CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 17 octobre 2024, n° 23/11925
PARIS
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
Leroy Merlin France (SA)
Défendeur :
Kohler France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rispe
Conseillers :
Mme Blanc, Mme Georget
Avocats :
Me Havet, Me Meurin, Me Jocquel, Me Cheviller, Me Perrin
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Suivant bon de commande n° 19977 daté du 5 août 2021, M. [T] et Mme [Y] ont confié à la société Leroy Merlin France (ci-après : la société Leroy Merlin) des travaux de rénovation concernant la salle de bains de leur appartement situé [Adresse 2] à [Localité 5], comprenant en particulier l'installation d'une baignoire en fonte, fournie par la société Kholer France (ci-après : la société Kholer), moyennant un prix total de 9.273,48 euros toutes taxes comprises.
Ces travaux ont été sous-traités à la société Ciuhrii Renov, qui les a exécutés.
Ils ont donné lieu, le 19 octobre 2021, à la signature d'un bon de réception par Ciuhrii Renov et M. [T].
Puis, par courriel du 10 février 2022, M. [T] et Mme [Y] ont fait part à la société Leroy Merlin de l'apparition de fêlures et de fissurations affectant la baignoire.
Par courriel responsif du 11 février 2022, arguant de la réception sans réserve des travaux et du fait que le fabriquant de la baignoire avait rejeté toute responsabilité, la société Leroy Merlin a indiqué souhaiter qu'une expertise soit effectuée.
Le 1er mars 2022, le conseil de M. [T] et de Mme [Y] a mis en demeure la société Leroy Merlin de procéder au remplacement de la baignoire.
Le 30 mars 2022, une réunion d'expertise amiable confiée à M. [C] [R] de l'entreprise Sedgwick a été organisée sur place.
Par courriel du 27 mai 2022, ce même expert a indiqué procéder à la convocation d'une deuxième réunion d'expertise dans l'espoir de mettre en évidence la responsabilité du transporteur.
Le 20 juin 2022, le conseil de M. [T] et Mme [Y] a de nouveau relancé l'expert qui expliquait rester dans l'attente de l'identification des coordonnées du livreur.
Après une nouvelle relance demeurée vaine, le 11 octobre 2022, M. [T] et Mme [Y] ont fait dresser un constat par Me [W] [S], commissaire de justice associé à [Localité 5].
Par acte de commissaire de justice du 19 octobre 2022, M. [T] et Mme [Y] ont fait assigner la société Leroy Merlin devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Bobigny notamment aux fins de :
condamner la société Leroy Merlin sous astreinte à faire procéder aux travaux de remplacement de la baignoire et de remise en état consécutive de la salle de bain ;
condamner la société Leroy Merlin à prendre en charge leurs frais de relogement pendant la durée des travaux et du nettoyage consécutif de l'appartement ;
condamner la société Leroy Merlin à leur payer la somme provisionnelle de 320 euros et une indemnité de 2.000 euros en réparation de leur préjudice moral.
Par ordonnance contradictoire du 2 juin 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Bobigny, a :
condamné la société Leroy Merlin à remplacer la baignoire en fonte installée dans l'appartement des demandeurs [Adresse 2] à [Localité 5], aux travaux de pose et aux travaux de remise en état nécessaires après ce remplacement, dans un délai de 8 jours à compter de la signification de la présente, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, se réservant la liquidation de l'astreinte ;
condamné la société Leroy Merlin à payer à M. [T] et Mme [Y] la somme provisionnelle de 320 euros au titre des frais de relogement et de nettoyage, et celle de 1.000 euros en réparation du préjudice moral subi ;
condamné la société Leroy Merlin à payer à M. [T] et à Mme [Y] la somme de 2.500 euros au titre des frais irrépétibles ;
condamné la société Leroy Merlin aux dépens.
Par déclaration adressée par voie électronique le 5 juillet 2023, la société Leroy Merlin a relevé appel de l'ensemble des chefs du dispositif de cette décision.
Par ses dernières conclusions déposées et notifiées le 4 septembre 2024, la société Leroy Merlin a demandé à la cour, au visa des articles 122, 331 et suivants, 542, 555, 835, 905-2, 910-4 et 954 alinéa 3 du code de procédure civile, 1641 du code civil, de :
déclarer l'ordonnance de référé rendue le 2 juin 2023 par le président du tribunal judiciaire de Bobigny nulle pour violation du principe de contradictoire.
en toute hypothèse :
infirmer l'ordonnance de référé rendue le 2 juin 2023 en ce qu'elle a :
condamné la société Leroy Merlin à remplacer la baignoire en fonte installée dans l'appartement des demandeurs [Adresse 2] à [Localité 5], aux travaux de pose et aux travaux de remise en état nécessaires après ce remplacement, dans un délai de 8 jours à compter de la signification de la présente, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
réservé la liquidation de l'astreinte ;
condamné la société Leroy Merlin à payer à M. [T] et Mme [Y] la somme provisionnelle de 320 euros au titre des frais de relogement et de nettoyage, et celle de 1 000 euros en réparation du préjudice moral subi ;
condamné la société Leroy Merlin à payer à M. [T] et à Mme [Y] la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles ;
condamné la société Leroy Merlin aux dépens.
Statuant à nouveau :
déclarer que les consorts [T]-[Y] ne démontrent aucun dommage imminent ou trouble manifestement illicite, ni défaut de conformité ;
déclarer que les demandes de provision des consorts [T]-[Y] se heurtent à une contestation sérieuse;
en conséquence :
déclarer n'y avoir lieu à référé ;
inviter les consorts [T]-[Y] à mieux se pourvoir ;
prononcer l'irrecevabilité de l'appel incident formé par les consorts [T]-[Y] dans leurs conclusions d'intimées n°1 et n°2 du 18 novembre 2023 ;
débouter les consorts [T]-[Y] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;
à titre subsidiaire, si la Cour d'appel entrait en voie de condamnation à son encontre,
condamner la société Kohler à la garantir intégralement de l'ensemble des condamnations qui seraient prononcées à son encontre tant en principal que frais et accessoires ;
en toute hypothèse,
débouter la société Kohler de ses demandes, fins et conclusions
condamner tout succombant à lui payer la somme de 5.342,08 euros, en réparation des sommes qu'elle a exposées pour l'exécution des travaux réparatoires visés dans l'ordonnance de référé 2 juin 2023 ;
condamner tout succombant à lui payer la somme de 4.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner tout succombant aux entiers dépens de l'instance.
Par leurs dernières conclusions déposées et notifiées le 2 juillet 2024, M. [T] et Mme [Y] demandent à la cour, au visa des articles 835 du code de procédure civile, 1103, 1104, 1602, 1641 et 1792 du code civil et L. 217-3 du code de la consommation, de :
les dire et les juger recevables et bien fondés en leurs demandes ;
débouter la société Leroy Merlin de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, et notamment de sa demande de nullité de l'ordonnance entreprise ;
confirmer l'ordonnance du 2 Juin 2023 en ses chefs de condamnation à l'égard de la société Leroy Merlin
ou le cas échéant en procédant par voie d'évocation :
à titre principal :
sur le remplacement de la baignoire endommagée et remise en état de la salle de bain :
condamner la société Leroy Merlin à faire procéder aux travaux de remplacement de la baignoire en fonte installée dans leur appartement sis [Adresse 2] ;
condamner la société Leroy Merlin à faire procéder aux travaux de remise en état intégrale de la salle de bain litigieuse après remplacement de la baignoire en fonte ;
assortir ces condamnations aux fins de remplacement de la baignoire et remise en état de la salle de bain d'une astreinte de 50 euros, à compter de la signification de la décision à intervenir, et jusqu'à la justification de la réalisation des travaux ;
y ajoutant :
prononcer une astreinte complémentaire de 100 euros par jour de retard, s'ajoutant à celle ordonnée par monsieur le président du tribunal judiciaire de Bobigny ;
ordonner la liquidation de l'astreinte prononcée ;
condamner la société Leroy Merlin à leur verser une somme de 18.600 euros au titre de l'astreinte prononcée, considérant une somme de 150 euros par jour de retard ;
à titre subsidiaire, si la cour devait rejeter la demande de révision du montant de l'astreinte prononcée par M. le président du tribunal judiciaire :
condamner la société Leroy Merlin à leur verser une somme de 6.200 euros au titre de l'astreinte prononcée, considérant une somme de 50 euros par jour de retard ;
condamner la société Leroy Merlin à prendre en charge les frais de relogement pendant la durée des travaux et de nettoyage de l'appartement à l'issue des ceux-ci ;
condamner ainsi à titre provisionnel la société Leroy Merlin à leur verser une somme de 732,24 euros au titre des frais de relogement et de nettoyage ;
sur la réparation des leurs préjudices :
confirmer la condamnation de la société Leroy Merlin à réparer à titre provisionnel le préjudice qui leur a été causé ;
condamner à titre provisionnel la société Leroy Merlin à leur verser une somme de 5 000 euros en réparation du préjudice moral subis du fait des désordres et de son inertie ;
en tout état de cause :
condamner la société Leroy Merlin à leur verser une somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel;
condamner la société Leroy Merlin aux entiers dépens de la présente instance, en ce compris le coût du constat d'huissier établi.
Par ses dernières conclusions déposées et notifiées le 13 mai 2024, la société Kohler demande à la cour, au visa des articles 554 du code de procédure civile et 1641 du code civil, de :
déclarer irrecevable la demande en intervention forcée et la demande en condamnation conséquente, de la société Leroy à son égard ;
à titre subsidiaire,
débouter la société Leroy Merlin de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions à son encontre ;
en tout état de cause,
condamner la société Leroy Merlin au paiement de la somme de 4.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au dépens dont distraction au profit de Me Chevillier, avocat aux offres de droit, conformément à l'article 699 du même code.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 septembre 2024.
Sur ce,
Sur la prétendue irrecevabilité des demandes des consorts [T]-[Y]
Selon l'article 564 du code de procédure civile 'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions, si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.'.
Mais, l'article 566 du même code dispose que les parties peuvent expliciter les prétentions qui étaient virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises au premier juge et ajouter à celles-ci toutes les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément.
En l'espèce, soutenant qu'il s'agit d'un appel incident, la société Leroy Merlin demande qu'il soit déclaré irrecevable, alors que les intimés ne sollicitent pas dans le dispositif de leurs conclusions la réformation du jugement déféré.
Il se déduit des termes des conclusions de l'appelante, qu'en réalité, celle-ci prétend à l'irrecevabilité des demandes des intimées en raison de leur nouveauté en cause d'appel.
La société Leroy Merlin fait observer que les consorts [T]-[Y] augmentent sensiblement leurs demandes, puisqu'ils demandent à la cour de confirmer l'ordonnance entreprise sur ses chefs de condamnation à son égard mais y ajoutant d'autres demandes, notamment de prononcer une astreinte complémentaire, de la condamner à prendre en charge les frais de relogement pendant la durée des travaux et de nettoyage de l'appartement à l'issue des ceux-ci, ainsi qu'au paiement à titre provisionnel d'une somme de 5.000 euros en réparation du préjudice moral subis du fait des désordres et de son inertie.
Cependant, il apparaît que les demandes formées par les consorts [T]-[Y] sont de nature à compléter celles soumises au premier juge et sont dès lors recevables.
Par voie de conséquence, la demande à ce titre sera rejetée.
Sur la mise en cause de la société Kholer pour la première fois à hauteur d'appel
Selon l'article 547 alinéa 1er du code de procédure civile ' En matière contentieuse, l'appel ne peut être dirigé que contre ceux qui ont été parties en première instance. Tous ceux qui ont été parties peuvent être intimés.'.
Cependant, il résulte de la combinaison des articles 554 et 555 du même code, que les personnes qui n'ont été ni parties, ni représentées en première instance, ou qui y ont figuré en une autre qualité peuvent être appelées devant la cour, même aux fins de condamnation, quand l'évolution du litige implique leur mise en cause.
Lorsqu'une partie qui n'était ni présente ni représentée en première instance soulève une fin de non-recevoir à ce titre, il revient à la juridiction d'appel de rechercher si une évolution du litige impliquait la mise en cause de ce tiers.
Au sens des dispositions précitées, une telle évolution n'est caractérisée que par la révélation d'une circonstance de fait ou de droit née du jugement ou postérieure à celui-ci, de nature à modifier les données juridiques du litige (Cf. Cass. Ass. Plen.11 mars 2005, n°03-20484).
En l'espèce, il est constant que la société Leroy Merlin a appelé en la cause la société Kholer pour la première fois à hauteur d'appel, laquelle prétend que l'évolution du litige ne justifiait pas sa mise en cause et soutient que la demande formée par la société Leroy Merlin à son encontre est irrecevable.
En effet, la société Kholer fait observer que dès les premiers échanges entre les consorts [T]-[Y] et la société Leroy Merlin, cette dernière a évoqué, dans un message daté du 11 février 2022, une éventuelle responsabilité du fabricant alors qu'elle a indiqué 'je vous confirme que nous avons bien sollicité le fabricant de la baignoire afin d'avoir leur avis, et que celui-ci a rejeté toute responsabilité'.
La société Leroy Merlin soutient que le litige a évolué alors que les constatations opérées le 8 janvier 2024 par le commissaire de justice lors de la dépose de la baignoire litigieuse ont permis d'écarter définitivement que les désordres pourraient avoir été causés par un choc sous la baignoire, imputable soit au transporteur, soit à l'artisan ayant réalisé les travaux.
Mais, il convient de relever que la société Leroy Merlin soutient à titre principal que les fissures étant apparues après la réception des travaux par les consorts [T]-[Y], ces derniers pourraient être à l'origine des désordres. Ce n'est que dans l'hypothèse où la cour estimerait que tel n'est pas la cas qu'elle prétend que 'la seule cause du désordre serait donc un défaut produit.'
De ce qui précède, il résulte que la possibilité pour la société Leroy Merlin France de rechercher la responsabilité de la société Kholer et de l'appeler en garantie est demeurée au rang d'une hypothèse, déjà envisagée dès avant la saisine du premier juge et sans que, depuis le prononcé de l'ordonnance entreprise, un élément nouveau de nature à la conforter ne soit apparu.
Alors que n'est dons pas caractérisée à ce stade une quelconque évolution du litige, il convient de déclarer irrecevable l'intervention forcée en cause d'appel de la société Kholer et de prononcer sa mise hors de cause.
Sur la demande d'annulation de l'ordonnance entreprise
En application de l'article 16 du code de procédure civile, il appartient au juge d'observer le principe de la contradiction et s'il a la faculté de relever d'office des moyens de droit, il ne peut fonder sa décision sur ceux-ci sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.
Si, l'article R.632 -1 du code de la consommation permet au juge de relever d'office tous les moyens tirés de l'application des dispositions du code de la consommation, ce n'est que sous réserve de respecter ce principe général de contradiction auquel il ne déroge pas.
La société Leroy Merlin soutient que l'ordonnance de référé est nulle alors qu'en l'espèce le juge des référés n'a pas respecté le principe du contradictoire en soulevant d'office l'article L.217-4 du code de la consommation sans inviter les parties à présenter à leurs observations.
Elle relève qu'en effet, au vu des écritures échangées par les parties devant le premier juge, M. [T] et Mme [Y] avaient expressément fondé leurs prétentions sur les dispositions du droit commun résultant des dispositions des articles 1602 et suivants du code civil, 1641 et suivants du même code et encore 1792 et suivants dudit code.
M. [T] et Mme [Y] font observer à juste titre qu'en vertu des dispositions de l'article R. 632-1 du code de la consommation, le juge des référés pouvait relever d'office toutes les dispositions de ce code dans les litiges nés de son application.
Mais, si M. [T] et Mme [Y] soutiennent que les dispositions des articles L.217-4, L.217-5, L.217-7 L.217-9 et L.217-11 du code de la consommation, expressément retenues par le juge des référés comme devant être appliquées, seraient complémentaires de celles qu'ils invoquaient, ils ne contestent pas que l'application de ces mêmes dispositions n'a pas été mise dans le débat contradictoire.
Or, il est constant que le régime juridique qui a été appliqué par le premier juge est issu de la transposition en droit français de la directive n° 99/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 mai 1999, par une ordonnance du 17 février 2005, lequel se distingue clairement des règles du droit commun dont M. [T] et Mme [Y] se prévalaient.
Et, il convient de relever que si l'article L.217-7 dudit code institue une présomption quant à l'existence des défauts de conformité apparus dans un délai de vingt-quatre mois à compter de la délivrance du bien, présumés exister au moment de la délivrance, il autorise la possibilité de rapporter la preuve contraire, notamment si cette présomption est incompatible avec la nature du bien ou du défaut invoqué.
Dans ces conditions, il ne pouvait pas être fait application de telles règles sans requérir préalablement des parties leurs observations à cet égard.
Et, dès lors qu'il ne résulte pas des éléments en débat que tel aurait été le cas, l'ordonnance encourt l'annulation.
Il s'ensuit qu'en application de l'article 562 du code de procédure civile, la dévolution s'opère pour le tout.
Sur les demandes de condamnation de la société Leroy Merlin au remplacement de la baignoire et à la remise en état de la salle de bain
Selon l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l'un des moyens de défense opposés aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir sur ce point si les parties entendaient saisir le juge du fond.
Conformément à l'article 835 du code civil, le juge des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le dommage imminent s'entend de celui qui n'est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation dénoncée perdure.
Le trouble manifestement illicite désigne toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit.
Selon l'article 1355, alinéa 1er, du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
- sur l'application de l'article 834 du code de procédure civile
Il n'est pas soutenu que la condition d'urgence requise par ces dispositions serait caractérisée.
- sur l'existence d'un péril imminent
Les consorts [T]-[Y] font valoir que la société Leroy Merlin évoque à bon droit l'article 835 du code de procédure civile alors que la présence, au fond d'une baignoire, d'émail saillante et coupante est source d'un dommage imminent dès lors que la peau ne peut entrer en contact avec cette surface.
La société Leroy Merlin réfute la caractérisation d'un dommage imminent en considérant qu'il ne s'agit que d'un désagrément pour utiliser la baignoire sans protection de la partie fissurée.
En l'espèce, il n'est pas discuté que sont apparues des fissures et craquelures au niveau de l'émail de la baignoire vendue par la société Leroy Merlin, installée par la société Ciuhrii Renov et fournie par la société Kholer.
Selon les constatations opérées par les commissaires de justice requis par les parties et les clichés photographiques annexés aux procès-verbaux dressés, la présence de fissures apparaît circonscrite à une unique zone relativement limitée, située sur le fond de la baignoire.
Après avoir examiné la baignoire, l'expert [C] [R] précise, dans son courriel du 27 mai 2022, qu'il a indiqué à M. [T] et Mme [Y] qu'ils pouvaient l'utiliser en prenant simplement la précaution de coller un ruban adhésif afin de ne pas risquer de se couper.
Il ajoute qu' "il n'y a pas risque de fuite, vu que seul l'émail est cassé, mais pas la fonte sous-jacente. Il n'y a donc pas de risque à utiliser la douche voire le bain".
Il n'est pas apporté par ailleurs d'éléments qui viendraient contredire les constatations de l'expert quant à l'absence de risque encouru.
Il ne résulte dès lors pas de ce qui précède que l'existence d'un péril imminent serait caractérisée
- sur l'existence d'un trouble manifestement illicite
. sur la méconnaissance par le vendeur des dispositions du droit commun
L'article 1603 du code civil prévoit que le vendeur a deux obligations principales, celle de délivrer et celle de garantir la chose qu'il vend.
Selon l'article 1641 du même code, " Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. "
La réception de la chose vendue, sans réserve, couvre ses défauts apparents de conformité.
La mise en 'uvre de la garantie des vices cachés présuppose que soit établie l'existence d'un vice antérieur à la vente ou à la livraison.
Or, tel n'est pas le cas en l'espèce s'agissant du défaut que présente la baignoire, dont il n'est pas démontré qu'il existait, fût-ce à l'état de germe, au moment de la livraison ou même antérieurement.
En effet, il n'est pas discuté que sont apparues des fissures et craquelures au niveau de l'émail de la baignoire vendue par la société Leroy Merlin, postérieurement à la livraison et à l'installation de cet équipement. Mais, les parties s'opposent tant sur la nature et l'étendue de ces défauts que sur leur origine.
Alors que, le 11 octobre 2022, l'existence d'un choc sous la baignoire a été évoquée par M. [T] devant le commissaire de justice qu'il avait chargé d'établir un constat, lorsque celle-ci a été déposée, le 8 janvier 2024, cette hypothèse n'a pas été confirmée par les constats opérés par le commissaire de justice alors requis.
Et, si une expertise a bien été entreprise à l'effet de déterminer les causes des défauts ainsi apparus, cette mesure n'a pas été menée à son terme.
Dans ces conditions, un manquement du vendeur à ses obligations de délivrance et de garantie n'apparaît pas démontré avec l'évidence requise en référé.
. sur la méconnaissance par le vendeur des dispositions du code de la consommation
Alors que les consorts [T]-[Y] se sont aussi prévalus des dispositions insérées aux articles L.217-3 à L. 217-9 du code de la consommation, il sera rappelé qu'aux termes de l'article L.217-3 alinéa 1 et 2 dudit code :
"Le vendeur délivre un bien conforme au contrat ainsi qu'aux critères énoncés à l'article L. 217-5.
Il répond des défauts de conformité existant au moment de la délivrance du bien au sens de l'article L. 216-1, qui apparaissent dans un délai de deux ans à compter de celle-ci. "
Et, l'article L217-7 alinéa 1er du même code précise que " Les défauts de conformité qui apparaissent dans un délai de vingt-quatre mois à compter de la délivrance du bien, y compris du bien comportant des éléments numériques, sont, sauf preuve contraire, présumés exister au moment de la délivrance, à moins que cette présomption ne soit incompatible avec la nature du bien ou du défaut invoqué. ".
Les consorts [T]-[Y] déduisent de ces textes que dans le cadre de la vente et de l'installation d'un produit défectueux, le client consommateur est en droit de demander son remplacement, outre que le défaut de conformité du bien est présumé par principe durant les 24 mois suivant sa délivrance. Selon eux, la société Leroy Merlin a manqué à son obligation dès lors qu'elle était tenue purement et simplement à la délivrance d'une baignoire parfaite, et non d'une baignoire fissurée.
Mais, comme le fait valoir à juste titre la société Leroy Merlin, l'article L.217-4 du code de la consommation ne pose une présomption que pour la date de survenance du défaut et non quant à son existence.
Et, la charge de la preuve de la non-conformité entre la chose livrée et la chose convenue ou de la mauvaise exécution de l'obligation de délivrance pèse sur l'acquéreur.
Or, les consorts [T]-[Y] ne démontrent pas que le défaut existait au moment de la délivrance du bien.
. sur les prétentions des consorts [T]-[Y] fondées sur la responsabilité du constructeur
Les consorts [T]-[Y] invoquent à l'encontre de la société Leroy Merlin sa responsabilité en tant que constructeur d'ouvrage et précisément les dispositions des articles 1792 à 1792-4-1 du code civil.
Les consorts [T]-[Y] ne précisent cependant pas en quoi seraient réunies les conditions d'application de la garantie instituée par ces dispositions, en particulier quant à l'existence de dommages qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.
La responsabilité de la société Leroy Merlin sur ce fondement n'apparaît pas démontrée avec l'évidence requise en référé et il est manifeste que l'appréciation de cette question relève de la compétence du juge du fond.
Il suit de ce qui précède que les demandes des consorts [T]-[Y] de ces chefs devront être rejetées.
De ce qui précède, il n'est pas démontré par les consorts [T]-[Y] avec l'évidence requise en référé que le défaut affectant la baignoire serait constitutif d'une violation évidente de la règle de droit.
- sur l'injonction de remise en état
Il résulte des motifs qui précèdent que l'obligation de la société Leroy Merlin de remplacer la baignoire et de remettre en état la salle-de-bains se heurte à des contestations sérieuses.
Sur les demandes de provisions formées par les consorts [T]-[Y] au titre de leur préjudice de jouissance et de leur préjudice moral
Selon l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire peut accorder une provision au créancier.
Les consorts [T]-[Y] font valoir que l'ampleur des travaux de reprise, en présence d'un enfant de 9 mois, les a conduit à s'installer temporairement en dehors de leur appartement et qu'ils ont dû exposer des frais de nettoyage après la fin du chantier. Ils sollicitent la confirmation de l'ordonnance entreprise sur ce point en ce qu'elle a condamné à titre provisionnel la société Leroy Merlin à leur verser une somme de 732,24 euros à valoir sur les frais de relogement et de ménage de leur appartement.
Ils considèrent que l'inertie, le refus d'exécution et la mauvaise foi de la société Leroy Merlin leur a causé un préjudice qui doit être réparé par l'octroi d'une somme de 5.000 euros à titre provisionnel.
La société Leroy Merlin France s'oppose à ces demandes alors qu'il existe un débat sérieux sur sa responsabilité effective dans le désordre allégué par les consorts [T]-[Y]. Elle rappelle qu'elle invoque à ce titre une absence de preuve probante versée aux débats par les consorts [T]-[Y] et une cause d'exonération de responsabilité relevant du fait de la victime, qui ne peut être sérieusement écartée, alors que le dommage serait apparu, selon ceux-ci, trois mois après la réception sans réserve des travaux réalisés dans leur salle de bains. De plus, la société Leroy Merlin estime que les consorts [T]-[Y] ne justifient aucunement de la réalité de leurs préjudices.
Aux mêmes motifs que ceux précédemment retenus, il apparaît que les demandes de provisions ainsi formées par les consorts [T]-[Y] se heurtent à une contestation sérieuse, qui devra, le cas échéant, être tranchée par le juge du fond.
Par voie de conséquence, les demandes de ces chefs seront rejetées.
Sur la demande reconventionnelle formée par la société Leroy Merlin France au titre de l'exécution de la décision du premier juge
Il résulte de l'article L. 111-10 du code des procédures civiles d'exécution que, sous réserve des
dispositions de l'article L. 311-4, l'exécution forcée peut être poursuivie jusqu'à son terme en vertu d'un titre exécutoire à titre provisoire, que « l'exécution est poursuivie aux risques du créancier » et que « celui-ci rétablit le débiteur dans ses droits en nature ou par équivalent si le titre est ultérieurement modifié ».
Aux termes de l'article 484 du code de procédure civile, l'ordonnance de référé est une décision provisoire rendue à la demande d'une partie, l'autre présente ou appelée, dans les cas où la loi confère à un juge qui n'est pas saisi du principal le pouvoir d'ordonner immédiatement les mesures nécessaires.
Selon l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, 'Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.'.
La société Leroy Merlin France sollicite l'octroi d'une indemnité pour compenser la somme qu'elle a exposée, à hauteur d'un montant de 5.342,08 euros, en faisant exécuter l'ordonnance de référé sans attendre l'issue de l'appel.
Elle précise que cette somme correspond à la fourniture et la pose d'une nouvelle baignoire :
baignoire Urban : 1.374,08 euros
matériaux de remise en état de la salle de bains : 593 euros
pose en SAV : 1.375 euros
ainsi qu'aux frais de constat de commissaire de justice :
procès-verbal de constat du 8 janvier 2024 : 1.600 euros
procès-verbal de constat du 17 janvier 2024 : 400 euros .
S'opposant à cette demande, les consorts [T]-[Y] font observer que la société Leroy Merlin ne vise aucun fondement juridique et ne justifie pas du quantum des sommes demandées.
Ils font valoir que les constats de commissaire de justice ont été rendus nécessaires du fait de l'inertie et de la résistance de la société Leroy Merlin, qui a été amenée à prouver les modalités d'exécution de ses obligations et fixer date certaine pour mettre fin à l'astreinte prononcée.
Ils ajoutent que les montants réclamés au titre de la fourniture et de la pose de la nouvelle baignoire semblent correspondre aux prix de vente pratiqués à l'égard de ses clients et non pas au coût réel exposé par la société Leroy Merlin.
Il n'entre pas dans les pouvoirs de la cour, statuant en référé, d'allouer des dommages et intérêts. Seules des provisions, à hauteur du montant non sérieusement contestable du préjudice subi, peuvent être allouées en référé. Or, en l'espèce, aucune demande de provision n'a été formée.
La demande de la société Leroy Merlin sera dès lors déclarée irrecevable.
Sur les demandes accessoires
Il y a lieu de condamner m. [T] et mme [Y], parties perdante, aux dépens.
Conformément aux dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, l'équité pas plus que la situation économique des parties ne commandent qu'il soit alloué d'indemnité au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS
Déclare irrecevable l'intervention forcée en cause d'appel de la société Kholer et prononce sa mise hors de cause ;
Prononce l'annulation de l'ordonnance entreprise;
Statuant au fond par l'effet dévolutif de l'appel,
Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de M. [T] et de Mme [Y] à l'encontre de la société Leroy Merlin ;
Déclare irrecevable la demande de dommages et intérêts formée par la société Leroy Merlin à l'encontre de M. [T] et de Mme [Y] ;
Condamne M. [T] et Mme [Y] aux dépens ;
Rejette toutes prétentions plus amples ou contraires des parties.