CA Caen, 2e ch. civ., 17 octobre 2024, n° 23/00893
CAEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Patrelle (SAS)
Défendeur :
Amcor Flexibles (SP.ZO.O)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Emily
Conseillers :
Mme Courtade, M. Gouarin
Avocats :
Me Cousin, Me Pajeot, Me Rota, Me Alves
La SAS Patrelle a une activité industrielle agroalimentaire de production de confiseries diverses.
La société de droit polonais Amcor flexibles [Localité 4] SP.ZO.O est une société membre du groupe Amcor qui développe et produit des emballages notamment pour aliments.
Suivant bon de commande du 14 juin 2017, la SAS Patrelle a commandé à la société Amcor flexibles [Localité 4] 300.000 opercules rouges de fermeture pour des pots dénommés 'snacks' qu'elle devait fabriquer pour le groupe Auchan Pologne, comportant chacun 2 compartiments: le premier pour des biscuits gressins, le second pour une sauce.
La livraison des opercules est intervenue le 19 juin 2007 et a donné lieu à l'établissement d'une facture le 17 juin 2017 à hauteur de 4.140,48 euros.
La SAS Patrelle a alors procédé à la fabrication des snacks qu'elle a refermés avec les opercules et qu'elle a livrés à la société Auchan.
Constatant des fuites au niveau des opercules, la société Auchan a exigé le retrait total de toutes les marchandises.
Toute la marchandise a dû être détruite.
Par ordonnance de référé du 4 octobre 2019, le président du tribunal de commerce de Lisieux a ordonné une expertise.
M. [X], désigné en qualité d'expert, a déposé son rapport le 29 avril 2021.
Par acte d'huissier du 21 janvier 2022, la SAS Patrelle a fait assigner la société Amcor flexibles [Localité 4] devant le tribunal de commerce de Lisieux en paiement de diverses indemnités au titre de la perte de stocks, du préjudice commercial lié à la perte du client Auchan, et du coût des analyses privées.
Par jugement du 27 janvier 2023, le tribunal de commerce a :
- débouté la SAS Patrelle de l'ensemble de ses demandes,
- condamné la SAS Patrelle à payer à la société Amcor flexibles [Localité 4] la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SAS Patrelle aux entiers dépens comprenant les frais d'expertise judiciaire et liquidé les frais de greffe à la somme de 69,59 euros.
Par déclaration du 14 avril 2023, la SAS Patrelle a interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 21 mai 2024, la SAS Patrelle demande de :
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
- condamner la société Amcor flexibles [Localité 4] à lui payer les sommes suivantes :
- 103.500 euros au titre de la perte de stock,
- 30.000 euros au titre du préjudice immatériel lié à la perte du client Auchan,
- 6.650 euros au titre du coût des analyses privées réalisées,
- condamner la société Amcor flexibles [Localité 4] au paiement d'une somme de 15.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépenscomprenant les frais d'expertise et les frais de traduction exposés par la société Patrelle.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 12 octobre 2023, la société Amcor flexibles [Localité 4] demande de :
- confirmer le jugement entrepris,
en toutes hypothèses,
- débouter la société Patrelle de ses demandes plus amples et contraires,
- condamner la société Patrelle à lui payer la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 5 juin 2024.
Il est expressément renvoyé aux écritures précitées pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
MOTIFS
Aux termes de son rapport d'expertise établi après avoir fait réaliser des tests de vieillissement et des analyses par le laboratoire LRCCP qui a rendu un rapport le 30 septembre 2020 et un rapport complémentaire en réponse aux dires des parties, l'expert judiciaire indique :
- les opercules litigieux sont constitués d'un système tri-couches, composé d'une feuille d'aluminium gaufré revêtue, pour la partie en contact alimentaire, d'un film en polyéthylène, et pour la partie extérieure, d'un film à base de polymère ; le film polyéthylène présente des hétérogénéités d'épaisseur ;
- les désordres consistent en une migration de la sauce ketchup à travers l'opercule, au centre de celui-ci (diffusion du ketchup à travers la couche polyéthylène permettant la corrosion du film d'aluminium) ; cette dégradation de l'opercule entraîne inévitablement celle du contenant du pot et le rend impropre à sa consommation ;
- les désordres ont été constatés uniquement sur les snacks contenant du ketchup et sont généralisés au lot en question ;
- les tests de migration réalisés par la société Amcor (tests obligatoires destinés à vérifier si des éléments chimiques du contenant migrent vers la nourriture et modifient son caractère alimentaire) montrent l'absence de migration avec l'acide acétique à 3 % (pH d'environ 2,7), soit un opercule conforme à la spécification donnée par la société Patrelle lors de la commande, qui projetait une utilisation avec des matrices grasses et acides présentant un pH de 3,6 environ ;
- la température de scellage des pots adoptée par la société Patrelle, plus élevée que celle recommandée par la société Amcor (240°C au lieu de 130-160°C), n'a pas eu d'incidence significative.
L'expert judiciaire conclut que malgré une épaisseur apparemment mal contrôlée de la couche de polyéthylène du système 'trois couches' de l'opercule, le désordre lié à la migration du ketchup à travers ce dernier a pour cause l'incompatibilité de l'opercule avec cette sauce et que ce désordre est imputable à la société Patrelle qui avait seule la connaissance du produit final utilisé et qui n'a pas mis en 'uvre les tests de vieillissement recommandés par la société Amcor lesquels auraient permis de montrer dans le temps l'incompatibilité de l'emballage avec le ketchup.
La société Patrelle réfute cette analyse en contestant les conditions dans lesquelles le sapiteur a réalisé les tests et en soutenant notamment que les désordres ont pour cause l'hétérogénéité d'épaisseur des opercules rendant ces derniers impropres à leur usage et qu'ils ont affecté d'autres sauces que le ketchup.
L'expert judiciaire a clairement écarté la première objection en indiquant que si les tests de vieillissement accélérés effectués par LRCCP étaient certes très éloignés des tests de vieillissement classiques, lesquels n'avaient pas été réclamés dans le cadre de l'expertise, ils avaient permis néanmoins de reproduire les mêmes désordres à l'identique.
C'est donc à juste titre que le procédé critiqué a été validé.
S'agissant de l'observation du laboratoire LRCCP: 'il est possible que le film polyéthylène présente des hétérogénéités d'épaisseur favorisant la diffusion', celle-ci est relativisée par l'expert judiciaire qui note à juste titre son caractère très évasif et qui explique les variations d'épaisseur par les contraintes techniques liées au gaufrage du film.
En tout état de cause, l'expert et son sapiteur n'indiquent ni qu'il y a une insuffisance d'épaisseur du film, ni que l'hétérogénéité relevée constitue une défectuosité de l'opercule ni qu'elle est la cause du désordre. A cet égard, l'intimée fait justement remarquer que le fait que la différence d'épaisseur favorise la diffusion du ketchup ne signifie pas qu'elle est à l'origine du dommage.
De plus, dans son rapport complémentaire, le laboratoire LRCCP écrit que 'ces éventuelles hétérogénéités peuvent être présentes à l'origine ou résulter de l'opération de scellage'.
Il n'y a donc pas lieu de retenir un vice de l'opercule à ce titre.
Par ailleurs, l'ensemble des éléments du dossier montre que le sinistre concerne uniquement les pots contenant du ketchup.
Le mail de l'ingénieur qualité d'Auchan du 3 janvier 2018, dénonçant le problème, vise en objet, exclusivement: 'ketchup snack/Russie' (pièce n° 6 l'appelante).
Il en est de même du courrier adressé le 15 février 2018 par l'assureur de la société Patrelle à la société Amcor qui fait référence à des désordres sur les seuls snacks contenant du ketchup (pièce n°10 de l'appelante).
Dans son courrier en réponse du 19 février 2018, l'intimée évoque elle aussi un problème de migration du 'ketchup' passant à travers l'opercule (à l'exclusion de toute autre sauce) (pièce n° 11 de l'appelante).
Le laboratoire Eurofins mandaté par la société Patrelle, qui a analysé des pots contenant du ketchup et de la sauce barbecue, n'a relevé des tâches que sur les pots de ketchup (pièce n° 10 de l'appelante).
Enfin, les signes initiaux de corrosion qui ont été constatés sur quelques opercules en contact avec la sauce Tex Mex étaient manifestement liés à un large dépassement de la date limite de vente.
L'appelante fait encore valoir qu'elle avait déjà pratiqué des tests de vieillissement avec des opercules de marque différente provenant d'un autre fournisseur (notamment MBL) et présentant les mêmes caractéristiques (opercule en aluminium), lesquels avaient été validés sans difficulté, et qu'elle n'avait donc pas à les reproduire (pièces n° 25 à 27 de l'appelante).
Cependant, aucune conclusion ne peut être tirée de ces résultats dès lors qu'il apparaît que les opercules MBL présentent une épaisseur et des composants différents de ceux des produits Amcor. A titre d'exemple, il est mentionné sur la fiche technique des premiers une laque avec un vernis thermocollant qui n'existe pas sur les seconds. De même, le système tri-couches des opercules Amcor, avec notamment des films polyéthylène et polymère n'est pas mentionné pour les produits MBL.
Par conséquent, l'appelante ne rapporte pas la preuve lui incombant de ce que les opercules présentent un défaut interne constitutif d'une défectuosité ou d'un vice susceptible d'engager la responsabilité de la société Amcor sur le fondement de la garantie des produits défectueux et/ou de la garantie légale des vices cachés.
Le manquement de la société Amcor à son obligation de délivrance conforme n'est pas davantage démontré dès lors que l'appelante n'a pas préalablement informé la société Amcor de la nature du produit (ketchup) destiné à être conditionné avec l'opercule et que celui-ci répond à la caractéristique spécifiée par la SAS Patrelle lors de la commande dans son courriel du 24 février 2017, à savoir un produit compatible avec des contenus gras et acides présentant un Ph de 3,6, comme l'indique l'expert judiciaire.
S'agissant de l'obligation de conseil, la société Amcor, qui ne connaissait pas la destination finale du produit, a, aux termes de son mail du 23 mars 2017, délivré les informations réclamées avec toute la prudence nécessaire et donné tous les conseils utiles en indiquant 'qu'en théorie, la spécification utilisée serait adaptée', qu'au besoin elle avait une autre spécification pour des conditions d'acidité encore plus extrêmes, que le test de migration effectué était conforme pour une solution d'acide acétique de 3 %, que pour déterminer la durée de conservation, la réalisation de tests était recommandée et qu'il y avait une procédure standart effectuée par ses clients, et que la responsable de la qualité, dont les coordonnées étaient communiquées, était joignable pour plus d'informations.
Le grief tenant au fait que le mail était en partie rédigé en anglais n'est pas sérieux. Il appartenait à la société Patrelle, si ses salariés ne comprenaient pas l'anglais, de le faire traduire ou d'exiger une réponse en français. Elle ne prouve pas s'être méprise sur le sens du message.
Par ailleurs, s'il est exact que les tests de vieillissement préconisés ne sont pas obligatoires et concernent la durée de conservation dans le temps du produit dans un type de conditionnement alors qu'il s'agit en l'espèce d'un problème de compatibilité chimique, pour autant, la réalisation de ce ce type de tests est d'usage et même recommandée dans ce domaine, ce que corrobore la fiche technique du concurrent MLB datant de juin 2015, produite par la SAS Patrelle et qui mentionne: ' Nous vous rappelons qu'il appartient à l'utilisateur de vérifier que nos produits sont compatibles avec l'usage qui en est fait (contenant-contenu, respect des réglementations en vigueur ...)'.
A cet égard, l'expert judiciaire rappelle que 'les tests de vieillissement permettent de montrer dans le temps la compatibilité de l'emballage avec le contenant et qu'ils ne peuvent être mis en 'uvre que par le client final car lui seul possède la connaissance complète de son produit.'
En l'espèce la société Patrelle, pourtant professionnelle dans le secteur de l'agro-alimentaire, s'est abstenue de suivre les recommandations et d'effectuer les tests qui auraient permis de révéler l'incompatibilité de l'opercule avec le ketchup.
Il ressort de l'ensemble de ces éléments, non utilement contredits par les rapports privés produits par la SAS Patrelle, notamment par celui de M. [B], docteur vétérinaire expert au sein du cabinet CPA Experts, que la société Amcor a respecté son obligation de conseil, qu'elle a livré un produit conforme aux spécifications techniques demandées par la société Patrelle et que les désordres ne lui sont pas imputables.
Par suite, elle n'encourt aucune responsabilité, et la SAS Patrelle est déboutée de l'ensemble de ses demandes.
Le jugement est confirmé en toutes ses dispositions y compris celles relatives aux dépens et frais irrépétibles.
La SAS Patrelle succombant, est condamnée aux dépens de première instance et d'appel, à payer à la société Amcor flexibles [Localité 4] SP.ZO.O la somme de 11.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et est déboutée de sa demande formée à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement entrepris ;
Y ajoutant,
CONDAMNE la SAS Patrelle à payer à la société Amcor flexibles [Localité 4] SP.ZO.O la somme complémentaire de 11 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE la SAS Patrelle de sa demande formée à ce titre ;
CONDAMNE la SAS Patrelle aux dépens de l'appel.