure d'exécution à l'encontre de la société Yellowstone Capital Management dans ce délai.
L'article L 611-10-2 du code de commerce prévoit que les personnes coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie peuvent se prévaloir des mesures accordées au débiteur en application du cinquième alinéa de l'article L 611-7 ou du deuxième alinéa de l'article L 611-10-1 ainsi que des dispositions de l'accord constaté ou homologué. Il s'agit là des mesures prises dans le cadre de la procédure de conciliation dont peuvent bénéficier les débiteurs exerçant une activité commerciale ou artisanale qui éprouvent une difficulté juridique, économique ou financière, avérée ou prévisible, et ne se trouvent pas en cessation des paiements depuis plus de quarante-cinq jours.
L'article L 611-7 alinéa 5 du code de commerce dispose qu'au cours de la procédure de conciliation, le débiteur peut demander au juge qui a ouvert celle-ci de faire application de l'article 1343-5 du code civil à l'égard d'un créancier qui l'a mis en demeure ou poursuivi, ou qui n'a pas accepté, dans le délai imparti par le conciliateur, la demande faite par ce dernier de suspendre l'exigibilité de la créance. Dans ce dernier cas, le juge peut, nonobstant les termes du premier alinéa de ce même article, reporter ou échelonner le règlement des créances non échues, dans la limite de la durée de la mission du conciliateur. Le juge statue après avoir recueilli les observations du conciliateur. Il peut subordonner la durée des mesures ainsi prises à la conclusion de l'accord prévu au présent article. Dans ce cas, le créancier intéressé est informé de la décision selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat.
Le deuxième alinéa de l'article L 611-10-1 alinéa 2 du même code prévoit que si, au cours de cette même durée,le débiteur est mis en demeure ou poursuivi par l'un des créanciers appelés à la conciliation dans le but d'obtenir le paiement d'une créance qui n'a pas fait l'objet de l'accord, le juge qui a ouvert la procédure de conciliation peut, à la demande du débiteur et après avoir recueilli, le cas échéant, les observations du mandataire à l'exécution de l'accord, faire application des dispositions de l'article 1343-5 du code civil, en prenant en compte les conditions d'exécution de l'accord. Les dispositions du présent alinéa ne sont pas applicables aux créanciers mentionnés au troisième alinéa de l'article L 611-7.
L'article 2 de l'ordonnance 2020-596 du 20 mai 2020 prévoit que :
I. - Le présent article est applicable lorsqu'est mise en oeuvre la procédure de conciliation prévue par les articles L 611-4 et L 611-5 du code de commerce.
II. - Lorsqu'un créancier appelé à la conciliation n'accepte pas, dans le délai imparti par le conciliateur, la demande faite par ce dernier de suspendre l'exigibilité de sa créance pendant la durée de la procédure, le débiteur peut demander au président du tribunal ayant ouvert cette procédure, qui statue par ordonnance sur requête :
1° D'interrompre ou d'interdire toute action en justice de la part de ce créancier et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ou à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent ;
2° D'arrêter ou d'interdire toute procédure d'exécution de la part de ce créancier tant sur les meubles que sur les immeubles ainsi que toute procédure de distribution n'ayant pas produit un effet attributif avant la demande ;
3° De reporter ou d'échelonner le paiement des sommes dues.
Les observations du conciliateur sont jointes à la requête.
Lorsqu'il est fait application du 1° ou du 2°, les délais impartis à peine de déchéance ou de résolution des droits sont suspendus. Lorsqu'il est fait application du 3°, les majorations d'intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le juge.
Les mesures ordonnées par le président du tribunal ne produisent leur effet que jusqu'au terme de la mission confiée au conciliateur.
(...).
III. - Par dérogation au cinquième alinéa de l'article L. 611-7 du code de commerce, le débiteur peut demander au juge qui a ouvert la procédure de conciliation de faire application de l'article 1343-5 du code civil avant toute mise en demeure ou poursuite à l'égard d'un créancier qui n'a pas accepté, dans le délai imparti par le conciliateur, la demande faite par ce dernier de suspendre l'exigibilité de la créance.
Or c'est au visa de l'article 2 II de l'ordonnance suvisée qu'a été rendue la décision du président du Tribunal de commerce de Paris. Elle ne porte donc pas sur des mesures dont les cautions ou coobligés peuvent se prévaloir.
S'agissant des véhicules, il sera rappelé que le procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation litigieux portait sur six d'entre eux :
- un véhicule Mercedes Benz GLE immatriculé [Immatriculation 10] ;
- un véhicule Mercedes Benz AMG immatriculé [Immatriculation 8] ;
- un véhicule Bentley immatriculé [Immatriculation 11] ;
- un véhicule Maserati immatriculé [Immatriculation 5] ;
- un véhicule Cadillac immatriculé [Immatriculation 3] ;
- un véhicule Lamborghini immatriculé [Immatriculation 4] ;
- un véhicule (motocyclette) Aprilia immatriculé [Immatriculation 2].
Le jugement a ordonné la mainlevée du procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation des chefs des véhicules Cadillac et Mercedes GLE, mais la société Adare finance DAC forme un appel incident s'agissant de ce dernier, demandant qu'il soit maintenu dans l'assiette dudit procès-verbal, tandis que M. [Y] sollicite sa mainlevée pour le tout.
Le jugement n'est critiqué par aucune des parties en ce qu'il a ordonné la mainlevée du chef du véhicule Cadillac. Le fait que le véhicule Maserati ne soit plus assuré, tout du moins par la compagnie Axa, depuis le 17 octobre 2008, ne suffit pas à en démontrer la cession. Il en est de même du véhicule Lamborghini qui, lui non plus, n'est pas assuré par la compagnie Axa depuis le 8 août 2005. La vente de ces deux véhicules n'est donc pas démontrée.
M. [Y] objecte que deux autres, à savoir la Mercedes Benez et la Mercedes AMG, sont utilisées par son épouse et son fils. En vertu de l'article L 112-2 du code des procédures civiles d'exécution, ne peuvent être saisis :
(...)
5° Les biens mobiliers nécessaires à la vie et au travail du saisi et de sa famille, si ce n'est pour paiement de leur prix, dans les limites fixées par décret en Conseil d'Etat et sous réserve des dispositions du 6°.
M. [O] [Y] a attesté être le principal utilisateur du véhicule Mercedes Benz GLE, mais ne soutient nullement qu'il s'en sert pour son activité professionnelle. Il en est de même de l'autre véhicule Mercedes Benz AMG, qui est utilisé par Mme [Y].
Le texte susvisé indique que les biens deviennent cependant saisissables s'ils se trouvent dans un lieu autre que celui où le saisi demeure ou travaille habituellement, s'ils sont des biens de valeur, en raison notamment de leur importance, de leur matière, de leur rareté, de leur ancienneté ou de leur caractère luxueux, s'ils perdent leur caractère de nécessité en raison de leur quantité ou s'ils constituent des éléments corporels d'un fonds de commerce.
M. [Y] est propriétaire de 6 véhicules dont deux sont utilisés par des personnes de sa famille, et si bien qu'il lui reste l'usage de quatre véhicules, et leurs marques (Bentley, Maserati, Mercedes, Lamborghini, Aprilia) démontrent qu'il s'agit là de véhicules de luxe. L'appelant ne peut soutenir avec pertinence avoir besoin de tous ces véhicules pour son usage professionnel. En outre, un procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation ne restreint aucunement l'usage du véhicule sur lequel il porte : il se borne à faire obstacle à la délivrance d'un nouveau certificat d'immatriculation, en cas de vente. Le jugement sera infirmé en ce qu'il a ordonné la mainlevée du procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation du chef du véhicule Mercedes GLE, et M. [Y] sera débouté du surplus de ses contestations.
M. [Y] objecte, encore, que la société Adare finance DAC s'est rendue coupable d'une multiplication abusive de mesures d'exécution à son encontre. Il résulte de la lecture des actes d'exécution litigieux que la dette de l'appelant s'élève à plus de 10 millions d'euros alors qu'il n'a réglé aucun acompte. Dans ces conditions, l'intéressé ne peut reprocher utilement à la société Adare finance DAC d'avoir concomitamment mis en place des sûretés, à savoir les nantissements judiciaires provisoires, des saisies de valeurs mobilières et de droits d'associé, et un procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation. Sa demande de dommages et intérêts sera ainsi rejetée.
M. [Y] sollicite le report ou le rééchelonnement de sa dette, et le premier juge a omis de statuer sur cette prétention. La décision de justice fondant les poursuites a été rendue le 19 octobre 2020, soit il y a près de trois ans. M. [Y] a ainsi d'ores et déjà bénéficié de délais de fait d'une durée supérieure à celle prévue à l'article 1343-5 alinéa 1er du code civil (deux ans). En outre, il n'a réglé aucun acompte et surtout ne justifie pas de ses revenus actuels. Sa demande sera donc rejetée.
M. [Y], qui succombe en son appel, sera condamné au paiement de la somme de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
- INFIRME le jugement en date du 25 novembre 2021 en ce qu'il a donné mainlevée du procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation en ce qu'il portait sur le véhicule Mercedes GLE immatriculé [Immatriculation 10] ;
et statuant à nouveau :
-DEBOUTE M. [E] [Y] de sa demande de mainlevée du procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation du chef de ce véhicule ;
- CONFIRME le jugement pour le surplus ;
y ajoutant :
- DÉBOUTE M. [E] [Y] de sa demande de dommages et intérêts et de sa demande de délais de paiement ;
- CONDAMNE M. [E] [Y] à payer à la société Adare finance DAC la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- CONDAMNE M. [E] [Y] aux dépens d'appel, qui seront recouvrés par la Selarl Lexavoué [Localité 7]-[Localité 12] conformément à l'article 699 du code de procédure civile.