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Décisions

CA Angers, 1re ch. A, 22 juin 2010, n° 09/01184

ANGERS

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Verdun

Conseillers :

Mme Rauline, Mme Lecaplain-Morel

Avoués :

SCP Chatteleyn et George, SCP Gontier-Langlois

Avocats :

Me Hericher-Mazel, Me Bescher, Me Pigeau

TGI Le Mans, du 19 mai 2009, n° 09/0882

19 mai 2009

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur X a été condamné, solidairement avec son épouse, à payer à madame Y la somme de 90 066 par une ordonnance de référé du président du tribunal de grande instance du Mans en date du 20 avril 1994.

Par acte d'huissier en date du 11 décembre 2008, à la requête de Madame Y, maître Barnier, huissier de justice au Mans, a signifié au préfet de la Sarthe un procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation du véhicule de marque Toyota immatriculé 1901 WD 72 appartenant à Monsieur X. L'acte a été dénoncé à ce dernier le 16 décembre suivant.

Monsieur X a saisi le juge de l'exécution du tribunal de grande instance du Mans par assignation du 19 février 2009 pour voir ordonner la mainlevée de la saisie par déclaration, faisant valoir que le véhicule, vendu le 20 novembre 2008, ne lui appartenait plus à la date de la signification au préfet.

Par un jugement en date du 19 mai 2009, le juge de l'exécution a débouté Monsieur X de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné à payer à Madame Y la somme de 1 000 à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et celle de 1 000 en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Monsieur X a interjeté appel de cette décision le 19 mai 2009.

Les parties ont conclu. L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 mai 2010.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions du 30 avril 2010, Monsieur X demande à la cour d'infirmer le jugement et de :

- prononcer la nullité des opérations de saisie sur le véhicule immatriculé 1901 WD 72

- ordonner la mainlevée de l'indisponibilité du certificat d'immatriculation du véhicule,

- condamner Madame Y à lui payer 5 000 à titre de dommages-intérêts et 4 000 en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- le décharger des condamnations prononcées à son encontre,

- à titre subsidiaire, prononcer un sursis à statuer dans l'attente du jugement du tribunal d'instance de La Flèche,

- condamner Madame Y aux dépens de première instance et d'appel. Il déclare justifier de sa nouvelle adresse par ses pièces 19 à 21.

Il rappelle que la saisie des biens d'un tiers n'est pas valable et qu'il y a lieu dès lors d'annuler l'acte de saisie et de prononcer sa mainlevée. Il estime que, contrairement à ce qui a été jugé, il rapporte la preuve qu'à la date de celle-ci, il n'était plus propriétaire du véhicule Toyota, l'ayant cédé à monsieur Z en échange de son véhicule utilitaire Peugeot moyennant une soulte de 2 100. Il déclare produire à cet effet le certificat de situation administrative du véhicule Toyota en date du 19 novembre 2008, les certificats de cession des deux véhicules faisant l'objet de l'échange datés du 20 novembre 2008, l'attestation de madame W, sa compagne, qui était présente lors de la vente et sur le compte de laquelle a été tiré le chèque destiné à payer la soulte, lequel a été débité le 26 novembre, et celle de monsieur Z, la copie des cartes grises barrées avec la mention 'vendu le 20 novembre 2008" et le certificat d'immatriculation du véhicule Peugeot auprès de la préfecture de la Sarthe. Il indique qu'il ignorait, comme la plupart des gens, qu'il aurait dû informer la préfecture de cette transaction, comme le prévoit le code de la route. Il précise que monsieur Z, n'ayant pu faire immatriculer le véhicule Toyota, l'a revendu à un tiers qui a déposé plainte pour escroquerie et qu'une enquête préliminaire est en cours dans l'Isère ainsi qu'il en justifie.

Subsidiairement, il fait valoir qu'il a contesté le montant de la créance de Madame Y devant le tribunal d'instance de La Flèche dans le cadre d'une procédure de saisie-arrêt des rémunérations engagée au même moment par l'intimée. Si la cour ne devait pas suivre son argumentation, il lui demande de surseoir à statuer dans l'attente du jugement de ce tribunal.

Par conclusions du 4 mai 2010, Madame Y demande à la cour de débouter Monsieur X de son appel, de confirmer le jugement et de le condamner à lui payer 2 000 à titre de dommages-intérêts pour appel abusif et 2 000 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de la procédure d'appel.

Elle expose qu'elle a vendu son fonds de commerce aux époux A en 1984, qu'ils ont été condamnés à lui payer la somme de 90 066,42 par une ordonnance du 20 avril 1994 et qu'en vertu de ce titre, l'huissier de justice a délivré un procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation du véhicule de Monsieur X.

A titre liminaire, elle lui demande de justifier de la nouvelle adresse qu'il mentionne dans ses dernières conclusions en application de l'article 961 du code de procédure civile.

Sur le fond, elle soutient qu'une vente doit être prouvée à l'égard des tiers selon les règles du droit commun, que toute vente portant sur une somme supérieure à 1 500 doit être passée par un acte authentique ou un acte sous seing privé et que l'appelant ne verse aux débats aucun écrit prouvant l'existence de la vente alléguée ni aucun commencement de preuve par écrit. Elle rappelle qu'en tout état de cause, les actes sous seing privé n'ont date certaine à l'égard des tiers que si les formalités prévues par l'article 1328 du code civil ont été respectées, ce qui n'est pas le cas, faisant observé que Monsieur X n'a pas informé la préfecture de la vente de son véhicule en violation de l'article R. 322-4 du code de la route. Ce dernier étant dans l'incapacité de prouver que la vente a eu lieu avant la date du 11 décembre 2008 doit être débouté de son appel.

Elle considère que la demande de sursis à statuer de l'appelant démontre sa mauvaise foi en ce qu'elle a un caractère purement dilatoire, la procédure pendante devant le tribunal d'instance n'ayant pas pour effet de remettre en cause le titre exécutoire. Elle fait valoir qu'une telle demande est de la seule compétence du conseiller de la mise en état car il s'agit d'une exception de procédure, laquelle aurait dû être soulevée in limine litis en première instance. Soulevée pour la première fois en appel, elle est donc irrecevable.

Elle conclut au rejet de la demande de dommages-intérêts au motif qu'elle est créancière de Monsieur X depuis 1984 et que sa créance s'élève aujourd'hui à 89 620,71

MOTIFS

1º) Sur la recevabilité des conclusions de l'appelant

L'appelant produit trois justificatifs (ses pièces 19 à 21) démontrant que l'adresse mentionnée dans ses conclusions, <adresse> à La Flèche (72), est bien son adresse actuelle. Celles-ci sont donc recevables.

2º) Sur la demande de sursis à statuer

L'appelant sollicite le sursis à statuer dans l'attente du jugement du tribunal d'instance de La Flèche qui serait saisi d'une contestation sur le montant de la créance de l'intimée.

Une demande de sursis à statuer est une exception de procédure au sens de l'article 73 du code de procédure civile en ce qu'elle tend à faire suspendre le cours de l'instance lorsqu'elle est un moyen de défense opposé par le défendeur. En effet, les cinq exceptions qui sont énumérées au chapitre II du titre V de ce code n'ont pas de caractère limitatif, contrairement à ce qui est soutenu par l'appelant.

Si Monsieur X a fait délivrer l'assignation devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance du Mans, c'est pour contester la mesure d'exécution exercée par Madame Y qui tend à rendre indisponible le certificat d'immatriculation de son véhicule. C'est donc cette dernière qui a la qualité de demanderesse à l'action et l'appelant celle de défendeur, bien qu'il ait saisi le juge de l'exécution.

Aux termes de l'article 74 du code de procédure civile, l'exception de procédure doit être soulevée, à peine d'irrecevabilité, avant toute défense au fond ou toute fin de non-recevoir. L'appelant ne demandant le sursis à statuer qu'à titre subsidiaire, c'est à juste titre que l'intimée lui oppose ces dispositions.

La demande de sursis à statuer sera donc déclarée irrecevable.

3º) Sur la demande de mainlevée de l'indisponibilité du certificat d'immatriculation

L'appelant prétend avoir échangé son véhicule Toyota immatriculé 1901 WD 72 contre le véhicule de marque Peugeot de monsieur Z moyennant une soulte de 2 100 le 20 novembre 2008. L'intimée conteste l'existence de cette transaction.

Le premier juge a fait droit à la demande de cette dernière, considérant que les pièces produites par Monsieur X ne rapportaient pas suffisamment la preuve de la vente du véhicule Toyota.

Madame Y est fondée à rappeler qu'il incombe aux parties à un acte d'en rapporter la preuve contre les tiers dans les termes du droit commun et qu'en l'espèce, l'échange portant sur un bien d'une valeur supérieure à 1 500, l'article 1341 du code civil s'applique.

Contrairement à ce qu'elle soutient, en revanche, le certificat de cession du véhicule litigieux qui figure en pièce 6 de l'appelant constitue un acte sous seing privé au sens de ces dispositions et de l'article 1322 du code civil.

Elle soutient également que la date du 20 novembre 2008 lui est inopposable en ce que l'acte n'a pas date certaine.

Il est exact que la date d'un acte sous seing privé ne peut être opposée aux tiers en raison des risques d'antidate et de l'impossibilité pour les tiers d'en rapporter la preuve contraire. C'est pourquoi l'article 1328 du code civil énonce que de tels actes n'ont date certaine à l'égard des tiers que dans trois circonstances : l'enregistrement auprès de l'administration fiscale, le décès de l'un des souscripteurs et la relation de la substance de l'acte dans un acte authentique. Ces circonstances sont énumérées de manière limitative de telle sorte que la déclaration de la vente à la préfecture par Monsieur X en application de l'article R. 322-4 du code de la route n'aurait pas permis de lui conférer date certaine.

L'intimée, bien que créancier chirographaire, est un tiers au sens de ce texte en ce qu'elle exerce, en procédant à la saisie par déclaration du véhicule terrestre à moteur appartenant à son débiteur, un droit propre qu'elle tient de l'article 57 de la loi du 9 juillet 1991.

Elle est donc fondée à se prévaloir de l'inopposabilité de l'acte de vente du véhicule litigieux, faute par celle-ci d'avoir acquis date certaine avant la signification de la saisie au préfet.

La demande de mainlevée de la saisie par déclaration ne peut donc qu'être rejetée et le jugement confirmé.

4º) Sur les autres demandes

Monsieur X ne rapporte pas la preuve de ce que l'intimée, qui obtient satisfaction sur l'essentiel de ses demandes, aurait commis une quelconque faute dans la mise en œuvre de la mesure d'exécution en date du 11 décembre 2008. Sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive sera donc rejetée.

Madame Y sollicite la confirmation du jugement qui lui a alloué 1 000 à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et elle réclame, en outre, 2 000 pour appel abusif.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a fait droit à ce chef de demande sans caractériser la faute qui aurait été commise par Monsieur X ni le préjudice subi par cette dernière en lien causal avec cette faute.

En contestant le procès-verbal d'indisponibilité devant le juge de l'exécution puis en interjetant appel de la décision ayant rejeté sa demande, Monsieur X n'a fait qu'exercer son droit de se défendre à la procédure d'exécution forcée intentée contre lui sans que l'intimée rapporte la preuve qu'il ait commis un quelconque abus à cette occasion. Il sera observé à cet égard qu'elle n'allègue aucune fraude à son encontre.

L'intimée sera donc également déboutée de ses demandes de dommages-intérêts.

Le jugement qui lui a accordé 1 000 en application de l'article 700 du code de procédure civile sera confirmé, une indemnité de 1 200 en cause d'appel lui étant allouée au titre de ses frais irrépétibles

L'appelant succombant en ses prétentions sera condamné aux dépens d'appel, le jugement étant confirmé en ce qu'il l'a condamné à supporter les dépens de première instance.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et contradictoirement :

DECLARE recevables les conclusions de Monsieur X,

DECLARE irrecevable la demande de sursis à statuer présentée par Monsieur X,

CONFIRME le jugement déféré, sauf sur les dommages-intérêts,

Statuant à nouveau,

DEBOUTE Madame Y de sa demande de dommages-intérêts pour saisie abusive,

Y ajoutant,

DEBOUTE Madame Y de sa demande dommages-intérêts pour appel abusif,

CONDAMNE Monsieur X à payer à Madame Y la somme de 1 200 application de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE Monsieur X aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.