CA Douai, 8e ch. sect. 1, 17 octobre 2024, n° 23/01051
DOUAI
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France (SCCV)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Benhamou
Vice-président :
M. Vitse
Conseiller :
Mme Ménegaire
Avocat :
Me Wibault
EXPOSE DU LITIGE
La Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France, ci-après 'le Crédit agricole' a consenti à M. [U] [T] et Mme [D] [O] épouse [T] un prêt immobilier en date du 16 janvier 2018, d'un montant de 157'786 euros, au taux conventionnel de 1,90 %,pour une durée de 300 mois, destiné à l'acquisition de leur résidence principale sise à [Localité 7].
Au jour de la conclusion de ce prêt, M. [T] était inscrit au répertoire des métiers pour une activité de 'carrelage et couverture', depuis le 14 mars 2016.
Suivant jugement du 21 septembre 2020, le tribunal de commerce de Valenciennes a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de M. [T], et a désigné Me [N] [G] en qualité de liquidateur judiciaire.
Le Crédit agricole a déclaré sa créance le 4 novembre 2020 pour un montant de 166'764,28 euros outre intérêts.
Après avoir mis en demeure Mme [O] de payer les échéances impayées par courrier recommandé avec accusé de réception du 10 décembre 2020, la banque a prononcé la déchéance du terme du contrat de crédit et mis en demeure l'emprunteur de payer la somme totale de 156'746,25 euros par courrier recommandé avec accusé de réception du 8 janvier 2021, reçu le 15 janvier suivant.
Par requête du 2 mars 2021, le Crédit agricole a saisi le juge de l'exécution près le tribunal judiciaire de Valenciennes afin d'être autorisé à régulariser une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire sur l'immeuble sis commune d'[Localité 7], cadastré section [Cadastre 5], et y a été autorisé suivant ordonnance du 23 mars 2021.
Par acte d'huissier de justice du 16 avril 2021, le Crédit agricole a assigné M. [T] et Mme [O] afin de voir :
- condamner Mme [O] épouse [T] au paiement de la somme de 168'058,76 euros suivant décompte provisoire arrêté au 17 février 2021, outre intérêts postérieurs au taux contractuel de 1,90 %,
- ordonner la capitalisation des intérêts dus pour une année entière,
- constater à l'égard de M. [T] l'existence, le montant et l'exigibilité de sa créance, soit la somme de 168'058,76 euros suivant décompte provisoire arrêté au 17 février 2021, outre intérêts postérieurs au taux contractuel de 1,90 %,
- dire et juger que le présent jugement ne pourra permettre au Crédit agricole dans ses rapports avec M. [T] qu'à régulariser une inscription d'hypothèque judiciaire définitive et subséquemment engager des mesures d'exécution sur la résidence principale de M. [T] et Mme [O] sise commune d'[Localité 7], cadastrée section [Cadastre 5],
- condamner Mme [O] au paiement de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'au paiement des entiers frais et dépens.
Suivant jugement avant-dire droit en date du 6 octobre 2022, le tribunal judiciaire de Valenciennes a :
- constaté l'interruption de l'instance au 16 avril 2021, compte tenu de la liquidation judiciaire dont M. [T] fait l'objet par application de l'article L.622-22 du code de commerce,
- invité la concluante a assigner en reprise d'instance de liquidateur judiciaire de M. [T],
- renvoyé l'affaire à l'audience du 1er décembre 2022.
Suivant jugement contradictoire en date du 9 février 2023, le tribunal judiciaire de Valenciennes a :
- déclaré les demandes de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France formée à l'encontre de M. [T] irrecevables,
- condamné Mme [O] épouse [T] à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France la somme de 156'746,25 euros, somme qui portera intérêts au taux contractuel de 1,9 % à compter du 17 février 2021 et ce jusqu'à parfait paiement,
- ordonné la capitalisation des intérêts,
- condamné Mme [O] épouse [T] à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France la somme de 1200 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [O] épouse [T] aux dépens,
- rappelé que le présent jugement est exécutoire de droit.
Par déclaration reçue par le greffe de la cour le 2 mars 2023, le Crédit agricole a relevé appel de ce jugement en précisant limiter son appel aux dispositions qui ont déclaré ses demandes formées à l'encontre de M. [T] irrecevables et condamné Mme [O] épouse [T] à lui payer la somme de 156'747,25, somme qui portera intérêts au taux contractuel de 156'747,25, somme qui portera intérêts au taux contractuel de 1,9 % à compter du 17 février 2021. La banque a signifié sa déclaration d'appel par actes d'huissier de justice délivré le 14 avril 2023 à personne à M. [T] et à domicile à Mme [O].
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 24 mai 2023, l'appelante demande à la cour de :
Vu notamment les dispositions de l'article 1103 du code civil,
vu les dispositions des articles L.526-1, L.622-21, L.622-22 et L.641-9 du code de commerce, vu les dispositions de l'article R.511-17 du code des procédures civiles d'exécution,
- confirmer partiellement le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Valenciennes au titre des chefs de dispositif ci-après :
- ordonne la capitalisation des intérêts,
- condamne Mme [O] épouse [T] à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France la somme de 1200 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamne Mme [O] épouse [T] aux dépens,
- infirmer partiellement le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Valenciennes au titre des chefs de dispositif ci-après :
- déclare les demandes de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France formées à l'encontre de M. [T] irrecevables,
- condamne Mme [O] épouse [T] à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France la somme de 156'746,25 euros, somme qui portera intérêts au taux contractuel de 1,9 % à compter du 17 février 2021 et ce jusqu'à parfait paiement,
statuant à nouveau,
- constater et au besoin fixer à l'égard de M. [T] l'existence, le montant et l'exigibilité de la créance de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France, soit la somme de 168'058,76 euros, suivant décompte provisoire arrêté au 17 février 2021, outre intérêts postérieurs au taux contractuel de 1,90 % jusqu'à la date effective de règlement,
- rappeler que l'arrêt à intervenir ne pourra permettre à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France, dans ses rapports avec M. [T], qu'à régulariser une inscription d'hypothèque judiciaire définitive et subséquemment, d'engager des mesures d'exécution sur la résidence principale de M. [T] sise commune d'[Localité 7], cadastrée section [Cadastre 5],
- condamner Mme [O] au paiement de la somme de 168'058,76 euros, suivant décompte provisoirement arrêté au 17 février 2021, outre intérêts postérieurs au taux contractuel de 1,90 % jusqu'à la date effective de règlement,
- condamner Mme [O] au paiement de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [O] au paiement des entiers frais et dépens engagés dans le cadre de la présente instance.
M. [T] et Mme [O] n'ont pas constitué avocat, ni conclu.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux écritures du Crédit agricole pour l'exposé de ses moyens.
La clôture de l'affaire a été rendue le 29 mai 2024 et l'affaire plaidée à l'audience de la cour du 12 juin 2024.
MOTIFS
Sur la recevabilité des demandes formées contre M. [T]
Le Crédit agricole fait grief au premier juge de l'avoir déclaré irrecevable en ses demandes formées contre M. [T] au motif erroné qu'il n'a pas fait intervenir à la cause le liquidateur judiciaire de M. [T], contrairement aux dispositions de l'article L.622-22 du code de commerce.
Au visa de l'article L.526-1 du code de commerce, le Crédit agricole fait valoir qu'étant un créancier dont la créance n'est pas liée à l'activité professionnelle de M. [T], l'insaisissabilité de la résidence du débiteur lui est inopposable. Dans ce cas, il rappelle que la Cour de cassation reconnaît au créancier le droit d'obtenir un titre exécutoire contre son débiteur en liquidation judiciaire par une action tendant à voir constater l'existence, le montant et l'exigibilité de la créance, afin d'exercer ses droits et d'inscrire une hypothèque définitive sur la résidence principale de ce dernier, et ce, sans avoir à mettre en cause le liquidateur judiciaire.
Suivant l'article L.526-1 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 applicable au litige :
'Par dérogation aux articles 2284 et 2285 du code civil, les droits d'une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante sur l'immeuble où est fixée sa résidence principale sont de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l'occasion de l'activité professionnelle de la personne. Lorsque la résidence principale est utilisée en partie pour un usage professionnel, la partie non utilisée pour un usage professionnel est de droit insaisissable, sans qu'un état descriptif de division soit nécessaire. La domiciliation de la personne dans son local d'habitation en application de l'article L. 123-10 du présent code ne fait pas obstacle à ce que ce local soit de droit insaisissable, sans qu'un état descriptif de division soit nécessaire (...)'
A contrario, l'insaisissabilité de la résidence du débiteur en liquidation judiciaire est inopposable aux créanciers non-professionnels dont la créance n'a pas été générée dans le cadre de l'exploitation de l'activité du débiteur.
En l'espèce, le Crédit agricole qui a consenti un prêt aux époux [T] pour l'acquisition de leur résidence principale n'est pas un créancier professionnel mais un créancier personnel de M. [T], en sorte que l'insaisissabilité de la résidence du débiteur lui est inopposable.
Or, il est constant que le créancier auquel l'insaisissabilité est inopposable, bénéficie, indépendamment de ses droit dans la procédure collective de son débiteur, d'un droit de poursuite sur l'immeuble, qu'il doit être en mesure d'exercer en obtenant, s'il n'en détient pas un auparavant, un titre exécutoire par une action contre le débiteur tendant à voir constater l'existence, le montant et l'exigibilité de sa créance. (Cass Com 13 septembre 2017 , n° 16-10.206)
En l'absence de dessaisissement du débiteur quant à l'exercice de ses droits portant sur la résidence principale et dès lors que le créancier personnel agit en dehors du cadre de la liquidation judiciaire, la résidence principale étant exclue du cadre de la procédure collective, les dispositions des articles L.622-22 et L.641-9 du code de commerce ne sauraient trouver à s'appliquer, s'agissant d'une action tendant seulement à obtenir un titre exécutoire constatant l'existence, le montant et l'exigibilité de la créance, et non d'une action en paiement.
Dès lors, le Crédit agricole est parfaitement recevable à agir contre M. [T], sans la présence de son liquidateur à la procédure, afin de voir constater l'existence, le montant et l'exigibilité de sa créance à l'égard de ce dernier, afin de lui permettre subséquemment de régulariser une hypothèque définitive sur la résidence principale de M. [T] et Mme [O] sis commune d'[Localité 7], cadastrée section [Cadastre 5].
Le jugement sera en conséquence réformé en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes formées par la banque contre M. [T].
Sur le montant de la créance du Crédit agricole
L'article L.313-51 du code de la consommation dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°2016-351 du 25 mars 2016 applicable à compter du 1er juillet 2016 'Lorsque le prêteur est amené à demander la résolution du contrat, il peut exiger le remboursement immédiat du capital restant dû, ainsi que le paiement des intérêts échus. Jusqu'à la date du règlement effectif, les sommes restant dues produisent des intérêts de retard à un taux égal à celui du prêt.
En outre, le prêteur peut demander à l'emprunteur défaillant une indemnité qui, sans préjudice de l'application des articles 1152 et 1231 du code civil, ne peut excéder un montant qui, dépendant de la durée restant à courir du contrat, est fixé suivant un barème déterminé par décret.'
Le contrat de crédit stipule à l'article 'Défaillance de l'emprunteur avec déchéance du terme' que 'En cas de déchéance du terme, le prêteur pourra exiger le remboursement immédiat du capital restant dû majoré des intérêts échus mais non payés. Jusqu'à la date de règlement effectif, les sommes restant dues produiront intérêts de retard à un taux égal à celui du prêt. En outre une indemnité égale à 7 % des sommes dues (un capital et en intérêts échus) sera demandée par le prêteur l'emprunteur. Aucune autre somme que celles mentionnées dans les deux cas ci-dessus ne pourra être réclamée par le prêteur à l'emprunteur à l'exception cependant des frais taxables entraînés par cette défaillance.'
Le premier juge n'a pas comptabilisé l'indemnité contractuelle de résiliation d'un montant de 10 988,26 euros, alors qu'elle est manifestement due en application des dispositions précitées.
Dès lors, au regard des pièces produites aux débats, notamment de l'offre de prêt immobilier, du tableau d'amortissement, des lettres de mise en demeure et de déchéance du terme, du décompte de créance arrêté au 17 février 2021, la créance de la banque s'établit comme suit :
- Principal : 155 722,97 euros,
- intérêts au 08/01/2021 : 1 005,91 euros,
- intérêts du 08/01/2021 au 17/02/2021 324,25 euros,
- indemnité forfaitaire : 10 988,26 euros,
total : 168 041,39 euros
Il n'y a pas lieu de tenir compte de la somme de 17,37 au titre 'des intérêts de retard au 08/01/2021", la somme de 1 005,01 euros étant déjà comptabilisée à ce titre sur la ligne précédente du décompte.
Dès lors, réformant le jugement, Mme [O] est condamnée à payer au Crédit agricole la somme de 168 041,39 euros, outre intérêts au taux contractuel de
1,90 % à compter du 17 février 2021, jusqu'à parfait paiement.
Al'égard de M. [T], il y a de lieu de constater l'existence, le montant et l'exigibilité de la créance du Crédit agricole à hauteur de la somme de
168 041,39 euros, outre intérêts au taux contractuel de 1,90 % à compter du 17 février 2021, jusqu'à parfait paiement.
Il est rappelé que l'arrêt à intervenir ne pourra permettre au Crédit agricole, dans ses rapports avec M. [T], qu'à régulariser une inscription d'hypothèque judiciaire définitive et subséquemment d'engager des mesures d'exécution sur la résidence principale de M. [T] et Mme [O] sise commune d'[Localité 7], cadastrée section [Cadastre 5].
Sur les demandes accessoires
Les motifs du premier juge méritant d'être adoptés, le jugement est confirmé en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Mme [O], qui succombe, est condamnée aux dépens d'appel en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.
En équité, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France sera déboutée de sa demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par défaut ;
Réforme le jugement entrepris, sauf en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau ;
Déclare recevable l'action de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France à l'égard de M. [U] [T] ;
Condamne Mme [D] [O] épouse [T] à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France la somme de 168 041,39 euros, outre intérêts au taux contractuel de 1,90 % à compter du 17 février 2021, jusqu'à parfait paiement ;
Constate à l'égard de M. [U] [T] l'existence, le montant et l'exigibilité de la créance de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France à hauteur de la somme de 168 041,39 euros, outre intérêts au taux contractuel de 1,90 % à compter du 17 février 2021, jusqu'à parfait paiement ;
Dit que l'arrêt à intervenir ne pourra permettre à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France dans ses rapports avec M. [U] [T], qu'à régulariser une inscription d'hypothèque judiciaire définitive et subséquemment d'engager des mesures d'exécution sur la résidence principale de M. [U] [T] et Mme [D] [O] épouse [T] sise commune d'[Localité 7], cadastrée section [Cadastre 5] ;
Rejette la demande de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [D] [O] épouse [T] aux dépens d'appel.