CA Lyon, 3e ch. A, 17 octobre 2024, n° 24/02474
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Blind Bend Studio (SAS)
Défendeur :
Marie Dubois (Selarl)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dumurgier
Conseillers :
Mme Jullien, Mme Le Gall
Avocats :
Me Laffly, Me Happi
EXPOSÉ DU LITIGE
La SASU Blind Bend Studio a une activité de production, conception, développement et commercialisation de contenus et de services relatifs à l'industrie de l'audiovisuel, de la télévision, du multimédia et du jeu vidéo.
Elle a été assignée en liquidation judiciaire par une ancienne salariée, Mme [N], qui n'avait pas obtenu le paiement de la somme de 14.180 euros suite à un procès-verbal de conciliation totale obtenu devant le conseil de prud'hommes de Lyon le 10 janvier 2023, malgré la mise en 'uvre de mesures d'exécution forcée. À titre subsidiaire, une mesure de redressement judiciaire était sollicitée.
Par jugement du 16 janvier 2024, le tribunal de commerce de Lyon a, notamment :
constaté l'état de cessation des paiements de la société Blind Bend Studio et prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à son profit,
fixé provisoirement son état de cessation des paiements à la date du 30 janvier 2023,
fixé la fin de la période d'observation au 16 juillet 2024,
nommé la Selarl Marie Dubois en qualité de mandataire judiciaire.
Par requête du 5 février 2024, la Selarl Marie Dubois ès-qualités a saisi le tribunal de commerce d'une demande de conversion de la procédure en liquidation judiciaire.
À l'appui de sa requête, elle faisait valoir que le passif s'élevait à un montant global de 132.000 euros et que la société Blind Bend Studio ne disposait d'aucun actif et ne dégageait aucun chiffre d'affaires, ses seuls revenus provenant d'un crédit d'impôt innovation ou bien de subventions, aucun financement privé n'étant obtenu, ce qui empêchait toute perspective de redressement.
Le mandataire judiciaire indiquait en outre que le produit développé par la société n'était qu'à l'état de prototype et qu'aucune commercialisation n'était envisageable à brève échéance.
Il était rappelé dans la requête qu'un recours aux AGS avait été nécessaire en raison de soldes de tout compte ou de sommes restant dues à d'anciens salariés.
Par jugement contradictoire du 5 mars 2024, le tribunal de commerce de Lyon a :
prononcé la conversion de la procédure de redressement judiciaire ouverte à l'encontre de la société Blind Bend Studio en liquidation judiciaire normale,
a fixé définitivement la date de cessation des paiements au 30 janvier 2023,
nommé la Selarl Marie Dubois comme liquidateur judiciaire,
fixé au 5 mars 2026 la date à laquelle la clôture de la procédure devrait être examinée,
dit que les dépens seront passés en frais privilégiés de procédure.
Par acte du 21 mars 2024, la société Blind Bend Studio a interjeté appel de cette décision.
***
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 24 avril 2024, la société Blind Bend Studio demande à la cour, au visa des articles L.621-3, L.622-17 et L.622-24 du code de commerce, de :
la déclarer recevable et bien fondée en son appel,
Y faisant droit,
annuler la décision déférée,
infirmer la décision rendue par les juges du fond en ce qu'elle a :
prononcé la conversion en liquidation judiciaire normale (L641-1) de la société Blind Bend Studio, inscrite au registre du commerce et des sociétés sous le numéro 901 045 211 de Lyon, société par actions simplifiée, [Adresse 3] - production, conception, développement et commercialisation de contenus et de services relatifs à l'industrie de l'audiovisuel, de la télévision, du multimédia et du jeu vidéo,
fixé la cessation de paiement de la société le 30 janvier 2023,
nommé la Selarl Marie Dubois, membre du Gie ADN MJ, en qualité de liquidateur judiciaire,
maintenu M. Derderian Raffi, juge commissaire,
maintenu la Selas Actalliance commissaires de justice associés, commissaire-priseur judiciaire,
mis fin à la période d'observation,
fixé au 5 mars 2026 le délai au terme duquel la clôture devra être examinée,
dit que les dépens seront passés en frais privilégiés de procédure,
annuler le jugement rendu par le tribunal de commerce de Lyon en date du 5 mars 2024 ; de faire application des dispositions de l'article L.621-3 du code de commerce en ouvrant une période d'observation d'une durée maximale de six mois qui peut être renouvelée une fois, afin de lui permettre l'éligibilité au financement de la région Auvergne-Rhône-Alpes de nature à permettre son redressement et la mise en 'uvre d'un plan de redressement judiciaire,
prononcer l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société Blind Bend Studio,
annuler le jugement rendu par le tribunal de commerce de Lyon en date du 5 mars 2024,
en conséquence :
dire et juger que le montant du passif de la société Blind Bend Studio auprès de l'Urssaf, tel qu'il ressort du relevé de situation comptable à jour au 22 avril 2024, est de 56.811.07 euros,
prononcer l'ouverture du redressement judiciaire de la société Blind Bend Studio,
dire et juger que le montant du passif de la société Blind Bend Studio auprès de l'Urssaf révèle des incohérences qu'il serait judicieux de clarifier,
appliquer les dispositions de l'article L.621-3 du code de commerce en ouvrant une période d'observation d'une durée maximale de six mois qui peut être renouvelée une fois, pour une durée maximale de six mois, afin de permettre un redressement judiciaire de la société Blind Bend Studio,
En tout état de cause, de :
débouter la Selarl Marie Dubois, mandataire liquidateur, de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires aux présentes,
condamner la Selarl Marie Dubois, mandataire liquidateur, à verser à la société Blind Bend Studio la somme de « dix mille-50.000 euros » (sic) en réparation du préjudice subi par cette dernière du fait de son inéligibilité aux subventions de la région Auvergne-Rhône-Alpes à la suite du prononcé du jugement de liquidation judiciaire,
condamner la Selarl Marie Dubois, mandataire liquidateur, à verser à la société Blind Bend Studio la somme de dix mille ' 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner la Selarl Marie Dubois, mandataire liquidateur aux entiers dépens.
La Selarl Marie Dubois en qualité de mandataire judiciaire de la société Blind Bend Studio, à qui la déclaration d'appel a été signifiée par acte du 26 mars 2024, n'a pas constitué avocat au motif de l'impécuniosité de la procédure.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 3 septembre 2024, les débats étant fixés au 19 septembre 2024.
Un avis a été sollicité auprès du Ministère Public en date du 25 mars 2024, qui en date du 16 septembre 2024 a sollicité la confirmation de la décision déférée.
Pour un plus ample exposé des moyens et motifs des parties, renvoi sera effectué à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
L'appelante ne développant aucun moyen de droit ou de fait au soutien de sa demande d'annulation du jugement entrepris, elle sera déboutée de ce chef de demande.
Sur la demande de maintien de la procédure de redressement judiciaire ouverte par jugement du tribunal de commerce de Lyon du 16 janvier 2024
La société Blind Bend Studio fait valoir que :
le mandataire judiciaire a fait une analyse erronée du passif déclaré par l'Urssaf en retenant la somme de 74.000 euros dans la requête en conversion alors que la déclaration de créances retient la somme de 56.811,07 euros,
une erreur a été commise concernant l'appréciation de l'assiette des créances salariales puisque l'AGS indique avoir versé la somme totale de 46.874,62 euros alors même qu'elle avait pris soin de régler une partie des sommes dues à hauteur de 17.495,79 euros qui doit être défalquée du montant déclaré,
elle n'a pas été informée de l'augmentation d'un passif évalué à la somme de 132.000 euros puis à la somme de 159.337,36 euros outre 45.000 euros à titre provisionnel,
elle dispose de perspectives de redressement puisqu'elle dispose de créances potentielles pour la somme de 42.800 euros car elle peut bénéficier d'un crédit d'impôt, toutes les pièces ayant été transmises au mandataire judiciaire à cette fin,
le business plan présenté par l'expert-comptable sollicité démontre la possibilité de développement d'un chiffre d'affaires sur les deux années à venir, en tenant compte des subventions qui peuvent être reçues de la part de la région mais aussi de la part d'investisseurs privés dont Microsoft, ce qui permet d'envisager un résultat d'environ 2.598.700 euros à la fin de l'exercice 2026,
elle a déjà bénéficié d'une subvention de 42.000 euros de la part de la région Auvergne-Rhône-Alpes pour le développement de son prototype et peut envisager de solliciter une nouvelle subvention de 150.000 euros pour la phase de production, ce qu'elle n'a pu faire en raison du prononcé de la liquidation judiciaire,
il a été confirmé par la région Auvergne-Rhône-Alpes que le placement en liquidation judiciaire faisait obstacle à tout octroi de subvention, ce qui a nui à son équilibre financier.
Sur ce,
L'article L631-1 alinéa 1 du code de commerce dispose que : « Il est institué une procédure de redressement judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné aux articles L. 631-2 ou L. 631-3 qui, dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, est en cessation des paiements. Le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n'est pas en cessation des paiements. »
L'article L631-15 II du même code dispose que : « A tout moment de la période d'observation, le tribunal, à la demande du débiteur, de l'administrateur, du mandataire judiciaire, d'un contrôleur, du ministère public ou d'office, peut ordonner la cessation partielle de l'activité ou prononcer la liquidation judiciaire si le redressement est manifestement impossible.
Il statue après avoir entendu ou dûment appelé le débiteur, l'administrateur, le mandataire judiciaire, les contrôleurs et la ou les personnes désignées par le comité social et économique, et avoir recueilli l'avis du ministère public.
Lorsque le tribunal prononce la liquidation, il met fin à la période d'observation et, sous réserve des dispositions de l'article L. 641-10, à la mission de l'administrateur. »
En l'espèce, il ressort des éléments soumis aux débats que la société Blind Bend Studio, appelante, ne dispose pas d'une trésorerie propre et n'obtient de ressources que par le biais de remboursements éventuels de crédit d'impôts recherches ou bien de subventions.
Il est constant que ces ressources ne sont que conditionnelles et que la société appelante ne peut systématiquement prétendre les obtenir, d'autant que s'agissant des subventions, notamment de la région Auvergne-Rhône-Alpes, elle en a déjà bénéficiée et ne peut les considérer comme des ressources pérennes.
Par ailleurs, il est à noter que l'appelante n'a pas été en mesure de faire face avec ses fonds propres aux sommes dues à ses anciens salariés, les sommes nécessaires suite aux différentes conciliations mises en 'uvre devant le Conseil de Prud'hommes de Lyon ayant été payées par l'AGS qui devient donc créancière de la société et bénéficie d'un super-privilège à ce titre.
Il appartient à la juridiction qui se prononce sur la situation d'une société quant à son placement en liquidation judiciaire ou son maintien en redressement judiciaire de se placer au jour où elle prend sa décision.
Or, il ressort des écritures de la partie appelante mais aussi des pièces versées aux débats que seules des hypothèses sont émises concernant l'obtention de fonds, étant rappelé que la société Blind Bend Studio ne commercialise encore aucun produit et ne dégage aucun chiffre d'affaires.
Au jour où la cour statue, la société Blind Bend Studio ne dispose pas des ressources financières nécessaires pour faire face au passif déclaré tant à titre définitif qu'à titre provisoire, y compris en tenant compte des sommes que l'appelante dit avoir réglées, ce qui démontre un état de cessation des paiements continu.
Aucun élément présenté ne permet d'envisager le maintien d'une période d'observation pour mettre en 'uvre une éventuelle poursuite d'activité étant rappelé que la trésorerie de l'appelante est inexistante et ne permet pas d'assurer les charges courantes de la société, notamment les cotisations dues à l'URSSAF. Aucun élément de compte ne permet en outre de démontrer un apport de financement fiable et constant au profit de l'appelante pour envisager la poursuite d'une activité dans le cadre d'une période d'observation et d'une procédure de redressement judiciaire.
C'est donc à raison, au regard de la situation définitivement obérée de la société Blind Bend Studio, que les premiers juges ont prononcé son placement en liquidation judiciaire.
En conséquence, il convient de confirmer la décision déférée dans son intégralité.
Sur la demande de dommages-intérêts formée par la société Blind Bend Studio
L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
En l'espèce, il est constaté que la société Blind Bend Studio échoue en ses prétentions mais en outre ne rapporte pas la preuve de l'existence d'une faute imputable à la Selarl Marie Dubois dans le cadre de son activité.
Il convient en conséquence de débouter la société Blind Bend Studio de sa demande.
Sur les demandes accessoires
La société Blind Bend Studio échouant en ses prétentions, elle sera condamnée à supporter les entiers dépens de la procédure d'appel qui seront pris en frais privilégiés de procédure collective.
L'équité ne commande pas de lui accorder une indemnisation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et dans les limites de l'appel
Déboute la SAS Blind Bend Studio de sa demande d'annulation du jugement rendu le 5 mars 2024 par le tribunal de commerce de Lyon,
Confirme dans son intégralité la décision déférée,
Y ajoutant
Déboute la SAS Blind Bend Studio de sa demande de dommages-intérêts,
Laisse à la SAS Blind Bend Studio la charge des dépens de la procédure d'appel qui seront employés en frais privilégiés de procédure collective,
Déboute la SAS Blind Bend Studio de sa demande d'indemnisation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.