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Décisions

CA Douai, ch. 8 sect. 1, 17 octobre 2024, n° 22/03518

DOUAI

Arrêt

Autre

CA Douai n° 22/03518

17 octobre 2024

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 8 SECTION 1

ARRÊT DU 17/10/2024

N° de MINUTE : 24/752

N° RG 22/03518 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UM2K

Jugement (N° 19/000495) rendu le 11 Mai 2022 par le Juge des contentieux de la protection de Roubaix

APPELANT

Monsieur [S] [N]

né le [Date naissance 2] 1946 à [Localité 6] - de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représenté par Me Caroline Letellier, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

INTIMÉE

SA CA Consumer Finance Département Sofinco agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par Me Francis Deffrennes, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

DÉBATS à l'audience publique du 12 juin 2024 tenue par Catherine Ménegaire magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Harmony Poyteau

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Yves Benhamou, président de chambre

Samuel Vitse, président de chambre

Catherine Ménegaire, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2024 après prorogation du délibéré du 3 octobre 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Yves Benhamou, président et Anne-Sophie Joly, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU 29 mai 2024

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous-seing privé du 4 décembre 2017, M. [S] [N] a souscrit auprès de la SA CA Consumer Finance un prêt personnel d'un montant de 10'000 euros, remboursable en 84 mensualités, au taux débiteur fixe de 5,917 %.

Les mensualités n'étant plus honorées, la banque a prononcé la déchéance du terme du contrat de crédit par courrier recommandé avec accusé de réception du 24 octobre 2018.

Par acte d'huissier de justice en date du 16 avril 2019, la société CA Consumer Finance a fait assigner en paiement M. [S] [N].

Par jugement contradictoire en date du 11 mai 2022, le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité de Roubaix a :

- prononcé la déchéance du droit aux intérêts légaux et contractuels à compter du 4 décembre 2017,

- condamné M. [S] [N] à payer à la société CA Consumer Finance la somme de 9 687,12 euros sans intérêts au titre du prêt de 10'000 euros souscrit le 4 décembre 2017,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [S] [N] aux dépens, sans distraction au profit de Me Caroline Letellier.

Par déclaration reçue par le greffe de la cour le 19 juillet 2022, M. [S] [N] a relevé appel de l'ensemble des chefs de ce jugement.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 17 octobre 2022, l'appelant demande à la cour de :

- réformant le jugement rendu le 11 mai 2022 par le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité de Roubaix,

- déclarer M. [S] [N] recevable et bien fondé en ses demandes,

- débouter la société CA Consumer Finance de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

à titre principal,

- prononcer la nullité du contrat de prêt conclu par M. [S] [N] le 4 décembre 2017 pour un montant de 10'000 euros,

- condamner la société CA Consumer Finance à rembourser à M. [S] [N] les échéances de prêt qu'il a déjà payées, à parfaire au jour de l'arrêt à venir,

- condamner la société CA Consumer Finance à verser à M. [S] [N] la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi,

à titre subsidiaire,

- prononcer la déchéance du droit aux intérêts légaux et conventionnels à compter du 4 décembre 2017, date du prêt,

en tout état de cause,

- condamner la société CA Consumer Finance à verser à M. [S] [N] la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les frais et dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Me Caroline Letellier, avocat au barreau Lille.

Au soutien de son appel, M. [S] [N] fait essentiellement valoir que le contrat litigieux est un crédit affecté au financement de travaux de rénovation commandés auprès de la société Frisol, conclu dans le cadre d'un démarchage à domicile. Il rappelle notamment que les bons de commande conclus avec cette dernière société sont nuls, qu'il a été victime d'un dol, que les travaux n'ont pas été exécutés correctement, et que tous les contrats de vente et de crédits accessoires ont été annulés suivant jugement du 11 mai 2022 par le juge des contentieux de la protection de [Localité 6]. Il soutient que le contrat de crédit affecté litigieux concernait également l'opération de rénovation commandée auprès de la société Frisol, et que constituant une opération commerciale unique avec les contrats de vente annulés, il est nul en application de l'article L.312-55 du code de la consommation.

L'appelant fait par ailleurs valoir, au visa de l'article L.313-16 du code de la consommation, que l'établissement de crédit n'a pas vérifié ses capacités de remboursement et a manqué à son devoir de mise en garde. Il prétend qu'il a été abusé et trompé par la société Frisol qui lui a fait souscrire de nombreux crédits pour financer les travaux, dont le crédit litigieux, et qu'il subit un préjudice moral.

A titre subsidiaire, M. [S] [N] demande la confirmation du jugement en la banque a été déchue de son droit à tout intérêt, au motif qu'elle ne justifie pas lui avoir remis la fiche d'information précontractuelle européenne normalisée lors de la conclusion du contrat de crédit.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 16 janvier 2023, la société CA Consumer Finance département Sofinco demande à la cour de :

Vu les articles L.312-1 et suivants du code de la consommation,

vu les articles 1103 et 1104 du code civil,

vu l'article 1353 du code civil,

vu l'article 9 du code de procédure civile,

- confirmer le jugement rendu par le juge des contentieux de la protection près le tribunal de proximité de Roubaix en date du 11 mai 2022 en toutes ses dispositions et notamment en ce qu'il a condamné M. [S] [N] à payer à la société CA Consumer Finance la somme de 9 687,12 euros sans intérêts au titre du prêt de 10'000 euros souscrit le 4 décembre 2017 et en ce qu'il a condamné M. [S] [N] aux dépens, sans distraction au profit de Me Caroline Letellier,

- débouter M. [S] [N] de l'intégralité de ses prétentions, demandes fins et conclusions telles que formulées à l'encontre de la société CA Consumer Finance département Sofinco,

- constater la carence probatoire de M. [S] [N],

- débouter M. [S] [N] de sa demande en paiement de dommages-intérêts en l'absence de faute imputable au prêteur et à défaut de justifier de la réalité et du sérieux d'un quelconque préjudice qui serait directement lié à la prétendue faute que M. [S] [N] tente vainement de mettre à la charge établissement financier prêteur,

- condamner M. [S] [N] à payer à la société Consumer Finance département Sofinco la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [S] [N] aux entiers frais et dépens, y compris ceux d'appel, dont distraction au profit de Me Francis Deffrennes, avocat aux offres de droit, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure.

La société CA Consumer Finance expose que le contrat litigieux conclu le 4 décembre 2017 n'est pas un contrat de crédit affecté au financement des travaux commandés auprès de la société Frisol, mais un prêt personnel de 10 000 euros en vertu duquel les fonds ont été directement débloqués sur le compte bancaire de M. [S] [N], qu'il a librement utilisés et que ce dernier ne rapporte nullement la preuve de ses allégations ; que dès lors, il ne saurait lui opposer la nullité du crédit litigieux en application de l'article L.312-55 du code de la consommation. L'intimée fait également valoir qu'elle n'a commis aucune faute, la demande de dommages et intérêts ne reposant sur aucune démonstration sérieuse. Elle ne conteste pas la déchéance des intérêts tant contractuels que légaux prononcée par le premier juge.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux écritures des parties pour le surplus de leurs moyens.

La clôture de l'affaire a été rendue le 29 mai 2024 et l'affaire plaidée à l'audience de la cour du 12 juin 2024.

MOTIFS

Les textes du code de la consommation mentionnés dans l'arrêt sont ceux issus de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 en vigueur à la date de souscription du contrat de crédit.

Sur la nature du contrat de crédit litigieux souscrit le 4 décembre 2017

Selon l'article L.311-1 11°) du code de la consommation, est considéré comme contrat de crédit affecté ou contrat de crédit lié, 'le crédit servant exclusivement à financer un contrat relatif à la fourniture de biens particuliers ou la prestation de services particuliers ; ces deux contrats constituent une opération commerciale unique. Une opération commerciale unique est réputée exister lorsque le vendeur ou le prestataire de services finance lui-même le crédit ou, en cas de financement par un tiers, lorsque le prêteur recourt aux services du vendeur ou du prestataire pour la conclusion ou la préparation du contrat de crédit ou encore lorsque le contrat de crédit mentionne spécifiquement les biens ou les services concernés'.

Selon l'article L.312-55 du même code, 'En cas de contestation sur l'exécution du contrat principal, le tribunal peut, jusqu'à la solution du litige, suspendre l'exécution du contrat de crédit. Celui-ci est résolu ou annulé de plein droit lorsque le contrat en vue duquel il a été conclu est lui-même judiciairement résolu ou annulé.

Les dispositions du premier alinéa ne sont applicables que si le prêteur est intervenu à l'instance ou s'il a été mis en cause par le vendeur ou l'emprunteur.'

En l'espèce, le contrat de crédit conclu entre les parties le 4 décembre 2017 est nommé 'offre de contrat de crédit personnel', d'un montant de 10 000 euros. L'emprunteur a également signé un mandant de prélèvement Sepa en indiquant les références de son compte bancaire pour que les fonds prêtés soient directement virés sur ledit compte, et non entre les mains d'un vendeur de produits ou d'un prestataire de services.

Il n'est pas mentionné sur le contrat 'les biens ou les services' qui seraient prétendument financés par le crédit. Il n'est pas non plus démontré que le prêteur aurait eu recours à la société Frisol pour la conclusion du contrat de prêt litigieux.

La juridiction relève par ailleurs que si M. [S] [N] a effectivement conclu avec la société Frisol divers bons de commande aux fins de travaux de rénovation, ils ont tous été financés par divers contrat de crédits affecté conclus avec la société BNP Paribas personal finance et la société CA consumer finance, ces contrats ayant tous été annulés par le jugement du 11 mai 2022 rendu par le tribunal de proximité de Roubaix.

Les éléments (bons de commande, factures) produits par M. [S] [N], qui ne correspondent ni dans les dates ni dans les montants au crédit litigieux de 10 000 euros, ne démontrent aucunement que le contrat litigieux était affecté au financement de travaux de rénovation effectués par la société Frisol. L'établissement par M. [S] [N] de deux chèques de 4 750 euros le 20 décembre 2017 au profit de M. [Y] [H], n'est pas davantage de nature à permettre une requalification du crédit personnel en crédit affecté au travaux de rénovation effectués par la société Frisol, l'emprunteur étant libre d'utiliser les fonds comme il le souhaitait et la banque n'ayant pas à s'immiscer dans cette utilisation.

Dès lors, au regard de ces éléments, il y a lieu de constater que le crédit du 4 décembre 2017, est comme sa dénomination l'indique, un contrat de prêt personnel.

En conséquence, l'article L.312-55 du code de la consommation n'a pas vocation à être appliqué en l'espèce, et M. [S] [N] sera débouté de sa demande de nullité du contrat de crédit à ce titre.

Sur la demande de dommages et intérêts

Au visa de l'article L.313-16 du code de la consommation, M. [S] [N] fait valoir que la banque a traité sa demande de crédit avec une légèreté blâmable sans vérifier sa capacité de remboursement, seul l'avis d'imposition ayant été sollicité par elle, et qu'elle a manqué 'à son obligation de mise en garde', sans préciser le fondement juridique.

Il convient tout d'abord de constater que l'article L.313-16 du code de la consommation n'est applicable qu'aux crédits immobiliers, et n'est donc pas applicable au crédit à la consommation litigieux pour lesquels sont applicables les dispositions des articles L.312-16 et L.312-17 du même code.

Suivant l'article L. 312-16 du code de la consommation applicable aux crédits à la consommation, avant de conclure le contrat de crédit, le prêteur vérifie la solvabilité de l'emprunteur à partir d'un nombre suffisant d'informations, y compris des informations fournies par ce dernier à la demande du prêteur, le prêteur consultant le fichier prévu à l'article L. 751-1.

En l'espèce, avant la conclusion du contrat, la banque s'est fait remettre la fiche de renseignements prévue par l'article L.312-17 de code de la consommation aux termes de laquelle l'emprunteur a déclaré ses revenus et charges, et a déclaré l'exactitude des informations portées sur cette fiche. En l'absence d'anomalie flagrante, la banque n'avait pas à vérifier l'exactitude des éléments déclarés. Elle s'est fait par ailleurs remettre les justificatif de domicile, de revenus et d'identité de l'emprunteur conformément à l'article D.312-8 du code de la consommation et justifie avoir consulté le fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP).

Aucune faute ne saurait donc être reprochée de ce chef à la banque.

Par ailleurs, indépendamment de l'article L.312-16, du code de la consommation, il résulte des dispositions de l'article 1147 devenu 1231-1 du code civil que l'établissement de crédit est tenu à un devoir de mise en garde à l'égard de l'emprunteur non averti lors de la conclusion du contrat de prêt ; ce devoir consiste à consentir un prêt adapté aux capacités financières de l'emprunteur et, le cas échéant, à l'alerter sur les risques de l'endettement né de l'octroi du prêt ; il implique l'obligation pour la banque de se renseigner sur les capacités financières de l'emprunteur pour l'alerter, si nécessaire, sur un risque d'endettement. Il incombe à l'emprunteur qui invoque un devoir de mise en garde de la banque à son égard de démontrer que les prêts n'étaient pas adaptés à sa situation financière et créaient un risque d'endettement contre lequel il devait être mis en garde.

Il n'est pas discuté en l'espèce que M. [S] [N] retraité, n'était pas un emprunteur averti.

Il résulte de la fiche de dialogue complétée par M. [S] [N] que ce dernier a déclaré un revenu net mensuel de 1708 euros, corroboré par l'avis d'imposition, et des charges d'emprunt de 500 euros.

Il est rappelé que sauf anomalie flagrante, la banque est en droit de se fier aux informations qui lui sont fournies par l'emprunteur lequel est tenu à un devoir de loyauté à son égard, et n'a pas à se livrer à un contrôle de la véracité des informations transmises.

En incluant les échéances de l'emprunt litigieux de 145,69 euros, M. [S] [N] devait donc faire face à des remboursements mensuels de 645,69, soit un taux d'endettement de 37 %.

Ce taux est manifestement trop important pour une personne retraitée, alors que le reste à vivre mensuel de 1 063 euros doit encore être réduit des charges incompressibles d'impôt, d'assurance, d'électricité, d'eau (etc....). Il s'observe d'ailleurs que M. [S] [N] n'a pas été en mesure de faire face aux remboursements, deux échéances seulement ayant été réglées, ce qui démontre qu'il existait manifestement un risque d'endettement excessif sur lequel M. [S] [N] devait être mise en garde par la banque.

Il est rappelé que le préjudice consiste en la perte de chance de ne pas contracter l'opération de crédit. Compte tenu des circonstances, ce préjudice sera évalué à

2 000 euros, somme à laquelle la société CA consumer finance sera condamnée à titre de dommages et intérêts.

Sur la déchéance du droit aux intérêts

Les motifs et l'étendue de la déchéance du droit aux intérêts ordonnée par le premier juge n'étant pas contesté par les parties, ni le montant de la condamnation prononcée, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déchu la société CA consumer finance des intérêts légaux et contractuels depuis le 4 décembre 2017, et a en conséquence condamné M. [S] [N] à payer à la société CA Consumer Finance la somme de 9 687,12 euros sans intérêts au titre du prêt litigieux.

Sur les demandes accessoires

Les motifs du premier juge méritant d'être adoptés, le jugement est confirmé en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Chaque partie succombant pour partie, elles conserveront la charges de leurs dépens d'appel ainsi que de leurs frais irrépétibles non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire ;

Confirme le jugement entrepris ;

Y ajoutant ;

Déboute M. [S] [N] de sa demande de nullité du contrat de prêt personnel d'un montant de 10 000 euros conclu avec la société CA Consumer Finance Département Sofinco le 4 décembre 2017 ;

Condamne la société CA Consumer Finance Département Sofinco à payer à M. [S] [N] la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de son devoir de mise en garde ;

Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens et frais irrépétibles d'appel.

Le greffier

Anne-Sophie JOLY

Le président

Yves BENHAMOU