CA Pau, 2e ch. sect. 1, 4 juillet 2024, n° 23/01562
PAU
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Global Expertise (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pellefigues
Conseillers :
Mme Baylaucq, M. Darracq
Avocats :
Me Garreta, Me Laforcade, Me Barnèche
Par jugement contradictoire du 9 mai 2023, le tribunal de commerce de Pau a :
Vu les articles 31 et 122 du code de procédure civile,
Jugé Monsieur [D] [M] [W] et Madame [T] [W] recevables à agir à l'encontre de la société Global Expertise, es qualité de rédacteur de l'acte de cession de parts sociales et débouté la société Global Expertise de sa demande,
Débouté partiellement Monsieur [D] [M] [W] et Madame [T] [W] de leurs demandes, fns et prétentions,
Condamné la société Global Expertise à payer à Monsieur [D] [M] [W] et Madame [T] [W] 20 % de la somme de 38 929,90 € avec intérêts au taux contractuel de 2,39 % l'an à compter du 03 juillet 2019, somme versée par Monsieur [D] [M] [W] et Madame [T] [W] au Credit Agricole.
Condamné Monsieur [D] [M] [W] et Madame [T] [W] à payer à la société Global Expertise la somme de 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamné Monsieur [D] [M] [W] et Madame [T] [W] aux entiers dépens dont les frais de greffe taxés et liquidés à la somme de 60.22 € en ce compris l'expédition de la présente décision.
Par déclaration du 2 juin 2023, la SAS Global Expertise a interjeté appel de la décision.
Une ordonnance du conseiller de la mise en état du 30 avril 2024 a débouté [D] [M] [W] et [T] [W] de leur demande de radiation de l'affaire et déclaré irrecevables les conclusions et pièces notifiées dans l'intérêt de [D] [M] [W] et [T] [W] en date du 11 décembre 2023.
L'ordonnance de clôture du 10 avril 2024 a fait l'objet d'un rabat le 29 avril 2024.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 14 Mai 2024.
Les parties ont été avisées par message RPVA que la décision sera rendue par anticipation le 04 juillet 2024.
La SAS Global Expertise conclut à :
Vu les articles 31, 122 et 123 du code de procédure civile,
Vu l'article 1346 du code de procédure civile,
Vu l'ordonnance rendue par le Conseiller de la mise en état de la Cour d'appel de
Pau en date du 30 avril 2024 (nº24/1474)
Vu les pièces et la jurisprudence versées aux débats,
- Infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Pau en date du 9 mai 2023, en ce qu'il a déclaré recevable l'action diligentée par Madame [T] [W] et Monsieur [D] [M] [W], et en ce qu'il a condamné la société Global Expertise à leur verser 20% de la somme de 38 929,90 €, avec intérêts au taux contractuel de 2,39 % l'an à compter du 3 juillet 2019, pour manquement à son obligation de conseil,
En conséquence,
Statuant à nouveau
À titre liminaire,
- Écarter des débats les conclusions et pièces notifiées par Madame [T] [W] et Monsieur [D] [M] [W] en date du 11 décembre 2023 et déclarées irrecevables par le Conseiller de la mise en état,
- Écarter a fortiori des débats les conclusions notifiées par Madame [T] [W] et Monsieur [D] [M] [W] en date du 13 mai 2024,
- Prendre Acte de ce que Madame [T] [W] et Monsieur [D] [M] [W] sont réputés s'approprier les motifs du jugement rendu en première instance,
À titre principal,
- Juger que Monsieur [D] [M] [W] et Madame [T] [W] sont dépourvus d'intérêt à agir,
En conséquence :
- Juger leurs demandes irrecevables comme se heurtant à une fin de non-recevoir,
- Débouter Monsieur [D] [M] [W] et Madame [T] [W] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,
À titre subsidiaire,
- Déclarer Monsieur [D] [M] [W] et Madame [T] [W] mal fondés en leurs demandes, en raison de l'absence de manquement de la société Global Expertise à son devoir d'information et de conseil,
En conséquence :
- Débouter Monsieur [D] [M] [W] et [T] [W] de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions ;
À titre très subsidiaire,
- Réduire le montant de la condamnation qui serait prononcée à l'encontre de la société Global Expertise à hauteur de 20% des sommes versées par Monsieur [D] [M] [W] et Madame [T] [W] au Credit Agricole,
En tout etat de cause,
- Condamner Monsieur [D] [M] [W] et Madame [T] [W] à verser à la société Global Expertise la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner Monsieur [D] [M] [W] et Madame [T] [W] au paiement des entiers dépens dont distraction au profit de Me Garreta.
*[D] [M] [W] et [T] [W] concluent à :
Vu l'article 910-4 du Code de Procédure Civile ;
Vu le jugement rendu le 09 mai 2023 par le Tribunal de Commerce de Pau ;
Vu les piéces et la jurisprudence versées aux débats,
Recevoir Monsieur [D] [M] [W] et Madame [T] [W] en leurs demandes, fins et conclusions en réponse aux conclusions d'appelant nº2 notifiées par la voie du RPVA le 07 mai 2024 ;
Dire et Juger que la société Global Expertise demande à titre liminaire de prendre acte de ce que Madame [T] [W] et Monsieur [D] [M] [W] sont réputés s'approprier les motifs du jugement rendu en premiére instance ;
Par conséquent,
- Dire et Juger que Monsieur [D] [M] [W] et Madame [T] [W] s'approprient les motifs du jugement rendu le 09 mai 2023 par le Tribunal de Commerce de Pau ;
- Débouter la société Global Expertise de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
- Condamner la société Global Expertise à payer à Monsieur [D] [M] [W] et Madame [T] [W] la somme de 3000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel.
SUR CE,
- Sur les effets de l'ordonnance rendue par le conseiller de la mise en état le 30 avril 2024 ayant déclaré irrecevables les conclusions et pièces notifiées dans l'intérêt de [D] [M] et [T] [W] en date du 11 décembre 2023 :
Les époux [W] ont jugé opportun d'émettre des conclusions le 13 mai 2024 en sollicitant dire et juger qu'ils s'approprient les motifs du jugement rendu le 9 mai 2023.
Ces conclusions sont également irrecevables.
En raison de l'irrecevabilité des conclusions des intimés en application des dispositions de l'article 909 du code de procédure civile, il y a lieu de faire application de l'article 954 du code de procédure civile, dernier alinéa suivant lesquelles : « la partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s'en approprier les motifs. »
- Sur la fin de non-recevoir soulevée par la SAS Global Expertise tirée de l'absence d'intérêt à agir des époux [W] :
La SAS Global Expertise, sur le fondement de l'article 31 du code de procédure civile, rappelle que l'intérêt à agir doit être actuel, direct et personnel et qu'à défaut de justifier d'un intérêt à agir, les demandes seront reconnues irrecevables.
En effet, l'intérêt à agir doit s'apprécier au jour de l'introduction de la demande en justice et les consorts [W] reconnaissent implicitement ne pas avoir réglé les causes du commandement aux fins de saisie vente qui leur a été délivré par le Crédit Agricole et ne justifient nullement de l'échéancier éventuellement obtenu.
Le tribunal a retenu qu'il est caractérisé que les époux [W] vont, dans les jours et semaines à venir, devoir parvenir à un règlement, soit au moyen d'un échelonnement, soit au moyen de la souscription d'un crédit, soit, dans l'hypothèse de l'exclusion de ces deux solutions, par la poursuite de la mesure de saisie et a considéré qu'ils démontraient bien dans ces conditions leur intérêt à agir.
L'article 31 du code de procédure civile dispose que : « l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention ».
La Cour de cassation a pu préciser que l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bienfondé de l'action, et l'existence du préjudice invoqué par le demandeur dans le cadre d'une action en responsabilité n'est pas une condition de recevabilité de son action mais du succès de celle-ci.
En l'espèce, l'intérêt à agir des époux [W] est caractérisé de par leur qualité de caution du prêt et les poursuites exercées par le Crédit Agricole à leur encontre en raison du non-paiement du crédit souscrit par la SARL Les Belles, même si l'action en paiement du Crédit Agricole ne s'est pas encore concrétisée par un versement par les cautions des sommes dues au titre du prêt.
La fin de non-recevoir sera donc rejetée et l'action des époux [W] déclarée recevable.
Au fond :
Le 31 août 2015, la SARL Les Belles a souscrit auprès de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Pyrénées Gascogne un prêt de 55.000 euros remboursable en 84 échéances au taux de 2,39% l'an.
[D] [M] [W] et son épouse [T] [W], alors associés de la société Les Belles, se sont portés cautions de ce prêt par acte sous seing privé, dans la limite de 71.500 € en principal et intérêts.
Suivant acte de cession de parts sociales en date du 6 juin 2017, la SARL El Diablo, [D] [M] [W] et [T] [B] [S] épouse [W] ont cédé à [E] [K], à [I] [N] et à [J] [V] les 50 parts sociales de 100 € chacune de la société à responsabilité limitée dénommée les Belles, dont le siège est à [Localité 7].
Il était précisé dans l'acte de cession des parts sociales que les cédants déclaraient avoir consenti une caution personnelle au profit du Crédit Agricole pour garantir les engagements financiers de la société les Belles et que les cessionnaires déclaraient expressément se substituer au cédant pour la prise en charge de ladite caution.
Le transfert se ferait postérieurement à la signature des présentes.
Cet acte de cession de parts sociales a été rédigé et soumis aux parties pour signature par la société Global Expertise, expert-comptable de la société Les Belles.
En date du 17 juillet 2018, Monsieur [D] [M] [W] et Madame [T] [B] [S] épouse [W] recevaient un courrier du Credit Agricole les informant de ce que la SARL Les Belles faisait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire et leur rappelant qu'ils s'étaient portés cautions solidaires de cette SARL.
Par jugement du 3 juillet 2019 le tribunal de commerce de Pau a converti la procédure de redressement judiciaire de la SARL Les Belles en liquidation judiciaire.
Aucune formalité n'a été effectuée pour assurer le transfert des cautions.
C'est ainsi que [D] [M] [W] et [T] [B] [S] épouse [W] ont mis en demeure Monsieur [E] [K], Madame [I] [N] et Monsieur [J] [V] suivant correspondance en date du 07 Septembre 2018 a'n qu'ils procèdent aux démarches nécessaires auprès du Crédit Agricole pour leur engagement en tant que caution personnelle du crédit souscrit au profit de la SARL Les Belles.
En date du 20 octobre 2020, le Crédit Agricole assignait [D] [M] [W] et [T] [B] [S] épouse [W] en leur qualité de caution personnelle en raison du non-paiement du crédit souscrit par la SARL Les Belles.
[D] [M] [W] et [T] [W] ont poursuivi, en exécution de l'acte de cession de parts sociales, la condamnation solidaire des trois cessionnaires des parts sociales à les garantir et relever indemnes de toutes condamnations prononcées à leur encontre.
Le Tribunal judiciaire de Pau par jugement du 10 mai 2022 a débouté [D] [M] [W] et [T] [B] [S] épouse [W] de leur demande.
- Sur la responsabilité contractuelle de l'expert-comptable :
[D] [M] [W] et [T] [B] [S] épouse [W] ont poursuivi le rédacteur de 1'acte de cession des parts sociales, à savoir la société Global Expertise sur le fondement de la responsabilité contractuelle devant le tribunal de commerce de Pau pour avoir manqué à ses obligations professionnelles dans le cadre de la mission de rédaction de l'acte de cession de parts sociales du 6 juin 2017.
Ils considèrent que ce manquement contractuel est générateur du préjudice qu'ils subissent.
Le tribunal de commerce a rendu le jugement dont appel en faisant droit partiellement à leur demande en réparation, en considérant que la société Global Expertise avait commis un « défaut de conseil » car elle aurait dû faire de l'accord de la banque à la substitution de caution, une condition suspensive de la cession des titres de la société et en indemnisant la perte de chance d'obtenir la mainlevée des cautionnements à hauteur de la somme de 20 % de la somme réclamée par les époux [W].
La société Global Expertise conteste toute faute. Elle rappelle que les stipulations de l'acte de cession des parts sociales du 6 juin 2017 sont claires et sans équivoque et mettent à la charge du cessionnaire la réalisation des démarches nécessaires à la substitution de la caution.
Elle démontre avoir informé les parties par mail des conditions de la cession ainsi que des actions à mener avant la cession dont le fait de substituer les cautions de Monsieur et Madame [W]. En effet suivant ce mail elle indique : « il faut avant la cession' faire substituer les cautions de Monsieur et Madame [W] par les nouveaux associés. »
Elle considère que les cessionnaires ont engagé leur responsabilité et qu'aucune faute ne peut être retenue à son encontre en invoquant aussi l'absence de lien de causalité entre sa prétendue faute et le préjudice invoqué puisque le préjudice invoqué a pour unique cause l'abstention délibérée des cessionnaires d'effectuer les démarches nécessaires à leur substitution.
À titre subsidiaire il est demandé de confirmer le jugement en ce qu'il a limité l'indemnisation à une perte de chance ne pouvant excéder 20 % du montant des sommes mises à la charge des demandeurs.
L'article 1231-1 du Code civil dispose que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.
La société Global Expertise expert-comptable ne conteste pas sa qualité de rédacteur de l'acte puisqu'elle précise que l'acte de cession a été rédigé et soumis aux parties pour signature par elle-même en sa qualité d'expert-comptable de la SARL Les Belles.
La Cour de cassation a jugé que l'intermédiaire professionnel qui prête son concours à la rédaction d'un acte, après avoir été mandaté par l'une des parties, est tenu de s'assurer que se trouvent réunies toutes les conditions nécessaires à l'efficacité juridique de la convention, même à l'égard de l'autre partie.
Il est donc tenu d'une obligation de conseil et le cas échéant de mise en garde en ce qui concerne notamment les effets et les risques des stipulations convenues et l'existence d'une clause claire dans l'acte ne dispense pas le professionnel d'informer les parties sur les conséquences qui s'y attachent.
Il résulte des pièces communiquées que le 1er juin 2017 le cabinet d'experts-comptables a adressé un mail à Madame [W] en demandant ses observations notamment au niveau des parties surlignées. Le titre de l'article 8 intitulé CAUTIONS PERSONNELLES a effectivement été surligné mais pas la mention suivant laquelle les cessionnaires déclarent expressément se substituer au cédant pour la prise en charge de ladite caution.
Le 6 juin 2017 à 14h57 Monsieur [W] a été destinataire d'un mail du Crédit Agricole transmettant une fiche permettant : « d'étudier l'éventuelle capacité des repreneurs à venir se substituer à votre caution. »
L'acte de cession de parts sociales final comporte une phrase à l'article 8 qui ne figurait pas au projet soumis par l'expert-comptable aux consorts [W] à savoir en ce qui concerne la substitution de cautions : « le transfert sera fait postérieurement à la signature des présentes. »
Le fait même que cette mention importante, n'apparaisse pas dans le projet n'est pas indifférent en ce qui concerne la responsabilité du transfert de l'engagement de caution et sa réalisation finalement postérieure à la signature de l'acte ce qui présente un risque pour les cédants sur lequel le rédacteur de l'acte aurait dû les mettre en garde.
Il y a donc lieu de retenir le manquement à son devoir de conseil de la part de l'expert-comptable et de le condamner à indemniser le préjudice subi par les consorts [W] consistant en la perte de chance de ne pas être actionnés en tant que caution.
Il sera tenu compte, dans l'appréciation de la gravité de ce manquement, du mail adressé avant l'acte de cession attirant l'attention sur le sujet des cautions mais le rédacteur de l'acte aurait dû insister sur la nécessité pour ses clients de prendre toutes les garanties utiles pour obtenir le transfert des cautions alors que finalement l'acte prévoit que le transfert sera postérieur à la signature sans déterminer les modalités de ce transfert et les garanties prises pour en assurer l'efficacité.
Le jugement déféré sera confirmé sur le montant des dommages et intérêts alloués aux époux [W] à la charge de la société Global Expertise.
La somme de 1000€ sera mise à la charge des époux [W] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
statuant publiquement, par mise à disposition au greffe par arrêt contradictoire en dernier ressort
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions
Y ajoutant
Condamne [D] [M] [W] et [T] [W] à payer à la société Global Expertise la somme de 1000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles engagés en cause d'appel.
Dit [D] [M] [W] et [T] [W] tenus aux dépens, dont distraction au profit de Me Garetta, avocat.