CA Chambéry, 2e ch., 27 juin 2024, n° 23/01269
CHAMBÉRY
Arrêt
Infirmation partielle
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Fouchard
Conseillers :
M. Therolle, M. Gauvin
Avocats :
SARL Rimondi Alonso Huissoud Caroulle Piettre, Me Dormeval
EXPOSÉ DU LITIGE
Par jugement en date du 3 juin 2019, le tribunal d'instance de Bonneville a condamné Mme [X] [L] et son fils au paiement des arriérés de loyers outre intérêts (11 542,90 euros) et aux frais de procédure au profit de M. [B] [J].
Par acte du 22 juillet 2019, M. [B] [J] a notifié à Mme [X] [L] et M. [I] [F] un commandement de payer visant la clause résolutoire en raison des loyers restant impayés.
Par ordonnance contradictoire du 10 mars 2021, frappée d'appel, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Bonneville a :
- rejeté les demandes dirigées contre M. [I] [F],
- constaté que la clause résolutoire du bail en date du 25 octobre 2017 portant sur un logement situé [Adresse 5], est acquise à la date du 22 septembre 2019 à l'égard de Mme [X] [L],
- en conséquence, ordonné à Mme [X] [L] de libérer les lieux de sa personne, de ses biens et de tous occupants de son chef, dans le délai de huit jours à compter de la signification de l'ordonnance,
- dit que faute par Mme [X] [L] de s'exécuter volontairement, il pourra être procédé à son expulsion, au besoin avec le concours de la force publique,
- dit que le sort des biens mobiliers trouvés dans les lieux sera régi par les dispositions prévues par les articles L.433-1 et suivants et les articles R.433-1 à R.433-6 du code des procédures civiles d'exécution,
- condamné Mme [X] [L] à payer à M. [B] [J], à titre provisionnel, la somme de 34 478,82 euros au titre de l'arriéré locatif arrêté au 30 septembre 2020, avec intérêts au taux légal à compter de date de l'ordonnance,
- condamné Mme [X] [L] à payer à M. [B] [J], à titre provisionnel, une indemnité mensuelle d'occupation de 1 250 euros à compter du 1er octobre 2020 et jusqu'à la date de la libération effective et définitive des lieux,
- condamné Mme [X] [L] à payer à M. [B] [J] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [X] [L] aux entiers dépens de l'instance la concernant, en ce compris le coût du commandement du 22 juillet 2019, le coût de l'assignation et de sa notification à la préfecture,
- laissé à la charge de M. [B] [J] les dépens concernant M. [I] [F],
- rappelé que l'ordonnance est exécutoire à titre provisoire, frais et dépens compris.
Entre temps, M. [B] [J] a fait procéder le 16 juillet 2021 à l'immobilisation et l'enlèvement d'un véhicule de marque Ferrari modèle 599 GTB Fiorani F1 immatriculé LJ10 GDF. Cette saisie a été dénoncée à Mme [X] [L] par acte du 23 juillet 2021. Un acte d'opposition-jonction à la procédure d'immobilisation a été établi le 5 août 2021.
Par acte du 5 octobre 2022, Mme [X] [L] a saisi le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains pour obtenir la mainlevée de la saisie.
Par jugement contradictoire du 16 août 2023, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains a :
- déclaré recevable l'action engagée par Mme [X] [L],
- débouté Mme [X] [L] de ses demandes,
- débouté M. [B] [J] de sa demande de condamnation au titre des frais de gardiennage,
- condamné Mme [X] [L] aux dépens de l'instance,
- condamné Mme [X] [L] à payer à M. [B] [J] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 22 août 2023, Mme [X] [L] a interjeté appel de la décision.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 15 décembre 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, Mme [X] [L] demande à la cour de :
- infirmer le jugement déféré en ce qu'il :
- l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes,
- l'a condamnée aux dépens de l'instance,
- l'a condamnée à verser à M. [B] [J] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile dont distraction au profit de la SCP Cabinet Bouvard, Avocats au Barreau de Bonneville, pour ceux des dépens dont ils auront fait l'avance conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;
- confirmer le jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs de jugement infirmés,
A titre principal,
- prononcer la nullité de la saisie du véhicule terrestre à moteur de marque Ferrari modèle 599 GTB Fiorano F1 immatriculé LJ10 GDF effectuée le 16 juillet 2021,
A titre subsidiaire,
- dire et juger inutile la saisie du véhicule terrestre à moteur de marque Ferrari modèle 599 GTB Fiorano F1 immatriculé LJ10 GDF effectuée le 16 juillet 2021,
En tous les cas,
- ordonner la mainlevée de la saisie du véhicule terrestre à moteur de marque Ferrari modèle 599 GTB Fiorano F1 immatriculé LJ10 GDF effectuée le 16 juillet 2021,
- condamner M. [B] [J] à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- mettre à la charge de M. [B] [J] les frais de gardiennage du véhicule,
- condamner M. [B] [J] à lui payer à Mme [X] [L] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [B] [J] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Dans ses conclusions adressées par voie électronique le 25 janvier 2024, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, M. [B] [J] demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu en ce qu'il a débouté Mme [X] [L] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée au paiement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- infirmer le jugement rendu en ce qu'il l'a débouté de sa demande de condamnation de Mme [X] [L] au paiement des frais de gardiennage,
- juger que les frais de gardiennage du véhicule seront à la charge de Mme [X] [L],
- condamner Mme [X] [L] au paiement d'une somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles en appel,
- débouter Mme [X] [L] de toutes ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires,
- condamner la même aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel, dont distraction pour ces derniers au profit de Maître Clarisse Dormeval, avocat conformément aux dispositions
de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 février 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire la cour relève que la recevabilité de l'action de Mme [X] [L] n'est plus contestée à hauteur d'appel.
1. Sur la nullité de la saisie
Mme [X] [L] expose que le véhicule Ferrari saisi ne lui appartient pas mais qu'il est la propriété de Mme [M] [D]. Elle produit le certificat d'enregistrement du véhicule (pièce anglaise équivalent au certificat d'immatriculation français) qu'elle estime être, sinon un titre de propriété, au moins un élément de preuve de la propriété. Elle dit ne disposer d'aucun autre élément tel que le contrat de vente ou le contrat d'assurance, précisément parce qu'elle n'est pas propriétaire. Elle dit enfin que la présomption posée par l'article 2276 du code civil ne s'applique pas dans la mesure où elle n'a jamais été en possession du véhicule litigieux lequel n'a d'ailleurs pas été saisi à son domicile mais à celui de son fils sur la commune de [Localité 6]. Elle indique, à ce propos que les actes de la procédure, qui ont été déposés dans la boîte aux lettres de son fils, ne contiennent pas les modalités de leur signification, à l'exception de la dénonciation d'opposition-jonction du 6 août 2021. Toutefois, Mme [X] [L] critique ces modalités en les qualifiant d'insuffisantes à établir la réalité du domicile (vérification insuffisantes, nom erroné).
M. [B] [J] expose pour sa part que la saisie du véhicule a été faite sur la base de la présomption de propriété tirée de l'article 2276 du code civil. Il dit que la voiture a été saisie au domicile de son fils à [Localité 6] où elle habitait et que Mme [X] [L] utilisait ce véhicule lorsqu'elle résidait à [Localité 7] avec son mari. Il ajoute que la voiture est aujourd'hui utilisé par le fils de Mme [X] [L] et verse une photographie prise à Genève, lieu de travail du fils. Il rappelle que c'est au débiteur saisi auquel il appartient de prouver le défaut de propriété du bien et dit que les pièces versées ne montrent pas que Mme [M] [D] serait propriétaire de la Ferrari. Il souligne les incohérences présentes dans ces documents.
L'article L. 223-2 du code des procédures civiles d'exécution dispose que 'Le commissaire de justice chargé de l'exécution muni d'un titre exécutoire peut saisir le véhicule du débiteur en l'immobilisant, en quelque lieu qu'il se trouve, par tout moyen n'entraînant aucune détérioration du véhicule . Le débiteur peut demander au juge la levée de l' immobilisation du véhicule' .
En l'espèce le titre exécutoire est le jugement définitif du 3 juin 2019. Toutefois, pour être valable, la saisie doit être pratiquée sur un véhicule dont le débiteur est propriétaire. A ce titre, le saisi qui conteste être propriétaire du véhicule doit en rapporter la preuve. Il convient de noter que le certificat d'immatriculation ne constitue pas un titre de propriété mais un simple document de police. Dès lors une saisie est objectivement possible sur un véhicule non immatriculé au nom du débiteur saisi, sauf pour lui à démontrer qu'il n'est pas propriétaire.
Mme [X] [L] produit le certificat d'immatriculation anglais du véhicule établi au nom de Mme [M] [D] (pièce n°3), lequel mentionne expressément qu'il ne constitue pas une preuve de propriété. Mme [X] [L] produit également une attestation de l'agence pour l'immatriculation des véhicules et des conducteurs selon laquelle elle 'n'a jamais été inscrite comme la détentrice enregistrée' du véhicule litigieux (pièces n°10 et 11). Elle établit donc qu'elle n'en est pas la possesseur au moins au sens du titre du droit anglais.
Il résulte des termes mêmes employés par l'huissier de justice dans un courriel, que la saisie du véhicule a été effectuée 'à l'adresse des débiteurs en appliquant la présomption 'possession vaut titre' (pièce M. [B] [J] n°22). Il est constant que la règle selon laquelle en fait de meuble la possession vaut titre ne s'applique qu'à l'égard d'une personne dont la possession n'est pas équivoque. Or en l'espèce, M. [B] [J] reconnaît lui-même dans ses écritures qu'actuellement c'est le fils de Mme [X] [L], M. [I] [F] qui utilise la voiture litigieuse et que la saisie a été faite à une adresse à [Localité 6] correspondant à une maison qui appartient à M. [I] [F] qui y habite. Il en résulte que, même à supposer, ce qu'elle conteste, que Mme [X] [L] habitait bien à cette adresse avec son fils au temps de la saisie, il existerait une équivoque sur la possession du véhicule dont Mme [M] [D] est désignée comme titulaire. Les seuls éléments versés quant à la personne qui posséderait le véhicule au sens de l'article 2276 du code civil conduisent en effet à M. [I] [F] et non à Mme [X] [L].
En conséquence, la saisie litigieuse, uniquement fondée sur la présomption de l'article 2276 du code civil, doit être annulée dès lors qu'il est établi par les éléments du dossier que Mme [X] [L] n'était pas la possesseur du véhicule saisi au moment de l'acte. Il convient donc d'infirmer le jugement déféré et de déclarer nulle la saisie du véhicule terrestre à moteur de marque Ferrari modèle 599 GTB Fiorano F1 immatriculé LJ10 GDF effectuée le 16 juillet 2021 et d'en ordonner la mainlevée.
2. Sur la demande de dommages et intérêts présentée par Mme [X] [L]
L'article L. 121-2 du code des procédures civiles d'exécution dispose que : 'le juge de l'exécution a le pouvoir d'ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou abusive et de condamner le créancier à des dommages-intérêts en cas d'abus de saisie'.
Mme [X] [L] expose :
- que l'huissier a pénétré dans les locaux sans s'assurer au préalable qu'ils constituaient bien son domicile,
- qu'il a été procédé à la saisie d'un véhicule qui ne lui appartenait pas,
- que le actes lui ont été signifiés à une adresse qui n'était pas la sienne,
- que la saisie porte sur un véhicule dont la valeur dépasse largement le montant de la créance.
Force est de constater que Mme [X] [L] ne démontre pas en quoi elle aurait subi un préjudice n'ayant, selon ses propres dires, subi ni violation d'un domicile qu'elle prétend ne pas être le sien, ni privation d'un véhicule dont elle dit qu'il n'est pas le sien, ni perte sur la valeur d'un véhicule dont elle dit qu'il n'est pas le sien. En outre à supposer que les actes relatifs à la saisie n'ont pas été faits à la bonne adresse, elle ne démontre pas en avoir souffert un quelconque grief puisqu'elle en a eu connaissance et a pu exercer les voies de droit à sa disposition. Elle sera donc déboutée de sa demande de dommages et intérêts. Le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
3. Sur les frais de gardiennage
M. [B] [J] demande que les frais de gardiennage du véhicule soient mis à la charge de Mme [X] [L]. Elle sollicite, au contraire, qu'ils soient mis à la charge de M. [B] [J]. Dans la mesure où il a été jugé ci-dessus que la saisie dirigée contre Mme [X] [L] était nulle, elle ne saurait en supporter les frais. Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a débouté M. [B] [J] de sa demande à ce titre. Il devra donc lui-même supporter les frais de gardiennage.
4. Sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, M. [B] [J] qui succombe sera tenu aux dépens de première instance et d'appel. Il sera, dans le même temps, débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile comme n'en remplissant pas les conditions d'octroi.
Il n'est pas inéquitable de faire supporter par M. [B] [J] partie des frais irrépétibles exposés par Mme [X] [L] en première instance et en appel. Il sera donc condamné à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par décision contradictoire,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a :
- débouté M. [B] [J] de sa demande tendant à faire supporter les frais de gardiennage par Mme [X] [L],
- débouté Mme [X] [L] de sa demande de dommages et intérêts,
Infirme le jugement déféré en ses autres dispositions critiquées.