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Décisions

CA Paris, Pôle 1 - ch. 2, 17 octobre 2024, n° 24/06188

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 24/06188

17 octobre 2024

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRÊT DU 17 OCTOBRE 2024

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/06188 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJF2C

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 21 Mars 2024 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2023071678

APPELANTE

S.A.S. INTERNATIONAL FASHION COMPANY (IFC), RCS de Paris sous le n°790 262 075, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Fernando MANES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2249

Ayant pour avocat plaidant Me Thierry CARRE, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE

ASTORMUELLER, société de droit suisse, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 2] (SUISSE)

Représentée par Me Véronique DE LA TAILLE de la SELARL RECAMIER AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : K0148

Ayant pour avocat plaidant Me Patrick PARNIERE, avocat au barreau de STRASBOURG

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 804, 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 Septembre 2024, en audience publique, devant Michèle CHOPIN, Conseillère chargée du rapport et Laurent NAJEM, Conseiller, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre,

Michèle CHOPIN, Conseillère,

Laurent NAJEM, Conseiller,

Qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSE DU LITIGE

La société International Fashion Company (IFC) a pour objet la vente de chaussures pour femmes et pour hommes auprès des commerçants de détail. La société AstorMueller, société de droit suisse, exploite une activité d'importation et de distribution de chaussures sous différentes marques à travers un réseau européen d'agents commerciaux.

Les 30 mai et 12 juin 2013, la société AstorMueller a conclu avec la société IFC un contrat d'agent commercial (homme) pour la France, ce, pour une durée d'une année à compter du 1er juin 2013, renouvelable par tacite reconduction.

A ces mêmes dates, un contrat d'agent commercial (femme) a été signé entre les parties, ce, aux mêmes conditions de durée.

Les 18 décembre 2015 et 18 janvier 2016, ces deux sociétés sont convenues d'un contrat d'agent commercial (homme et femme) pour une durée d'une année avec effet à compter du 1er janvier 2016, renouvelable par tacite reconduction, pour toutes les ventes réalisées en France.

Par lettre du 11 octobre 2023, la société AstorMueller a entendu résilier le contrat d'agent commercial pour faute grave, avec effet immédiat.

Par lettre du 7 novembre 2023, la société IFC a mis en demeure la société AstorMueller de lui payer la somme de 56.670 euros au titre de sa facture du 1er novembre 2023.

Par exploit du 18 décembre 2023, la société International Fashion Company a fait assigner la société AstorMueller devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins de voir :

condamner la société AstorMueller à lui payer, par provision, la somme de 56.670 euros, conformément aux dispositions de l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile, avec intérêt au taux légal à compter du 7 novembre 2023, date de la mise en demeure,

condamner la société AstorMueller à lui communiquer les factures correspondant au chiffre d'affaires réalisé pour la France pour les années 2018 à 2023, sous astreinte de 1.000 euros par jour à compter de l'ordonnance à intervenir,

condamner la société AstorMueller à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner la société AstorMueller aux entiers dépens.

Par ordonnance contradictoire du 21 mars 2024, le juge du tribunal de commerce de Paris a :

dit recevable, mais mal fondée, l'exception d'incompétence formulée par la société de droit suisse AstorMueller,

dit n'y avoir lieu à référé sur l'ensemble des demandes de la société International Fashion Company,

rejeté toutes demandes plus amples ou contraires des parties,

condamné la société International Fashion Company à payer à la société de droit suisse AstorMueller, la somme de 2.500 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

laissé les dépens à la charge de la société International Fashion Company, dont ceux recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 41,93 euros TTC dont 6,78 euros de TVA.

commis d'office l'un des commissaires de justice audienciers de ce tribunal pour signifier la décision.

Par déclaration du 25 mars 2024, la société IFC a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 2 mai 2024, la société IFC demande à la cour, au visa des articles 42, 46, 48, 873 du code de procédure civile, L134-6, L134-9 et R134-3 alinéa 2 du code de commerce, de :

la déclarer recevable et bien fondée en toutes ses demandes, fins et prétentions, et l'y déclarant,

infirmer l'ordonnance de référé du tribunal de commerce de Paris du 21 mars 2024, sauf en ce qu'elle a retenu sa compétence territoriale pour lui accorder, par provision, le paiement de la créance qu'elle invoque,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés, et y ajoutant,

condamner la société AstorMueller à lui payer, par provision, la somme de 73.297,72 euros, conformément aux dispositions de l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile, avec intérêt au taux légal à compter du 7 novembre 2023, date de la mise en demeure, sur la somme de 56.670 euros et à compter de l'arrêt à intervenir pour le surplus, soit la somme de 16.627,72 euros,

ordonner à la société AstorMueller de lui communiquer les factures correspondant au chiffre d'affaires réalisé pour la France pour les années 2018 à 2024, sous astreinte de 1.000 euros par jour à compter de l'arrêt à intervenir,

condamner la société AstorMueller à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner la société AstorMueller aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions déposées et signifiées le 31 mai 2024, la société AstorMueller demande à la cour de :

constater l'existence dans le contrat d'agent commercial ayant lié les parties d'une clause attributive de juridiction au profit des juridictions du siège social de la société AstorMueller,

constater l'absence de contestation de l'appelante quant à la validité de cette stipulation,

En conséquence,

infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle s'est déclarée compétente,

Statuant à nouveau,

se déclarer incompétente pour connaître des demandes formulées par la société International Fashion Company et renvoyer cette société à mieux se pourvoir,

Subsidiairement,

constater l'existence d'une clause de choix d'application du droit suisse dans le contrat d'agent commercial ayant lié les parties,

constater l'absence de mention d'une disposition du droit suisse désignant les parties susceptibles de fonder les demandes présentées par la société International Fashion Company,

En conséquence,

déclarer l'appelante irrecevable en l'ensemble de ses demandes,

En toute hypothèse,

confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a constaté l'existence de contestations sérieuses,

débouter l'appelante de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a condamné la société International Fashion Company au paiement d'une somme de 2.500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Y ajoutant,

condamner la société International Fashion Company à payer à la société AstorMueller une somme de 5.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel.

condamner l'appelante aux frais et dépens de la procédure.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

SUR CE, LA COUR

Sur l'exception d'incompétence soulevée par la société AstorMueller

La société AstorMueller indique que le tribunal saisi en première instance était incompétent au regard de la clause attributive de juridiction au profit des juridictions suisses insérée au contrat ce qui entraîne une compétence exclusive de ces juridictions conformément à l'article 23 de la convention de Lugano, ce, alors même que la validité de cette clause n'a pas été remise en cause par l'appelante et que la jurisprudence citée par l'appelante qui ne concerne que des relations de droit interne ne s'applique pas lorsqu'il existe un élément d'extranéité.

La société IFC expose sur ce point que le juge des référés du tribunal de commerce de Paris est bien compétent pour statuer sur la demande provisionnelle qu'elle a formée puisqu'elle dispose d'un siège social à Paris, que le contrat de fourniture de ses services d'agent commercial s'est exécuté en France, la clause attributive de compétence insérée au contrat ne pouvant lui être opposée.

En droit commun, le juge des référés compétent est celui de la juridiction territorialement compétente au fond (Cass. civ., 4 mai 1910 : DP 1910, 1, p. 385. - Cass. 2e civ., 10 juill. 1991 : Bull. civ. II, n° 223. - Cass. 2e civ., 30 avr. 2009, n°08-15.421 : JurisData n°2009-047961 ; Bull. civ. II, n° 105).

Les articles 42 à 48 du code de procédure civile sont applicables à la juridiction des référés. Dans la logique de ces textes, outre le juge dans le ressort duquel est situé le domicile du défendeur, peut ainsi être également compétent, en matière contractuelle, celui du lieu de conclusion du contrat, de livraison ou d'exécution du contrat.

Par ailleurs si une clause attributive de juridiction est inopposable à la partie qui saisit le juge des référés, une partie peut toujours saisir de sa demande le juge du lieu où les mesures doivent être prises ou exécutées (Cass. 2e civ., 19 nov. 2008, n°08-11.646). La cour rappelle que si les clauses attributives de compétence territoriale ne sont pas opposables à la partie qui saisit le juge des référés (Cass., 2e Civ., 17 juin 1998, pourvoi n°95-10.563, Bull. 1998, II, n° 200 ; Cass., 2e Civ., 19 novembre 2008, pourvoi n° 08-11.646), elles sont opposables au défendeur (Cass., Com., 16 février 2016, pourvoi n° 14-25.340, Bull. 2016, IV, n° 31).

Il est constant que le contrat d'agent commercial dont s'agit (pièces n°1de la société IFC et de la société AstorMueller) comporte dans son article 6 intitulé « Dernières dispositions » la clause suivante : « Place of juridiction to all interested parties is the companies headquarter. The contract applies to the law of Switzerland » que la société IFC traduit librement par : « Le contrat est soumis et sera interprété selon les lois en vigueur où est domicilié le siège de la société, à savoir la Suisse » et la société AstorMueller par « le tribunal compétent pour toute personne intéressée est le tribunal du siège de la société (AstorMueller). Le contrat est régi par le droit suisse ».

Il convient de relever que si la société IFC conteste l'opposabilité de cette clause, elle ne discute pas le fait qu'il s'agit bien d'une clause attributive de compétence territoriale au profit des juridictions suisses concernant l'ensemble des contestations au contrat.

Il est aussi constant que compte tenu de la nationalité de la société intimée, les règles de compétence applicables doivent être appréciées, en ce qui concerne la société AstorMueller, société de droit suisse, au regard de la Convention de Lugano.

Le principe posé par l'article 2 de la Convention de Lugano est que les personnes domiciliées sur le territoire d'un Etat membre/partie à la Convention sont attraites devant les juridictions de cet Etat.

Si l'article 2 de la Convention pose le principe de la compétence des juridictions de l'Etat lié par la convention sur le territoire duquel la personne attraite à son domicile, l'article 5 y déroge et dispose qu'une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat lié par ladite convention peut être attraite devant un autre Etat lié par la convention. Il prévoit ainsi qu'en matière contractuelle, cette personne peut être attraite devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée. Selon l'article 5 I b), le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est pour la fourniture de services, le lieu d'un Etat lié par la présente Convention où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis (Cass.civ. 1ère, 13 Mai 2020 - n° 19-11.195).

En l'espèce, en application du principe selon lequel les personnes domiciliées sur le territoire d'un Etat membre/partie à la Convention sont attraites devant les juridictions de cet Etat, la société IFC devrait assigner au fond la société AstorMueller devant les tribunaux suisses.

En application de l'exception permettant d'assigner « en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécuté », elle pourrait assigner la société AstorMueller au lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande, soit devant les juridictions parisiennes

Cependant, l'article 23 de cette Convention, situé dans le chapitre « prorogation de compétence » prévoit la possibilité de conclure des clauses attributives de juridiction, dans les termes suivants :

« Si les parties, dont l'une au moins a son domicile sur le territoire d'un Etat lié par la présente Convention, sont convenues d'un tribunal ou de tribunaux d'un Etat lié par la présente Convention pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet Etat sont compétents. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. Cette convention attributive de juridiction est conclue: a) b) c) par écrit ou verbalement avec confirmation écrite; ou sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles; ou dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée. 2. Toute transmission par voie électronique qui permet de consigner durablement la convention est considérée comme revêtant une forme écrite. »

Il sera par ailleurs observé que l'appelante qui admet la validité de la clause attributive de juridiction ne précise pas en quoi ladite clause insérée au contrat ne lui serait pas opposable selon le droit suisse.

Dès lors, la clause attributive de compétence sera retenue comme opposable à la société IFC.

Or, au regard de l'article 23 de la convention de Lugano précité, une telle clause attributive de compétence internationale prime sur l'application des dispositions générales.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, il convient de faire droit à l'exception d'incompétence soulevée par la société AstorMueller, les juridictions suisses étant seules compétentes pour connaître de la demande provisionnelle de la société IFC.

L'ordonnance entreprise sera en conséquence infirmée en toutes ses dispositions, la société IFC étant renvoyée à mieux se pourvoir.

Sur les mesures accessoires

Au vu de ce qui précède, l'ordonnance sera confirmée en ses dispositions condamnant la société IFC aux dépens de première instance et à payer à a société AstorMueller une somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code procédure civile.

La société IFC supportera également la charge des dépens d'appel.

Elle sera condamnée à payer à la société AstorMueller la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Infirme l'ordonnance entreprise, à l'exception de ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

Déclare le juge des référés du tribunal de commerce de Paris territorialement incompétent pour statuer sur la demande provisionnelle de la société International Fashion Company ;

Renvoie la société International Fashion Company à mieux se pourvoir ;

Condamne la société International Fashion Company aux dépens d'appel ;

Condamne la société International Fashion Company à payer à la société AstorMueller la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette toute autre demande.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE