Décisions
CA Lyon, 8e ch., 16 octobre 2024, n° 23/04238
LYON
Arrêt
Autre
N° RG 23/04238 - N° Portalis DBVX-V-B7H-O7VT
Décision du Tribunal de Commerce de VILLEFRANCHE - TARARE en
référé du 11 mai 2023
RG : 2023r00006
S.A.R.L. DOMAINE [V]
C/
[O]
[L]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
8ème chambre
ARRÊT DU 16 Octobre 2024
APPELANTE :
La société DOMAINE [V], société à responsabilité limitée au capital de 7.622,45 €, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de VILLEFRANCHE-TARARE sous le numéro 401 501 358, dont le siège social est situé [Adresse 6] à [Localité 4], prise en la personne de son gérant demeurant en cette qualité audit siège
Représentée par Me Emmanuelle BAUFUME de la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat au barreau de LYON, toque : 1547
Ayant pour avocat plaidant Me Virginie MARRO, avocat au barreau de LYON
INTIMÉS :
M. [T] [O]
né le 30 Juin 1959 à [Localité 3] (TCHAD)
[Adresse 1]
M. [X] [L]
né le 27 Mai 1951 à [Localité 2] (01)
[Adresse 5]
Représentés par Me Philippe REFFAY de la SCP REFFAY ET ASSOCIÉS, avocat au barreau D'AIN
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 02 Juillet 2024
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 10 Septembre 2024
Date de mise à disposition : 16 Octobre 2024
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Bénédicte BOISSELET, président
- Véronique DRAHI, conseiller
- Nathalie LAURENT, conseiller
assistés pendant les débats de William BOUKADIA, greffier
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport,
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Bénédicte BOISSELET, président, et par William BOUKADIA, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
EXPOSÉ DU LITIGE
Le domaine «'Le Tracot'» est un vignoble en Beaujolais situé à [Localité 4] qui a fait l'objet d'un projet de cession à MM. [T] [O] et [X] [L].
Dans le cadre de ce projet, les parties ont notamment signé':
Un compromis de cession de fonds de commerce et de cession de marques signé le 31 mars 2021 par lequel la SARL Domaine [V] a vendu à la SAS Domaine du Tracot, société en cours de formation représentée par MM. [T] [O] et [X] [L], le fonds de commerce de commercialisation de vins, ainsi que les marques déposés «'Domaine [V]'», «'Camayleon'» et «'les cerises d'antan'».
Un compromis de cession de fonds viticole signé le 31 mars 2021 par lequel la SCEA (société civile d'exploitation agricole) [G] et [U] [V] a vendu à la SCEA Lantignie Tracot, société en cours de formation représentée par MM. [T] [O] et [X] [L], co-gérants, le fonds viticole.
Ce second compromis prévoyait que le cessionnaire accepte d'assurer le financement des dépenses de taille et d'entretien des vignes concernant les récoltes en cours appelées à lui profiter en versant à la SCEA [G] et [U] [V], cédant, la somme de 72'000 € TTC. Il comportait en outre la clause suivante': «'En cas de non-réitération des présentes, la SCEA [G] et [U] [V] s'engage expressément à restituer ladite somme au cessionnaire au plus tard le 31 décembre 2021.'»
Invoquant la non-réalisation de la condition suspensive de transfert des baux ruraux, MM. [T] [O] et [X] [L] ont, par lettre recommandée du 16 septembre 2021, invoqué la caducité des compromis et, par lettre recommandée du 7 octobre 2021, ils ont réclamé à la SCEA [G] et [U] [V] le remboursement de la somme de 72'000 €.
Par courrier de leur conseil en date du 17 décembre 2021, MM. [T] [O] et [X] [L] ont réclamé ce remboursement à la SARL Domaine [V] qui avait réclamé ce paiement en transmettant un RIB et qui a encaissé les chèques de 50'400 € et 21'600 €.
En l'absence d'accord des parties, MM. [T] [O] et [X] [L] ont, par exploit du 4 avril 2022, fait assigner la SARL devant la formation de référé du Tribunal Judiciaire de Villefranche-sur-Saône, laquelle s'est par ordonnance de référé rendue le 13 octobre 2022, déclarée incompétente au profit du Tribunal de commerce auquel le dossier a été transis par les soins du greffe.
Par ordonnance de référé rendue le 11 mai 2023, le président du tribunal de commerce de Villefranche-Tarare a':
Dit recevable et bien-fondée la demande de MM. [T] [O] et [X] [L],
Condamné la SARL Domaine [V] à payer à titre provisionnel': à
à M. [T] [O] la somme de 50'400 €
à M. [X] [L] la somme de 21'600 €
outre intérêts au taux légal à compter du 7 octobre 2021,
Condamné également la SARL Domaine [V] à payer à M. [T] [O] et M. [X] [L] une somme de 1'500 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamné en outre la SARL Domaine [V] à payer à M. [T] [O] et à M. [X] [L] les entiers dépens de l'instance liquidés en ce qui concerne la présente ordonnance à la somme de 87,13 € TTC.
Le juge consulaire a retenu en substance que la SARL Domaine [V] a endossé et encaissé des chèques alors que les fonds ne lui étaient pas destinés et qu'il est dès lors indifférent que ces sommes apparaissent en comptabilité comme dues à la SCEA [G] et [U] [V], l'obligation de remboursement n'étant pas sérieusement contestable.
Par déclaration en date du 23 mai 2023, la SARL Domaine [V] a relevé appel de cette décision en tous ses chefs et, par avis de fixation du 9 juin 2023 pris en vertu de l'article 905 et suivants du Code de procédure civile, l'affaire a été fixée à bref délai.
Par ordonnance de référé rendue le 23 août 2023, le délégataire du premier président a rejeté la demande d'arrêt de l'exécution provisoire présentée par l'appelante.
***
Aux termes de ses écritures remises au greffe par voie électronique le 13 novembre 2023 (conclusions d'appelant n°2), la SARL Domaine [V] demande à la cour':
Vu l'article 122 du Code de procédure civile,
Vu les articles 1231-1 et suivants du Code civil,
1. JUGER la société Domaine [V] recevable et bien fondée en son appel,
2. REFORMER l'ordonnance rendue par le Président du Tribunal de commerce de VILLEFRANCHE-TARARE le 11 mai 2023 qui a statué en ces termes : (reprise du dispositif de l'ordonnance de référé attaquée),
ET, STATUANT A NOUVEAU :
3. JUGER irrecevables les demandes formulées par MM. [T] [O] et [X] [L] en l'absence d'intérêt à agir de ces derniers à l'encontre de la société Domaine [V],
Subsidiairement, et en toutes hypothèses :
4. CONSTATER l'existence de contestations sérieuses nécessitant un examen au fond de ce litige,
En conséquence :
5. JUGER n'y avoir lieu à référé,
6. RENVOYER les demandeurs à mieux se pourvoir,
7. DEBOUTER MM. [T] [O] et [X] [L] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,
8. CONDAMNER MM. [T] [O] et [X] [L] à payer à la SARL Domaine [V] une somme de 5'000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
9. LES CONDAMNER, en outre, aux entiers dépens de l'instance.
Sur l'absence d'intérêt à agir de M. [O] et [L], elle rappelle que le versement de 72'000 € était prévu aux termes du compromis de la vente du fonds viticole par la SCEA [G] et [U] [V] et que si elle a encaissé les chèques, les fonds ont transité pour être payée au SCEA comme elle en atteste par l'extrait de grands-livres de cette société, par l'attestation du comptable et divers extraits de comptes. Elle estime être totalement étrangère au compromis prévoyant ce remboursement. Elle considère que le juge consulaire, qui a constaté que les fonds ne lui étaient pas destinés, n'en a pas tiré les conséquences.
Subsidiairement, elle oppose à la demande de provision en invoquant des contestations sérieuses tenant d'abord au fait que le compromis de vente du fond de commerce ne prévoyait pas le paiement et remboursement litigieux. Elle relève que les intimés ont d'ailleurs d'abord sollicité ce remboursement au SCEA [G] et [U] [V] et elle estime que les flux financiers inter-groupes excèdent la compétence du juge des référés.
Elle expose ensuite que les intimés n'ont pas rapporté la preuve d'un accord de financement et qu'ils ont invoqué la caducité du compromis avant que le délai de levée des conditions suspensives ait expiré. Elle en conclut que le vendeur a été privé de la possibilité de mener à son terme la vente et elle considère que cette inexécution contractuelle imputable aux intimés l'autorise à se prévaloir de l'exception d'inexécution. Elle rappelle qu'à minima, elle peut réclamer une clause pénale de 10% du prix de vente soit 31'000 €. Elle réclame la compensation avec les dommages et intérêts qui lui sont dues par le comportement dolosif des acquéreurs, cette exception de compensation excédant, comme la nécessaire interprétation des compromis, la compétence du juge des référés.
***
Aux termes de ses écritures remises au greffe par voie électronique le 4 juillet 2023 (conclusions devant la cour), MM. [T] [O] et [X] [L] demandent à la cour':
Vu les pièces versées aux débats,
Vu les articles 1302 et 1302-1 du Code civil,
Vu l'article 873 du Code de procédure civile,
Vu l'obligation non sérieusement contestable,
DEBOUTER la SARL DOMAINE [V] de sa demande tendant à voir réformée l'ordonnance du référé de M. le Président du Tribunal de commerce de VILLEFRANCHE-TARARE du 11 mai 2023,
CONFIRMER cette décision en toutes ses dispositions prononçant la condamnation de la SARL Domaine [V] à payer à titre provisionnel :
A M. [T] [O] la somme de 50'400 €,
A M. [X] [L] la somme de 21'600 €,
outre intérêt au taux légal à compter du 7 octobre 2021 ainsi que sa condamnation à payer à M. [T] [O] et à M. [X] [L], une somme de 1.500 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,
Y ajoutant,
CONDAMNER la SARL Domaine [V] à payer respectivement à M. [T] [O] et à M. [X] [L], une somme de 5'000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
CONDAMNER la même aux entiers dépens de l'instance.
Ils font valoir que, par un courriel du 31 mars 2021, la SARL Domaine [V] leur a demandé paiement de la somme litigieuse en leur transmettant son RIB, le tout en exécution des compromis signés. Ils en concluent qu'il y a lieu de se reporter au compris de vente du fonds viticole. Ils estiment qu'il n'y a nul besoin d'interpréter les compromis puisque la créance présente un caractère certain, liquide et exigible, que la société appelante ne conteste pas l'encaissement dont elle doit remboursement sur le fondement des articles 1302 et 1302-1 du Code civil. Ils estiment que la précision donnée par l'expert-comptable tenant au transfert des fonds pour les besoins de frais de vendange est indifférente puisque, même si cela n'avait pas été le cas, les fonds ont été encaissés par la société appelante qui en doit remboursement.
***
Il est renvoyé aux écritures des parties pour plus ample exposé des moyens venant à l'appui de leurs prétentions.
MOTIFS,
Sur la recevabilité de la demande de provision':
L'action en répétition de l'indu appartient à celui qui a effectué le paiement, à ses cessionnaires ou subrogés ou encore à celui pour le compte et au nom duquel le paiement a été fait. Elle peut être engagée soit contre celui qui a reçu le paiement, soit contre celui pour le compte duquel le paiement a été reçu.
En l'espèce, MM. [O] et [L] ne fondent pas leur demande de provision sur la clause du compromis de cession du fond viticole prévoyant le paiement de la somme de 72'000 € à la SCEA [G] et [U] [V] et son remboursement en cas de non-réitération de la vente. Il est dès lors indifférent que le paiement litigieux ait pour cause ce compromis et qu'il ait simplement transité dans la comptabilité de la SARL Domaine [V].
Dans la mesure où la demande de provision est fondée sur la répétition de l'indu, l'intérêt à agir de MM. [O] et [L] s'infert de leur qualité de solvens, ayant payé par chèque les sommes de 50'400 € et 21'600 €. En outre, les intéressés pouvaient diriger leur action à l'encontre de la SARL Domaine [V], ayant la qualité d'accipiens pour avoir reçu ces paiements comme il sera vu ci-après.
L'ordonnance de référé attaquée, qui a déclaré la demande de MM. [O] et [L] recevable, sera confirmée.
Sur le bien-fondé de la demande de provision':
En application des articles 1302 et 1302-1 du Code civil, dès lors que les sommes versées n'étaient pas dues, le solvens est en droit, sans être tenu à aucune autre preuve, d'en obtenir la restitution.
En l'espèce, il n'est pas discuté que MM. [O] et [L] ont émis deux chèques pour les montants respectifs de 50'400 € et 21'600 € qu'ils ont transmis à la SARL Domaine [V] qui leur avait d'ailleurs transmis son RIB pour les besoins du paiement de la somme de 72'000 €. Par ailleurs, M. [U] [V] indique, aux termes d'une attestation certifiée exacte par son expert-comptable, que les deux chèques litigieux, d'un montant cumulé de 72'000 €, ont bien été encaissés sur le compte bancaire de la SARL [V].
Dès lors, et contrairement à ce que soutient l'appelante, il n'est nul besoin pour le juge des référés de s'intéresser aux flux financiers inter-groupes, ni même à l'utilisation qui a été faite de la somme de 72'000 € payée puisque l'attestation produite par l'appelante confirme l'encaissement de cette somme. La circonstance que le compromis de vente du fonds viticole prévoit que ce paiement devait être fait à la SCEA [G] et [U] [V] et non à la SARL Domaine [V], démontre que ce paiement n'était pas dû à cette dernière. Ainsi, il est établi avec l'évidence requise devant le juge des référés que les conditions de la répétition de l'indu sont remplies.
Pour s'opposer néanmoins à son remboursement par provision, la SARL [V] excipe d'une faute contractuelle qui serait imputable à MM. [O] et [L] qui auraient invoqué la caducité des compromis de vente avant que le délai de levée des conditions suspensives ait expiré. Or, la société appelante ne justifie pas avoir contesté la caducité des compromis qui lui a été notifiée par lettre recommandée du 16 septembre 2021, ni à réception de cette notification, ni même postérieurement en invoquant, en dehors de ses écritures prises pour les besoins de la présente instance en référé, un préjudice et en engageant, le cas échéant, une action en indemnisation au fond. Dans ces conditions, sa contestation tenant à une exception de compensation avec une créance de dommages et intérêts ne présente pas le caractère sérieux requis pour faire échec à la demande de provision.
Le caractère indu du paiement reçu n'étant pas sérieusement contestable, l'ordonnance attaquée, qui a condamné le SARL Domaine [V] à payer à MM. [O] et [L] les sommes de 50'400 € et 21'600 €, sera confirmée.
Sur les demandes accessoires':
La cour confirme la décision attaquée qui a condamné la SARL Domaine [V], partie perdante, aux dépens de première instance et à payer à MM. [O] et [L] la somme de 1'500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, montant justifié en équité.
La SARL Domaine [V], partie perdante, est condamnée aux dépens à hauteur d'appel.
La cour condamne en outre à hauteur d'appel la SARL Domaine [V] à payer à MM. [O] et [L] la somme de 2'000 € à valoir sur l'indemnisation de leurs frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Confirme l'ordonnance de référé rendue le 11 mai 2023 par le Tribunal de commerce de Villefranche-sur-Saône Tarare en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la SARL Domaine [V], prise en la personne de son représentant légal, aux dépens de l'instance d'appel,
Condamne la SARL Domaine [V], prise en la personne de son représentant légal, à payer à MM. [O] et [L] la somme de 2'000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
Décision du Tribunal de Commerce de VILLEFRANCHE - TARARE en
référé du 11 mai 2023
RG : 2023r00006
S.A.R.L. DOMAINE [V]
C/
[O]
[L]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
8ème chambre
ARRÊT DU 16 Octobre 2024
APPELANTE :
La société DOMAINE [V], société à responsabilité limitée au capital de 7.622,45 €, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de VILLEFRANCHE-TARARE sous le numéro 401 501 358, dont le siège social est situé [Adresse 6] à [Localité 4], prise en la personne de son gérant demeurant en cette qualité audit siège
Représentée par Me Emmanuelle BAUFUME de la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat au barreau de LYON, toque : 1547
Ayant pour avocat plaidant Me Virginie MARRO, avocat au barreau de LYON
INTIMÉS :
M. [T] [O]
né le 30 Juin 1959 à [Localité 3] (TCHAD)
[Adresse 1]
M. [X] [L]
né le 27 Mai 1951 à [Localité 2] (01)
[Adresse 5]
Représentés par Me Philippe REFFAY de la SCP REFFAY ET ASSOCIÉS, avocat au barreau D'AIN
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Date de clôture de l'instruction : 02 Juillet 2024
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 10 Septembre 2024
Date de mise à disposition : 16 Octobre 2024
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Bénédicte BOISSELET, président
- Véronique DRAHI, conseiller
- Nathalie LAURENT, conseiller
assistés pendant les débats de William BOUKADIA, greffier
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport,
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Bénédicte BOISSELET, président, et par William BOUKADIA, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSÉ DU LITIGE
Le domaine «'Le Tracot'» est un vignoble en Beaujolais situé à [Localité 4] qui a fait l'objet d'un projet de cession à MM. [T] [O] et [X] [L].
Dans le cadre de ce projet, les parties ont notamment signé':
Un compromis de cession de fonds de commerce et de cession de marques signé le 31 mars 2021 par lequel la SARL Domaine [V] a vendu à la SAS Domaine du Tracot, société en cours de formation représentée par MM. [T] [O] et [X] [L], le fonds de commerce de commercialisation de vins, ainsi que les marques déposés «'Domaine [V]'», «'Camayleon'» et «'les cerises d'antan'».
Un compromis de cession de fonds viticole signé le 31 mars 2021 par lequel la SCEA (société civile d'exploitation agricole) [G] et [U] [V] a vendu à la SCEA Lantignie Tracot, société en cours de formation représentée par MM. [T] [O] et [X] [L], co-gérants, le fonds viticole.
Ce second compromis prévoyait que le cessionnaire accepte d'assurer le financement des dépenses de taille et d'entretien des vignes concernant les récoltes en cours appelées à lui profiter en versant à la SCEA [G] et [U] [V], cédant, la somme de 72'000 € TTC. Il comportait en outre la clause suivante': «'En cas de non-réitération des présentes, la SCEA [G] et [U] [V] s'engage expressément à restituer ladite somme au cessionnaire au plus tard le 31 décembre 2021.'»
Invoquant la non-réalisation de la condition suspensive de transfert des baux ruraux, MM. [T] [O] et [X] [L] ont, par lettre recommandée du 16 septembre 2021, invoqué la caducité des compromis et, par lettre recommandée du 7 octobre 2021, ils ont réclamé à la SCEA [G] et [U] [V] le remboursement de la somme de 72'000 €.
Par courrier de leur conseil en date du 17 décembre 2021, MM. [T] [O] et [X] [L] ont réclamé ce remboursement à la SARL Domaine [V] qui avait réclamé ce paiement en transmettant un RIB et qui a encaissé les chèques de 50'400 € et 21'600 €.
En l'absence d'accord des parties, MM. [T] [O] et [X] [L] ont, par exploit du 4 avril 2022, fait assigner la SARL devant la formation de référé du Tribunal Judiciaire de Villefranche-sur-Saône, laquelle s'est par ordonnance de référé rendue le 13 octobre 2022, déclarée incompétente au profit du Tribunal de commerce auquel le dossier a été transis par les soins du greffe.
Par ordonnance de référé rendue le 11 mai 2023, le président du tribunal de commerce de Villefranche-Tarare a':
Dit recevable et bien-fondée la demande de MM. [T] [O] et [X] [L],
Condamné la SARL Domaine [V] à payer à titre provisionnel': à
à M. [T] [O] la somme de 50'400 €
à M. [X] [L] la somme de 21'600 €
outre intérêts au taux légal à compter du 7 octobre 2021,
Condamné également la SARL Domaine [V] à payer à M. [T] [O] et M. [X] [L] une somme de 1'500 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamné en outre la SARL Domaine [V] à payer à M. [T] [O] et à M. [X] [L] les entiers dépens de l'instance liquidés en ce qui concerne la présente ordonnance à la somme de 87,13 € TTC.
Le juge consulaire a retenu en substance que la SARL Domaine [V] a endossé et encaissé des chèques alors que les fonds ne lui étaient pas destinés et qu'il est dès lors indifférent que ces sommes apparaissent en comptabilité comme dues à la SCEA [G] et [U] [V], l'obligation de remboursement n'étant pas sérieusement contestable.
Par déclaration en date du 23 mai 2023, la SARL Domaine [V] a relevé appel de cette décision en tous ses chefs et, par avis de fixation du 9 juin 2023 pris en vertu de l'article 905 et suivants du Code de procédure civile, l'affaire a été fixée à bref délai.
Par ordonnance de référé rendue le 23 août 2023, le délégataire du premier président a rejeté la demande d'arrêt de l'exécution provisoire présentée par l'appelante.
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Aux termes de ses écritures remises au greffe par voie électronique le 13 novembre 2023 (conclusions d'appelant n°2), la SARL Domaine [V] demande à la cour':
Vu l'article 122 du Code de procédure civile,
Vu les articles 1231-1 et suivants du Code civil,
1. JUGER la société Domaine [V] recevable et bien fondée en son appel,
2. REFORMER l'ordonnance rendue par le Président du Tribunal de commerce de VILLEFRANCHE-TARARE le 11 mai 2023 qui a statué en ces termes : (reprise du dispositif de l'ordonnance de référé attaquée),
ET, STATUANT A NOUVEAU :
3. JUGER irrecevables les demandes formulées par MM. [T] [O] et [X] [L] en l'absence d'intérêt à agir de ces derniers à l'encontre de la société Domaine [V],
Subsidiairement, et en toutes hypothèses :
4. CONSTATER l'existence de contestations sérieuses nécessitant un examen au fond de ce litige,
En conséquence :
5. JUGER n'y avoir lieu à référé,
6. RENVOYER les demandeurs à mieux se pourvoir,
7. DEBOUTER MM. [T] [O] et [X] [L] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,
8. CONDAMNER MM. [T] [O] et [X] [L] à payer à la SARL Domaine [V] une somme de 5'000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
9. LES CONDAMNER, en outre, aux entiers dépens de l'instance.
Sur l'absence d'intérêt à agir de M. [O] et [L], elle rappelle que le versement de 72'000 € était prévu aux termes du compromis de la vente du fonds viticole par la SCEA [G] et [U] [V] et que si elle a encaissé les chèques, les fonds ont transité pour être payée au SCEA comme elle en atteste par l'extrait de grands-livres de cette société, par l'attestation du comptable et divers extraits de comptes. Elle estime être totalement étrangère au compromis prévoyant ce remboursement. Elle considère que le juge consulaire, qui a constaté que les fonds ne lui étaient pas destinés, n'en a pas tiré les conséquences.
Subsidiairement, elle oppose à la demande de provision en invoquant des contestations sérieuses tenant d'abord au fait que le compromis de vente du fond de commerce ne prévoyait pas le paiement et remboursement litigieux. Elle relève que les intimés ont d'ailleurs d'abord sollicité ce remboursement au SCEA [G] et [U] [V] et elle estime que les flux financiers inter-groupes excèdent la compétence du juge des référés.
Elle expose ensuite que les intimés n'ont pas rapporté la preuve d'un accord de financement et qu'ils ont invoqué la caducité du compromis avant que le délai de levée des conditions suspensives ait expiré. Elle en conclut que le vendeur a été privé de la possibilité de mener à son terme la vente et elle considère que cette inexécution contractuelle imputable aux intimés l'autorise à se prévaloir de l'exception d'inexécution. Elle rappelle qu'à minima, elle peut réclamer une clause pénale de 10% du prix de vente soit 31'000 €. Elle réclame la compensation avec les dommages et intérêts qui lui sont dues par le comportement dolosif des acquéreurs, cette exception de compensation excédant, comme la nécessaire interprétation des compromis, la compétence du juge des référés.
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Aux termes de ses écritures remises au greffe par voie électronique le 4 juillet 2023 (conclusions devant la cour), MM. [T] [O] et [X] [L] demandent à la cour':
Vu les pièces versées aux débats,
Vu les articles 1302 et 1302-1 du Code civil,
Vu l'article 873 du Code de procédure civile,
Vu l'obligation non sérieusement contestable,
DEBOUTER la SARL DOMAINE [V] de sa demande tendant à voir réformée l'ordonnance du référé de M. le Président du Tribunal de commerce de VILLEFRANCHE-TARARE du 11 mai 2023,
CONFIRMER cette décision en toutes ses dispositions prononçant la condamnation de la SARL Domaine [V] à payer à titre provisionnel :
A M. [T] [O] la somme de 50'400 €,
A M. [X] [L] la somme de 21'600 €,
outre intérêt au taux légal à compter du 7 octobre 2021 ainsi que sa condamnation à payer à M. [T] [O] et à M. [X] [L], une somme de 1.500 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,
Y ajoutant,
CONDAMNER la SARL Domaine [V] à payer respectivement à M. [T] [O] et à M. [X] [L], une somme de 5'000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
CONDAMNER la même aux entiers dépens de l'instance.
Ils font valoir que, par un courriel du 31 mars 2021, la SARL Domaine [V] leur a demandé paiement de la somme litigieuse en leur transmettant son RIB, le tout en exécution des compromis signés. Ils en concluent qu'il y a lieu de se reporter au compris de vente du fonds viticole. Ils estiment qu'il n'y a nul besoin d'interpréter les compromis puisque la créance présente un caractère certain, liquide et exigible, que la société appelante ne conteste pas l'encaissement dont elle doit remboursement sur le fondement des articles 1302 et 1302-1 du Code civil. Ils estiment que la précision donnée par l'expert-comptable tenant au transfert des fonds pour les besoins de frais de vendange est indifférente puisque, même si cela n'avait pas été le cas, les fonds ont été encaissés par la société appelante qui en doit remboursement.
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Il est renvoyé aux écritures des parties pour plus ample exposé des moyens venant à l'appui de leurs prétentions.
MOTIFS,
Sur la recevabilité de la demande de provision':
L'action en répétition de l'indu appartient à celui qui a effectué le paiement, à ses cessionnaires ou subrogés ou encore à celui pour le compte et au nom duquel le paiement a été fait. Elle peut être engagée soit contre celui qui a reçu le paiement, soit contre celui pour le compte duquel le paiement a été reçu.
En l'espèce, MM. [O] et [L] ne fondent pas leur demande de provision sur la clause du compromis de cession du fond viticole prévoyant le paiement de la somme de 72'000 € à la SCEA [G] et [U] [V] et son remboursement en cas de non-réitération de la vente. Il est dès lors indifférent que le paiement litigieux ait pour cause ce compromis et qu'il ait simplement transité dans la comptabilité de la SARL Domaine [V].
Dans la mesure où la demande de provision est fondée sur la répétition de l'indu, l'intérêt à agir de MM. [O] et [L] s'infert de leur qualité de solvens, ayant payé par chèque les sommes de 50'400 € et 21'600 €. En outre, les intéressés pouvaient diriger leur action à l'encontre de la SARL Domaine [V], ayant la qualité d'accipiens pour avoir reçu ces paiements comme il sera vu ci-après.
L'ordonnance de référé attaquée, qui a déclaré la demande de MM. [O] et [L] recevable, sera confirmée.
Sur le bien-fondé de la demande de provision':
En application des articles 1302 et 1302-1 du Code civil, dès lors que les sommes versées n'étaient pas dues, le solvens est en droit, sans être tenu à aucune autre preuve, d'en obtenir la restitution.
En l'espèce, il n'est pas discuté que MM. [O] et [L] ont émis deux chèques pour les montants respectifs de 50'400 € et 21'600 € qu'ils ont transmis à la SARL Domaine [V] qui leur avait d'ailleurs transmis son RIB pour les besoins du paiement de la somme de 72'000 €. Par ailleurs, M. [U] [V] indique, aux termes d'une attestation certifiée exacte par son expert-comptable, que les deux chèques litigieux, d'un montant cumulé de 72'000 €, ont bien été encaissés sur le compte bancaire de la SARL [V].
Dès lors, et contrairement à ce que soutient l'appelante, il n'est nul besoin pour le juge des référés de s'intéresser aux flux financiers inter-groupes, ni même à l'utilisation qui a été faite de la somme de 72'000 € payée puisque l'attestation produite par l'appelante confirme l'encaissement de cette somme. La circonstance que le compromis de vente du fonds viticole prévoit que ce paiement devait être fait à la SCEA [G] et [U] [V] et non à la SARL Domaine [V], démontre que ce paiement n'était pas dû à cette dernière. Ainsi, il est établi avec l'évidence requise devant le juge des référés que les conditions de la répétition de l'indu sont remplies.
Pour s'opposer néanmoins à son remboursement par provision, la SARL [V] excipe d'une faute contractuelle qui serait imputable à MM. [O] et [L] qui auraient invoqué la caducité des compromis de vente avant que le délai de levée des conditions suspensives ait expiré. Or, la société appelante ne justifie pas avoir contesté la caducité des compromis qui lui a été notifiée par lettre recommandée du 16 septembre 2021, ni à réception de cette notification, ni même postérieurement en invoquant, en dehors de ses écritures prises pour les besoins de la présente instance en référé, un préjudice et en engageant, le cas échéant, une action en indemnisation au fond. Dans ces conditions, sa contestation tenant à une exception de compensation avec une créance de dommages et intérêts ne présente pas le caractère sérieux requis pour faire échec à la demande de provision.
Le caractère indu du paiement reçu n'étant pas sérieusement contestable, l'ordonnance attaquée, qui a condamné le SARL Domaine [V] à payer à MM. [O] et [L] les sommes de 50'400 € et 21'600 €, sera confirmée.
Sur les demandes accessoires':
La cour confirme la décision attaquée qui a condamné la SARL Domaine [V], partie perdante, aux dépens de première instance et à payer à MM. [O] et [L] la somme de 1'500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, montant justifié en équité.
La SARL Domaine [V], partie perdante, est condamnée aux dépens à hauteur d'appel.
La cour condamne en outre à hauteur d'appel la SARL Domaine [V] à payer à MM. [O] et [L] la somme de 2'000 € à valoir sur l'indemnisation de leurs frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Confirme l'ordonnance de référé rendue le 11 mai 2023 par le Tribunal de commerce de Villefranche-sur-Saône Tarare en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la SARL Domaine [V], prise en la personne de son représentant légal, aux dépens de l'instance d'appel,
Condamne la SARL Domaine [V], prise en la personne de son représentant légal, à payer à MM. [O] et [L] la somme de 2'000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT