CA Papeete, ch. civ., 12 octobre 2023, n° 22/00063
PAPEETE
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Polynésie française
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brengard
Conseillers :
Mme Tissot, M. Ripoll
Avocats :
Me Quinquis, Me de Gary, Me Gourdon
FAITS, PROCÉDURE ET DEMANDES DES PARTIES :
La cour se réfère à l'exposé du litige et de la procédure antérieure dans le jugement dont appel. Il suffit de rappeler que la SARL [F] TRANSIT, commissionnaire en douane, a assigné [R] [I] aux fins de le voir condamner à lui rembourser diverses sommes qu'elle a dû payer à l'administration des douanes du fait de déclarations minorées. Elle a appelé en cause [U] [G].
Par jugement rendu le 20 octobre 2021, le tribunal civil de première instance de Papeete a :
Dit que la requête dirigée par la SARL [F] TRANSIT à l'encontre de [U] [G] ne se trouve pas dépourvue d'objet ;
Mis hors de cause [R] [I] ;
Déclaré irrecevable la demande formulée par la SARL [F] TRANSIT à l'encontre de [R] [I] fondé sur la perte de commission enregistrée ;
Déclaré la SARL [F] TRANSIT et [U] [G] solidairement responsables des déclarations douanières minorées ayant conduit à l'établissement du procès-verbal du service des douanes de la Polynésie française en date du 27 septembre 2018 ;
Condamné solidairement la SARL [F] TRANSIT et [U] [G] à payer à la Polynésie française la somme de 695.204 CFP au titre des droits et taxes de douane éludés liquidés sous le numéro 18PPTLDOF000090T ;
Débouté [U] [G] de sa demande tendant à l'octroi de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Condamné la SARL [F] TRANSIT à payer à [R] [I] la somme de 100.000 CFP en application des dispositions de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ;
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 407 du code de la Polynésie française à l'encontre de la SARL [F] TRANSIT et de [U] [G] ;
Condamné la SARL [F] TRANSIT et [U] [G] aux dépens.
La SARL [F] TRANSIT a relevé appel par requête enregistrée au greffe le 28 février 2022.
Il est demandé :
1° par la SARL [F] TRANSIT, dans ses dernières conclusions visées le 26 octobre 2022, de :
Vu les articles 267-1 et 268 du code des douanes,
Infirmer le jugement du 20 octobre 2021, sauf en ce qu'il a condamné [U] [G] à payer la somme de 695.204 FCP au titre de la liquidation d'office n° 18PPTLDOF000090T ;
Et statuant à nouveau :
Décharger la société [F] TRANSIT de l'obligation de payer la somme de 695.204 FCP au titre des droits de douane à régulariser ;
Condamner in solidum [U] [G] et [R] [I] à payer la somme de 695.204 FCP au titre des droits de douane à régulariser ;
Condamner in solidum [U] [G] et [R] [I] à payer la somme de 35.286 FCP au titre de la perte de commission enregistrée par la SARL [F] TRANSIT du fait des déclarations minorées qui ont été effectuées ;
Condamner in solidum [U] [G] et [R] [I] à payer solidairement la somme de 350.000 FCP au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance ;
2° par [R] [I], dans ses conclusions récapitulatives visées le 23 janvier 2023, de :
Confirmer le jugement entrepris ;
Condamner l'appelante à lui payer la somme de 250 000 F CFP pour frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens ;
3° par [U] [G], dans ses conclusions visées le 14 octobre 2022, de :
juger qu'en raison de du règlement transactionnel conclu avec la Direction générale des douanes et droits indirects, le 17 mai 2019, Mme [U] [G] démontre qu'elle a entendu assumer les conséquences de sa fausse déclaration et de son manquement aux obligations déclaratives et que, dès lors, elle est étrangère aux poursuites exercées par le Service des douanes à l'encontre de la SARL [F] TRANSIT ;
À titre reconventionnel :
condamner la SARL [F] TRANSIT à indemniser Mme [U] [G], à hauteur de 200 000 XPF, pour le trouble que lui a causé cette procédure qui ne la concerne pas ;
En outre,
condamner la SARL [F] TRANSIT aux frais irrépétibles pour un montant de 180 000 XPF, conformément aux dispositions de l'article 407 du Code de procédure civile de la Polynésie française, car il serait inéquitable de laisser les frais qu'elle a dû exposer à la charge de celle-ci ;
condamner la SARL [F] TRANSIT aux entiers dépens d'instance ;
4° par la POLYNÉSIE FRANÇAISE, dans ses conclusions visées le 2 septembre 2022, de :
rejeter la requête de la SARL [F] TRANSIT comme irrecevable ;
subsidiairement,
confirmer le jugement entrepris ;
rejeter la requête de la SARL [F] TRANSIT comme infondée tant en fait qu'en droit ;
la condamner au paiement de la somme de 100 000 F CFP pour frais irrépétibles.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 mars 2023.
Il est répondu dans les motifs aux moyens et arguments des parties, aux écritures desquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
La POLYNÉSIE FRANÇAISE soulève l'irrecevabilité de l'appel comme étant tardif.
La société [F] TRANSIT conclut qu'il a été fait dans le délai de deux mois suivant la signification du jugement le 27 décembre 2021.
L'exploit de signification du jugement à la société [F] TRANSIT a été délivré le 27 décembre 2021. Le jour de la notification et le jour de l'échéance ne sont pas comptés dans les délais de procédure (C.P.C.P.F., art. 29). L'appel est donc recevable.
Sur les demandes de décharge des droits de douane :
Le jugement dont appel a retenu que :
-Sur le paiement des droits et taxes de douane éludés :
-Le montant des droits et taxes éludés retenu par le service des douanes et revendiqué par la Polynésie française, de 695.204 CFP, n'est pas contesté par Mme [G] ni par la SARL [F] TRANSIT. Mme [G] et la SARL [F] TRANSIT doivent en conséquence être solidairement condamnées à payer à la Polynésie française la somme de 695.204 CFP de ce chef.
-Il sera observé que la transaction douanière conclue entre la Polynésie française et Mme [G] le 12 avril 2019, concernant les sommes de 605.204 CFP au titre des droits éludés et de 270.000 CFP à titre de sanction, ne se trouve pas opposable à la SARL [F] TRANSIT, dont la responsabilité a été retenue dans le cadre de l'opération de dédouanement litigieuse en sa qualité de commissionnaire en douane, étant observé que Mme [G] ne produit aux débats aucune pièce bancaire pour justifier que, tel qu'elle le soutient, elle a effectué des versements en application de l'échéancier conclu, affirmation contestée par la Polynésie française.
La société [F] TRANSIT fait valoir que le litige résulte des éléments erronés fournis par [U] [G] agissant pour le compte de [R] [I] au commissionnaire en douane ; qu'elle conteste toute responsabilité et que seul le service des douanes était en mesure de déceler la fraude ; que la condamnation doit reposer sur le commettant c'est-à-dire le donneur d'ordre en application de l'article 267-1 du code des douanes ; qu'il s'agit de [R] [I] pour le compte de qui l'importation a été faite, et de la déclarante [U] [G] qui a commis une faute.
[R] [I] conclut que les redressements et sanctions douaniers n'ont été notifiés qu'à la société [F] TRANSIT et à [U] [G] ; que l'article 268 du code des douanes dispose que les commissionnaires en douane agréés sont responsables des opérations de douane effectuées par leurs soins ; que l'enquête douanière a permis d'établir que le commissionnaire a agi sur instructions de [U] [G] sans procéder aux vérifications préalables qui s'imposaient à lui ; qu'il n'existe aucun lien contractuel entre lui et la société [F] TRANSIT ou [U] [G], pas même un mandat apparent.
[U] [G] demande à être déchargée en exécution d'une transaction qu'elle a conclu avec l'administration chargée du recouvrement de la taxe et des amendes douanières. Elle indique qu'elle a respecté l'échéancier de paiement jusqu'à la fin de son contrat de travail en janvier 2020 et qu'étant sans emploi, elle verse maintenant 5000 F CFP par mois.
La POLYNÉSIE FRANÇAISE conclut que la responsabilité du commissionnaire en douane est édictée par les articles 268 et 267-1 du code des douanes ; que le gérant de la SARL [F] TRANSIT a reconnu durant l'enquête douanière qu'il n'avait pas entrepris toutes les diligences quant à la vérification des éléments fournis par l'importateur ; que [U] [G] a reconnu n'avoir fourni au transitaire aucune procuration donnée par [R] [I] ; que tous deux sont solidairement redevables de la dette douanière ; qu'ils sont aussi tous deux pénalement responsables de la fausse déclaration et tenus solidairement du paiement de l'amende, des confiscations et des dépens en application de l'article 225 du code des douanes.
Sur quoi :
La créance de la POLYNÉSIE FRANÇAISE résulte d'un avis de recouvrement en date du 23 juillet 2019 adressé à la société [F] TRANSIT qui mentionne que restent dus 695 204 F CFP au titre des droits et taxes de douane, déclaration 18PPTLDOF000090T.
Par courrier de son conseil daté du 20 septembre 2019, la société [F] TRANSIT a contesté cet avis de recouvrement devant le payeur de la Polynésie française.
L'article 219 du code des douanes de la Polynésie française dispose que :
Les créances de toute nature constatées et recouvrées par l'administration des douanes font l'objet d'un avis de mise en recouvrement sous réserve, le cas échéant, de la saisine du juge judiciaire.
L'avis de mise en recouvrement est émis et rendu exécutoire par le payeur de la Polynésie française en tant que comptable des douanes chargé du recouvrement.
L'avis de mise en recouvrement indique le fait générateur de la créance ainsi que sa nature, son montant et les éléments de sa liquidation. Une copie est notifiée au redevable.
Les recours prévus aux articles 220 et 221, ci-après, ne suspendent pas l'exécution de l'avis de mise en recouvrement.
L'article 220 du code des douanes dispose que :
Toute contestation de la créance doit être adressée à' l'autorité qui a émis l'avis de mise en recouvrement dans les trois ans qui suivent sa notification.
Le directeur régional des douanes statue sur la contestation dans un délai de six mois à compter de sa réception.
L'article 221 du code des douanes dispose que :
Dans le délai de deux mois suivant la réception de la réponse du directeur régional des douanes ou, a' défaut de réponse, a' l'expiration du délai de six mois prévu a' l'article précédent, le redevable peut saisir le tribunal de première instance.
Cette saisine suspend la prescription mentionnée a' l'article 225 jusqu'à' ce qu'une décision de justice définitive intervienne.
L'article 223 du code des douanes dispose que :
Toute contestation des décisions du payeur de la Polynésie française en tant que comptable des douanes chargé du recouvrement, relatives aux garanties exigées du redevable peut être portée, dans un délai de quinze jours a' compter de la notification de la réponse du payeur de la Polynésie française en tant que comptable des douanes chargé du recouvrement ou de l'expiration du délai imparti pour répondre, devant le président du tribunal de première instance, statuant en référé. Le président, saisi par simple demande écrite, statue dans un délai d'un mois. Dans un délai de quinze jours suivant la décision du président ou l'expiration du délai laissé a' ce dernier pour statuer, le redevable et le payeur de la Polynésie française en tant que comptable des douanes chargé du recouvrement peuvent faire appel devant la cour d'appel.
Lorsque des garanties suffisantes n'ont pas été constituées et que le payeur de la Polynésie française en tant que comptable des douanes chargé du recouvrement a mis en place des mesures conservatoires, le redevable peut, par simple demande écrite, demander au président du tribunal de première instance, statuant en référé, de prononcer dans un délai d'un mois la limitation ou l'abandon de ces mesures. Les délais de saisine du président du tribunal de première instance et de la cour d'appel sont les mêmes que ceux définis a' l'alinéa précédent.
Les recours dirigés contre la régularité des mesures conservatoires relèvent du juge de l'exécution, dans les conditions de droit commun.
En l'espèce, la société [F] TRANSIT ne justifie pas avoir exercé la voie de recours ouverte par l'article 223 du code des douanes de la Polynésie française. L'avis de mise en recouvrement constitue donc un titre qui est exécutoire. Sa demande de décharge doit par conséquent être rejetée.
Au demeurant, la POLYNÉSIE FRANÇAISE conclut justement que la responsabilité de la société [F] TRANSIT à son égard est édictée par les articles 268 et 267-1 du code des douanes. Il en résulte que le commissionnaire en douane est tenu solidairement avec le destinataire du paiement des droits et taxes éludés.
D'autre part, si l'avis de recouvrement à l'égard de [U] [G] n'est pas produit, il résulte néanmoins du formulaire de règlement transactionnel qu'elle a signé le 17 mai 2019 qu'elle s'est reconnue redevable des créances douanières suivantes :
Paiement des droits et taxes éludés d'un montant de 1 482 595 XPF repris sur les liquidations d'office 18PPTLDOF000116S et 18PPTLDOF000097D
Paiement d'une pénalité de 960 000 XPF pour fausse déclaration,
Paiement d'une pénalité de 580 000 XPF pour manquement aux obligations déclaratives.
Cette transaction a été faite en application de l'article 224 du code des douanes de la Polynésie française. En signant la transaction douanière, le contrevenant admet le bien-fondé des infractions relevées à son encontre dans le procès-verbal d'infractions, lequel renferme nécessairement tous les droits et actions poursuivis au titre de la dette douanière. Par conséquent, cette reconnaissance des droits et taxes éludés rend irrecevable toute contestation ultérieure (Cass., Com. 16 décembre 2020 ' n° 18-25.558).
Sur l'action en responsabilité de la SARL [F] TRANSIT contre [U] [G] et [R] [I] :
Le jugement dont appel a retenu que :
-Sur la responsabilité de la fausse déclaration effectuée en violation de la réglementation douanière en vigueur :
-Il résulte des dispositions de l'article 268 du code des douanes que les commissionnaires en douane agréés sont responsables des opérations en douane effectuées par leurs soins. L'article 267-1 du même code précise que les signataires de déclarations sont responsables des omissions, inexactitudes et autres irrégularités relevées dans les déclarations, sauf leur recours contre les commettants.
-En l'espèce, il résulte des documents produits aux débats par M. [R] [I] que, selon devis accepté en date du 16 avril 2014, ce dernier a commandé auprès de l'entreprise MSA KAHIRA, gérée par Mme [U] [G], une maison de type clef en main, devant être livrée de Chine, au prix de 12.216.894 CFP, les frais de dédouanement afférents ayant été facturés au contrat pour 1.000.000 CFP.
-Si M. [I] démontre avoir intégralement payé le prix par deux virements successifs, l'un de 7.330.136 CFP le 23 avril 2014, le second de 4.500.000 CFP le 1er juillet 2014, le reliquat ayant été réglé en espèces, la maison commandée n'a jamais été terminée, le chantier ayant été abandonné par Mme [G].
-Le procès-verbal dressé le 27 septembre 2018 par le service des douanes démontre que seule Mme [G] a chargé la SARL [F] TRANSIT d'effectuer les deux déclarations en douane relatives à l'opération de dédouanement considérée, en lui remettant tous les documents bancaires et financiers nécessaires, lesdites déclarations en douane ayant été dressées par le commissionnaire en douane au nom de M. [R] [I]. La preuve de l'existence d'un mandat apparent, dont aurait disposé Mme [G] de M. [I], n'est nullement démontrée par les pièces communiquées aux débats par la SARL [F] TRANSIT, M. [R] [I] n'étant intervenu à aucun moment dans l'opération de dédouanement litigieuse, le commissionnaire en douane n'ayant pas hésité à établir deux déclarations en douane au nom d'un destinataire déclaré qui ne lui a pas donné l'ordre de dédouaner, et en s'abstenant de solliciter du destinataire reconnu, Mme [G], le pouvoir par elle détenu à cette fin de M. [I]. Et il est constant qu'outre cette première faute, des droits et taxes ont été éludés, dans le cadre de l'importation de la maison en kit dont s'agit, de Chine en Polynésie française, pour un montant total de 695.204 CFP, le procès-verbal dressé le 27 septembre 2018 par le service des douanes de la Polynésie française démontrant que, si la valeur en douane déclarée était de 3.291.579 CFP, celle reconnue se montait à 5.482.132 CFP et la valeur en douane non déclarée à 2.190.553 CFP.
-En application des dispositions de l'article 1992 du code civil, dont il résulte que le mandataire répond des fautes qu'il commet dans sa gestion, la SARL [F] TRANSIT, commissionnaire en douane, en sa qualité de mandataire salarié spécialisé de Mme [G], importateur profane en la matière, avait pour obligation contractuelle de veiller à ce que la déclaration effectuée soit conforme à la réglementation douanière en vigueur, et devait, le cas échéant, conseiller à son mandant, non professionnel en la matière, de faire modifier les documents incomplets ou inexacts, afin d'éviter que ne soient relevées par le service des douanes des infractions douanières relatives à l'opération de dédouanement considérée.
-Or, les constatations douanières démontrent que déclarations produites par le commissionnaire au service des douanes reposent sur l'établissement de faux documents bancaires et commerciaux, et notamment sur de fausses factures, les valeurs déclarées des marchandises importées ayant été minorées, certains frais et commissions n'ayant pas été déclarés à l'importation, à l'exception des frais de container.
-Il appartenait à la SARL [F] TRANSIT, d'effectuer toutes les vérifications utiles, en amont, pour s'assurer de la conformité des déclarations effectuées à la législation en vigueur et d'alerter son mandant sur l'existence d'irrégularités manifestes par elle constatées. En effet, son représentant, Monsieur [F] [D], a déclaré, lors de son audition par les enquêteurs du service des douanes, avoir constaté : la multiplicité illégale des destinataires, l'établissement des factures, non au nom du mandant, mais d'un tiers, la société APS DEVELOPMENT, l'absence de factures compréhensibles pour être établies en langue chinoise, empêchant ainsi l'identification précise des vendeurs et des acheteurs des produits concernés, de leurs adresses, aucun numéro d'identification unique n'y étant stipulé.
-En s'abstenant d'effectuer un pareil contrôle, et en faisant preuve d'une absence de vigilance caractérisée, la SARL [F] TRANSIT a commis une seconde faute dans l'exercice de son mandat, ayant manqué au devoir de vérification et d'établissement conforme des déclarations émises lui incombant et doit être déclarée responsable de la minoration frauduleuse des droits et taxes commise dans le cadre de l'opération de dédouanement litigieuse, en application de l'article 268 du code des douanes susvisé.
-S'agissant de la responsabilité de Madame [G] dans la fraude commise, sa participation fautive résulte des constatations des enquêteurs du service des douanes dans leur procès-verbal en date du 27 septembre 2018, l'action ainsi dirigée à son encontre par le commissionnaire en douane n'étant ainsi pas dépourvue d'objet.
-En effet, il résulte des constatations matérielles effectuées par ces derniers (pages 2 et 3 du procès-verbal) que Madame [G] a, dans le cadre de 1' opération d'importation considérée, fait établir de nombreuses factures de matériaux ne correspondant pas aux montants effectivement payés, la facture du 21 mai 2014 étant un faux, tel qu'elle l'a expressément reconnu. Ce comportement est constitutif d'une fraude manifeste à la réglementation en vigueur en droit des douanes ayant pour objet de bénéficier d'un dédouanement plus important que celui pouvant être obtenu.
-Par suite, Mme [G] et la SARL [F] TRANSIT doivent être déclarées solidairement responsables des minorations douanières effectuées et doivent être condamnées solidairement à réparer le préjudice subi par la Polynésie française.
-M. [I] doit, quant à lui, être mis hors de cause, aucune responsabilité ne pouvant être retenue à son encontre dans le cadre du dédouanement litigieux, pour les motifs ci-dessus développés, ce dernier n'étant pas intervenu dans les opérations afférentes et ayant été victime des agissements frauduleux commis par Mme [G], à laquelle il n'était pas lié par un mandat apparent.
-Sur la perte de commission invoquée par le commissionnaire en douane :
-Il convient de déclarer irrecevable la demande formulée par la SARL [F] TRANSIT à l'encontre de M. [I], ayant pour objet le paiement par ce dernier de la somme de 35.286 CFP représentant le montant de la perte de commission enregistrée du fait de la déclaration minorée effectuée, ce dernier ayant été mis hors de cause.
-Cette même prétention dirigée à l'encontre de Mme [G] doit être rejetée, les éléments de l'enquête douanière ayant démontré que la société commissionnaire en douanes n'a pas correctement exécuté les obligations légales et contractuelles qui lui incombaient, en s'abstenant de toute vérification quant à la valeur des marchandises transportées, engageant ainsi sa responsabilité à ce titre.
La société [F] TRANSIT fait valoir que : la douane a apparemment relevé plusieurs centaines d'importations suspectes liées à l'activité d'APS DÉVELOPPEMENT, dont seules quelques-unes sont passées par elle ; le commissionnaire en douane ne dispose pas d'autres éléments que ceux qui lui sont remis par le déclarant ; les dossiers étaient complets, les nomenclatures exactes ; elle a correctement accompli sa prestation sans pouvoir déceler des fausses factures ou une fraude ; elle est une victime des agissements frauduleux d'APS DÉVELOPPEMENT ; il conviendra de condamner le commettant c'est-à-dire le donneur d'ordre en application de l'article 267-1 du code des douanes ; il s'agit solidairement de [U] [G] et de [R] [I] dont elle était la mandataire apparente.
[R] [I] conclut que : la société [F] TRANSIT n'a pas effectué toutes les vérifications utiles pour s'assurer de la conformité des déclarations effectuées et a fait preuve d'une absence de vigilance caractérisée ; il ne l'a jamais sollicitée ; [U] [G] n'était pas sa mandataire et elle a reconnu son entière responsabilité.
[U] [G] invoque le règlement transactionnel comme il a été dit.
La POLYNÉSIE FRANÇAISE conclut que la responsabilité civile de la société [F] TRANSIT et de l'importateur est engagée sur le fondement des articles 268 et 267-1 du code des douanes, et qu'ils sont solidairement redevables de la dette douanière ; que la responsabilité pénale de la société [F] TRANSIT et de [U] [G] est aussi engagée.
Sur quoi :
Pour les motifs qui précèdent, la société [F] TRANSIT n'est pas recevable et bien fondée à demander la condamnation de [U] [G] et de [R] [I] à payer à la POLYNÉSIE FRANÇAISE la somme de 695 204 F CFP au titre des droits de douane à régulariser.
Elle est en revanche recevable à rechercher leur responsabilité en cas de faute de leur part ayant causé qu'elle soit redevable de la dette douanière en application des articles 268 et 267-1 du code des douanes de la Polynésie française. Cette action est prévue par l'article 267-1 qui la qualifie de recours contre les commettants.
Aux termes de l'article 1er de l'arrêté n° 1447 CM du 2 novembre 1999 relatif aux personnes habilitées à déclarer les marchandises en détail et a' l'exercice de la profession de commissionnaire en douane :
Les marchandises ne peuvent être déclarées en détail que par les personnes physiques ou morales suivantes :
1- le propriétaire défini au titre 1er ci-dessous ;
2- le titulaire d'un agrément de commissionnaire en douane ;
3- les titulaires de l'autorisation de dédouaner prévue à' l'article 67 du code des douanes.
En outre, les transporteurs sont admis à' déclarer en détail les marchandises qu'ils transportent, sous réserve qu'il s'agisse d'opérations occasionnelles présentant un caractère exceptionnel.
L'article 4 de cet arrêté dispose que :
Sont considérées comme commissionnaires en douane toutes personnes physiques ou sociétés faisant profession d'accomplir pour autrui les formalités de douane concernant la déclaration en détail des marchandises, que cette profession soit exercée a' titre principal ou qu'elle constitue le complément normal de l'activité principale.
L'article 16 précise que le commissionnaire en douane peut agir en son nom propre ou comme mandataire du propriétaire des marchandises.
L'article 2 définit le propriétaire par référence à l'article 544 du code civil à condition pour lui d'être en mesure de justifier de son droit de propriété. L'article 3 prévoit que :
Sont considérés comme propriétaires, a' condition de justifier de leur qualité par la présentation de documents commerciaux et de titres de transport établis à' leur nom propre ou à' leur ordre :
a- les détenteurs des marchandises qui en ont négocié l'achat ou la vente en leur nom propre ;
b- les expéditeurs ou destinataires réels des marchandises.
L'article 16 prévoit que le commissionnaire rédige lui-même la déclaration, liquide provisoirement les droits et taxes a' peine d'irrecevabilité de ce document et présente lui- même les marchandises a' la vérification.
L'article 14-2 impose au commissionnaire en douane de conserver pendant trois ans les documents relatifs à' chaque opération de dédouanement, et notamment :
a) - ordre de dédouanement ;
b) - copie de la déclaration ;
c) - titres de transport ;
d) - liste de colisage ;
e) - facture du commissionnaire ;
f) - décompte des frais d'assurance ;
g) - pièces concernant les débours annexes ;
h) - bons de livraison ;
i) - toutes les correspondances relatives a' l'opération.
Le contrat de commission en douane est un contrat de mandat (Cass. com., 4 oct. 1988, n° 87-10.471).
En qualité de mandataire, le commissionnaire en douane est soumis aux dispositions des articles 1991 et suivants du Code civil. Il est donc tenu d'accomplir son mandat (C. civ., art. 1991) et répond des fautes qu'il commet dans sa gestion (C. civ., art. 1992). Il doit rendre compte à son mandant (C. civ., art. 1993). Il est tenu d'un devoir de conseil à l'égard de son client. À ce titre, le commissionnaire en douane doit notamment vérifier en temps utile les exigences de la réglementation quant à l'origine des produits et s'assurer de l'obtention de tous les documents nécessaires (CA Paris, 22 mai 2003 : BTL 2003, p. 588).
Néanmoins, la jurisprudence retient que ce devoir de conseil ne peut s'exercer que si le commissionnaire dispose d'informations utiles (CA Paris, ch. 14, sect. A, 14 mars 2007 : JurisData n° 2007-343293), et qu'il n'est pas tenu d'interroger son mandant pour s'assurer de l'exactitude de la composition de la marchandise (CA Paris, pôle 5, ch. 5, 13 sept. 2012, n° 10/06065).
Réciproquement, le mandant est tenu à l'égard du commissionnaire en douane des obligations prévues par les articles 1998 du code civil : il doit lui fournir les moyens nécessaires pour exécuter sa mission et l'indemniser de ses frais.
En l'espèce, les pièces produites ne prouvent pas que [U] [G] ou [R] [I] ont engagé leur responsabilité civile ou contractuelle envers la société [F] TRANSIT à l'occasion des opérations de dédouanement en cause. En effet :
Ainsi que l'a constaté le procès-verbal établi par la douane le 27 septembre 2018 :
«Les faits, repris au paragraphe B - 1), constituent une fausse déclaration dans la désignation du destinataire réel commise à l'aide de fausses factures, infraction prévue et réprimée par les articles 295 et 286 du code des douanes.
Elle porte sur les marchandises importées sous couvert des déclarations en douane n°14PPTI400030397C du 28/08/2014 et n° 14PPTI400033775F du 24/09/2014.
Nom du destinataire déclaré : [I] [R].
Nom du destinataire reconnu : Mme [U] [G] (pour avoir remis les documents à la SARL [F] TRANSIT et lui avoir donné l'ordre d'établir les déclarations en douane au nom de «[R] [I]» sans aucune procuration de M. [R] [I] l'autorisant à agir pour son compte).
Les faits, repris aux paragraphes B - 2) et B - 3), constituent des fausses déclarations de valeur commises à l'aide de fausses factures, infraction prévue et réprimée par les articles 295 et 286 du code des douanes.
Elle porte sur l'ensemble des marchandises importées sous couvert des déclarations en douane n°14PPTI400030397C du 28/08/2014 et n°14PPTl400033775F du 24/09/2014.»
«Responsabilité de la SARL [F] TRANSIT :
La SARL [F] TRANSIT a établi deux déclarations en douane au nom d'une personne qui ne lui a pas donné l'ordre de dédouaner. La SARL [F] TRANSIT a été dans l'incapacité de produire au service des douanes un ordre de dédouaner remis par le titulaire de la déclaration en douane. La SARL [F] TRANSIT n'a pas respecté ses obligations de commissionnaire en douane réglementées par l'arrêté 1447 CM du 2 novembre 1999, pris en application de l'article 65 du Code des Douanes de la Polynésie française, en ne s'assurant pas que la personne qui lui a demandé d'établir les déclarations en douane était bien propriétaire de la marchandise, ou disposait d'un pouvoir de ladite personne pour établir les déclarations en son nom (article 3 dudit arrêté) et n'a pas demandé un ordre de dédouaner tel que prévu à l'article 14 dudit arrêté.
Outre, les mesures administratives prévues à l'arrêté 1447 CM articles 30 et 31, la SARL [F] TRANSIT est responsable des déclarations en douane qu'elle établit (articles 267 et 268 du Code des Douanes de la Polynésie française). De surcroît, les déclarations en douane n°14PPTI4Q0030397C du 28/08/2014 et n° 14PPTI400033775F du 24/09/2014 établies par la SARL [F] TRANSIT constituent des fausses déclarations de valeur commises à l'aide de fausses factures ainsi que des fausses déclarations dans la désignation du destinataire réel commises à l'aide de fausses factures, infractions prévues et réprimées par les articles 295 et 286 du code des douanes de la Polynésie française.»
Les fausses déclarations ont été décelées grâce aux investigations approfondies réalisées par la douane, en analysant les documents remis par la société [F] TRANSIT, les transitaires, [R] [I] et [U] [G]. Elles ont été établies par leur rapprochement avec les déclarations en douane.
[R] [I] avait conclu avec l'entreprise MSA KAHIRA sous laquelle exerçait [U] [G] un contrat de louage d'ouvrage pour la construction d'une maison avec des matériaux préfabriqués importés de Chine, comprenant des frais forfaitaires de dédouanement.
Ne s'étant jamais rapprochée de [R] [I], la société [F] TRANSIT n'est pas bien fondée à rechercher sa responsabilité. [U] [G] a reconnu avoir été la seule donneuse d'ordre au commissionnaire en douane.
L'enquête douanière ne démontre pas que la société [F] TRANSIT a manqué à ses obligations légales, réglementaires ou contractuelles au sujet des valeurs déclarées justifiées par des fausses factures. [U] [G], qui était la commettante au sens de l'article 267-1 du code des douanes, a engagé sa responsabilité envers le commissionnaire en douane en lui communiquant des informations dont l'enquête douanière n'a pas établi qu'il aurait pu les vérifier de manière à pouvoir déceler la fraude sur la valeur déclarée. Au demeurant, l'adage selon lequel la fraude corrompt tout doit s'appliquer.
[U] [G] sera donc condamnée à relever et garantir la société [F] TRANSIT à concurrence du montant de 695 204 F CFP au titre des droits et taxes de douane, déclaration 18PPTLDOF00090T du 01/10/2018 dont la société [F] TRANSIT est redevable en exécution de l'avis de recouvrement émis le 23/07/2019.
D'autre part, le montant de 35 286 F CFP de la perte de commission du fait des déclarations minorées que demande la société [F] TRANSIT n'est pas contesté.
La réparation intégrale de son préjudice sera faite en condamnant [U] [G] à lui payer cette somme à titre de dommages et intérêts.
Sur la demande de dommages et intérêts de [U] [G] contre la SARL [F] TRANSIT :
Le jugement dont appel a retenu que :
-Mme [G] doit être déboutée de sa demande dirigée à l'encontre de la SARL [F] TRANSIT tendant à l'obtention de dommages et intérêts, son appel en cause par le commissionnaire en douane n'étant nullement abusif, compte tenu des agissements frauduleux commis par Mme [G] dans le cadre de l'opération de dédouanement litigieuse.
La solution de l'appel motive la confirmation du jugement de ce chef.
L'équité ne commande pas qu'il soit fait application des dispositions de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française devant la cour. Les dépens seront mis pour moitié à la charge de la société [F] TRANSIT et de [U] [G] qui succombent sur l'essentiel de leurs demandes.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant contradictoirement et en dernier ressort ;
En la forme, déclare l'appel recevable ;
Au fond, confirme le jugement entrepris en ce qu'il a :
Dit que la requête dirigée par la SARL [F] TRANSIT à l'encontre de [U] [G] ne se trouve pas dépourvue d'objet ;
Mis hors de cause [R] [I] ;
Débouté [U] [G] de sa demande tendant à l'octroi de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 407 du code de la Polynésie française à l'encontre de la SARL [F] TRANSIT et de [U] [G] ;
L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau :
Déclare irrecevable la demande de décharge des droits et taxes de douane faite par la SARL [F] TRANSIT ;
Dit et juge que la SARL [F] TRANSIT est débitrice envers la POLYNÉSIE FRANÇAISE de la somme de 695 204 F CFP au titre des droits et taxes de douane, déclaration 18PPTLDOF00090T du 01/10/2018 en exécution de l'avis de recouvrement émis le 23/07/2019 ;
Dit et juge que [U] [G] est débitrice envers la POLYNÉSIE FRANÇAISE des sommes fixées par le règlement transactionnel du 17 mai 2019 ;
Dit et juge que [U] [G] et la SARL [F] TRANSIT sont solidairement débiteurs de la POLYNÉSIE FRANÇAISE pour la somme de 695 204 F CFP de droits et taxes de douane, déclaration 18PPTLDOF00090T du 01/10/2018 en exécution de l'avis de recouvrement émis le 23/07/2019 ;
Dit et juge que [U] [G] est entièrement responsable du préjudice subi par la SARL [F] TRANSIT qu'elle a causé par de fausses déclarations de valeur en douane sous le nom de [R] [I] ;
Condamne [U] [G] à relever et garantir la SARL [F] TRANSIT à concurrence du montant de 695 204 F CFP au titre des droits et taxes de douane, déclaration 18PPTLDOF00090T du 01/10/2018 dont la société [F] TRANSIT est redevable en exécution de l'avis de recouvrement émis le 23/07/2019 ;
Condamne [U] [G] à payer à la SARL [F] TRANSIT la somme de 35 286 F CFP au titre de la perte de commission qu'a subie celle-ci du fait des déclarations en douane minorées ;
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française devant la cour ;
Rejette toute autre demande ;
Met à la charge de [U] [G] et de la SARL [F] TRANSIT, chacun pour moitié, les dépens de première instance et d'appel.