CA Lyon, 6e ch., 17 octobre 2024, n° 22/08471
LYON
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Doat
Conseillers :
Mme Allais, Mme Robin
Avocats :
Me Ulrich, Me Le Jariel
FAITS, PROCEDURE ET DEMANDES DES PARTIES :
Par acte d'huissier de justice du 22 février 2022, M. [T] [H], éleveur canin professionnel, a fait assigner devant le tribunal de proximité de Nantua Mme [W] [K] [D] [U] (Mme [W] [U]).
Il sollicitait en dernier lieu de voir prononcer la résolution du contrat de vente d'une chienne dénommée [Y] pour défaut de paiement du prix et condamner Mme [W] [U] à lui payer la somme de 3.000 euros correspondant au prix de vente de [Y], laquelle est décédée en cours de procédure. Il concluait à l'irrecevabilité ou au rejet des prétentions reconventionnelles de Mme [W] [U].
Mme [W] [U] sollicitait à titre reconventionnel de voir condamner M. [H] à lui rembourser les sommes suivantes : 3.000 euros correspondant au prix de vente de [Y], 700 euros correspondant au prix de vente d'une autre chienne dénommée Snipes, également décédée, 738,56 euros au titre des frais vétérinaires engagés pour [Y] et 205,22 euros au titre des frais vétérinaires engagés pour Snipes. Elle réclamait également la condamnation de M. [H] à lui remettre divers documents sous astreinte et à lui payer des dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ainsi que pour procédure abusive.
Par jugement du 6 décembre 2022, le tribunal de proximité de Nantua a :
- prononcé la résolution du contrat passé le 6 août 2021 entre M. [H] et Mme [W] [U] portant sur l'acquisition d'une chienne identifiée sous le numéro I-CAD 250269100289387 pour un prix de 3.000 euros,
- condamné Mme [W] [U] à restituer à M. [H] en valeur le bien acquis, soit la somme de 3.000 euros,
- déclaré irrecevables les demandes reconventionnelles de Mme [W] [U] relatives à la chienne identifiée sous le numéro I-CAD 250269100289488,
- rejeté les demandes indemnitaires de Mme [W] [U],
- rejeté la demande de communication sous astreinte présentée par Mme [W] [U],
- rejeté la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive présentée par Mme [W] [U],
- rejeté les demandes respectives de M. [H] et Mme [W] [U] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [W] [U] aux dépens de l'instance,
- accordé le bénéfice de la distraction des dépens à tout avocat qui en ferait la demande,
- rappelé que la décision était assortie de l'exécution provisoire.
Par déclaration du 19 décembre 2022, Mme [W] [U] a interjeté appel de la décision, sauf en ce que celle-ci a rejeté la demande de M. [H] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions notifiées le 16 mars 2023, Mme [W] [U] demande à la Cour de :
- réformer le jugement dans les limites de son appel,
- prononcer l'effectivité du paiement par elle à M. [H] du prix de vente de [Y] à hauteur de 3.000 euros,
- déclarer recevables ses demandes reconventionnelles concernant la chienne Snipes,
à titre principal
- prononcer l'existence d'un défaut de conformité ayant affecté [Y] et conduit à son décès prématuré,
- prononcer l'existence d'un défaut de conformité ayant affecté Snipes et conduit à son décès prématuré,
- ordonner la mise en 'uvre à son profit de la garantie légale de conformité,
à titre subsidiaire, ordonner la mise en oeuvre de la garantie légale de vices cachés,
à titre infiniment subsidiaire,
- prononcer l'existence d'un manquement par M. [H] à l'obligation générale d'information pré-contractuelle,
en tout état de cause,
- condamner M. [H] à lui verser les sommes suivantes :
3.000 euros au titre du remboursement intégral du prix de vente de la chienne [Y] ;
700 euros au titre du remboursement intégral du prix de vente de la chienne Snipes ;
738,56 euros au titre des frais médicaux engagés par elle pour [Y],
205,22 euros au titre des frais médicaux engagés par elle pour Snipes,
4.500 euros au titre du préjudice moral subi,
800 euros au titre des dommages et intérêts pour procédure abusive,
- ordonner à M. [H] la remise des documents suivants sous astreinte de 200 euros/ jour de retard, dans un délai de 15 jours suivant la signification de l'arrêt à venir, soit :
les attestations de cession pour [Y] et Snipes conformes à la vente et aux dispositions du code de la consommation,
les deux factures acquittées,
passeports européens,
certificats de naissance des animaux,
les pedigree ABKC,
les documents d'information sur les caractéristiques et besoins de l'animal,
- se réserver le pouvoir de procéder à la liquidation de l'astreinte,
- condamner M. [H] à lui verser la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile de première instance et d'appel,
- condamner M. [H] aux entiers dépens de première instance et d'appel,
- débouter M. [H] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- confirmer le jugement en ses autres dispositions.
Dans ses conclusions notifiées le 18 avril 2023, M. [H] demande à la Cour de :
- confirmer le jugement sauf en ce que celui-ci a rejeté sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [W] [U] à lui verser la somme de 2.913 euros au titre de la procédure au fond et celle de 2.400 euros au titre de la procédure d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [W] [U] aux dépens de l'instance.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 25 juin 2024.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties aux conclusions écrites susvisées.
MOTIFS DE LA DECISION :
Mme [W] [U] fait valoir que :
- en juin 2021, elle a réservé à M. [H] 2 chiennes de race American Bully, nées le 9 juin 2021, la première dénommée [Y] moyennant le prix de 3.000 euros et la seconde dénommée Snipes moyennant le prix de 700 euros ; elle avait payé à M. [H] la totalité de la somme de 3.700 euros le 6 août 2021, date à laquelle elle a récupéré les chiennes,
- Snipes et [Y] ont présenté rapidement des symptômes inquiétants de mauvaise santé et sont décédées respectivement en septembre 2021 et septembre 2022, ce qui explique ses demandes reconventionnelles.
M. [H] réplique que :
- lors d'une visite chez lui le 6 août 2021, Mme [W] [U] a eu un coup de coeur pour la chienne [Y], née le 9 juin 2021, et a insisté pour pouvoir emmener immédiatement celle-ci, ce qu'il a accepté, compte tenu des liens amicaux existant entre les parties : le prix convenu oralement entre les parties était de 3.000 euros mais aucun contrat de vente n'a été formalisé entre celles-ci,
- il a signalé le changement de détenteur de la chienne à l'I-CAD aux fins de mise à jour de la carte d'identification de l'animal mais Mme [W] [U] n'a pas réglé le prix de vente convenu entre les parties, malgré plusieurs demandes à cette fin,
- il a vendu également à la mère de Mme [W] [U] la chienne Snipes moyennant le prix de 700 euros, lequel a été réglé ; cette vente n'a aucun rapport avec le litige l'opposant à Mme [W] [U].
sur les demandes afférentes à Snipes :
Le premier juge a déclaré irrecevables les demandes relatives à la chienne Snipes, identifiée sous le numéro I-CAD 250269100289488, au motif que le contrat de vente afférent à cette chienne liait M. [H] à Mme [L] [U] et non à Mme [W] [U].
Le contrat de vente et de réservation de la chienne Snipes du 14 août 2021, produit par Mme [W] [U], mentionne Mme [L] [U] en qualité d'acquéreuse de l'animal, et un prix de vente de 700 euros.
S'il n'est signé que par M. [H], Mme [W] [U] ne justifie par aucun document écrit de sa qualité d'acquéreuse de la chienne Snipes. En outre, elle n'établit pas avoir payé personnellement le prix de vente de cet animal, étant observé que dans une attestation datée du 10 mars 2023, Mme [L] [U] témoigne s'être rendue chez M. [H] le 6 août 2021 avec Mme [W] [U], sa fille, afin de donner la somme de 700 euros en paiement du prix de Snipes. Enfin, il ressort d'un SMS adressé le 12 août 2021 par M. [H] à Mme [W] [U] qu'il a arrangé celle-ci quant au prix de vente de la chienne de sa mère et a convenu avec Mme [W] [U] d'un prix de vente pour la chienne [Y] inférieur au prix initialement prévu.
Compte tenu de ces éléments, Mme [W] [U] n'établit pas que le contrat de vente de Snipes a été conclu avec elle et par voie de conséquence sa qualité à agir quant à cet animal.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de Mme [W] [U] relatives à la chienne Snipes.
sur les demandes afférentes à [Y] :
Les parties sont d'accord pour reconnaître que :
- M. [H] a vendu à Mme [W] [U] la chienne [Y] moyennant le prix de 3.000 euros,
- l'animal considéré a été livré le 6 août 2021 et est décédé le 20 septembre 2022,
- Mme [W] [U] a acquis l'animal à titre personnel et non dans le cadre de son activité professionnelle d'éleveuse canine.
En l'absence de preuve que les parties ont convenu de la vente de [Y] moyennant le prix de 3.000 euros avant le 6 août 2021, il convient de fixer à cette date le contrat de vente conclu entre les parties.
Les dispositions du code rural, du code de la consommation et du code civil cités ci-après s'entendent donc dans leur rédaction applicable au 6 août 2021.
quant au paiement par l'acquéreuse du prix de vente :
Les SMS échangés entre les parties d'août à novembre 2021 sont peu compréhensibles, étant rédigés en termes abrégés et parfois grossiers. Néanmoins, ils montrent que :
- le 13 août 2021, M. [H] a proposé à Mme [W] [U] de la rembourser et de reprendre les chiennes si elles étaient malades puis lui a demandé début septembre 2021 le reste du paiement pour pouvoir établir les factures et délivrer le pedigree de [Y],
- Mme [W] [U] après avoir demandé le 12 août 2021combien elle devait pour 'les filles' a eu confirmation par M. [H] de ce que le prix de vente de [Y] était de 3.000 euros au lieu de 4.000 euros et a indiqué le 7 septembre 2021 à M. [H] qu'il aurait son paiement.
Dès lors, la proposition de remboursement faite par M. [H] pouvant concerner uniquement le prix de vente de Snipes réglé le 6 août 2021, les SMS émanant de M. [H] ne sont pas suffisants pour rendre vraisemblable le paiement allégué par Mme [W] [U] et ne sont pas constitutifs d'un commencement de preuve par écrit.
Mme [L] [U] témoigne certes s'être rendue avec Mme [W] [U] chez M. [H] à plusieurs reprises en juin et juillet 2021 afin de régler le prix de [Y] en espèces et Mme [W] [U] justifie avoir vendu en juillet 2021 plusieurs chiens dans le cadre de son activité professionnelle moyennant le prix total de 5.260 euros.
Néanmoins, à défaut de commencement de preuve par écrit, ces éléments ne sont pas suffisants pour établir le paiement allégué par Mme [W] [U] et c'est à juste titre que le premier juge a considéré que l'acquéreuse n'avait pas payé le prix de vente litigieux.
quant au respect par le vendeur de ses obligations:
Mme [W] [U] sollicitant à titre reconventionnel le remboursement du prix de vente de [Y] en raison des manquements du vendeur, elle demande implicitement la résolution du contrat de vente aux torts de M. [H]. Aussi, ses demandes sont recevables, même si elle n'a pas payé le prix de vente de [Y].
Suivant certificat vétérinaire obligatoire avant cession établi le 5 août 2021 par le docteure [S] [N], vétérinaire à [Localité 6] (01), [Y] était en bon état de santé général.
Mme [W] [U] fait valoir que :
- [Y] a présenté dès sa première visite chez le vétérinaire des quintes de toux importantes nécessitant la mise en place d'un traitement et souffrait aussi de tremblements ainsi que d'épilepsie,
- [Y] étant décédée le 20 septembre 2022, un examen médical effectué la veille a révélé que la chienne était atteinte d'une dysplasie coxo-fémorale,
- les problèmes de santé de [Y] existaient antérieurement à la vente.
Un certificat rédigé le 23 septembre 2021 par le docteur [M] de la clinique vétérinaire de [Localité 9] (01) mentionne que depuis 1 mois et 15 jours, [Y] présente des quintes de toux, un traitement antibiotique et antiinflammatoire ayant été mis en place il y a un mois. Il ajoute que deux autres chiens présentent les mêmes symptômes, que le jour de l'examen, [Y] a toujours des épisodes de toux et qu'après auscultation pulmonaire révélant une augmentation des bruits pulmonaires, il est nécessaire de mettre en place un nouveau traitement.
Par ailleurs, des ordonnances ou factures émises du 9 août 2021 au 5 janvier 2022 par la clinique vétérinaire de [Localité 9] font état de traitements administrés à [Y].
Enfin, un compte rendu de dépistage de dysplasie coxo-fémorale établi le 19 septembre 2022 par le docteur [O] [V] de la clinique vétérinaire du [5] à [Localité 7] (71) fait apparaître que [Y] était atteinte d'une dysplasie légère à droite et d'une dysplasie importante à gauche.
Aux termes de l'article L.213-1 du code rural, l'action en garantie, dans les ventes ou échanges d'animaux domestiques est régie, à défaut de conventions contraires, par les dispositions des articles L.213-1 à L.213-9 du code rural, sans préjudice ni de l'application des articles L. 217-1 à L. 217-6, L. 217-8 à L. 217-15, L. 241-5 et L. 232-2 du code de la consommation ni des dommages et intérêts qui peuvent être dus, s'il y a dol ; la présomption prévue à l'article L. 217-7 du code de la consommation n'est pas applicable aux ventes ou échanges d'animaux domestiques.
L'article L.217-4 du code de la consommation dispose que le vendeur livre un bien conforme au contrat et répond des défauts de conformité existant lors de la délivrance.
Il résulte du certificat médical du 23 septembre 2021 que les quintes de toux de [Y] ont débuté vers le 8 août 2021, de telle sorte qu'il n'est pas démontré qu'elles étaient antérieures à la vente. Par ailleurs, Mme [W] [U] ne prouve par aucune pièce que la dysplasie coxo-fémorale dont [Y] était atteinte existait antérieurement à la vente, peu important le caractère héréditaire ou non de cette maladie. Enfin, les documents médicaux susvisés ne font pas état des tremblements et de l'épilepsie allégués par Mme [W] [U].
Mme [W] [U] ne démontre donc pas que M. [H] a manqué à son obligation légale de conformité lors de la vente ni par voie de conséquence à une obligation d'information quant à l'état de santé de la chienne [Y].
La dysplasie coxofémorale fait partie des vices rédhibitoires pour l'espèce canine donnant seuls ouverture aux actions résultant des articles 1641 à 1649 du code civil dans le cadre d'une vente d'animal domestique en application des articles L.213-2, L.213-3, R.213-2 du code rural. Ce vice a été découvert le 19 septembre 2022 et [Y], euthanasiée puis incinérée le lendemain aux termes d'une facture de la clinique vétérinaire du [5] du 20 septembre 2022. Mme [W] [U] n'ayant pas fait procéder à la désignation d'un expert pour vérifier l'état de l'animal avant l'incinération de celui-ci, elle est irrecevable à agir sur le fondement de l'action en garantie des vices cachés en application des articles R.213-3 et R.213-5 du code rural.
quant à la résolution de la vente :
En l'absence de garantie due par le vendeur en application des dispositions du code de la consommation ou du code rural ainsi que de manquement du vendeur à son obligation d'information précontractuelle, le jugement sera confirmé en ce qu'il a prononcé la résolution de la vente pour défaut du paiement du prix par Mme [W] [U].
Les parties devant être remises dans l'état où elles se trouvaient avant la vente, il lui incombe de procéder à la restitution en valeur de la chienne [Y], soit la somme de 3.000 euros. Mme [W] [U] sera déboutée de sa demande en remboursement du prix, à défaut d'avoir réglé celui-ci ainsi que de ses demandes en paiement de la somme de 738,56 euros au titre des frais vétérinaires engagés pour [Y] ainsi que de la somme de 4.500 euros en réparation de son préjudice moral. Le jugement sera confirmé de ces chefs, sauf à rectifier l'omission matérielle dont son dispositif est affecté. En effet, si dans les motifs du jugement, le premier juge a dit qu'aucune restitution ne pouvait être mise à la charge du vendeur en l'absence de versement effectif du prix par l'acquéreur, il a omis de rejeter la demande en remboursement du prix de vente de Mme [W] [U] dans le dispositif.
Le contrat de vente ayant été anéanti rétroactivement, le jugement sera également confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de Mme [W] [U] afin de remise par M. [H] de divers documents afférents à [Y].
sur les autres demandes :
Mme [W] [U] perd dans le cadre du litige l'opposant à M. [H]. Aussi, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Compte tenu de la nature du litige, le jugement sera confirmé quant aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile. Mme [W] [U] qui n'obtient pas gain de cause dans le cadre du présent recours, sera condamnée aux dépens d'appel et conservera la charge de ses frais irrépétibles. Elle sera condamnée à payer à M. [H] la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Y AJOUTANT afin de rectifier l'omission matérielle l'affectant :
Rejette la demande de Mme [W] [U] afin de remboursement intégral de la somme de 3.000 euros au titre du prix de vente de [Y] ;
Condamne Mme [W] [U] aux dépens d'appel ;
Condamne Mme [W] [U] à payer à M. [H] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.