CE, 7e et 2e ch. réunies, 17 octobre 2023, n° 469071
CONSEIL D'ÉTAT
Arrêt
Annulation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Rapporteur :
M. Cassara
Rapporteur public :
M. Labrune
Avocats :
SCP BAUER-VIOLAS - FESCHOTTE-DESBOIS - SEBAGH, SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO & GOULET, SCP SPINOSI
Vu la procédure suivante :
La société NGE Infranet a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner le Syndicat intercommunal d'énergies du département de la Loire (" SIEL Territoire d'énergie Loire "), maître d'ouvrage, dans le cadre de l'exécution des lots n°s 16 et 17 du marché public de travaux portant sur le réseau de desserte en fibre optique, au paiement des sommes de 42 963,91 euros, 110 254,37 euros et 231 145,50 euros toutes taxes comprises, au titre des prestations qu'elle a réalisées respectivement pour les points de mutualisation n°s 170, 171 et 161 en sa qualité de sous-traitante du groupement d'entreprises solidaires, composé des sociétés Serpollet (mandataire), Serpollet.com et SERP, titulaire de ce marché. Par un jugement n° 1804652 du 9 juillet 2020, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 20LY02597 du 22 septembre 2022, la cour administrative d'appel de Lyon a, sur appel de la société NGE Infranet, réformé ce jugement et condamné le SIEL Territoire d'énergie Loire à lui verser une somme de 42 963,91 euros toutes taxes comprises au titre des prestations qu'elle a réalisées pour le point de mutualisation n° 170, et a rejeté le surplus de ses conclusions.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 novembre 2022, 20 février et 18 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le SIEL Territoire d'énergie Loire demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il l'a condamné ;
2°) de rejeter le pourvoi incident formé par la société NGE Infranet ;
3°) de mettre à la charge de la société NGE Infranet la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des marchés publics ;
- la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Hervé Cassara, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bauer-Violas - Feschotte-Desbois - Sebagh, avocat du Syndicat intercommunal d'énergies du département de la Loire, à la SCP Spinosi, avocat de la société NGE Infranet et à la SCP Rocheteau - Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Serpollet.
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le syndicat intercommunal d'énergies du département de la Loire, désormais dénommé " SIEL Territoire d'énergie Loire ", a confié les lots n°s 16 et 17 d'un marché public de travaux portant sur le réseau de desserte en fibre optique au groupement d'entreprises solidaires composé des sociétés Serpollet (mandataire), Serpollet.com et SERP. Cette dernière a sous-traité la réalisation de prestations portant sur les points de mutualisation n°s 161, 170 et 171 à la société AEGE Réseaux, devenue NGE Infranet. Le SIEL Territoire d'énergie Loire a accepté ce sous-traitant et agréé ses conditions de paiement pour les prestations concernant les points de mutualisation n°s 170 et 171. Le SIEL Territoire d'énergie Loire ayant refusé de procéder au paiement direct de sommes réclamées par la société NGE Infranet, cette dernière a demandé au tribunal administratif de Lyon de le condamner à lui verser les sommes de 42 963,91 euros, 110 254,37 euros et 231 145,50 euros toutes taxes comprises au titre des travaux portant respectivement sur les points de mutualisation n°s 170, 171 et 161. Par un jugement du 9 juillet 2020, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Sur appel de la société NGE Infranet, la cour administrative d'appel de Lyon a, par un arrêt du 22 septembre 2022, partiellement fait droit à ses conclusions en condamnant le SIEL Territoire d'énergie Loire à verser à la société une somme de 42 963,91 euros toutes taxes comprises au titre des prestations qu'elle a réalisées pour le point de mutualisation n° 170. Le SIEL Territoire d'énergie Loire se pourvoit en cassation contre cet arrêt dans cette mesure. Par la voie du pourvoi incident, la société NGE Infranet demande l'annulation de l'article 4 du même arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté le surplus de ses conclusions tendant au paiement direct par le SIEL Territoire d'énergie Loire des prestations qu'elle a réalisées au titre des points de mutualisation n°s 161 et 171.
Sur le pourvoi principal du SIEL Territoire d'énergie Loire :
2. Aux termes de l'article 6 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance : " Le sous-traitant direct du titulaire du marché qui a été accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître de l'ouvrage, est payé directement par lui pour la part du marché dont il assure l'exécution (...) ". Aux termes de l'article 8 de la même loi : " L'entrepreneur principal dispose d'un délai de quinze jours, comptés à partir de la réception des pièces justificatives servant de base au paiement direct, pour les revêtir de son acceptation ou pour signifier au sous-traitant son refus motivé d'acceptation. / Passé ce délai, l'entrepreneur principal est réputé avoir accepté celles des pièces justificatives ou des parties de pièces justificatives qu'il n'a pas expressément acceptées ou refusées. / Les notifications prévues à l'alinéa 1er sont adressées par lettre recommandée avec accusé de réception ". Aux termes de l'article 116 du code des marchés publics alors en vigueur : " Le sous-traitant adresse sa demande de paiement libellée au nom du pouvoir adjudicateur au titulaire du marché, sous pli recommandé avec accusé de réception (...) / Le titulaire dispose d'un délai de quinze jours à compter de la signature de l'accusé de réception ou du récépissé pour donner son accord ou notifier un refus, d'une part, au sous-traitant et, d'autre part, au pouvoir adjudicateur (...) / Le sous-traitant adresse également sa demande de paiement au pouvoir adjudicateur (...), accompagnée des factures et de l'accusé de réception ou du récépissé attestant que le titulaire a bien reçu la demande ou de l'avis postal attestant que le pli a été refusé ou n'a pas été réclamé. / Le pouvoir adjudicateur (...) adresse sans délai au titulaire une copie des factures produites par le sous-traitant. / Le pouvoir adjudicateur procède au paiement du sous-traitant (...) / Le pouvoir adjudicateur informe le titulaire des paiements qu'il effectue au sous-traitant ".
3. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que, pour obtenir le paiement direct par le maître d'ouvrage de tout ou partie des prestations qu'il a exécutées dans le cadre de son contrat de sous-traitance, le sous-traitant régulièrement agréé doit adresser sa demande de paiement direct à l'entrepreneur principal, titulaire du marché. Il appartient ensuite au titulaire du marché de donner son accord à la demande de paiement direct ou de signifier son refus dans un délai de quinze jours à compter de la réception de cette demande. Le titulaire du marché est réputé avoir accepté cette demande s'il garde le silence pendant plus de quinze jours à compter de sa réception. A l'issue de cette procédure, le maître d'ouvrage procède au paiement direct du sous-traitant régulièrement agréé si le titulaire du marché a donné son accord ou s'il est réputé avoir accepté la demande de paiement direct. Cette procédure a pour objet de permettre au titulaire du marché d'exercer un contrôle sur les pièces transmises par le sous-traitant et de s'opposer, le cas échéant, au paiement direct. Sa méconnaissance par le sous-traitant fait ainsi obstacle à ce qu'il puisse se prévaloir, auprès du maître d'ouvrage, d'un droit à ce paiement. Le refus motivé du titulaire du marché d'accepter la demande de paiement direct du sous-traitant, notifié dans le délai de quinze jours à compter de sa réception, fait également obstacle à ce que le sous-traitant puisse se prévaloir, auprès du maître d'ouvrage, d'un droit à ce paiement.
4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société NGE Infranet a adressé au SIEL Territoire d'énergie Loire une demande de paiement direct au titre des prestations effectuées pour les points de mutualisation n°s 170, 171 et 161 par un courrier du 7 mai 2018 reçu par le maître d'ouvrage le 11 mai 2018 et par la société Serpollet, mandataire du groupement titulaire, le 14 mai 2018. Or la société SERP, membre du groupement titulaire qui a contracté avec ce sous-traitant, a manifesté son opposition expresse et motivée à ce paiement, d'une part, par un courrier du 18 mai 2018 adressé au SIEL Territoire d'énergie Loire et, d'autre part, par un courrier de la même date adressé à la société NGE Infranet, tous deux reçus le 23 mai 2018, soit dans le délai de quinze jours imparti par les dispositions mentionnées au point 2. Le titulaire du marché ayant ainsi notifié son refus motivé d'accepter la demande de paiement direct formée par la société NGE Infranet dans le délai de quinze jours qui lui était imparti, le SIEL Territoire d'énergie était, par suite, fondé, pour ce seul motif, qu'il avait d'ailleurs opposé à la société NGE Infranet dès son courrier du 24 mai 2018 rejetant sa demande de paiement direct, à refuser de procéder à ce paiement. Par suite, le SIEL Territoire d'énergie est fondé à soutenir, par ce moyen qui, contrairement à ce qui est soutenu en défense, n'est pas soulevé pour la première fois en cassation, qu'en le condamnant à verser la somme de 42 963,91 euros toutes taxes comprises à la société NGE Infranet au titre des prestations qu'elle a réalisées pour le point de mutualisation n° 170, la cour administrative d'appel de Lyon a commis une erreur de droit.
5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, que les articles 1er, 2 et 3 de l'arrêt attaqué doivent être annulés.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, dans cette mesure, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
7. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 et 4 que le refus opposé par le titulaire du marché à la demande de paiement direct formée par la société NGE Infranet au titre des prestations qu'elle a réalisées pour le point de mutualisation n° 170 faisait obstacle à ce que cette société puisse se prévaloir, auprès du maître d'ouvrage, d'un droit à ce paiement et que le SIEL Territoire d'énergie était fondé à refuser de procéder au paiement direct pour ce seul motif. Par suite, les moyens soulevés par la société NGE Infranet tendant à démontrer le bien-fondé de sa créance sont inopérants.
8. Il résulte de ce qui précède que la société NGE Infranet n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande au titre des prestations qu'elle a réalisées pour le point de mutualisation n° 170.
Sur le pourvoi incident de la société NGE Infranet :
En ce qui concerne les travaux portant sur le point de mutualisation n° 161 :
9. Les conclusions du pourvoi incident de la société NGE Infranet dirigées contre l'arrêt attaqué en tant qu'il a rejeté ses conclusions au titre des prestations qu'elle a réalisées pour le point de mutualisation n° 161 soulèvent un litige distinct de celui qui fait l'objet du pourvoi principal dès lors que ces prestations relèvent d'un contrat de sous-traitance différent de celui portant sur le point de mutualisation n° 170 en cause dans le pourvoi principal. Elles sont par suite irrecevables.
En ce qui concerne les travaux portant sur le point de mutualisation n° 171 :
10. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 et 4 que le refus opposé par le titulaire du marché par courriers du 18 mai 2018 à la demande de paiement direct formée par la société NGE Infranet, qui concernait aussi les prestations réalisées, dans le cadre du même contrat de sous-traitance que le point n° 170, au titre du point de mutualisation n° 171, faisait obstacle à ce que cette société puisse se prévaloir, auprès du maître d'ouvrage, d'un droit à ce paiement. Ce motif, qui répond aux moyens invoqués devant les juges du fond et dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait nouvelle, doit être substitué au motif retenu par l'arrêt attaqué pour rejeter les conclusions présentées par la société NGE Infranet à ce titre. Par suite, le surplus du pourvoi incident de cette société doit être rejeté.
Sur les frais de l'instance :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société NGE Infranet la somme de 3 000 euros à verser au SIEL Territoire d'énergie Loire au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par la société NGE Infranet au même titre, ainsi qu'à celles de la société Serpollet qui n'a pas la qualité de partie dans la présente instance.
D E C I D E :
Article 1er : Les articles 1er, 2 et 3 de l'arrêt du 22 septembre 2022 de la cour administrative d'appel de Lyon sont annulés.
Article 2 : Le pourvoi incident de la société NGE Infranet est rejeté.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société NGE Infranet devant la cour administrative d'appel de Lyon au titre des prestations qu'elle a réalisées pour le point de mutualisation n° 170 sont rejetées.
Article 4 : La société NGE Infranet versera au SIEL Territoire d'énergie Loire une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par la société NGE Infranet et par la société Serpollet sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée au Syndicat intercommunal d'énergies du département de la Loire (SIEL Territoire d'énergie Loire) et à la société NGE Infranet.
Copie en sera adressée à la société Serpollet.