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Décisions

CA Dijon, 2e ch. civ., 17 octobre 2024, n° 24/00433

DIJON

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Thévenin Ducrot Distribution (SAS)

Défendeur :

Thevenin Ducrot Distribution (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Blanchard

Conseillers :

Mme Charbonnier, Mme Kuentz

Avocats :

Me Cuisinier, Me Cannet

TJ Dijon, du 15 mars 2024, n° 23/00469

15 mars 2024

FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par acte sous seing privé daté des 23 septembre et 30 novembre 1949, Mme [R] a donné à bail à la société anonyme SO FO GA une propriété située à [Adresse 12], et comprenant une maison d'habitation de plusieurs pièces, remises, hangars, pour une durée de 30 années entières et consécutives.

Le contrat comportait la particularité d'autoriser le preneur à bail à supprimer entièrement les constructions à condition d'élever un premier bâtiment comprenant magasin et bureaux, un second servant de hall et un troisième consistant en un hangar sur le quai.

Ce bail a fait l'objet de renouvellements successifs.

La société SHELL, ayant succédé à la société SO FO GA, a cédé son fonds de commerce, suivant acte du 24 novembre 2010, au profit de la société Thevenin Ducrot Distribution.

Le fonds de commerce a fait l'objet d'un contrat de location-gérance auprès de la société [C] qui exploite une station service sous l'enseigne Avia et un garage sous l'enseigne Midas.

La cession de fonds portait également sur le droit au bail consenti par le bailleur, l'indivision [R], pour une durée de neuf ans jusqu'au 30 juin 2007 et tacitement prolongé.

En mai 2021, le locataire gérant a fait part à la société Thevenin Ducrot Distribution de problème d'inflitrations, laquelle a fait procéder à des travaux d'étanchéité d'une partie de la toiture au droit de la station-service par bitumage.

Par actes extra-judiciaire des 31 août, 2 et 3 septembre 2021, la société Thevenin Ducrot Distribution a sollicité de l'indivision [R], le bailleur, le renouvellement du bail pour une durée de 9 années consécutives à compter du 1er octobre 2021.

Faute de réponse du bailleur dans le délai de trois mois, le bail s'est trouvé renouvelé.

S'est ouverte une négociation sur le montant du bail renouvelé.

Se plaignant de nouvelles infiltrations, malgré les travaux entrepris courant 2021, par acte du 24 août 2023, la société Thevenin Ducrot Distribution a assigné Mmes et MM. [B], [E], [G] et [I] [R] en référé devant le tribunal judiciaire de Dijon aux fins de voir juger notamment, au visa de l'article 835 du code de procédure civile, que la vétusté de la toiture et les infiltrations qui en résultent constituent, d'une part, un risque de dommage imminent pour le preneur et pour les tiers et, d'autre part, un trouble manifestement illicite pour le preneur dans la jouissance du bien loué et aux fins de voir ordonner aux consorts [R], ès-qualité de bailleurs, de faire procéder aux travaux de réfection de l'entière toiture.

Par ordonnance du 15 mars 2024, le juge des référés a, au visa de l'article 835 du code de procédure civile :

- dit n' y avoir lieu à référé.

en conséquence,

- débouté la société Thevenin Ducrot Distribution de l'ensemble de ses demandes,

- condamné la société Thevenin Ducrot Distribution à payer à Mmes et MM. [B], [E], [G] et [I] [R], à chacun, la somme de 500 euros (soit un total de 2 000 euros), au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Thevenin Ducrot Distribution aux entiers dépens.

Par déclaration du 25 mars 2024, la société Thevenin Ducrot Distribution a relevé appel de cette ordonnance.

Aux termes du dispositif de ses conclusions d'appelante notifiées le 26 juin 2024, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens développés au soutien des prétentions, la société Thevenin Ducrot Distribution demande à la cour, au visa des articles 835 du code de procédure civile, R. 145-35 du code de commerce et 606 du code civil, de :

- infirmer l'ordonnance rendue le 15 mars 2024 par le président du tribunal judiciaire de Dijon statuant en référé en ce que la décision :

a dit n'y avoir lieu à référé,

l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes,

l'a condamnée à payer à Mmes et MM. [B], [E], [G] et [I] [R], à chacun la somme de 500 euros (soit un total de 2 000 euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

l'a condamnée aux entiers dépens.

statuant à nouveau,

- juger que la vétusté de la toiture et les infiltrations qui en résultent constituent un risque de dommage imminent pour le preneur ainsi que les tiers,

- juger que la vétusté de la toiture et les infiltrations qui en résultent constituent un trouble manifestement illicite pour le preneur dans la jouissance du bien loué,

En conséquence,

- ordonner aux consorts [R] - Mme [B] [A] [X] [R], Mme [E] [A] [T] [R], M. [G] [L] [N] [U] [R] et M. [I] [V] [D] [M] [R], ès-qualité de bailleurs, de faire procéder aux travaux de réfection de la toiture qui s'imposent dans un délai de 3 mois à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir et ce sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard passé ledit délai ;

- condamner solidairement Mme [B] [A] [X] [R], Mme [E] [A] [T] [R], M. [G] [L] [N] [U] [R], et M. [I] [V] [D] [M] [R] à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens de l'instance.

Aux termes du dispositif de leurs conclusions d'intimés notifiées le 28 juin 2024, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens développés au soutien des prétentions, les consorts [R] demandent à la cour, au visa de l'article 835 du code de procédure civile, de :

- confirmer l'ordonnance de référé en ce qu'elle a :

dit n'y avoir lieu à référé,

condamné la société Thevenin Ducrot Distribution à payer à chacun d'eux une somme de 500 euros, soit une somme totale de 2 000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné la société Thevenin Ducrot Distribution aux entiers dépens.

y ajoutant,

- à titre subsidiaire, débouter la société Thevenin Ducrot Distribution de l'ensemble de ses demandes,

en tout état de cause :

- condamner la société Thevenin Ducrot Distribution à leur verser, à chacun, une somme supplémentaire en voie d'appel de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Thevenin Ducrot Distribution aux entiers dépens d'appel.

SUR CE, LA COUR

Invoquant des infiltrations par le toit qu'elle impute à la vétusté de la toiture, la société appelante, qui conclut à l'infirmation de l'ordonnance déférée, demande à la cour, sur le fondement de l'article 835 alinéa 1er du code de procédure civile, d'ordonner aux bailleurs de faire procéder aux travaux de réfection de la toiture qui s'imposent.

Les bailleurs intimés s'y opposent soutenant que les conditions de l'article 835 du code de procédure civile ne sont pas remplies.

Selon l'article 835 alinéa 1er du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Ces dispositions dispensent de débattre sur l'existence d'une contestation sérieuse et sur l'absence d'urgence.

Comme l'a rappelé le premier juge, le dommage immiment s'entend du dommage (imputable à un acte du défendeur) qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira si la situation présente doit se perpétuer.

Le trouble manifestement illicite découle de toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit.

La société Thevenin Ducrot Distribution prétend qu'il existe un dommage imminent caractérisé par :

- le risque d'infiltrations d'eau au niveau du tableau électrique, des câbles et prises électriques,

- le fait que la toiture menacerait de s'effondrer.

Le débat porte donc, dans un premier temps, sur la persistance ou non des infiltrations alléguées, la cause de ces dernières (vétusté de la toiture ou défaut d'entretien) dont dépent leur imputabilité et l'existence d'un dommage imminent en découlant.

En l'espèce, il est constant que le contrat initial conclu en 1949 prévoyait que le preneur supporterait à ses frais toutes les réparations de quelque nature qu'elles soient, grosses ou menues, qui pourraient devenir nécessaires à l'immeuble loué, même celles afférentes à la toiture et aux gros murs.

Toutefois, le bail initial étant arrivé à son terme, les constructions sont devenues par accession, la propriété du bailleur, conformément aux dispositions de l'article 555 du code de procédure civile.

Le bail commercial s'étant encore renouvelé le 30 juin 2007 jusqu'au 30 juin 2016, il est soumis depuis cette date à la loi Pinel dont le décret d'application 2014-1317 du 3 novembre 2014 est à l'origine de l'article R145-35 du code de commerce qui dispose que ne peuvent être imputées au locataire notamment les dépenses relatives aux grosses réparations mentionnées à l'article 606 du code civil ainsi que, le cas échéant, les honoraires liés à la réalisation de ces travaux, dont notamment les travaux de couverture.

Les bailleurs ne contestent pas que la couverture du local loué est ancienne mais soutiennent qu'elle n'est pas à refaire intégralement et qu'il n'existe pas de dommage imminent.

Deux parties de la toiture sont à distinguer :

- zone 1 : toiture fibrociment et verrière,

- zone 2 : toiture en tuiles mécaniques.

La zone 1 est exploitée par le sous-locataire sous l'enseigne Midas et la zone 2 constitue pour le même sous-locataire une zone de stockage.

Les procès verbaux de constat dressés les 23 août et 20 octobre 2023 permettent de vérifier que :

- au fond du local Midas, dans l'espace destiné au stationnement des véhicules, plusieurs pannes sur lesquelles reposent les tuiles sont rongées et pourries à leur extrêmité, notamment une rive en bois est en très mauvais état général,

le sol de cet espace comporte de nombreuses flaques d'eau,

- au dessus de la descente de garage, les plaques de fibrociments sont tâchées et affectées par des résurgences de salpêtre,

- dans le local bureau, à proximité du mur des dalles sont tâchées,

- dans le local destiné à l'accueil de la clientèle, des dalles sont tâchées au niveau du faux plafond, deux plaques sont détrempées, à l'aplomb, le mur est affecté par des coulures qui sont encore humides au toucher,

- le dessus du placard, renfermant le compteur et les disjoncteurs de l'installation électrique, est mouillé, le mur est trempé de sorte que de l'eau se répand sur les éléments de l'installation électrique,

- dans le sanitaire servant au personnel, le plafond est en partie affaissé, il est trempé, il y a du salpêtre, au sol, il y a une importante quantité d'eau stagnante.

Il est établi, par suite, qu'à l'initiative des bailleurs, la société Bourneaud, couvreur, est intervenue le 18 décembre 2023 et a constaté que le tuyau de descente d'eau pluviale de la gouttière de la propriété voisine était déboité, zone située au droit de l'infiltration constatée dans le local Midas au dessus de l'armoire électrique.

Cette entreprise a conclu que l'eau de la gouttière de la propriété voisine avait ruisselé sur le mur et constituait la cause de l'infiltration.

Elle a estimé que la toiture ne présentait pas de défaut majeur, que l'accumulation de mousse était raisonnable et n'était pas de nature à provoquer des désordres à court terme.

Si le tuyau de descente d'eau pluviale a été effectivement repris par l'entreprise Bourneaud, il a été néanmoins constaté selon procès verbal de constat du 21 mai 2024, que :

- le mur en béton au droit de l'armoire renfermant les tableaux électriques dans le local d'accueil Midas est très humide au toucher,

- les éléments de l'installation électrique, notamment le compteur linky et le tableau, sont recouverts de traces de ravinage et de petits morceaux de gravats,

- le bas du placard est trempé,

- un carton sous le tableau électrique est trempé,

- l'étagère sous le tableau électrique est mouillée,

- des plaques en plafond sont trempées,

- à l'amplomb des vitrines côté garage sont entreposées des batteries neuves qui reposent dans l'eau,

- dans l'atelier devant le rideau permettant l'accès au volume arrière, il y a une importante quantité d'eau stagnante,

- le local vestiaire est inondé,

- dans le deuxième atelier, sont constatées d'importantes flaques d'eau stagnante, ainsi que dans l'espace réserve situé entre les deux ateliers,

- dans la station service, les plaques en plafond sont tachées, une plaque étant gorgée d'eau.

S'il n'est pas contestable que la ville de [Localité 11] a connu un orage de grêle spectaculaire le 20 mai 2024 ayant entraîné de nombreux dégâts notamment dans les commerces, la cour observe que les infiltrations que le preneur subit encore apparaissent toujours aux mêmes endroits ce qui démontre que la toiture n'assure pas l'étanchéité du bâtiment au moins partiellement.

Or, il ne peut être valablement soutenu que des infiltrations régulières au droit du compteur électrique ne font peser aucun risque sur les personnes travaillant ou se rendant dans le local litigieux alors que Mme [C], sous locataire, indiquait par courriel du 10 mai 2021, soit avant les travaux effectués par le preneur, que son mari avait subi un arc électrique violent, (fort heureusement sans gravité).

Par ailleurs, alors que la gouttière de la toiture voisine a été réemboitée par l'entreprise Bourneaud, celle-ci ne peut plus être la cause des dernières infiltrations.

De même, si l'entreprise Bourneaud a constaté, en décembre 2023 la présence de feuilles mortes en quantité importante dans le fond du chéneau, pour autant elle a considéré que les infiltrations avaient été causées par la gouttière voisine et que la toiture ne présentait pas de défaut majeur tandis que la mousse présente sur le toit n'était pas de nature à provoquer des désordres ce dont il résulte qu'il n'a pas été relevé de défaut d'entretien imputable au preneur.

La présence de végétation (lierre dans certaines gouttières et arbustes) concerne la zone 2 constituée par la toiture en tuiles mécaniques.

Au demeurant, le mauvais état de la toiture, qui est constituée sur la zone 1 de plaques de fibrociment renfermant de l'amiante, a été mis en évidence à la fois par les procès verbaux de constat susvisés mais encore par le rapport de la société SMAC du 5 janvier 2023 qui évoque un défaut d'étanchéité.

Aussi, si le risque d'effondrement imminent de la toiture (en zone 1 et 2) n'est pas démontré, l'existence d'un dommage imminent est suffisamment établie au regard des risques d'électrocution que les infiltrations successives sur le tableau électrique du local Midas font courir au personnel et aux clients fréquentant les lieux.

En conséquence, il y a lieu, par infirmation de l'ordonnance déférée, d'ordonner aux bailleurs de faire vérifier l'étanchéité de la couverture au droit du local d'accueil Midas et de faire réaliser les travaux nécessaires permettant d'assurer l'étanchéité de la toiture, dans un délai de trois mois suivant la signification du présent arrêt et, passé ce délai, sous astreinte de 100 euros par jour de retard pendant une période de trois mois.

Il n'y a pas lieu, dans ces conditions, de vérifier l'existence d'un trouble manifestement illicite.

Les consorts [R], parties succombantes, sont condamnés aux dépens de première instance et d'appel.

Tenus aux dépens, ils sont condamnés à payer à la société Thevenin Ducrot Distribution une indemnité de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme l'ordonnance déférée dans toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Ordonne à Mme [B] [A] [X] [R], Mme [E] [A] [T] [R], M. [G] [L] [N] [U] [R] et M. [I] [V] [D] [M] [R], bailleurs, de faire vérifier l'étanchéité de la couverture au droit du local d'accueil Midas et de faire réaliser les travaux nécessaires permettant d'assurer l'étanchéité de la toiture, dans un délai de trois mois suivant la signification du présent arrêt et, passé ce délai, sous astreinte de 100 euros par jour de retard pendant une période de trois mois,

Condamne in solidum Mme [B] [A] [X] [R], Mme [E] [A] [T] [R], M. [G] [L] [N] [U] [R], et M. [I] [V] [D] [M] [R] aux dépens de première instance et d'appel,

Les condamne à payer à la société Thevenin Ducrot Distribution la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.