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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 16, 1 juin 2021, n° 19/21157

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Electricité de France (EDF) (SA), EDF Développement Environnement (EDEV) (SA)

Défendeur :

Schwarzfield (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ancel

Conseillers :

Mme Schaller, Mme Aldebert

T. com. Paris, du 9 oct. 2019, n° 15/172…

9 octobre 2019

I- FAITS :

1-M. Alessandro B. est un entrepreneur italien, intervenant dans différentes industries et notamment le secteur énergétique. Il a créé et dirigé la société Schwarzfield, société de gestion d'un fonds d'investissement dans le domaine de l'énergie.

2-Monsieur Guido M. est un ingénieur ayant travaillé au sein de la société italienne Ente Nazionale Idrocarburi (ENI) et qui a en 2013 rejoint la société Schwarzfield en qualité de directeur (« chief operating officer »).

3-La société Électricité de France ( « EDF ») est une société anonyme cotée, offrant des services énergétiques, tant en France qu'à l'étranger, et qui détient plusieurs filiales, notamment la société EDF Développement Environnement (« EDEV ») spécialisée dans les stratégies d'innovation.

4-En 2010, la société EDF et M. B. sont entrés en relations professionnelles pour la mise en place de projets dans le domaine de l'énergie et notamment les projets dénommées « EDISON », «SUBBOTINA» et « MATERA ».

5-Estimant que les sociétés EDF et EDEV n'avaient pas respecté leurs engagements quant au paiement de leurs honoraires et le remboursement de leurs frais, M. B. et la société Schwarzfield ont, par acte d'huissier du 11 février 2015, assigné les sociétés EDF et EDEV devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de paiement de diverses sommes.

6-Le 9 septembre 2015, M. M. est intervenu volontairement à l'instance pour solliciter le paiement par la société EDF de sa rémunération à la suite de son licenciement de la société Schwarzfield consécutif au retrait de la société EDF du projet MATERA.

II- PROCEDURE

7-Par conclusions d'incident, M. B., la société Schwarfield et M. M. ont sollicité l'audition en qualité de témoins des Messieurs Henri P. et Olivier O. du groupe EDF.

8-Le Tribunal de Commerce de Paris, les a déboutés de leurs demandes d'audition par un jugement en date du 22 septembre 2016 et a enjoint aux parties de conclure au fond renvoyant l'examen de l'affaire du 19 octobre 2016.

9-Par jugement en date du 9 octobre 2019, le tribunal de commerce de Paris a :

-Pris acte de l'intervention volontaire de M. M. ;

-Débouté M. B. et la société Schwarzfield de leur demande voir condamner in solidum les sociétés EDF et EDEV à payer au premier la somme de six (6) millions d'euros dans le dossier EDISON, de leur demande de remboursement des frais engagés dans le dossier MATERA, ainsi que de leur demande de réparation de préjudice de réputation et d'image ;

-Condamné in solidum les sociétés EDF et EDEV à verser à M. B. la somme de 1 million d'euros dans le dossier SUBBOTINA ;

-Condamné la société EDF à verser à M. M. une somme de 1.460.000 euros, correspondant à 24 mois de salaire net et à 24 mois de bonus ;

-Débouté M. M. de sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 724 494,70 euros liés à son départ de la société ENI ainsi que de ses demandes de dommages et intérêts pour préjudice moral et sa demande de publication d'un communiqué judiciaire ;

-Débouté les sociétés EDF et EDEV de l'ensemble de leurs demandes reconventionnelles ;

-Condamné in solidum les sociétés EDF et EDEV à payer à M. B. et la société Schwarzfield d'une part, et à M. M. d'autre part, la somme de 25 000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

-Condamné in solidum M. B. et la société Schwarzfield aux dépens.

10-Le 15 novembre 2019, les sociétés EDF et EDEV ont interjeté appel du jugement du 9 octobre 2019 selon déclaration enregistrée sous le numéro RG 19/21157.

11-M. B. et la société Schwarzfield ont interjeté appel le 27 décembre 2019 des jugements du 22 septembre 2016 et 9 octobre 2019 selon déclaration d'appel enregistrée sous le numéro RG 20/00733.

12-Le 15 décembre 2020, une jonction des deux instances a été prononcée.

13-La clôture de l'instruction a été prononcée le 6 avril 2021.

III- PRÉTENTIONS DES PARTIES

14-Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique , le 8 mars 2021, M. B. et la société Schwarzfield demandent à la Cour de bien vouloir notamment :

AVANT DIRE DROIT, INFIRMER le jugement du Tribunal de Commerce de PARIS du 22 septembre 2016 en ce qu'il déboute Monsieur Alessandro B. et la société SCHWARZFIELD de leur incident tendant à l'audition de témoins ;

STATUANT A NOUVEAU, ORDONNER l'audition de :

- Monsieur Henri P., demeurant [...] - Monsieur Olivier O., demeurant [...]

EN TOUTE HYPOTHESE, AU FOND,

INFIRMER le jugement du Tribunal de Commerce de PARIS du 9 octobre 2019 en ce qu'il a :

- débouté M. Alessandro B. et la société SCHWARZFIELD :

* de leur demande de voir condamner in solidum les sociétés ELECTRICITE DE FRANCE et EDF DEVELOPPEMENT ENVIRONNEMENT à payer à M.B. la somme de 6 millions d'euros au titre des honoraires dans le dossier EDISON,

* de leur demande de voir condamner in solidum les sociétés ELECTRICITE DE FRANCE et EDF DEVELOPPEMENT ENVIRONNEMENT à payer à M.B. la somme de 3,5 millions d'euros au titre des honoraires dans le dossier SUBBOTINA,

* de leurs demandes de remboursement des frais engagés à hauteur de 1.377.975 euros et 5.449.671 euros pour le développement, le fonctionnement et la liquidation de la société de gestion et du fonds d'investissement dans le dossier MATERA,

* de leurs demandes de réparation de préjudice de réputation et d'image, à hauteur d'un million chacun,

- limité à la somme d'un million d'euros au titre des frais engagés dans le dossier SUBBOTINA la condamnation in solidum des sociétés ELECTRICITE DE FRANCE et EDF DEVELOPPEMENT ENVIRONNEMENT à l'égard de M. Alessandro B., déboutant ce dernier du surplus de sa demande.

-fait grief à M. Alessandro B. et la société SCHWARZFIELD en toutes autres dispositions ne figurant pas au dispositif.

STATUANT A NOUVEAU,

Sur l'opération EDISON :

CONDAMNER les sociétés ELECTRICITE DE FRANCE et EDF DEVELOPPEMENT ENVIRONNEMENT à payer à Monsieur Alessandro B. le solde des honoraires dus pour un montant de 6 millions d'euros

Sur l'opération SUBBOTINA :

CONDAMNER les sociétés ELECTRICITE DE FRANCE et EDF DEVELOPPEMENT ENVIRONNEMENT à payer à Monsieur Alessandro B. les honoraires dus pour un montant de 3,5 millions d'euros ;

CONDAMNER les sociétés ELECTRICITE DE FRANCE et EDF DEVELOPPEMENT ENVIRONNEMENT à payer à Monsieur Alessandro B. l'ensemble des frais avancés pour un montant de 1.377.975 euros ;

Sur l'opération MATERA :

CONDAMNER les sociétés ELECTRICITE DE FRANCE et EDF DEVELOPPEMENT ENVIRONNEMENT à payer à Monsieur Alessandro B. et à la société SCHWARZFIELD l'ensemble des frais de développement et de fonctionnement de la société de gestion et du fonds d'investissement engagés pour un montant de 5.449.671 euros ;

CONDAMNER les sociétés ELECTRICITE DE FRANCE et EDF DEVELOPPEMENT ENVIRONNEMENT à payer à Monsieur Alessandro B. et à la société SCHWARZFIELD l'ensemble des frais de liquidation du fonds d'investissement engagés pour un montant de 1.286.000 euros ;

CONDAMNER les sociétés ELECTRICITE DE FRANCE et EDF DEVELOPPEMENT ENVIRONNEMENT à payer à la société SCHWARZFIELD la somme de 9 millions d'euros au titre de la perte de chance subie ;

CONDAMNER les sociétés ELECTRICITE DE FRANCE et EDF DEVELOPPEMENT ENVIRONNEMENT à payer à Monsieur Alessandro B. la somme de 1 million d'euros au titre du préjudice de réputation et d'image subi ;

Sur la rupture de la relation commerciale :

CONDAMNER les sociétés ELECTRICITE DE FRANCE et EDF DEVELOPPEMENT ENVIRONNEMENT à payer à Monsieur Alessandro B. le somme de 1 million d'euros à titre de dommages et intérêts.

En tout état de cause,

DECLARER les sociétés ELECTRICITE DE FRANCE et EDF DEVELOPPEMENT ENVIRONNEMENT mal fondées en leur appel et les en débouter ;

DEBOUTER les sociétés ELECTRICITE DE FRANCE et EDF DEVELOPPEMENT ENVIRONNEMENT de l'ensemble de leurs demandes fins et conclusions ;

CONDAMNER les sociétés ELECTRICITE DE FRANCE et EDF DEVELOPPEMENT ENVIRONNEMENT à payer à M. B. et la société SCHWARZFIELD la somme de 150.000 euros au titre de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers dépens

14-Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées, le 9 octobre 2020, les sociétés EDF et EDEV demandent à la Cour de bien vouloir :

Confirmer le jugement du 22 septembre 2016 en ce qu'il a débouté Monsieur Alessandro B. et la société Schwarzfield de leur demande d'auditionner Monsieur Henri P. et Monsieur Olivier O..

INFIRMER LE JUGEMENT DU 9 octobre 2019 S'AGISSANT DES CHEFS PAR LESQUELS LE TRIBUNAL A :

-Condamné in solidum les sociétés EDF et EDEV à verser la somme d'1 million d'euros à M. Alessandro B. dans le dossier SUBBOTINA;

-Condamné la société EDF à verser la somme de 1.460.000 euros à Monsieur Guido M., correspondant à 24 mois de salaire net et à 24 mois de bonus ;

-Débouté les EDF et EDEV de l'ensemble de leurs demandes reconventionnelles ;

-Condamné in solidum les sociétés EDF et EDEV à payer à la société Schwarzfield et Monsieur Alessandro B., d'une part, et Monsieur Guido M., d'autre part, la somme de 25.000 euros chacun, au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

STATUANT A NOUVEAU,

Débouter Monsieur B. de toute demande de versement au titre d'honoraires et de remboursement de frais dans le cadre de l'opération SUBBOTINA;

Débouter Monsieur Guido M. de sa demande de versement de la somme de 1.460.000 euros et à titre subsidiaire, r'duire substantiellement la somme due à Monsieur Guido M. ;

SUR LES DEMANDES RECONVENTIONNELLES D'EDF ET EDEV :

- Condamner Monsieur Alessandro B. à garantir les sociétés EDF et EDEV de toute condamnation envers Monsieur Guido M.,

- Condamner Monsieur Alessandro B. à verser la somme de 500.000 euros à EDF et EDEV en réparation du préjudice causé ;

- Condamner solidairement Monsieur Alessandro B., la société Schwarzfield et Monsieur Guido M. à verser la somme totale de 50.000 euros à EDF et EDEV pour action abusive ;

CONFIRMER LE JUGEMENT POUR LE SURPLUS, EN PARTICULIER EN CE QU'IL A :

Débouté Monsieur Alessandro B. de sa demande de condamnation au versement d'une somme de 6 millions d'euros dans l'opération EDISON ;

Débouté Monsieur Alessandro B. de sa demande de condamnation à hauteur de 3,5 millions d'euros d'honoraires et 1,377 millions d'euros de frais dans l'opération SUBBOTINA ;

Débouté Monsieur Alessandro B. et la société Schwarzfield :

- de leur demande de remboursement des frais engagés dans le dossier MATERA pour un montant de 5,449 millions d'euros s'agissant du fonctionnement et du développement ; pour un montant de 1.286 millions d'euros pour la liquidation du fond,

- de leur demande d'indemnisation de 9 millions d'euros au titre de la perte de chance,

- de leurs demandes de réparation au titre du préjudice de réputation et d'image pour 1 million d'euros.

Débouté Monsieur Guido M. de sa demande de paiement de la somme de 376.039,90 euros de dommages et intérêts en compensation de la perte financière représentée par sa désinscription du fonds de pension d'ENI ;

Débouté Monsieur Guido M. de sa demande de paiement de la somme de 348.454,80 euros de dommages et intérêts en compensation de la perte financière représentée par sa désinscription du régime d'assurance maladie dont il bénéficiait chez ENI ;

Débouté Monsieur Guido M. de sa demande de paiement de la somme de 1 million d'euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral qu'il a subi ;

Débouté Monsieur Guido M. de sa demande de publication d'un communiqué judiciaire faisant état de la condamnation des sociétés EDF et EDEV, et ce dans trois quotidiens ou hebdomadaires qui seront choisis par Monsieur Guido M., ainsi que, pendant un mois, sur la page d'accueil du site internet d'EDF www.edf.com, le tout sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard.

EN TOUT ETAT DE CAUSE

SUR LA RUPTURE ALLEGUÉE DE RELATIONS COMMERCIALES ETABLIES

A titre principal,

- Dire et juger les prétentions de Monsieur Alessandro B. et la société Schwarzfield, sollicitant un million d'euros, formées sur le fondement de l'article L. 442-6, I,

5° du Code de commerce sont irrecevables comme étant nouvelles,

A titre subsidiaire,

- les dire infondées ;

SUR LES AUTRES DEMANDES, SUR LES ARTICLES 700 CPC ET DEPENS :

- Débouter Monsieur Alessandro B., la société Schwarzfield et Monsieur Guido M. de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

- Condamner solidairement Monsieur Alessandro B., la société Schwarzfield et Monsieur Guido M. à payer à Electricité de France et EDEV la somme de 200.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner solidairement Monsieur Alessandro B., la société Schwarzfield et Monsieur Guido M. aux entiers dépens.

15-Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voies électronique, le 12 mai 2020, Monsieur Guido M. demande à la Cour de bien vouloir :

-CONFIRMER le jugement du Tribunal de Commerce de Paris en ce qu'il a condamné la société EDF à payer à Monsieur Guido M. la somme de 1.460.000 euros en application du contrat du 23 juillet 2013 ;

-CONFIRMER le jugement du Tribunal de Commerce de Paris en ce qu'il a débouté les sociétés EDF et EDEV de toutes leurs demandes reconventionnelles ;

-CONFIRMER le jugement du Tribunal de Commerce de Paris en ce qu'il a condamné in solidum les sociétés EDF et EDEV à payer à Monsieur Guido M. la somme de 25.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance, conformément à l'article 700 du Code de procédure civile ;

INFIRMER le jugement du Tribunal de Commerce de Paris en ce qu'il a :

-débouté Monsieur Guido M. de sa demande de paiement de la somme de 376.039,90 euros de dommages et intérêts en compensation de la perte financière représentée par sa désinscription du fonds de pension d'ENI ;

-débouté Monsieur Guido M. de sa demande de paiement de la somme de 348.454,80 euros de dommages et intérêts en compensation de la perte financière représentée par sa désinscription du régime d'assurance maladie dont il bénéficiait chez ENI ;

-débouté Monsieur Guido M. de sa demande de paiement de la somme de 1 million d'euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral qu'il a subi ;

-débouté Monsieur Guido M. de sa demande de publication d'un communiqué judiciaire faisant état de la condamnation des sociétés EDF et EDEV, et ce dans trois quotidiens ou hebdomadaires qui seront choisis par Monsieur Guido M., ainsi que, pendant un mois, sur la page d'accueil du site internet d'EDF www.edf.com, le tout sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard.

STATUANT A NOUVEAU

-Condamner in solidum EDF et EDEV à payer à Monsieur Guido M. la somme de 376.039,90 euros de dommages et intérêts en compensation de la perte financière représentée par sa désinscription du fonds de pension d'ENI ;

-Condamner in solidum EDF et EDEV à payer à Monsieur Guido M. la somme de 348.454,80 euros de dommages et intérêts en compensation de la perte financière représentée par sa désinscription du régime d'assurance maladie dont il bénéficiait chez ENI ;

-Condamner in solidum EDF et EDEV à payer à Monsieur Guido M. la somme de 1 million d'euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral qu'il a subi de leur fait ;

-Ordonner à EDF et EDEV de publier à leurs frais un communiqué judiciaire faisant état de leur condamnation, et ce dans trois quotidiens ou hebdomadaires qui seront choisis par Monsieur Guido M., ainsi que, pendant un mois, sur la page d'accueil du site internet d'EDF www.edf.com, le tout sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard ;

En tout état de cause,

-Débouter les sociétés EDF et EDEV de l'ensemble de leurs fins et prétentions.

-Condamner in solidum les sociétés EDF et EDEV à payer à Monsieur Guido M. la somme supplémentaire de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, sur le fondement du même article.

-Condamner in solidum EDF et EDEV aux entiers dépens.

IV ' MOTIFS DE LA DECISION

1-Sur la demande d'auditions de . Henri P. et M. Olivier O.

16-M. B. et la société Schwarzfield sollicitent l'infirmation du jugement avant dire droit les déboutant de leur demande portant sur les auditions de M. Henri P. et M. Olivier O.. Ils soutiennent que les conditions des articles 143 et suivants du Code de procédure civile autorisant les mesures d'instruction sont parfaitement réunies, et que le juge ne peut développer une motivation fondée sur la seule absence de preuve de faits, dans la mesure où l'objet de la mesure d'instruction sollicitée était précisément d'établir cette preuve. Ils ajoutent que cette demande ne vise aucunement à pallier une carence de leur part dans l'administration de la preuve, mais simplement à établir les circonstances de l'intervention de M. B., et de répondre aux questions que soulèvent les sollicitations récurrentes d'EDF à son égard (son degré d'implication et le quantum de sa rémunération pour les services rendus dans le cadre de ce dossier).

17-En réponse, les sociétés EDF et EDEV considèrent que M. B. se contente de simples allégations sans offrir le moindre commencement de preuve et que le juge doit refuser cette demande en vertu de l'article 146 du code de procédure civile. Elles ajoutent que M. P. et M. O. ne travaillent plus pour EDF, que les témoignages sollicités ont pour seul but de pallier l'absence de preuve de prétentions de M. B., et que la Cour dispose de tous les éléments nécessaires (92 pièces lui ont été versées) pour juger cette affaire de sorte que la mesure d'instruction sollicitée n'est donc, selon eux, pas utile à la manifestation de la vérité.

SUR CE,

18-Il convient de rappeler que conformément à l'article 144 du code de procédure civile, les mesures d'instruction peuvent être ordonnées en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d'éléments suffisants pour statuer.

19-En application de l'article 179 de ce code, le juge peut, afin de les vérifier lui-même, prendre en toute matière une connaissance personnelle des faits litigieux, les parties présentes ou appelées. Il peut, à cet égard en vertu de l'article 181 du code de procédure civile, au cours des opérations de vérification, à l'audience ou en tout autre lieu, entendre « toute personne dont l'audition paraît utile à la manifestation de la vérité ».

20-En l'espèce, par jugement du 22 septembre 2016, avant dire droit, le Tribunal de Commerce de Paris a débouté Monsieur Alessandro B. et la société Schwarzfield de leur incident tendant à l'audition de M. Henri P. et M. Olivier O. en qualité de témoins.

21-Au regard des éléments versés par chacune des parties en la présente cause, la cour dispose d'éléments suffisants pour statuer de sorte que les auditions d'ancien dirigeant ou cadre de la société EDF ne sont pas en l'espèce nécessaires.

22-Cette demande sera en conséquence rejetée.

2-Sur les demandes de M. Alessandro B. dans le cadre de l'opération EDISON ;

23-M. B. soutient qu'il a assisté et conseillé EDF dans le cadre de la prise de contrôle de la société EDISON et qu'un contrat « d'assistance et de conseil » en atteste. Il considère cependant que la rémunération forfaitaire prévue par le contrat n'était pas de 4 millions d'euros mais supérieure et ce d'autant que les enjeux de l'opération étaient importants. Il précise à cet égard que cette opération a permis à EDF de conclure le 26 décembre 2011 un accord avec les coactionnaires d'EDISON, lui permettant, pour 700 millions d'euros, d'augmenter sa participation dans cette société de 50% à 80% et de devenir grâce à cette opération le numéro 2 de l'électricité et le numéro 3 du gaz en Italie.

24-Il expose que pour mener à bien cette opération complexe, il avait été formé entre M. P. et lui un contrat verbal prévoyant le versement d'honoraires d'un montant forfaitaire de 10 millions d'euros avec le versement d'un premier acompte d'un montant de 4 millions d'euros et un versement complémentaire de 6 millions d'euros.

25-M. B. ajoute enfin que la convention d'assistance et de conseil prévoyait une obligation de suivi additionnelle, qui vient à la suite de la conclusion de l'accord signé avec EDISON et qui se devait d'être rémunérée de façon complémentaire étant ajouté que le montant réclamé à hauteur de 10 millions d'euros est à mettre en perspective avec l'envergure de l'opération pour EDF et des sommes jusque-là engagées (investissement de plusieurs milliards d'euros) et est parfaitement conforme aux usages, tel que cela ressort du rapport du Cabinet d'expertise comptable et financière COGEED.

26-En réponse, les sociétés EDF et EDEV soutiennent que les termes du contrat d'assistance et de conseil sont clairs et précis et prévoient le paiement d'une rémunération « forfaitaire et définitive » de 4 millions d'euros en contrepartie de la mission effectuée par Monsieur B., laquelle somme a été payée. Elles ajoutent que, non seulement M. B. n'a pas émis la moindre réserve à la réception de la somme de 4 millions d'euros versée en 2012, mais qu'il n'a également jamais sollicité, par oral ou par écrit, un quelconque complément de rémunération entre la date de ce versement et son assignation de 2015.

SUR CE ;

27-En application de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 applicable en la cause, « Les conventions légalement formées tiennent de loi à ceux qui les ont faites. Elles doivent être exécutées de bonne foi. ».

28-Il ressort des pièces versées au dossier que l'opération « EDISON » porte le nom d'une société italienne dont la société EDF a souhaité en 2010 prendre le contrôle et s'est adjoint, en février 2011, les services de Monsieur B., pour l'assister dans ce projet.

29-Ainsi au terme d'un contrat d'assistance et de conseil conclu et signé entre la société EDF et M. Alessandro B., il est indiqué que « En février 2011, EDF était en discussion depuis environ 6 mois avec ses co-associés italiens d'Edison, son objectif étant de prendre le contrôle de la société. C'est alors qu'EDF rechercha le concours d'un négociateur capable de l'assister dans cet objectif. C'est à partir du mois de février 2011 qu'elle obtint le concours de M. B. pour ses négociations avec ses associés italiens d'Edison (ci-après, la MISSION »)».

30-L'article 1er de ce contrat mentionne que « Le présent Contrat a pour objet de rappeler et confirmer la MISSION confiée à M. B., d'indiquer les éléments de la MISSION effectués à ce jour par M. B., et d'évoquer le contenu des prestations restant à effectuer jusqu'à la date de clôture des accords définitifs. Les modalités précises de la « MISSION » figurent en annexe 1 ».

31-Son article 5 mentionne également que :

« 5.1 Pour l'ensemble de sa MISSION, M. B. recevra la somme forfaitaire et définitive de 4.000.000 € HT (quatre millions d'euros hors taxes). Cette somme sera versée par EDF sur le compte bancaire ouvert au nom de M. B. indiqué en Annexe 2.

5.2. Le Paiement de cette somme forfaitaire et définitive interviendra le jour où EDF détiendra la majorité des actions et des droits de vote de la société Edison dont il aura par ailleurs le contrôle exclusif. Si ces conditions n'étaient pas remplies au plus tard le 30 juin 2012 ou en cas de renouvellement le 31 décembre 2012, M. B. perdrait tout droit à percevoir tout ou partie de la somme forfaitaire et définitive de 4.000.000 € HT.

5.3. M. B. convient que la somme forfaitaire fixée à l'article 5.1 ci-dessus sera employée pour couvrir l'ensemble de ses prestations dans le cadre de sa MISSION ».

32-Il ressort des termes clairs et précis de ce contrat, que contrairement aux allégations de M. B., la rémunération de sa prestation au titre de l'opération EDISON était une rémunération « forfaitaire et définitive de 4.000.000 € HT (quatre millions d'euros hors taxes) » et que celle-ci couvrait « l'ensemble de ses prestations dans le cadre de sa MISSION » et donc en ce compris le suivi de l'opération, sans que M. B. ne puisse réclamer une rémunération complémentaire.

33-Il n'est pas contesté que cette somme de 4 millions d'euros lui a bien été versée le 10 juillet 2012 et qu'il n'existe aucun élément de preuve complémentaire permettant d'attester, outre de simples allégations, d'un engagement complémentaire de la société EDF pour un montant de 6 millions d'euros qui contredit le caractère « forfaitaire et définitif » de la rémunération expressément prévue dans le contrat précité.

34-Au surplus, il n'est pas davantage contesté que ce contrat d'assistance et de conseil, bien que non daté, a été signé a posteriori à une date à laquelle les prestations de M. B. avaient déjà été réalisées de telle sorte qu'en signant ce document ce dernier ne pouvait ignorer qu'il consentait à limiter sa rémunération à la somme de 4 millions d'euros quels que soient les échanges qu'il avait pu avoir antérieurement avec M. P..

35-Le jugement du tribunal de commerce de Paris sera en conséquence confirmé de ce chef et l'appel de M. B. rejeté.

3-Sur la demande de M. B. au titre du dossier SUBBOTINA

36-M. B. expose qu'il a reçu un « mandat de conseil » pour le compte d'EDF dans le cadre la prise de participation de cette dernière à hauteur de 5% le 23 novembre 2013 (au terme d'un PSA ' « Production Sharing Agreement ») au sein d'une concession pétrolière en Ukraine, dite SUBBOTINA, son intervention ayant permis l'introduction de la société EDF dans cette région.

37-M. B. s'appuie sur les nombreux échanges de mails traduisant, selon lui, sans contestation possible, qu'il travaillait bien pour le compte d'EDF sur cette opération. Il affirme avoir répondu à chacune des sollicitations d'EDF en apportant son expertise, ses conseils avisés, et en résolvant un certain nombre de difficultés et précise que cet ensemble constitue un faisceau d'indices permettant de rapporter la preuve de l'existence d'un mandat verbal liant les parties, justifiant ainsi sa rémunération.

38-Il soutient également que l'inter-connexité des projets pour lesquels il a travaillé avec EDF, leur envergure, ainsi que les usages du milieu d'affaires concerné ont contribué à un climat de confiance, qui a placé M. B. dans l'impossibilité d'exiger un contrat écrit matérialisant ses ententes verbales avec le groupe EDF.

39-En réponse, les sociétés EDF et EDEV se fondent sur l'article 9 du code de procédure civile et l'article 1353 du Code civil (ancien article 1315) qui dispose pour ce dernier que «Toute personne qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ». Elles affirment qu'en l'espèce, M. B. n'a reçu aucun mandat pour l'opération SUBBOTINA, et ne saurait obtenir ni honoraires, ni frais, même à titre forfaitaire pour un million d'euros.

40-Les sociétés EDF et EDEV soulignent que EDF dispose d'une entité en Ukraine et qu'elle n'avait en aucun cas besoin de M. B. pour ce projet. Si ce dernier se trouvait en Ukraine à ce moment, ce n'était pas pour jouer les intermédiaires, mais pour ses intérêts propres en sa qualité de dirigeant de la société Cadogan dont il est actionnaire et qui a une activité d'exploration, de développement et de production de pétrole et de gaz en Ukraine.

41-Les sociétés EDF et EDEV ajoutent qu'en produisant les photographies qu'il prétend avoir prises lors de la réunion solennelle de signature du PSA, M. B. démontre non seulement sa mauvaise foi évidente mais aussi sa méconnaissance de l'opération SUBBOTINA puisque le PSA n'a pas été signé par M. P. en personne de sorte que l'image produite correspond à la signature d'un autre accord.

42-Elles considèrent que la demande de remboursement des frais sur la base d'un tableau Excel conçu par ses soins ne peut prospérer alors que la période visée ne correspond pas à celle de l'opération concernée, que l'objet des dépenses ne peut pas être identifié et qu'aucun justificatif comptable n'est fourni.

SUR CE,

43-Il convient de relever que M. B. fonde sa demande en paiement et en remboursement de frais sur l'existence d'un mandat verbal qu'il invoque à l'encontre de la société EDF et que cette dernière lui aurait donné pour l'assister dans le cadre de l'opération Subbotina.

44-Il ressort des pièces versées aux débats que cette opération correspond à un projet d'investissement de la société EDF en Ukraine pour l'exploitation de ressources d'hydrocarbures pour lequel un accord a été conclu avec la société ENI, EDF ayant investi 5% dans cette opération après des négociations avec l'État Ukrainien, la société ENI et deux autres sociétés ukrainiennes ayant donné lieu à la signature d'un PSA « Production sharing agreement » le 23 novembre 2013.

45-La preuve d'un mandat, même verbal, ne peut être reçue que conformément aux règles générales sur la preuve des conventions. Conformément à l'article 1353 (ancien art. 1315) du Code civil, il appartient à celui qui entend tirer les conséquences juridiques de l'existence d'un mandat d'en prouver l'existence.

46-En matière commerciale, la preuve du mandat est libre à l'égard d'un commerçant. Il appartient donc à M. B. d'apporter, par tout moyen, la preuve de l'existence du mandat verbal allégué.

47-Il ressort de l'article 1984 du code civil que le contrat de mandat est celui par lequel une partie (le mandant) charge une autre (le mandataire) d'accomplir en son nom et pour son compte un ou plusieurs actes juridiques et que la caractéristique du contrat de mandat est que le mandataire accepte d'accomplir au nom et pour le compte du mandant un ou plusieurs actes juridiques.

48-En l'espèce, pour justifier de l'existence d'un mandat verbal, M. B. produit, des échanges par courriel sur une période comprise entre le 3 juillet et le 15 novembre 2013, qui tendent à démontrer que les dirigeants de la société EDF ont informé M. B. des négociations qu'ils menaient avec la société ENI dans le cadre de son partenariat envisagé avec d'autres sociétés ukrainiennes et l'État de l'Ukraine et ont à cette occasion aussi sollicité son avis sur le projet de collaboration avec la société ENI. Il est aussi justifié que M. B. a participé à une réunion à Kiev tenue le 30 octobre 2013 en compagnie de M. P..

49-Parmi les courriels produits, la plupart consiste en une information par les dirigeants de la société EDF de l'état des négociations avec la société ENI (courriels du 3, 11, juillet et 15 novembre 2013) ou l'envoi de messages pour s'assurer de la disponibilité de M. B. pour accompagner EDF lors d'une rencontre à Kiev sur le sujet (courriel du 28 octobre 2013).

50-Les messages suivants justifient plus spécifiquement de l'implication souhaitée par les dirigeants de EDF de M. B. :

-Un courriel du 11 juillet 2013 par lequel Olivier O., cadre EDF, fait suivre à M. B. des emails, toujours ayant pour objet « Ukrainian project ENI/EDF » en lui demandant ce qu'il en pense ;

-Un courriel du 12 juillet 2013 par lequel Olivier O. lui demande « son aide » sur l'attitude de la société ENI qu'il conteste.

-Un courriel en date du 12 août 2013 au terme duquel M. Olivier O. écrit à M. B., en lui transférant des échanges entre M. Giovanni G., VP international négociations Europe Russia chez ENI et M. Pierre de F. (EDF), avec en objet « ENI EDF Ukrainian project » et qui se termine par ces mots : « S'il te plait j'ai besoin de ton conseil ».

-Un courriel du 5 septembre 2013, par lequel M. B. confirme avoir organisé un rendez-vous pour EDF avec ENI (objet de l'email : « Entretien avec Tannoia (ENI) sur Subbotina /Forosa».

-Un courriel du 18 octobre 2013 par lequel Olivier O. organise le déplacement d'Henri P. en Ukraine prévu le 30 octobre 2013 et demande à M. B. « confirmation du rdv présidentiel » et lui demande le « programme de cette visite afin qu'il puisse préparer « les sujets/dossiers pour le Président ».

51-Il produit en outre un courrier signé de M. P., président directeur général de EDF, qui écrivant le 11 juin 2013 au président de l'Ukraine pour lui indiquer l'intérêt de EDF pour la signature d'une Memorandum of understanding sur l'exploration et l'exploitation et la fourniture d'électricité en Ukraine incluant notamment le projet dénommé Subbotina et dans lequel il indique que « M. B., qui est un partenaire d'EDF dans ce projet, m'a tenu informé de l'ensemble des discussions et ententes entre lui-même et vos ministres » (« Mr B., who is partner of EDF in this project, has kept me informed of all of the discussions and understanding held between him and your ministers.»).

52-Cependant, si ces éléments permettent de justifier que M. B. a été à tout le moins associé aux discussions et négociations sur le projet Subbotina, ils ne permettent pas de justifier des actes juridiques, caractéristiques du contrat de mandat, qu'il aurait conclu pour le compte de la société EDF dans le cadre de ce projet étant précisé qu'il n'est à cet égard pas contesté que le PSA signé le 27 novembre 2013 n'a pas été conclu par l'intermédiaire de ce dernier.

53-De même, alors qu'en principe les seuls actes matériels ne permettent pas de caractériser un contrat de mandat, les échanges de courriels précités ne permettent de justifier des actes précisément accomplis par M. B. si ce n'est d'avoir donné un avis sur l'évolution du projet pour aider la société EDF à forger son opinion et organiser une réunion de négociation, et ayant ainsi fait profiter EDF de son expérience et ses connaissances dans le domaine de l'investissement en énergie et de ses relations avec la société ENI.

54-Ces éléments sont insuffisants pour caractériser l'existence d'un mandat verbal donné par EDF à M. B. et le seul fait d'avoir été désigné « partner » ne peut y pallier et ce d'autant que ce qualificatif est équivoque puisqu'il n'est pas contesté que des relations de partenariat avec M. B. ont bien été conclues effectivement dans le cadre de deux autres projets pour lesquels cependant un contrat d'assistance et de conseil (pour l'opération EDISON) ou une lettre de mission avaient été signés avec lui pour une autre opération consistant en la prise de participation d'EDF dans un consortium TIGF (lettre de mission du 10 janvier 2013).

55-Au surplus, M. B. et la société Schwarzfield reconnaissent que « parallèlement » au projet Subbotina, M. B. travaillait sur le projet MATERA portant sur la création d'un fonds d'investissement dans le domaine de l'énergie. Ainsi, écrivent-ils dans leurs écritures qu'il « s'agissait d'une opération qui s'est effectuée de façon quasi-concomitante au projet d'investissement ukrainien, les deux projets étant liés par une stratégie d'investissement commune portant sur des actifs dans le domaine énergétique ».

56-A cet égard, il ressort de certains échanges de courriels précités et notamment des courriels en date du 11 et 12 juillet 2013 que précisément les négociations avec la société ENI ont porté sur le transfert de l'actif résultant du partenariat avec cette société dans le fonds d'investissement dont la création était envisagée avec M. B. dans le cadre du projet Matera de sorte que l'implication de ce dernier dans ces négociations pouvait être en lien avec cet autre projet porté par ce dernier et justifier qu'il soit ainsi associé à ces discussions.

57-Enfin, M. B. ne justifie pas avoir sollicité la conclusion d'un tel mandat, aucune demande en ce sens n'est produite, ce qui tend à considérer que ces échanges faisaient partie des relations professionnelles entre les parties étant observé que M. B., homme d'affaires aguerri, ne peut sérieusement prétendre avoir été dans l'impossibilité morale de solliciter un tel contrat alors que par deux fois ce type de contrat avait été signé.

58-En l'état de ces éléments qui font état de quelques conseils donnés par M. B. à la société EDF dans le cadre de la négociation du projet Subbotina, et ce alors que les parties étaient en relation professionnelle pour d'autres projets pour lesquels des conventions avaient été passées, M. B. ne justifie pas qu'un mandat verbal lui a été confié spécifiquement pour le projet Subbotina et n'est pas en conséquence fondé à solliciter une rémunération d'un montant de 3,5 millions d'euros outre le remboursement de frais allégués à hauteur de 1 377 975 euros sur la seule foi d'un tableau Excel, sans aucun justificatif, qui au surplus, porte pour certaines sur des dépenses alléguées sur des périodes postérieures à la conclusion du PSA du 27 novembre 2013.

59-Ces éléments ne permettent pas davantage de caractériser un enrichissement injustifié de la société EDF dont M. B. pourrait susciter le remboursement.

60-Les demandes de M. B. et la société Schwarzfield seront en conséquence rejetées et le jugement du tribunal de commerce de Paris, qui avait condamné les sociétés EDF et EDEV au paiement d'une somme de 1 million d'euros au titre du remboursement des frais de M. B., sera sur ce point infirmé.

4-Sur les demandes de M. B. et la société Schwarzfield au titre de l'opération MATERA

61-M. B. et la société Schwarzfield exposent que cette opération avait pour objet de favoriser des investissements à haut rendement dans le secteur de l'énergie au travers d'une société de gestion ad hoc gérée et détenue par M. B. et que la société EDEV s'était engagée au titre d'un «Term Sheet » signé le 29 janvier 2013 à un investissement de 100 millions d'euros en sa qualité de « seed investor » du fonds. Ils précisent que les négociations avec EDF ont débuté sur ce projet à l'automne 2012, notamment pour s'interroger sur la localisation de ce fonds (Allemagne, Royaume-Uni ou Luxembourg) et que ce choix a été fait par EDF ainsi que la forme de ce fonds (SICAR) et la localisation de la société de gestion de ce fond, la société Schwarzfield, localisée au Luxembourg, laquelle a ensuite embauché le 3 octobre 2013 M. M., ex-président de la société ENI, en qualité de directeur.

62-Ils soutiennent que l'agrément administratif nécessaire à la constitution du fonds, ainsi que les engagements des investisseurs potentiels ont été retardés par les choix imposés en interne par le groupe EDF sur la forme sociale du fonds (une SICAR) puis empêchés par le groupe EDF en se retirant du projet par lettre du 13 janvier 2014. Ils affirment que le Tribunal de commerce a omis d'analyser la réelle intention des parties quant à la constitution du fonds et qu'il s'agissait d'un accord ferme et contraignant présentant une autonomie suffisante qui s'imposait aux parties dès lors que les conditions requises seraient réalisées.

63-Ils considèrent que si la société EDF essaie de minimiser son implication dans le projet, elle a été un véritable partenaire dans la création du fonds sans l'investissement de laquelle M. B. et la société Schwarzfield ne se seraient pas engagés. M. B. affirme encore que la société EDF s'est même engagée, garanties à l'appui, auprès de Mr M., pour le convaincre de quitter l'entreprise ENI, au sein de laquelle il travaillait depuis 30 ans, pour rejoindre la société de gestion de fonds, ce qu'il a fait.

64-Ils estiment également que, bien que le « Term Sheet » était présenté comme « non-binding », les éléments essentiels de l'accord de constitution du fonds étaient acquis et reflétaient la volonté des parties quant au projet.

65-Ils considèrent que la société EDF a commis une faute en rompant abusivement leur accord en mettant un terme à la coopération sans motif légitime, par anticipation à la réalisation des conditions requises dont elle aurait dû soit attendre la réalisation effective pour pouvoir sortir de l'accord ferme et définitif sur la constitution du fonds, soit prouver la carence de M. B. dans l'obligation de moyen qui était la sienne.

66-Ils estiment que les facteurs ayant ralenti la progression du projet ne peuvent pas être imputés à M. B. en ce qu'ils résultent du choix de la forme sociale imposée par la société EDF (SICAR). Ce choix a, selon M. B., directement impacté le délai de délivrance de l'agrément CSSF et la recherche d'investisseurs tiers sur lesquelles M. B. affirme ne pas avoir de prise. Il dénonce à cet égard, le fait que la société EDF cherche à se « prévaloir de ses propres turpitudes », d'autant plus qu'à aucun moment jusqu'à la résiliation intervenue en janvier 2014, la société EDF n'avait formulé de reproche à M. B. sur son implication et sur les avancements dans la mise en place du fonds.

67-Ils soutiennent que la société EDF doit, de toutes façons, voir sa responsabilité contractuelle engagée dans la mesure où elle a manqué à son obligation de maintenir son offre jusqu'à expiration du délai, alors même que rien n'était susceptible d'entraver l'exécution des conditions prévues pour procéder au closing.

68-En réponse, les sociétés EDF et EDEV se fondant sur l'article 1134 du Code civil (ancien), affirment qu'en l'espèce, le projet de fonds d'investissement est le projet de M. B., et non celui d'EDF ou EDEV, et que l'unique support contractuel existant était un engagement non contraignant (« non-binding Term sheet »).

Elles précisent qu'aucune stipulation du Term Sheet ne prévoyait par ailleurs que la société EDEV avait l'obligation d'investir une quelconque somme d'argent dans le Projet MATERA et que ce Term Sheet a été parfaitement respecté par la société EDEV qui a agi avec réactivité et bonne foi, et à qui aucune faute, aucune négligence, et aucun manquement ne peut être reproché.

69-Elles exposent que la société EDEV a apporté son aide à M. B. et ses équipes afin de démarcher de nouveaux investisseurs et s'est montrée très patiente face à l'incapacité de M. B. à démarcher des investisseurs.

70-Elles ajoutent que la levée de fonds organisée par M. B. en novembre 2013 n'ayant rencontré aucun succès et attiré aucun investisseur, la société EDEV a décidé de se retirer du Projet MATERA. Elles estiment que M. B. et ses équipes sont à l'origine de nombreux manquements répétés qui ont conduit à l'échec du projet.

SUR CE,

71-Il ressort des pièces versées qu'en 2012, M. B. a proposé à la société EDF d'investir dans un fonds dénommé MATERA géré par une société qui deviendra la société Schwarzfield, créée et dirigée par le premier et ayant pour objet de gérer des actifs dans le domaine de l'énergie.

72-Le 29 janvier 2013 un accord non contraignant (« Non binding term sheet »), dénommé « Projet Matera » a été signé entre la société Cadogan Petroleum, M. Alessandro B. et la société EDEV pour formaliser et encadrer leurs relations dans la perspective de la mise en place de ce projet.

73-Par lettre du 13 janvier 2014, la société EDEV a indiqué à M. B. qu'elle se retirait du projet.

74-M. B. et la société Schwarzfield reprochent aux sociétés EDF et EDEV, par leur comportement, d'avoir empêché la réalisation des conditions préalables requises pour le 1er « closing » et de s'être ainsi dégagées abusivement de l'accord.

75-Ce faisant, M. B. et la société Schwarzfield invoquent une faute contractuelle envers les sociétés EDF et EDEV, celles-ci ayant selon eux contribué par leurs agissements à rendre impossible la réalisation des conditions stipulées au terme du Term sheet de telle sorte que la rupture de l'accord sur la constitution du fonds d'investissement serait fautive.

76-En application de l'article 1147 du code civil, sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 applicable en la cause, « Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part ».

77-Il est constant que le 29 janvier 2013 un accord non contraignant (« Non binding term sheet »), dénommé « Projet Matera » a été signé entre la société Cadogan Petroleum, M. Alessandro B. et la société EDEV au terme duquel il était notamment indiqué en préambule que :

« Les clauses du présent document sont strictement confidentielles et non contraignantes. Aucun élément du présent contrat ne doit être considéré comme emportant un accord ou un engagement d'une quelconque nature (en ce compris un accord pour conclure un autre contrat), et ne peut générer un quelconque droit de commencer ou continuer des négociations en lien avec l'objet du présent contrat. Toute obligation contractuelle contraignante pour réaliser les transactions ci-après envisagées ne pourra seulement résulter que de la conclusion d'un accord écrit, et, dans la mesure où cela serait applicable, devra être soumis aux termes et conditions ci-après précisés » ( version originale : « the terms of this document are strictly confidential and non binding. Nothing herein shall be deemed to be an agreement or commitment of any kind (including a commitment to enter into any contract), nor shall it result in any right to enter or continue negotiations in connection with the subject matter hereof. Any binding contractual obligation to complete the transactions contemplated herein may only result from the entering into definitive written agreements and, if applicable, shall be subject to the terms and conditions set forth herein »).

78-Cet accord avait pour objet d'une part, la création d'une société de gestion « par AB » (ie Alessandro B.), laquelle aurait pour objet de gérer un fonds d'investissement d'un montant de 1 milliards d'euros, la société EDEV s'engageant à intervenir comme investisseur fondateur (« Seed Investor »), pour un investissement de 100 millions d'euros pour le « premier closing » (ou clôture initiale ») dont la date a été fixée au 15 juin 2013.

79-Au terme du point IX, intitulé « Premier Closing et Période de Souscription » il est indiqué :

« 1. Le Premier closing interviendra dès (i) la réception des autorisations nécessaires en matière de régulation pour le fonds et le MCO, (ii) l'exécution de l'accord d'assistance technique et la réception par Cadogan de toutes les autorisations requises permettant à cette dernière de signer un tel accord, de prendre les engagements décrits dans ce term sheet et de les mettre en 'uvre, conformément à la note juridique adressée à tous les investisseurs fondateurs, (iii) réception des engagements (en espèce ou en nature telle que prévue par la Section II.5) de plus de 200 millions d'euros et (iv) finalisation de la documentation contractuelle. Selon l'attente d'EDF ce premier closing doit intervenir au plus tard le 15 juin 2013 ».

80-Il résulte ainsi de ce document que quatre conditions devaient être satisfaites pour le 15 juin 2013 :

-les autorisations émanant du régulateur relatives à la société de gestion et au fonds devaient être obtenues ;

-la conclusion du contrat de prestation de service et d'assistance technique et la réception par la société Cadogan des autorisations nécessaires :

-la réception d'un engagement de plus de 200 millions d'euros (dont la participation de EDF à hauteur de 50 %) ;

-la finalisation de la documentation contractuelle.

81-Il ressort des pièces versées que ces conditions, dont M. B. ne pouvait ignorer les termes puisqu'il en est le signataire, ni la portée des engagements, n'ont pas été remplies au 15 juin 2013.

82-A cet égard, M. B. et la société Schwarzfield ne peuvent faire supporter l'échec de la réunion de ces éléments sur les sociétés EDF et EDEV alors qu'il ne ressort pas de cet accord des obligations que ces sociétés n'auraient pas satisfaites et qu'il ressort au contraire des pièces versées que ces deux sociétés ont participé de manière active au projet.

83-De même, si M. B. et la société Schwarzfield considèrent que la société EDF a imposé la forme sociale du fonds (SICAR) et que ce choix a directement impacté le délai de délivrance de l'agrément CSSF, qui a été donné au fonds en juin 2014 et la recherche d'investisseurs, il convient de relever que la domiciliation du fonds au Luxembourg si elle a donné lieu à des échanges entre les parties a été actée par M. B. dès le mois de février 2013, de même que le siège de la société de gestion, soit bien avant l'échéance du premier « closing » prévue le 15 juin 2013.

84-En outre, sur le choix de la forme sociale du fonds en SICAR plutôt qu'en SIF, qui a eu la préférence de la société EDF en février 2013, M. B. ne justifie pas s'y être opposé ou avoir en conséquence sollicité un délai complémentaire pour le closing de sorte qu'il a accepté de mettre en 'uvre cette forme sociale, qui au demeurant était de l'avis des conseils juridiques, plus long à mettre en place mais pas impossible d'ici le mois de juin 2013.

85-En outre, par courrier du 22 juillet 2013, la société EDEV a accepté un report de la date du 1er closing au 30 novembre 2013, ce qui corrobore l'intérêt qu'elle manifestait au projet et sa volonté de lui donner une chance d'aboutir à cette date. En outre, la société EDF a signé une lettre d'engagement au profit de M. M. le 23 juillet 2013 pour permettre son embauche par la société Schwarzfield, démontrant de surcroît son intérêt pour le projet et que les fautes contractuelles que lui imputent M. B. et la société Schwarzfield ne sont pas caractérisées.

86-Par ailleurs, en décembre 2013, les parties ont envisagé la signature d'un nouveau « term sheet » au terme duquel il était prévu que la société Amundi, société de gestion d'actifs, prendrait 51% des actions de la société Schwarzfield. Cette proposition n'a pas été contestée par M. B. qui en a accepté le principe par courriel du 9 décembre 2013, de sorte que cette nouvelle circonstance ne peut être constitutive d'une faute de la part de la société EDF.

87-Enfin, M. B. et la société Schwarzfield ne peuvent arguer avoir été maintenus dans la croyance de la persistance de ce projet en 2014 alors que dès le 13 janvier de cette année, la société EDEV l'informait de son intention de ne pas poursuivre ce projet, faute pour la société de gestion d'avoir à cette date reçu l'agrément CSSF et de justifier d'une levée de fonds suffisante.

88-En tout état de cause, à la date du 30 novembre 2013, date que les sociétés EDF et EDEV n'étaient pas tenues de proroger une nouvelle fois, il n'est pas contesté que les conditions préalables n'ont pas été réunies, sans qu'aucune faute ne soit établie à l'encontre des sociétés EDF et EDEV de sorte que M. B. et la société Schwarzfield ne sont pas fondés en leur demande de voir engager leur responsabilité contractuelle.

89-Le jugement du tribunal de commerce de Paris sera en conséquence confirmé sur ce chef.

5-Sur la demande de M. B. fondée sur la brutalité de la rupture de la relation commerciale ;

90-M.B. précise à titre liminaire que cette demande d'indemnisation au titre de la rupture de la relation commerciale établie ne constitue pas une demande nouvelle, contrairement à ce que prétend le groupe EDF. Elle constitue une suite logique et complémentaire des demandes initiales et tend aux mêmes fins. Il ajoute que le caractère brutal de la rupture est établi dès lors que celle-ci a été effectuée sans préavis, et que de ce fait, le groupe EDF a commis un manquement de nature extracontractuelle portant sur la relation commerciale dans son ensemble.

91-En réponse les sociétés EDF et EDEV font valoir que cette demande est nouvelle et doit être déclarée irrecevable sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile. A titre subsidiaire, elles exposent que M. B. ne peut solliciter l'octroi de dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité délictuelle en raison du principe de non-cumul des responsabilités. Elles ajoutent que la demande est infondée dès lors d'une part, que les relations entre M. B. et le groupe EDF pour la constitution du fonds « MATERA » ne sont que des pourparlers, dont la rupture est libre et ne peuvent être assimilés à « une relation commerciale établie » au sens de l'article L 442-6 du Code de commerce et que d'autre part, aucune rupture brutale de ces négociations contractuelles n'est observée.

SUR CE ;

92-En application de l'article L. 442-6, I, 5° ancien du code de commerce, applicable en l'espèce, « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

'De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ».

93-En application de l'article 564 du code de procédure civile « A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ».

94-Selon l'article 566 du code de procédure civile « Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire ».

95-La demande présentée sur le fondement de l'article L 442-6, I, 5° du code de commerce tend à la réparation d'un préjudice résultant non pas d'un manquement contractuel mais du fait distinct qu'est la rupture brutale d'une relation commerciale établie.

96-Une telle prétention n'est pas l'accessoire d'une demande de réparation d'un préjudice résultant d'un manquement contractuel, ni la conséquence ou le complément nécessaire au sens de l'article 566 du code de procédure civile.

97-Il n'est pas contesté que M. B. n'a pas soumis aux premiers juges une telle demande de dommages-intérêts fondée sur le préjudice spécifique qui aurait été causé par la rupture brutale des relations commerciales établies avec la société EDF relevant de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction alors applicable.

98-Il convient en conséquence de considérer que cette demande est nouvelle et, partant, irrecevable.

6-Sur les demandes des sociétés EDF et EDEV envers M. M.

99-La société EDF sollicite l'infirmation du jugement s'agissant de la demande de M. M. aux motifs que l'engagement du 23 juillet 2013, indivisible du « Term Sheet », est devenu caduc faute de réalisation du premier closing étant précisé qu'elle n'a offert qu'une garantie en cas de rupture de son contrat de travail de dirigeant de la société de gestion du fonds et que cette garantie ne pouvait jouer qu'en cas de réalisation effective du « premier closing ».

100-Elle précise que M. M. n'est pas fondé en sa demande dès lors qu'il a sollicité l'application de ce courrier par lettre du 5 mars 2015, soit postérieurement à la période garantie et alors même que les conditions suspensives à la réalisation du closing n'étaient pas réalisées.

101-Elle considère également que le « Term Sheet » étant devenu caduc, la lettre d'engagement qui était interdépendante de celui-ci doit également être considérée caduque, celle-ci étant désormais privée de cause.

102-Elle ajoute que l'objet de la garantie était de prémunir Monsieur M. contre une perte d'emploi ou de rémunération pendant cette période et qu'il a toujours eu son emploi dans la société de gestion du fond Schwarzfield (jusqu'en juin 2015) avant de poursuivre son activité professionnelle dans une autre structure.

103-A titre subsidiaire, la société EDF soutient que l'engagement du 23 juillet 2013 n'est pas une clause de dédit, mais une clause pénale dont le montant excessif doit être révisé judiciairement (en vertu de l'article 1231-5 du Code civil) et à titre subsidiaire considère qu'il convient de préciser le calcul des salaires réclamés alors que la lettre du 23 juillet évoque des salaires « nets », en précisant le caractère brut ou net de la somme et la devise applicable.

104-En réponse M. M. conclut au débouté aux motifs qu'aux termes de l'accord du 23 juillet 2013, la société EDF s'est engagée, sous conditions suspensives à l'embaucher ou à défaut à lui payer une somme d'argent. Il affirme que la lettre du 23 juillet 2013 constitue un contrat unilatéral et que cet engagement est ferme précis, et assorti de conditions suspensives, lesquelles ont été réalisées. M. M. précise en effet que la société EDF s'étant retirée du fonds, le premier closing n'a jamais pu être atteint de sorte que la rupture de son contrat de travail est intervenue avant le premier closing, le 2 mars 2015.

105-Selon M. M., contrairement à ce que soutient la société EDF, l'engagement n'était pas sans cause, dans la mesure où la société EDF voulait convaincre M.M. de quitter le poste prestigieux qu'il occupait chez ENI pour rejoindre la société de gestion du fonds afin de profiter de son expertise et de son expérience, et ainsi, augmenter les chances que le fonds d'investissement voit le jour.

106-Il considère que cet engagement n'était pas non plus indivisible du « term sheet » en ce que M. M. voulait une garantie autonome qui s'applique indépendamment de la bonne fin du projet de fonds d'investissement, et que l'engagement de la société EDF de lui verser une rémunération s'analyse en une clause de dédit et non en une clause pénale.

SUR CE,

107-Il ressort de la lettre en date du 23 juillet 2013 que la société EDF a adressée à M. M. afin de le convaincre de rejoindre la société de gestion chargée de gérer le fonds d'investissement qu'elle projetait de créer avec M. B. dans le cadre de l'accord non contraignant signé par la société EDEV avec ce dernier le 29 janvier 2013, que la société EDF s'est engagée dans les termes suivants :

« EDF serait particulièrement favorable, compte tenu de votre expérience et de votre expertise, à ce que vous acceptiez de rejoindre la société de gestion qui sera amenée à gérer le Fonds.

Aussi, EDF s'engage à ce que, en cas de rupture de votre contrat de travail avec cette société avant le premier closing du Fonds ou dans les 12 mois suivant ce premier closing (hormis les cas d'une démission ou d'un licenciement pour faute), à ce qu'un contrat à durée indéterminée, comparable en termes de responsabilités et de rémunération, vous soit proposé au sein du groupe EDF.

A défaut d'une telle proposition dans un délai de six mois suivant réception d'une notification de votre part nous informant de la rupture de votre contrat de travail, EDF s'engage à vous verser une somme correspondant: (i) à 24 mois de salaire net (sauf dans les cas d'une démission ou d'un licenciement pour faute); (ii) à 24 mois de bonus, comme mentionné dans la lettre d'engagement. »

108-Il ressort en outre des pièces versées qu'à la suite de cet engagement, M. M. a démissionné de son emploi auprès de la société ENI auprès de laquelle il était employé depuis 1981 et a été embauché par la société Schwarzfield le 3 octobre 2013 avec effet à compter du 11 novembre 2013.

109-Comme indiqué ci-dessus, le premier « closing », correspondant à la date à laquelle les conditions préalables requises devaient être satisfaites, qui avait été fixé au 15 juin 2013 puis repoussé au 30 novembre 2013 n'est pas intervenu, les conditions requises n'ayant pas été réunies et les société EDEV ayant indiqué à M. B. qu'elle se retirait du projet par lettre du 13 janvier 2014.

110-Le 2 mars 2015, M. M. a été licencié de la société Schwarzfield, M. B. ayant annoncé son intention de liquider le fonds d'investissement Matera, à la suite du retrait de les sociétés EDF et EDEV.

111-Par lettre du 5 mars 2015, M. M. a adressé une lettre à la société EDF aux fins de mise en 'uvre de l'engagement pris par celle-ci à son égard en vertu de la lettre du 23 juillet 2013, ce que la société EDF a refusé estimant que cet engagement était conditionné à la réalisation du premier closing qui n'a jamais eu lieu de telle sorte que cet engagement était devenu caduc.

112-Cependant, il ne résulte nullement des termes clairs et précis de l'engagement unilatéral pris par la société EDF le 23 juillet 2013 envers M. M. que celui-ci était subordonné à la condition de réalisation effective du premier « closing ».

113-Au contraire, il ressort de cette lettre que la société EDF s'est engagée à ce qu'un contrat de travail à durée indéterminée soit proposé par cette société à M. M. dans des conditions comparables « en termes de responsabilité et de rémunération » en cas de rupture de son contrat de travail avec la société Schwarzfield avant le premier closing du fonds ou dans les 12 mois suivant ce premier closing (hormis le cas d'une démission ou d'un licenciement pour faute).

114-En l'espèce, il ressort des pièces versées que le premier closing n'est jamais intervenu de sorte que la rupture du contrat de travail de M. M., qui elle est intervenue le 5 mars 2015, a bien été réalisée avant que cette condition se réalise, permettant de déclencher l'engagement de la société EDF.

115-Cette dernière, n'ayant pas accepté de proposer un contrat à durée indéterminée à M. M., est dès lors tenue, à titre de dédit, au versement des sommes correspondant à 24 mois de salaire net outre 24 mois de bonus.

116-A cet égard, les sociétés EDF et EDEV ne peuvent soutenir qu'il s'agit d'une clause pénale, alors qu'il s'agit en l'espèce d'une option qui a été proposée par la société EDF pour lui permettre se dédire de son engagement d'embaucher M. M. par contrat à durée indéterminée, et donc une clause qui doit s'analyser en un dédit, que le juge n'a pas le pouvoir de modérer.

117-De même, il ne peut être soutenu que cet engagement était sans cause alors que les sociétés EDF et EDEV comptaient ainsi convaincre M. M. d'intégrer la société Schwarzfield et faire bénéficier cette société et indirectement les premières de son expérience professionnelle et de son expertise pour conduire le projet Matera qu'à cette date les sociétés EDF et EDEV entendaient poursuivre.

118-En l'état de ces éléments, il convient de débouter les sociétés EDF et EDEV de leur appel et de confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a condamné la société EDF à payer à M. M. la somme de 1 460 000 euros, cette somme correspondant au montant du salaire net de ce dernier auprès de son dernier employeur (37 500 euros net par mois, soit 450 000 euros net par an fois 2 outre 280 000 net de bonus par an fois 2) tel qu'il en est justifié et payable aussi en euros.

119-Le jugement du tribunal de commerce de Paris sera en conséquence confirmé sur ce point.

Sur les demandes complémentaires de M. M.

120-M. M. demande la condamnation des sociétés EDF et EDEV à réparer les conséquences dommageables que son départ anticipé d'ENI a engendré sur ses droits à la retraite et à sa couverture santé. M. M. expose que si EDF ne s'était pas manifestée et engagée à son égard, ce dernier aurait terminé sa carrière chez ENI et que l'engagement d'EDF est donc bien incontestablement la cause de sa démission d'ENI. Il soutient que du fait du débauchage d'EDF, il a perdu cinq années d'abondement de son fonds de pension par ENI, ce qui correspond à la somme de 376.038,90 euros.

121-Il ajoute avoir été contraint de souscrire à une police d'assurance santé privée pour compenser la perte de celle dont il bénéficiait chez ENI. Il soutient que celle-ci lui coûte 17.422,64 euros par an, et qu'il devra exposer ces frais durant les 20 prochaines années de sa vie, ce qui représente un coût total de 348.454,80 euros.

122-En réponse, les sociétés EDF et EDEV concluent au débouté aux motifs que M. M. ne démontre pas l'existence d'une faute commise par elles en lien avec les préjudices allégués, ni l'existence des préjudices allégués liés d'une part à sa désinscription du fonds de pension d'ENI et d'autre part, à la souscription d'un régime d'assurance maladie d'ENI. Elles ajoutent que la demande en réparation du « préjudice moral », n'est pas étayée.

SUR CE ;

Sur la demande de réparation des conséquences dommageables du départ anticipé de la société ENI sur les droits à la retraite et la couverture santé ;

123-M. M., qui ne justifie d'aucun fondement juridique sur cette demande, considère que la perte des avantages financiers qu'il avait au sein de la société ENI est la conséquence du comportement de la société EDF et que son départ de la société ENI a été déterminé par la signature de la lettre d'engagement de la société EDF en date du 23 juillet 2013 de telle sorte qu'il se prévaut d'une faute (le retrait d'EDF du projet Matera), d'un lien de causalité et d'un préjudice.

124-Cependant, il convient de relever que le retrait de la société EDF du projet Matera, alors que les conditions préalables requises par l'accord non contraignant signé le 29 janvier 2013 n'étaient pas réunies, n'est pas constitutif d'une faute susceptible d'engager sa responsabilité vis à vis de M. M..

125-D'autre part, M. M. a seul choisi de quitter son poste au sein de la société ENI pour rejoindre la société Schwarzfield ayant alors assumé le risque inhérent à tout changement professionnel dans une carrière, ayant au demeurant bénéficié d'une garantie offerte par la société EDF en forme d'option pour cette dernière dans les conditions fixées par la lettre du 23 juillet 2013.

126-En conséquence, aucune faute de la société EDF envers M. M. ni aucun lien de causalité n'est caractérisé de sorte que cette demande sera rejetée et le jugement du tribunal de commerce de Paris confirmé sur ce chef.

Sur la demande de réparation du préjudice moral que M. M. a subi en raison de l'atteinte à sa réputation que les agissements des sociétés appelantes lui ont causé

127-Si l'atteinte à la réputation professionnelle est susceptible d'emporter la responsabilité de l'auteur, encore faut-il que soit rapportée la preuve d'agissements fautifs de la part de ce dernier à l'origine d'une atteinte à la réputation professionnelle de l'intéressé.

128-En l'espèce, M. M. ne justifie d'aucun agissement émanant des sociétés EDF et EDEV ayant pu conduire à jeter le discrédit sur sa carrière professionnelle et le seul retrait de celles-ci du projet Matera ne saurait caractériser un tel agissement.

129-En outre, M. M. ne rapporte aucun élément tangible pour attester de l'atteinte à sa réputation dont il se prévaut.

130-Cette demande sera en conséquence rejetée, de même que celle de voir ordonnée la publication d'un communiqué judiciaire de la décision, non fondée.

131-Le jugement du tribunal de commerce sera en conséquence confirmé sur ce point.

8-Sur les demandes reconventionnelles des sociétés EDF et EDEV

132-Les sociétés EDF et EDEV soutiennent que le projet MATERA a échoué par la faute de M. B. de sorte qu'il convient de le condamner à rembourser les frais importants qu'elles ont engagés sur ce projet. Elles soutiennent que la responsabilité de la non-réalisation du « closing » du fonds MATERA ne peut être imputée qu'à Monsieur B. en raison des ses négligences répétées dans ce dossier.

133-Elles demandent en outre à la Cour de condamner M. B., la société Schwarzfield ainsi que Monsieur M. au paiement de dommages intérêts pour action abusive. Elles affirment que la tre's grande majorité de leurs demandes sont non démontrées et surtout non fondées. Par ailleurs, elles soutiennent que pour tromper la vigilance du juge, Monsieur B. n'a pas hésité pas à verser des pie'ces dont le contenu ne correspond pas aux affirmations faites dans le corps de ses écritures. Enfin, elles relèvent que M. B. est coutumier des procédures judiciaires au cours desquelles il demande régulie'rement le paiement de dommagesintérêts extravagants.

134-En réponse, M. B. demande à ce que cette demande soit rejetée en ce qu'il n'est pas responsable des décisions prises en interne par le groupe EDF. M. B. et la société Schwarzfield exposent avoir simplement fait usage de leur droit d'ester en justice, et que le groupe EDF ne rapporte pas la preuve d'une volonté de nuire de sa part.

SUR CE ;

Sur la demande de remboursement des frais d'avocats en lien avec le projet MATERA ;

135-Il convient de constater que les sociétés EDF et EDEV sollicitent le remboursement des frais de conseils qu'elles ont engagés dans le cadre du projet Matera et ce entre novembre 2012 et août 2013. Cependant, M. B. et la société Schwarzfield ne sont pas responsables des choix stratégiques des sociétés EDF et EDEV, qui ont pris seules la décision de se joindre à ce projet et de recourir aux services de cabinet de conseils, avec les risques potentiels d'échec, ce qui d'ailleurs les a précisément conduit à signer un accord non contraignant subordonnant leur accord à la réalisation de conditions préalables.

136-A cet égard, la seule considération selon laquelle les conditions préalables n'ont pu être réunies ne suffisent pas à caractériser un manquement de M. B. justifiant de voir engager sa responsabilité.

137-En l'état de ces éléments, cette demande sera rejetée, ensemble celle de condamner M. B. à les garantir de toutes condamnations envers M. M., qui ne repose sur aucun fondement.

Sur la demande fondée sur la procédure abusive

138-L'exercice d'une action en justice constitue par principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à des dommages et intérêts qu'en cas de faute susceptible d'engager la responsabilité civile de son auteur.

139-En l'espèce, les sociétés EDF et EDEV sont déboutées de leur demande à ce titre, à défaut pour elles de rapporter la preuve d'une quelconque faute ou légèreté blâmable de la part de M. B. et la société Schwarzfield, qui ont pu légitimement se méprendre sur l'étendue de leurs droits et d'établir l'existence d'un préjudice autre que celui subi du fait des frais exposés pour sa défense étant observé par ailleurs que la demande de M. M. a été partiellement accueillie.

9- Sur les autres demandes

140-Il y a lieu de condamner in solidum M. B. et la société Schwarzfield, parties perdantes, aux dépens.

141-En outre, ils doivent être condamnés in solidum à verser aux sociétés EDF et EDEV, qui ont dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir leurs droits, une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 80 000 euros.

142-La société EDF sera quant à elle condamnée au paiement d'une somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par M. M. pour faire valoir ses droits à son encontre.

V- DISPOSITIF

Par ces motifs, la cour :

1-Confirme le jugement du Tribunal de Commerce de PARIS du 22 septembre 2016 en ce qu'il a débouté Monsieur Alessandro B. et la société Schwarzfield de leur demande d'audition de Monsieur Henri P. et de Monsieur Olivier O. ;

2-Confirme le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 9 octobre 2019 sauf en ce qu'il a condamné in solidum les sociétés EDF et EDEV à verser à M. B. la somme de 1 million d'euros, condamné in solidum les sociétés EDF et EDEV à payer à M. B. et la société Schwarzfield la somme de 25 000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

Statuant à nouveau :

3-Déclare irrecevable en appel la demande nouvelle formée par M. B. au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie ;

4-Déboute M. B. de sa demande en remboursement de frais au titre du dossier Subbotina ;

5-Condamne in solidum M. B. et la société Schwarzfield à payer aux sociétés EDF et EDEV la somme globale de 80 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

6-Condamne la société EDF à payer à M. M. la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

7-Condamné in solidum les sociétés M. B. et la société Schwarzfield aux entiers dépens.