CA Paris, Pôle 1 ch. 5, 16 octobre 2024, n° 24/08402
PARIS
Ordonnance
Autre
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Blanc
Avocats :
Me Roussier, Me Lumbroso
Par actes extrajudiciaires des 28 décembre 2022 et 7 février 2023, la société SELAFA MJA devenue depuis SELARL ASTEREN, prise en la personne de M. [K], agissant en qualité de mandataire liquidateur de la société E Cars Services a assigné MM. [X], [U] et [W] devant le tribunal de commerce de Bobigny.
Par jugement du 12 décembre 2023, assorti de l'exécution provisoire, M. [W] a été condamné à payer à la SELAFA MJA, solidairement avec MM. [U] et [X], la somme de 200 000 euros et, solidairement avec M. [U] uniquement, la somme de 398 518,01 euros, outre 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 19 mars 2024, M. [W] a fait appel de cette décision.
Suivant assignations des 25 juin, 5 et 9 juillet 2024, il a saisi le premier président de la cour d'appel de Paris d'une demande d'arrêt de l'exécution provisoire.
A l'audience du 4 septembre 2024, il demande à son délégué de :
- déclarer sa demande recevable ;
- ordonner la suspension de l'exécution provisoire du jugement du 12 décembre 2023 ;
- condamner la SELAFA MJA et MM. [U] et [X] aux dépens.
Au visa de l'article 514-3 du code de procédure civile, M. [W] fait valoir qu'il existe un moyen sérieux de réformation tenant à l'absence de faute de sa part. Il se prévaut par ailleurs d'une situation de précarité financière qui caractériserait un risque de conséquences manifestement excessives.
Respectivement cités à personne morale, à étude et selon les modalités de l'article 659 du code de procédure civile, MM. [K], [X] et [U] n'ont pas comparu.
Par message du 26 septembre 2024, une note en délibéré a été sollicitée des parties sur l'application d'office au litige des dispositions de l'article R.661-1 du code de commerce, le jugement ayant été rendu en application de l'article L. 651-2 du même code. Aucune réponse n'a été transmise dans le délai fixé.
SUR CE,
En application des articles 12 et 16 du code de procédure civile, le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée. Cependant, le juge ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.
Au cas présent, les parties ont été invitées à faire leurs éventuelles observations sur l'application d'office au litige des dispositions de l'article R.661-1 du code de commerce.
L'article R.661-1 du code de commerce prévoit en effet que :
"Les jugements et ordonnances rendus en matière de mandat ad hoc, de conciliation, de sauvegarde, de redressement judiciaire, de rétablissement professionnel et de liquidation judiciaire sont exécutoires de plein droit à titre provisoire.
Toutefois, ne sont pas exécutoires de plein droit à titre provisoire les jugements et ordonnances rendus en application des articles L. 622-8, L. 626-22, du premier alinéa de l'article L. 642-20-1, de l'article L. 651-2, des articles L. 663-1 à L. 663-4 ainsi que les décisions prises sur le fondement de l'article L. 663-1-1 et les jugements qui prononcent la faillite personnelle ou l'interdiction prévue à l'article L. 653-8.
Les dispositions des articles 514-1 et 514-2 du code de procédure civile ne sont pas applicables.
Par dérogation aux dispositions de l'article 514-3 du code de procédure civile, le premier président de la cour d'appel, statuant en référé, ne peut arrêter l'exécution provisoire des décisions mentionnées aux deux premiers alinéas du présent article que lorsque les moyens à l'appui de l'appel paraissent sérieux."
Il ressort de ces dispositions que l'arrêt de l'exécution provisoire des décisions mentionnées aux deux premiers alinéas, qu'elle soit de droit ou que, facultative, elle ait ordonnée par le juge, obéit à un même régime unique qui déroge au droit commun.
Au cas présent, la décision du premier juge a été rendue sur le fondement de l'article L.651-2 du code de commerce. Facultative, l'exécution provisoire a été ordonnée par le premier juge.
Il appartient dès lors à M. [W] de démontrer que les moyens qu'il développe à l'appui de son appel paraissent sérieux.
Le moyen sérieux est celui qui présente des chances raisonnables de succès, sans qu'il appartienne au premier président de se livrer à un examen approfondi de l'ensemble des moyens et arguments avancés par les parties et soumis à l'examen, au fond, de la cour d'appel.
L'article L.651-2 du code de commerce dispose que lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion y ayant contribué, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables.
Au visa de ces dispositions, le premier juge a considéré que les défendeurs, dont M. [W], avaient, ensemble, mais avec une responsabilité moindre pour M. [X], qui avait rejoint l'entreprise tardivement, commis des fautes de gestion à l'origine de la totalité de l'insuffisance d'actif de 598 518,01 euros, ces fautes, dont les dates de commission n'étaient pas précisées, consistant en un défaut de règlement des créances fiscales, une absence de tenue de la comptabilité ainsi qu'un détournement de véhicules appartenant à la société.
En faisant valoir qu'il n'avait été président de la société que du 1er juin au 1er octobre 2018, période au cours de laquelle il n'était pas tenu de faire de déclaration auprès des organismes sociaux ou fiscaux, ni de présenter de comptes annuels, puisque le premier exercice de la société n'était pas achevé, et contestant également sa participation au détournement de véhicules automobiles de la société, participation personnelle sur laquelle le jugement n'apporte pas de précisions, M. [W] soulève un moyen sérieux de réformation.
Au surplus, compte tenu des revenus du ménage qu'il forme avec son épouse qui ne travaille pas, alors que lui-même perçoit un salaire net mensuel de 1 395 euros, et de ses charges, alors qu'il est locataire et père de trois jeunes enfants de 1, 4 et 7 ans, l'exécution, même échelonnée, de la condamnation obérerait gravement sa situation financière de sorte qu'elle emporterait un risque de conséquences manifestement excessives.
Dès lors, il convient de faire droit à la demande en suspendant l'exécution provisoire.
Les dépens seront laissés à la charge du demandeur s'agissant d'une procédure engagée dans son intérêt exclusif.
PAR CES MOTIFS
Ordonnons l'arrêt de l'exécution provisoire attachée au jugement du tribunal de commerce de Bobigny du 12 décembre 2023 ;
Disons que M. [W] supportera la charge des dépens de la présente instance.