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Décisions

CA Bourges, 1re ch., 17 octobre 2024, n° 23/01005

BOURGES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Mfw Investissement (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Clement

Conseillers :

M. Perinetti, Mme Ciabrini

Avocats :

Me Sorel, Me Avocats Business Conseils

TJ Bourges, du 13 juill. 2023, n° 23/010…

13 juillet 2023

Exposé :

Par acte d'huissier du 3 novembre 2022, la société MFW INVESTISSEMENT a assigné [M] [P] épouse [E] devant le tribunal judiciaire de Bourges afin qu'il soit jugé, sur le fondement de l'article L 145-5 du code de commerce, que les parties sont liées par un bail verbal commercial soumis au statut des baux commerciaux pour une période de neuf ans expirant le 14 juillet 2031, portant sur un bien immobilier situé [Adresse 5] à Bourges, et moyennant un loyer mensuel de 600 €.

Madame [E] s'est opposée à de telles demandes, sollicitant du tribunal l'expulsion de la société demanderesse des lieux, et la condamnation de celle-ci à lui verser, en deniers ou quittances valables, une indemnité d'occupation d'un montant mensuel de 600 € à compter du 1er juillet 2022 jusqu'à la complète libération des lieux.

Par jugement rendu le 13 juillet 2023, le tribunal judiciaire de Bourges a :

' Dit que le contrat conclu entre les parties doit être qualifié de bail commercial

' Dit qu'il a une durée de neuf ans comme débutant le 15 juillet 2022 et expirant le 14 juillet 2031 et qu'il est conclu moyennant un loyer de 600 € par mois

' Débouté Madame [E] de ses demandes

' Condamné celle-ci aux dépens et au paiement d'une indemnité de 1500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Le tribunal a principalement considéré, en effet, qu'aucun contrat écrit n'avait été régularisé par les parties, que les conditions du bail dérogatoire de courte durée n'étaient pas réunies, de sorte que les règles du statut des baux commerciaux devaient trouver application.

[M] [E] a interjeté appel de cette décision par déclaration enregistrée le 18 octobre 2023 et demande à la cour, dans ses dernières écritures en date du 19 juillet 2024, à la lecture desquelles il est expressément renvoyé pour plus ample exposé des moyens en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, de :

Vu notamment les articles 1101, 1102 et 1113 du Code Civil,

Vu les pièces versées aux débats,

Vu le jugement du tribunal Judiciaire de BOURGES du 13 juillet 2023,

- INFIRMER le jugement du Tribunal Judiciaire de BOURGES en date du 13 juillet 2023 en toutes ses dispositions ;

Et statuant à nouveau,

- DECLARER la Société MFW INVESTISSEMENT mal fondée en l'ensemble de ses demandes en jugeant que les parties ne sont pas liées par un bail commercial soumis au statut impératif fixé par le code de commerce ;

En conséquence :

- DECLARER la Société MFW INVESTISSEMENT occupante sans droit ni titre du bien appartenant à Madame [M] [E] sis [Adresse 5].

- ORDONNER l'expulsion de la Société MFW INVESTISSEMENT, ainsi que celle de tous occupants de son chef, du bien sis [Adresse 5], et si besoin, avec le concours de la force publique.

- CONDAMNER la Société MFW INVESTISSEMENT à payer, en deniers ou quittance, une indemnité d'occupation d'un montant mensuel de 600 € à compter du 1er juillet 2022 jusqu'à la date de la complète libération des lieux.

- ORDONNER à la Société MFW INVESTISSEMENT de remettre le bien dont s'agit dans l'état dans lequel il se trouvait avant son occupation conformément à l'état d'entrée dans les lieux établi le 15 juillet 2022 ;

- CONDAMNER la Société MFW INVESTISSEMENT à payer à Madame [M] [E] la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

- REJETER toutes prétentions, fins ou conclusions plus amples ou contraires.

La SAS MFW INVESTISSEMENT, intimée, demande pour sa part à la cour, dans ses dernières écritures en date du 26 juillet 2024, à la lecture desquelles il est pareillement expressément renvoyé pour plus ample exposé des moyens en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, de :

Vu les dispositions de l'article L145-5 du Code de commerce,

CONFIRMER la décision entreprise en toutes ses dispositions.

JUGER que Madame [M] [P] épouse [E] et la SAS MFW INVESTISSEMENT sont liées par un bail commercial soumis au statut tel qu'il résulte des dispositions des articles L145-1 et suivants du Code de commerce, à compter du 15 juillet 2022, pour une période de 9 années entières et consécutives expirant le 14 juillet 2031 et moyennant un loyer mensuel de 600 €.

JUGER que les demandes de nullité du bail et de reconnaissance d'une convention d'occupation précaire sont irrecevables et infondées.

DEBOUTER Madame [M] [P] épouse [E] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions.

La CONDAMNER en cause d'appel à payer à la SAS MFW INVESTISSEMENT la somme de 2 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens d'instance.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 20 août 2024.

Sur quoi :

Selon l'article 1101 du code civil, « le contrat est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations ».

L'article 1102 du même code dispose que « chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les limites fixées par la loi. La liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l'ordre public ».

En application de l'article 1113 de ce code, « le contrat est formé par la rencontre d'une offre et d'une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s'engager. Cette volonté peut résulter d'une déclaration ou d'un comportement non équivoque de son auteur ».

Selon l'article L. 145-1 du code de commerce, figurant dans le chapitre V du titre IV de ce code intitulé « du bail commercial », « les dispositions du présent chapitre s'appliquent aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne, soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au registre du commerce et des sociétés, soit à un chef d'une entreprise du secteur des métiers et de l'artisanat immatriculée au registre national des entreprises, accomplissant ou non des actes de commerce (...) » .

L'article L. 145-5 de ce code dispose que « les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans. A l'expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux. Si, à l'expiration de cette durée, et au plus tard à l'issue d'un délai d'un mois à compter de l'échéance le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre (...) ».

En application de l'article L. 145-5-1, « n'est pas soumise au présent chapitre la convention d'occupation précaire qui se caractérise, quelle que soit sa durée, par le fait que l'occupation des lieux n'est autorisée qu'à raison de circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties ».

Il résulte de l'ensemble de ces textes que si le bail commercial, contrat consensuel par nature, peut être verbal, ou peut résulter d'un simple échange de courriers électroniques dès lors qu'il se déduit de ces derniers un accord sur les conditions essentielles du contrat (Cass. 3e civ., 20 oct. 2016, n° 15-18.104), encore faut-il que la preuve puisse être rapportée que les parties se sont mises d'accord sur la durée du bail et, qu'à défaut, il ne saurait être considéré qu'il y a bail ( Cass. 3e civ., 5 déc. 2001, n° 00-14.294).

Au cas d'espèce, il résulte des pièces produites par les parties que selon compromis de vente en date du 14 mars 2022, Madame [E] ' propriétaire d'un immeuble situé [Adresse 5] à [Localité 6] ' a déclaré vendre celui-ci à la SAS MFW INVESTISSEMENT moyennant un prix de 92'000 € sous condition suspensive d'obtention d'un prêt par l'acquéreur d'un montant de 150'000 € sur une durée maximale de remboursement de 20 ans, les parties prévoyant que cette condition suspensive « résultera de la production d'une lettre d'accord du ou des établissements bancaires sollicités », « devra être réalisée au plus tard le 15 mai 2022 » (pages 8 et 9 de la pièce numéro 1 de Madame [E]) et que la réitération par acte authentique devra avoir lieu au plus tard le 15 juin 2022 par le ministère de Maître [Y], notaire à [Localité 6] (page numéro 29 du même acte).

Il est constant que la SAS MFW INVESTISSEMENT, qui n'a pas obtenu le financement sollicité dans les termes de ce compromis de vente, est entrée dans les lieux loués et a été autorisée par Madame [E] « à effectuer les travaux de peinture malgré le fait que le bail n'est pas encore signé » (courrier électronique de cette dernière figurant en pièce numéro 3 du dossier de la société intimée).

[X] [B], représentant légal de la SAS MFW INVESTISSEMENT aux termes de la page 2 dudit compromis, a alors rédigé le 11 juillet 2022 un courrier électronique, dans lequel il répondait pour partie au grief formé par Madame [E] tenant à l'établissement d'une cloison vitrée sans autorisation dans les locaux, précisant à cet égard : « en préambule, tout ce que nous faisons là, c'est afin d'acheter ce bien dès début 2023 ; c'est là notre unique projet, sinon tout notre investissement en temps et en argent n'aurait aucun intérêt » (pièce numéro 2 du dossier de l'appelante).

Il est par ailleurs établi qu'un projet de bail dérogatoire ' non daté mais que Madame [E] précise avoir refusé le 8 juillet 2022 (pièce numéro 1 du dossier de l'intimée) ' a été établi « pour une durée d'une année qui commencera à courir le 8 juillet 2022 pour se terminer le 7 juillet 2023 », ce projet, indiquant que « les parties sont convenues de recourir à un bail dérogatoire et ainsi de déroger au statut des baux commerciaux », n'étant toutefois signé par aucune des parties.

Ce projet de bail dérogatoire, non mené à son terme, faisait suite à un courrier électronique de [X] [B] du 20 juin précédent (pièce numéro 5 du dossier de l'appelante) dans lequel celui-ci indique notamment : « (') nous avons eu quelques difficultés avec le financement : nos différentes banques ont souhaité que nous clôturions notre bilan 2022 avec un résultat positif (cela sera largement le cas) pour accepter de nous financer un nouveau projet. Aussi nous restions [sic] déterminés à acquérir ce bien, et la venderesse à nous le vendre ; nous sommes tombés d'accord sur le projet suivant : nous allons signer un bail précaire qui va commencer au 1er juillet 2022 et qui va durer jusqu'au 30 juin 2023 dont MFW sera le preneur. Nous nous acquitterons d'un loyer de 550 € hors charges plus 50 € de charges (') nous allons proroger la date de réalisation du compromis en cours jusqu'à une date de réalisation au 30/06/2023, bien que nous nous fixions comme objectif de signer pour le 31 mars 2023 (') ».

Par courrier électronique du 4 août 2022, le représentant de la SAS MFW INVESTISSEMENT a indiqué à Madame [E] qu'il estimait être « légalement » son locataire, et lui a indiqué qu'elle ne pouvait « pas faire machine arrière » alors même que la SAS MFW INVESTISSEMENT avait exposé des frais tenant à des travaux de peinture, aménagement du logement, et à la rédaction d'un bail précaire suite à l'accord des parties « de proroger le compromis et de signer en parallèle un bail précaire » (pièce numéro 3 du dossier de l'appelante).

Le lendemain, Madame [E] a répondu par un courrier électronique en indiquant notamment : « vous affirmez que vous êtes mes locataires depuis le 01/07, ce qui suppose qu'à cette date j'aurais dû être en possession d'un état des lieux d'entrée, un bail conforme, un dépôt de garantie et le loyer de juillet. Sauf erreur de ma part, ce n'était pas le cas », précisant avoir donné « exceptionnellement l'autorisation pour réaliser les travaux de peinture » en espérant que « cela allait se régulariser très vite », et concluant que « la solution amiable la plus avantageuse pour tous est que notre relation s'arrête dès que possible » (même pièce).

Il doit être déduit de ce qui précède, que même si un état des lieux d'entrée a été établi par les parties le 15 juillet 2022 et qu'une somme mensuelle de 600 € a été acquittée par la SAS MFW INVESTISSEMENT depuis son entrée dans les lieux, il ne résulte aucunement des pièces produites que Madame [E] aurait manifesté sa volonté de donner à bail commercial le bien immobilier dont elle est propriétaire [Adresse 7] à [Localité 6], et qu'elle a, au contraire, autorisé l'entrée de la société intimée dans les lieux à titre provisoire et dans la seule attente de la réalisation du projet de vente dudit immeuble, une telle réalisation se trouvant, selon les dires mêmes de l'intimée, repoussée à la fin du premier trimestre de l'année 2023.

C'est en conséquence à juste titre qu'elle soutient, sur le fondement des textes ci-dessus rappelés, ne pas être liée à la SAS MFW INVESTISSEMENT par un bail commercial soumis au statut du code de commerce.

La décision dont appel, qui avait retenu l'existence d'un bail commercial entre le 15 juillet 2022 et le 14 juillet 2031 et avait débouté Madame [E] de ses demandes, devra donc être infirmée.

Il conviendra en conséquence de faire droit aux demandes de Madame [E] en déclarant la SAS MFW INVESTISSEMENT occupante sans droit ni titre des locaux litigieux, en ordonnant l'expulsion de celle-ci au besoin avec le concours de la force publique et en mettant à sa charge ' en deniers ou quittances eu égard aux règlements d'ores et déjà intervenus ' une indemnité d'occupation d'un montant mensuel de 600 € à compter du 1er juillet 2022 et jusqu'à complète libération des lieux.

Il sera par ailleurs ordonné à la société intimée de remettre le bien dont s'agit dans l'état dans lequel il se trouvait avant son occupation conformément à l'état d'entrée dans les lieux établi à la date du 15 juillet 2022.

Il y aura enfin lieu de mettre à la charge de la SAS MFW INVESTISSEMENT ' qui sera tenue aux entiers dépens de première instance et d'appel ' une indemnité au titre des frais irrépétibles que Madame [E] a dû exposer dans le cadre de la présente instance que l'équité commande de fixer à 2000 €.

Par ces motifs :

La cour

' Infirme le jugement entrepris

Et, statuant à nouveau

' Déboute la SAS MFW INVESTISSEMENT de l'intégralité de ses demandes

' Dit que la SAS MFW INVESTISSEMENT est occupante sans droit ni titre du bien appartenant à [M] [E] situé [Adresse 5] à [Localité 6]

' Ordonne l'expulsion de la SAS MFW INVESTISSEMENT, ainsi que celle de tous occupants de son chef, du bien situé [Adresse 5] à [Localité 6], au besoin avec le concours de la force publique

' Condamne la SAS MFW INVESTISSEMENT à verser à Madame [E], en deniers ou quittances valables, une indemnité d'occupation d'un montant mensuel de 600 € à compter du 1er juillet 2022 et jusqu'à complète libération des lieux

' Ordonne la SAS MFW INVESTISSEMENT de remettre le bien dans l'état dans lequel il se trouvait avant son occupation conformément à l'état d'entrée dans les lieux établi le 15 juillet 2022

' Rejette toutes autres demandes, plus amples ou contraires

' Condamne la SAS MFW INVESTISSEMENT à verser à [M] [E] la somme de 2000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.