CA Dijon, ch. soc., 17 octobre 2024, n° 22/00749
DIJON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Citya Verne Immobilier (SAS)
Défendeur :
Citya Verne Immobilier (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mansion
Vice-président :
Mme Rayon
Conseiller :
M. Uguen-Laithier
Avocats :
Me Anne, Me Georget
EXPOSÉ DU LITIGE :
M. [Z] (le salarié) a été engagé le 15 juillet 2011 par contrat à durée indéterminée en qualité de négociateur immobilier par la société Citya [Localité 4] Verne immobilier (l'employeur).
Il a démissionné le 29 juin 2021.
Estimant que la clause de non-concurrence prévue au contrat serait nulle, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes qui, par jugement du 7 novembre 2022, a rejeté toutes ses demandes, l'a condamné à rembourser à l'employeur la contrepartie financière de la clause de non-concurrence et l'a enjoint, sous astreinte, à respecter cette clause.
Le salarié a interjeté appel le 29 novembre 2022.
Il demande l'infirmation du jugement et le paiement des sommes de :
- 41 065,44 euros de contrepartie financière due en exécution de la clause de non-concurrence,
- 4 106,54 euros de congés payés afférents,
- 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
A titre subsidiaire, il est demandé le paiement de 18 000 euros de dommages et intérêts en raison du préjudice subi par l'exécution de cette clause qui porterait une atteinte illicite à la liberté de travailler.
L'employeur conclut à la confirmation du jugement sauf en ce qu'il condamne le salarié à lui payer 1 000 euros dommages et intérêts pour préjudice moral et sollicite le rejet des demandes adverses et le paiement des sommes de 7 200 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral et de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il sera renvoyé pour un plus ample exposé du litige aux conclusions des parties échangées par RPVA les 10 mai et 6 juin 2024.
MOTIFS :
Sur la clause de non-concurrence :
1°) Il est jugé que, conformément au principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle, une clause de non-concurrence n'est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, limitée dans le temps et dans l'espace, qu'elle tient compte des spécificités de l'emploi du salarié et comporte l'obligation pour l'employeur de verser au salarié une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives.
De même, il est également jugé que seule une clause de non-concurrence valable est susceptible d'entraîner la condamnation du salarié pour violation de cette clause.
Le juge doit donc vérifier la licéité de cette clause avant de prononcer une éventuelle condamnation du salarié pour violation de celle-ci.
A titre principal, le salarié ne conteste pas la validité de cette clause, soutient qu'il l'a respectée et demande le paiement de la contrepartie financière prévue.
L'employeur conteste cette affirmation, relève que le salarié a été recruté par la société Oralia Sivov et Optim (la société) pour exercer un emploi dans le service transaction, soit une société concurrente, ce qui suffit, selon lui, à caractériser un acte de concurrence déloyale.
La clause prévue à l'article 15 contrat de travail stipule que : 'Compte tenu de la nature de ses fonctions, des informations confidentielles dont il dispose et du marché très concurrentiel sur lequel intervient le salarié, celui-ci s'engage en cas de rupture du présent contrat à l'issue de la période d'essai et pour quelques causes et à quelque époque que ce soit :
- à ne pas entrer eu service d'une société concurrente,
- à ne pas s'intéresser directement ou indirectement à une activité identique ou similaire à la sienne dans le secteur d'activité de l'employeur,
cette interdiction est limitée :
- dans le temps à une durée de deux années à compter du départ du salarié,
- géographiquement aux départements de Province ou aux arrondissements de [Localité 5] sur lequel le salarié sera amené à intervenir.
En contrepartie de cette obligation de non-concurrence, le salarié percevra pendant la durée de cette interdiction, une indemnité brute mensuelle d'un montant correspondant à 15 % de la moyenne mensuelle du salaire brut perçu par le salarié au cours des trois derniers mois d'activité passés dans l'entreprise, étant entendu que les primes exceptionnelles de toute nature, de même que les frais professionnels en sont exclus...'
Ici, il est admis par les parties que le salarié a été embauché par la société qui exerce une activité concurrente et se situe à [Localité 3].
L'employeur maintient que ce seul recrutement constitue une violation de la clause alors que le salarié soutient que l'activité de négociation immobilière de l'employeur ne porte que les biens dont il a la gérance, soit une activité limitée entre 11 à 13 % de son chiffre d'affaires annuel, et qu'il exerce cette même activité (mise en vente d'un bien confié dans le cadre d'un mandat de gestion) qu'avec les clients de la société et non ceux de l'employeur.
Le salarié ajoute que l'employeur n'apporte la preuve d'un acte de concurrence et que l'exemple donné, la première fois en cause d'appel, ne porte que sur une demande de coordonnées d'un diagnostiqueur pour une vente réalisée sans intervention d'un mandataire.
Toutefois, avant d'examiner l'existence ou non d'une acte de non-concurrence, il convient de se pencher sur la licéité de celle-ci, même si le salarié ne forme cette demande qu'à titre subsidiaire.
En effet, le paiement de la contrepartie financière réclamé n'est possible que si la clause est licite.
L'article 14.1 de la convention collective nationale de l'immobilier du 9 septembre 1988 stipule que : '14.1. Obligation de loyauté et de confidentialité
Tout salarié est tenu à l'obligation de réserve et de confidentialité à l'égard de la concurrence, de la clientèle, des fournisseurs et des tiers dans tout ce qui concerne l'exercice de ses fonctions.
Compte tenu notamment de la réglementation sur la protection des données personnelles (1), les salariés doivent faire preuve de prudence et de discrétion dans l'utilisation des données à caractère personnel et des informations relatives à leurs mandants ou à des tiers dont ils prennent connaissance dans l'exercice de leurs fonctions ainsi que dans la divulgation des éléments relatifs à leur mandat.
Toutefois, ils ne sont pas tenus à cette obligation de confidentialité :
' lorsque des dispositions légales ou réglementaires les obligent ou les autorisent à les communiquer, notamment lorsqu'ils sont tenus de témoigner en justice ;
' lorsque les personnes intéressées les délient de cette obligation ;
' dans l'exercice de leur défense en matière judiciaire ou disciplinaire.
Tout salarié doit s'abstenir, pendant l'exécution de son contrat de travail, de tout acte contraire à l'intérêt de l'entreprise et notamment de toute activité concurrente, pour son propre compte ou pour le compte d'un tiers, de dénigrer les produits, services ou l'activité de l'entreprise, de détourner la clientèle et de débaucher le personnel.
Après la cessation du contrat de travail, le salarié s'abstient de tout acte de concurrence déloyale, tels que le dénigrement des produits ou de la politique de l'ancien employeur, la confusion volontairement entretenue entre l'ancienne et la nouvelle entreprise, le détournement déloyal de clientèle.
Ces faits pouvant donner lieu à poursuites et/ ou sanctions disciplinaires'.
L'article 9 de l'annexe IV, avenant n°31 du 15 juin 2006, dispose que : 'Le contrat de travail du négociateur immobilier peut contenir une clause de non-concurrence après la cessation d'activité du négociateur. Cette clause doit être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, limitée dans le temps et dans l'espace, tenir compte des spécificités de l'emploi du salarié. La clause de non-concurrence doit être restreinte à un secteur d'activité déterminé afin que le salarié conserve la possibilité d'exercer des activités correspondant à sa formation, ses connaissances et son expérience professionnelle.
L'interdiction d'emploi que comporte la clause de non-concurrence ne peut excéder la durée de 2 ans après la cessation du contrat de travail.
En contrepartie de cette clause de non-concurrence, le négociateur percevra, chaque mois, à compter de la cessation effective de son activité, et pendant toute la durée de l'interdiction, dans la mesure où celle-ci est respectée, une indemnité spéciale forfaitaire égale à 20 % de la moyenne mensuelle du salaire brut perçu par lui au cours des 3 derniers mois d'activité passés dans l'entreprise, étant entendu que les primes exceptionnelles de toute nature de même que les frais professionnels en sont exclus'.
Le salarié limite expressément sa discussion sur la validité de la clause dès lors qu'elle ne porte pas sur un secteur d'activité déterminé contrairement à l'article 9 précité, l'employeur exerçant des activités de syndic, gérance, location et transaction immobilière alors que le statut de négociateur immobilier implique une activité plus restreinte.
Sa contestation ne porte pas, contrairement à ce que reprend l'employeur dans ses conclusions, sur le caractère dérisoire de la contrepartie financière ni sur le caractère imprécis du périmètre géographique.
La clause litigieuse est limitée à un secteur d'activité déterminé conformément aux stipulations de l'article 9 propre au statut du négociateur immobilier dès lors que l'interdiction porte sur une activité identique ou similaire à celle du salarié dans le secteur d'activité de l'employeur.
Or, même si le secteur d'activité de l'employeur comme indiqué ci-avant regroupe plusieurs activités dont celle de la transaction immobilière mais pas seulement, le salarié exerçait les seules fonctions de négociateur immobilier.
Il en résulte que la clause correspond aux stipulations conventionnelles et demeure opposable au salarié, de sorte que la demande de dommages et intérêts, formée à titre subsidiaire, ne peut être accueillie.
Il a donc lieu d'examiner une éventuelle concurrence déloyale.
La cour constate que le simple fait de donner les coordonnées d'un diagnostiqueur à un client de l'employeur ne constitue pas une acte de concurrence déloyale dès lors qu'il n'a aucune incidence sur l'activité de négociation immobilière.
Sur le fait de souscrire un contrat de négociateur immobilier avec une société concurrente, il est jugé que ce seul acte constitue une violation de la clause portant une telle interdiction puisqu'elle revient à exercer un emploi prohibé.
Il en résulte que le jugement sera confirmé sur ce point et en ce qu'il
condamne le salarié à rembourser les sommes perçues au titre de la contrepartie financière de la clause, soit 2 070,39 euros.
2°) L'employeur demande le paiement de dommages et intérêts pour préjudice moral.
Il lui appartient de démontrer l'existence de ce préjudice qui ne résulte pas de la seule violation de la clause de non-concurrence.
Or, en l'espèce, l'employeur procède pas affirmation et ne démontre aucunement l'existence d'un préjudice moral.
Le jugement sera infirmé sur ce point et la demande rejetée.
Sur les autres demandes :
1°) L'employeur indique dans ses conclusions que la décision du conseil de prud'hommes portant injonction, sous astreinte, de respecter la clause de non-concurrence est devenue sans objet, cette clause ayant cessé de produire effet depuis le 29 août 2023.
2°) Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande du salarié et le condamne à payer à l'employeur la somme de 1 500 euros.
Le salarié supportera les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour statuant publiquement, par décision contradictoire :
- Confirme le jugement du 7 novembre 2022, sauf en ce qu'il condamne M. [Z] à payer à la société Citya [Localité 4] Verne immobilier la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
Statuant à nouveau sur ce chef :
- Rejette la demande de la société Citya [Localité 4] Verne immobilier
en paiement de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
Y ajoutant :
- Constate que la demande de la société Citya [Localité 4] Verne immobilier portant sur l'obligation par M. [Z] de respecter, sous astreinte, l'obligation de non-concurrence prévue au contrat de travail est devenue sans objet depuis le 29 août 2023 ;
- Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. [Z] et le condamne à payer à la société Citya [Localité 4] Verne immobilier la somme de 1 500 euros ;
- Condamne M. [Z] aux dépens d'appel ;