CA Aix-en-Provence, ch. 3-3, 17 octobre 2024, n° 20/03969
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Experimental Group (SAS)
Défendeur :
JRR Conseils (SARLU), Solanet Gestion Hôtelière (SAS), Invest Hôtel Carlton's (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Delmotte
Conseillers :
Mme Petel, Mme Martin
Avocats :
Me Imperatore, Me De Pouzilhac, Me Porteron, Me Chatain, Me Ermeneux, Me Dessallien, Me Van Robays, Me Moutot
***
MM. [U] [L], [T] [L], [X] [L], [J] [L] et Mme [E] [I] [D] étaient propriétaires des titres composant le capital de la SAS Société de Gestion Hôtelière et de Tourisme Gestel Carlton's Hôtel, dirigée par M. [T] [L], ayant pour objet l'exploitation de l'hôtel Carlton's situé à [Adresse 10]).
La SAS Société de Gestion Hôtelière et de Tourisme Gestel Carlton's Hôtel détenait par ailleurs 2493 des 2500 parts sociales de la SARL Holding Montmartre, propriétaire à la même adresse d'un fonds de commerce de restaurant, discothèque/night-club, les parts restantes appartenant à MM. [U] [L], [T] [L], [X] [L], et [J] [L].
Par deux contrats signés le même jour, 24 juillet 2017, la SAS Experimental Group, d'une part, et la SNC Solanet Gestion Hôtelière, d'autre part, ont respectivement donné mandat à la SARL JRR Conseils, exerçant l'activité d'agent immobilier spécialisé dans les transactions portant sur des hôtels, de « rechercher un bien correspondant à la description suivante :
SAS Gestel Carlton's Hôtel (...) ».
Le 28 juillet 2017, la SARL JRR Conseils a transmis à la SAS Gestel Carlton's Hôtel une lettre d'offre d'achat sous conditions suspensives, datée du 25 juillet 2017, de la SAS Experimental Group prévoyant une période d'exclusivité d'une durée de huit semaines calendaires à compter de sa date d'acceptation par la SAS Gestel Carlton's Hôtel afin de réaliser les audits, et confirmer son intérêt pour le projet par la signature d'une promesse synallagmatique d'achat et de vente des titres.
La SAS Gestel Carlton's Hôtel a accepté cette offre le 11 septembre 2017.
Le 3 novembre 2017, le conseil des consorts [L] a informé celui de la SAS Experimental Group que ses clients refusaient de proroger la période d'exclusivité de huit semaines calendaires contenue dans la lettre d'offre acceptée le 11 septembre 2017.
Par actes du 20 décembre 2017, la SAS Experimental Group a fait assigner M. [U] [L], M. [T] [L], M. [X] [L], M. [J] [L] et Mme [E] [I] [D], ainsi que la SARL JRR Conseils, aux fins de voir enjoindre aux consorts [L] de finaliser la négociation et de signer une promesse synallagmatique de vente portant sur la totalité des actions composant le capital social de la SAS Gestel Carlton's Hôtel au prix de 15.500.000 euros, devant le tribunal de commerce de Nice.
Suivant acte du 9 novembre 2018, la SAS Experimental Group a fait assigner en intervention forcée la SAS Solanet Gestion Hôtelière.
Selon acte du 4 avril 2019, elle a également fait assigner en intervention forcée la SAS Invest Hôtel Carlton's, cessionnaire des actions de la SAS Société de Gestion Hôtelière et de Tourisme Gestel Carlton's Hôtel aux termes d'un acte du 15 mars 2018.
Par jugement du 12 février 2020, le tribunal de commerce de Nice a :
- rejeté les demandes formulées par la SAS Experimental Group tendant à la nullité du contrat de cession de titres, et de toutes autres conventions, et à l'allocation de dommages et intérêts,
- débouté la SAS Experimental Group de toutes ses prétentions, demandes, fins et conclusions y compris de celles formulées à titre subsidiaire à l'encontre de M. [U] [L], M. [T] [L], M. [X] [L], M. [J] [L], Mme [E] [I] [D], l'EURL JRR Conseils, la SAS Solanet Gestion Hôtelière et la SAS Invest Hôtel Carlton's,
- rejeté les demandes formulées par 1'EURL JRR Conseils tendant à l'allocation de dommages et intérêts,
- condamné la SAS Experimental Group à payer à MM. [U] [L], [T] [L], [X] [L], [J] [L] et Mme [E] [I] [D] la somme globale de 50.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SAS Experimental Group à verser à la SAS Solanet Gestion Hôtelière la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles, outre les entiers dépens,
- condamné la SAS Experimental Group à régler à la société JRR Conseils une somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SAS Experimental Group au paiement des entiers dépens de l'instance.
Suivant déclaration du 16 mars 2020, la SAS Experimental Group a interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses conclusions notifiées et déposées le 5 août 2020, auxquelles il est expressément référé en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, l'appelante demande à la cour de :
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Nice du 19 février 2020, en ce qu'il :
- a rejeté les demandes par elle formulées tendant à la nullité du contrat de cession de titres, et de toutes autres conventions, et à l'allocation de dommages et intérêts,
- l'a déboutée de toutes ses prétentions, demandes, fins et conclusions y compris de celles formulées à titre subsidiaire à l'encontre de M. [U] [L], M. [T] [L], M. [X] [L], M. [J] [L], Mme [E] [I] [D], l'EURL JRR Conseils, la SAS Solanet Gestion Hôtelière et la SAS Invest Hôtel Carlton's,
- a rejeté les demandes formulées par l'EURL JRR Conseils tendant à l'allocation de dommages et intérêts,
- l'a condamnée à payer à MM. [U] [L], [T] [L], [X] [L], [J] [L] et Mme [E] [I] [D] la somme globale de 50.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- l'a condamnée à verser à la SAS Solanet Gestion Hôtelière la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles, outre les entiers dépens,
- l'a condamnée à régler à la société JRR Conseils une somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
et, statuant à nouveau :
à titre principal :
- dire que la vente des actions composant le capital social des sociétés Gestel Carlton's Hôtel et Holding Montmartre réalisée entre M. [T] [L], M. [U] [L], M. [X] [L], M. [J] [L], d'une part, et la société Invest Hotel Carlton's d'autre part, est nulle,
- dire que ladite nullité affecte de la même façon et pour les mêmes raisons tout document contractuel conclu entre les consorts [L] d'une part, les sociétés SGH, IHC, I2H, Fibelaage, Labruyere Eberle, H31, SHS5, Société Invest Hôtel [Localité 9], Société Hôtelière Angoumoise d'autre part, et notamment la promesse de cession d'actions en date du 18 décembre 2017 et la lettre d'intention acceptée le 10 novembre 2017,
- enjoindre en conséquence à M. [T] [L], M. [U] [L], M. [X] [L], M. [J] [L], Mme [E] [I] [D], de finaliser la négociation et de signer la promesse synallagmatique de vente sur la totalité des actions composant le capital social des sociétés Gestel Carlton's Hôtel et Holding Montmartre avec elle, au prix de 15.500.000 euros,
et ce, dans un délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
- dire qu'à l'expiration de ce délai et faute pour M. [T] [L], M. [U] [L]. M. [X] [L], M. [J] [L], Mme [E] [I] [D] d'avoir exécuté cette injonction, il sera mis à leur charge une astreinte provisoire de 1.000 euros par jour de retard et ce durant trois mois,
à titre subsidiaire :
- dire que M. [U] [L], M. [X] [L], M. [J] [L], Mme [E] [I] [D] n'ont pas respecté leurs obligations contractuelles au titre de l'accord conclu avec elle le 11 septembre 2017,
- dire que l'inexécution de l'accord conclu avec elle le 11 septembre 2017 a pour conséquence directe et certaine de la priver de la chance de réaliser les gains escomptés par cette acquisition,
- condamner M. [U] [L], M. [X] [L]. M. [J] [L], Mme [E] [I] [D] à réparer le préjudice souffert par elle, dont le quantum a été fixé par M. l'expert [N] [O], expert près la cour d'appel d'Aix-en-Provence mandaté par elle, à la somme totale de 2.367.500 euros, à laquelle il convient d'ajouter les frais d'audit d'un montant de 42.041,34 euros TTC, soit une somme totale de 2.409.541,34 euros,
- condamner in solidum les défendeurs au paiement de cette somme compte tenu de la collusion frauduleuse ayant abouti à la léser,
à titre infiniment subsidiaire :
- condamner M. [U] [L], M. [X] [L], M. [J] [L], Mme [E] [I] [D] à réparer le préjudice souffert par elle à hauteur de l'augmentation du prix obtenu par les cédants en fraude de ses droits, soit la somme de 300.000 euros,
- condamner in solidum les intimés au paiement de cette somme compte tenu de la collusion frauduleuse ayant abouti à la léser,
en tout état de cause,
- condamner in solidum M. [T] [L], M. [U] [L], M. [X] [L], M. [J] [L], Mme [E] [I] [D] et la société JRR à lui payer la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de la présente instance.
Par conclusions notifiées et déposées le 3 novembre 2020, auxquelles il est expressément référé en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, M. [T] [L], M. [U] [L], M. [X] [L], M. [J] [L] et Mme [E] [I] [D] demandent à la cour de :
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nice le 12 février 2020 en toutes ses dispositions,
par conséquent :
- débouter la société Experimental Group de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la société Experimental Group à payer l'amende civile prévue à l'article 32-1 du code de procédure civile en raison du caractère abusif et dilatoire de l'appel interjeté,
en toute hypothèse,
- condamner la société Experimental Group à leur payer la somme de 50.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Experimental Group au paiement des entiers dépens de l'instance.
Suivant conclusions notifiées et déposées le 3 novembre 2020, auxquelles il est expressément référé en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la SARL JRR Conseils demande à la cour de :
- recevoir toutes ses demandes, fins et conclusions,
et y faisant droit :
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nice du 12 février 2020 en toutes ses dispositions,
en conséquence :
à titre principal,
- dire et juger que la SAS Experimental Group ne rapporte la preuve d'aucune faute, manquement ou moindre intervention directe ou indirecte de l'agence immobilière attraite, l'ayant privée de la faculté d'achat des titres litigieux,
- dire et juger qu'elle ne démontre pas avoir perdu le bénéfice de l'acquisition projetée du fait de quiconque, et certainement pas de sa mandataire en transactions hôtelières, apparaissant, en l'état des pièces versées aux débats, l'unique responsable du défaut de signature, dans les délais, d'un avant-contrat, puis d'un acte translatif des parts et actions sociales pour lesquelles elle avait émis une lettre d'intention d'achat le 25 juillet 2017,
- dire et juger que la poursuivante n'établit, ni les faits relatés, ni sa participation à la moindre négociation parallèle avec un autre candidat durant la période d'exclusivité accordée par les cédants,
- dire et juger qu'elle ne s'est manifestement pas conformée aux règles de procédure incombant à tout demandeur en justice,
en conséquence,
- débouter la SAS Experimental Group de toutes ses demandes, fins et conclusions, y compris de celles formulées à titre « subsidiaire » et « infiniment subsidiaire »,
à titre subsidiaire, au fond :
- dire et juger qu'elle n'a commis aucune faute ni moindre manquement de sorte que sa responsabilité ne pouvait être recherchée, ni engagée,
- dire et juger que l'échec de la transaction ambitionnée par la SAS Experimental Group était exclusivement imputable à ses propres comportements et initiatives, sans moindre intercession active ou passive de l'agence immobilière attraite,
- dire et juger que par surcroît la seule acceptation par les consorts [L], de la lettre d'intention émise par « E.G » le 25 juillet 2017 n'avait nullement eu pour effet de matérialiser le moindre accord exprès ou tacite de vente des titres litigieux,
en conséquence,
- débouter la SAS Experimental Group de toutes ses prétentions, demandes, fins et conclusions, y compris de celles formulées à titre « subsidiaire » et « infiniment subsidiaire »,
en tout état de cause :
- condamner la société Experimental Group à lui régler une somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens.
Par conclusions notifiées et déposées le 2 novembre 2020, auxquelles il est expressément référé en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la SAS Solanet Gestion Hôtelière et la SAS Invest Hôtel Carlton's demandent à la cour de :
- dire irrecevable et mal fondée la société Experimental Group en son appel,
- l'en débouter,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- rejeter en conséquence les demandes tant principales que subsidiaires formulées par la société Experimental Group,
- condamner la société Experimental Group à payer à chacune d'elles la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel,
- condamner la société Experimental Group aux entiers dépens.
MOTIFS
L'appelante demande que la cession à la SAS Invest Hôtel Carlton's des titres des SAS Gestel Carlton's Hôtel et SARL Holding Montmartre soit annulée sur le fondement de la fraude.
Elle fait valoir qu'en effet, cette cession par les consorts [L] a été conclue en fraude de ses droits contractuels puisque ces derniers, par l'entremise de la SARL JRR Conseils, ont poursuivi et finalisé des négociations secrètes avec un tiers complice, les sociétés Solanet Gestion Hôtelière et Invest Hôtel Carlton's, celui-ci allant même jusqu'à antidater son offre pour se placer après la fin des discussions, et ont laissé s'écouler la période d'exclusivité en prolongeant celles-ci avec elle sans signer de promesse et sans pour autant refermer le dossier, ce, dans l'attente de conclure leurs négociations parallèles.
La SAS Experimental Group expose que la temporalité des évènements intervenus le 3 novembre 2017 ainsi que les offres adressées par la SAS Solanet Gestion Hôtelière en amont ne laissent aucun doute sur le fait que les consorts [L] n'ont pas signé de promesse avec elle, non pas en raison de divergences, mais parce qu'en réalité, ils étaient en train de finaliser une augmentation du prix de 0,3 million d'euros avec un tiers, alors même qu'ils n'étaient pas en droit de discuter et négocier avec celui-ci.
Elle fait grief au tribunal d'avoir rejeté la fraude en adoptant des motifs erronés, notamment en minimisant la force obligatoire du contrat conclu entre elle et les consorts [L], qu'il qualifie à tort de lettre d'intention.
Elle ajoute qu'elle a rapporté la preuve d'un faisceau d'indices établissant une fraude, dont les trois conditions de nature à la caractériser, à savoir l'existence d'une règle obligatoire, la mise en place d'un mécanisme visant à éluder la règle obligatoire et l'efficacité du moyen employé pour la contourner, sont réunies en l'espèce.
Les consorts [L] répliquent que les deux allégations sur lesquelles repose la démonstration de l'appelante sont totalement erronées, qu'en effet, la lettre du 25 juillet 2017 n'est pas un acte de vente, que, par ailleurs, ils n'ont pas introduit directement ou indirectement des discussions avec une société tierce durant la période d'exclusivité.
Ils font valoir que la lettre du 25 juillet 2018 contresignée le 11 septembre 2018 est, comme expressément qualifiée par l'appelante dans son courrier, une lettre d'intention, laquelle constitue un accord de principe, dés lors qu'elle renvoie à la signature d'actes juridiques ultérieurs, a pour objet de poser le cadre de discussions à venir et prévoit une période d'exclusivité pour la poursuite des pourparlers.
Les intimés précisent que cette lettre du 25 juillet 2017 ne peut constituer un accord de vente des titres de la SAS Gestel Carlton's Hôtel dans la mesure où, adressée à cette dernière seule, ils n'y sont pas parties, et où les éléments essentiels de l'opération projetée ne sont pas déterminés, alors d'ailleurs que la SAS Experimental Group ne s'est jamais prévalue durant les pourparlers de l'existence d'un accord de vente.
Ils soutiennent par ailleurs n'avoir introduit aucune discussion avec des tiers durant la période d'exclusivité, faisant valoir que l'appelante ne produit aucune pièce permettant de prouver qu'ils auraient mené de telles discussions, qu'ils sont totalement étrangers aux échanges intervenus entre le cabinet JRR Conseils et la SAS Solanet Gestion Hôtelière, ce que prouve la mesure d'instruction pratiquée par la SAS Experimental Group, que les discussions avec la société Solanet ne sont intervenues qu'après la période d'exclusivité.
La SARL JRR Conseils, rappelant les dispositions de, notamment, les articles 1353 du code civil, 9 et 15 du code de procédure civile, indique, pour sa part, que l'appelante ne démontre aucune faute, ni même le moindre manquement, qui lui serait imputable en sa qualité d'agent immobilier, que, surtout, elle ne fournit pas le moindre élément tangible lui permettant de l'accuser de collusion frauduleuse avec la SAS Solanet Gestion Hôtelière « visant à empêcher Expérimental group de bénéficier des droits contractuels résultant de l'Accord de Vente », précisant à cet égard que l'acceptation par M. [L] de la lettre d'intention conditionnelle du 25 juillet 2017 de la SAS Experimental Group ne matérialisait aucun consentement des vendeurs à lui céder leurs titres.
Elle fait ainsi notamment valoir que les éléments saisis dans le cadre de la mesure d'instruction réalisée à son siège social n'apportent nullement la preuve d'une quelconque fraude, que, d'une part, tout intermédiaire conserve la liberté de conférer avec ses clients, pourvu qu'il s'interdise de révéler des informations confidentielles, de sorte que les vaines et inexactes extrapolations adverses quant au sens des expressions utilisées dans les deux courriels des 24 octobre et 3 novembre 2017 invoqués ne sauraient prospérer, que, d'autre part, l'appelante avait scellé son propre sort en ayant ostensiblement négligé de respecter les conditions de sa propre offre et en n'ayant pas su mener des pourparlers fructueux permettant la signature d'une promesse de vente.
Rappelant à titre liminaire, que, en leur absence à l'instance, ne pourra en aucune manière prospérer la demande formée à l'encontre des sociétés I2H, Fibelaage, Labruyère Eberle, H3I, SHS5, Société Invest Hôtel [Localité 9] et Société Hôtelière Belisal, qui contrairement à ce qu'indique l'appelante ne font en rien partie d'un « groupe Solanet », les SAS Solanet Gestion Hôtelière et Invest Hôtel Carlton's exposent qu'elles sont étrangères aux relations entre les consorts [L] et la SAS Experimental Group, et n'ont par ailleurs commis aucune faute susceptible d'engager leur responsabilité civile à l'égard de cette dernière.
Elles indiquent que, la lettre d'intention de l'appelante étant confidentielle, la SAS Solanet Gestion Hôtelière n'avait aucune raison de savoir que les consorts [L] pouvaient être liés avec un tiers, que, finalement, elle a été substituée, dans la promesse de cession d'actions du 18 décembre 2017, par les sociétés I2H, Fibelaage, Labruyère Eberle, H3I, SHS5, Société Invest Hôtel [Localité 9] et Société Hôtelière Belisal, en leur qualité d'associés fondateurs de la SAS Invest Hôtel Carlton's, que celle-ci et MM. [L] ont établi et signé le 15 mars 2018 la cession des actions de la SAS Gestel Carlton's Hôtel, ainsi que celle des sept parts sociales résiduelles de la SARL Holding Montmartre.
Elles font valoir que la SAS Experimental Group, qui déplace le fondement de son action sur la notion de fraude, au demeurant insuffisante pour atteindre un contrat conclu par un tiers, ne s'explique pas sur l'absence de violation d'une règle de droit par les consorts [L] et encore moins sur l'élément moral nécessaire pour caractériser une fraude, l'intention de nuire, qui n'existe pas chez la SAS Solanet Gestion Hôtelière, laquelle n'est en outre pas partie au contrat de cession, ni chez la SAS Invest Hôtel Carlton's, cessionnaire, qui n'était pas créée à l'époque où la fraude prétendue aurait été commise.
Sur ce, s'agissant de la nature de la lettre émise le 25 juillet 2017 par l'appelante, transmise par son mandataire, la SARL JRR Conseils, le 28 juillet 2017 à « M. [T] [L] SAS Gestel Carlton's Hôtel », et acceptée par celui-ci le 11 septembre 2017 en tant que offre d'achat avec conditions suspensives au prix de quinze millions cinq cent mille euros au titre des immobilisations corporelles et incorporelles et de titre de participation dans la SARL Holding Montmartre, ledit document ne peut être constitutif d'une promesse de vente de leurs parts dans le capital social des SAS Gestel Carlton's Hôtel et SARL Holding Montmartre par les consorts [L].
En effet, aux termes mêmes de cette offre, faite au prix de quinze millions cinq cent mille euros, sous les conditions suspensives d'une demande de financement pour un montant de sept millions d'euros sur une durée de dix ans (soit 55 % d'apport) et conditions suspensives usuelles à déterminer pour la promesse de vente, il est notamment prévu, sous le titre « Réalisation du projet / calendrier », :
« Si vous acceptez les termes de la présente lettre et ce, au plus tard le 15 septembre 2017 (passé ce délai, à défaut d'acceptation de ses termes, la présente lettre d'intention sera caduque), nous disposerons d'une période d'exclusivité d'une durée de huit (8) semaines calendaires à compter de la date d'acceptation des présentes par vos soins pour :
- Réaliser les Audits et
- Confirmer notre intérêt pour le Projet par la signature d'une promesse synallagmatique d'achat et de vente des Titres.
En conséquence, vous vous interdisez jusqu'à cette date limite de mener ou poursuivre toute discussion et, a fortiori de signer tout document, avec tout tiers, concernant toute opération similaire à celle décrite dans la présente.
A défaut de conclusion d'une promesse synallagmatique d'achat et vente des Titres au plus tard à la date limite, les parties seront pleinement libérées, avec effet immédiat, de leurs engagements prévus, sans droit à aucune indemnité de part et d'autre. »
Ainsi, ce courrier, qualifié par son auteur lui-même de « lettre d'intention », ouvre, du fait de son acceptation de l'offre d'achat telle que formulée, une période de pourparlers destinée à aboutir, ou non, à la signature d'une promesse synallagmatique de cession des titres concernés, aucune des parties n'étant jusqu'à la conclusion d'une telle promesse, ou l'expiration du délai fixé, obligée d'acheter ou de vendre.
Dans le cas contraire, la mention relative à l'interdiction de mener ou poursuivre de quelconques discussions avec d'autres acheteurs potentiels serait d'ailleurs dénuée de pertinence.
En outre, sont versés aux débats, par notamment la SAS Experimental Group elle-même, pas moins de trois projets, établis par les conseils des parties respectivement les 12, 16 et 27 octobre 2017, d'une convention synallagmatique où chacune des parties contracte des obligations rigoureusement réciproques et parfaitement symétriques, consistant en l'obligation de vendre ou d'acheter ('), dont il résulte qu'une telle obligation n'existait pas jusqu'alors.
Dans ces conditions, l'appelante ne peut valablement soutenir que sa lettre du 25 juillet 2017 engageait leurs propriétaires à lui vendre les titres convoités.
Et les pourparlers n'ayant pas, dans le délai d'exclusivité fixé, que rien n'obligeait les consorts [L] à proroger, abouti à la signature d'une promesse telle que ci-dessus envisagée, la SAS Experimental Group n'est pas fondée en ses demandes tendant à voir annuler, notamment, la cession des titres intervenue le 15 mars 2018 au bénéfice de la SAS Invest Hôtel Carlton's, immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 8 mars 2018, ou la promesse synallagmatique de vente, signée par ses associés fondateurs au nom et pour le compte de cette dernière alors en cours d'immatriculation, qui l'a précédée le 18 décembre 2017, et enjoindre aux consorts [L] de contracter avec elle.
Le document précité du 25 juillet 2017 imposait en revanche aux cédants, outre, comme pour toute convention, de l'exécuter, en l'occurrence de mener les négociations, de bonne foi, de ne pas entretenir, durant la période d'exclusivité de huit semaines calendaires prévue, expirant en l'espèce le 6 novembre 2017, de contacts avec de quelconques tiers intéressés par l'acquisition des titres des SAS Gestel Carlton's Hôtel et SARL Holding Montmartre.
A cet égard, l'appelante fait grief aux consorts [L] d'avoir, par l'intermédiaire de leur mandataire commun, la SARL JRR Conseils, entamé et poursuivi, durant ladite période d'exclusivité dont elle bénéficiait, des négociations avec la SNC Solanet Gestion Hôtelière, autre candidat à l'achat projeté, lesquelles se sont concrétisées par une cession au profit de ce tiers, du fait de sa propre éviction sans raison objective par l'effet d'une collusion frauduleuse imputable aux intimées.
Mais, à la suite des mesures d'instruction menées, au visa de l'article 145 du code de procédure civile, en exécution de deux ordonnances rendues par le président du tribunal de commerce de Paris le 23 novembre 2017 sur la requête de la SAS Experimental Group, au sein des locaux de, respectivement, la SAS Gestel Carlton's Hôtel et la SARL JRR Conseils, il n'est produit aucun élément de nature à démontrer la fraude alléguée.
S'agissant des pièces saisies dans le cadre des investigations opérées chez son mandataire dont se prévaut l'appelante, elles consistent en trois courriels des 24 octobre 2017, 26 octobre 2017 et 3 novembre 2017, aux termes desquels la SNC Solanet Gestion Hôtelière indique à la SARL JRR Conseils, à laquelle elle avait, en vertu d'un acte du 24 juillet 2017, donné mandat de « rechercher un bien correspondant à la description suivante : SAS Gestel Carlton's Hôtel (...) », lui confirmer, conformément à leur discussion, être en mesure d'améliorer son offre à 15,8 millions d'euros et monter sa commission à 400.000 euros, puis lui transmettre une lettre, comportant une offre d'achat à l'attention de M. [T] [L], datée du 26 octobre 2017, du 27 octobre 2017 et enfin du 4 novembre 2017.
Or, il ne résulte d'aucun élément que l'une quelconque des offres ainsi établies par la SNC Solanet Gestion Hôtelière ait été transmise à son destinataire antérieurement au 7 novembre 2017, alors qu'il ressort des pièces communiquées par la SARL JRR Conseils que la dernière, transférée à cette date, a ensuite fait l'objet de modifications à la demande de M. [T] [L], précision faite, au vu des documents versés aux débats par son mandataire, que, le 26 juillet 2017, la SNC Solanet Gestion Hôtelière lui avait déjà transmis une lettre datée du 24 juillet 2017 comportant offre d'acquisition de l'hôtel au prix de 15.200.000 euros, laquelle n'avait alors pas été acceptée par les cédants.
Et il n'est par ailleurs nullement établi que la SARL JRR Conseils, mandataire de l'un et l'autre des candidats acquéreurs, et qui avait ainsi nécessairement, dans le cadre de l'exécution de ses mandats, et donc, y compris durant une éventuelle période d'exclusivité au profit de l'un deux dont l'autre n'avait pas lieu d'être informé, tant qu'une vente des biens n'était pas réalisée, des relations avec chacun d'eux, ait, de quelque façon que ce soit, manqué à son obligation de confidentialité au bénéfice de l'un de ses mandants et au détriment de l'autre.
Étant en outre constaté qu'aucun élément utile à la thèse de la SAS Experimental Group n'a été recueilli par l'huissier instrumentaire chargé d'exécuter les mesures d'instruction ordonnées à sa requête au sein de la SAS Gestel Carlton's Hôtel, le seul fait que les propositions faites à cette dernière se soient rapidement succédées ne saurait suffire à démontrer que, durant la période d'exclusivité dont elle bénéficiait, des pourparlers secrets avaient eu lieu et des man'uvres frauduleuses entreprises, par notamment l'intermédiaire de son propre mandataire, pour exclure l'appelante de la vente envisagée, quand par ailleurs il doit être rappelé que, contrairement à ce que tend à soutenir cette dernière, la mauvaise foi ne se présume pas.
En ce qui concerne l'exécution et plus précisément la fin des négociations entre les consorts [L] et la SAS Experimental Group à l'approche de l'expiration de la période d'exclusivité qui lui avait été consentie, n'est pas davantage étayée l'argumentation de cette dernière selon laquelle les cédants auraient refusé de signer avec elle, non pas en raison de divergences sur les termes du contrat, mais pour finaliser une augmentation, à hauteur de 300.000 euros, du prix convenu dans le cadre des discussions fautivement entreprises avec la SNC Solanet Gestion Hôtelière.
En effet, des pièces que l'appelante elle-même communique, il résulte que, le 30 octobre 2017 à 8 heures 48, M. [T] [L] lui a adressé un courriel : « Nous avons reçu, enfin, la promesse amendée par votre avocat. N'arrivant pas à vous joindre, pourriez-vous me rappeler ' », que ce n'est que le 6 novembre 2017 à 15 heures 55 qu'elle répond : « J'ai bien pris connaissance du courrier de votre conseil. Je n'arrive pas à vous joindre, (...) ».
Et les courriels qui suivent, d'ailleurs inopérants puisque postérieurs à l'expiration du délai contractuellement fixé aux termes de la lettre d'intention du 25 juillet 2017, et notamment celui de la SAS Experimental Group du 9 novembre 2017 à 13 heures 57, où cette dernière fait état d'échanges dont elle a compris qu'ils avaient été décevants pour son interlocuteur, de ce que les délais prévus pour l'obtention des fonds ne seraient pas tenus, et de ce qu'elle était prête à faire un pas en avant en ce qui concerne les conditions de la vente, montrent bien qu'il n'y avait pas d'accord intervenu au terme de la période d'exclusivité consentie, et ce, sans que ce défaut de concrétisation, par la signature d'une promesse synallagmatique, des pourparlers en cours puisse être imputé aux seuls vendeurs.
Quant au courrier officiel de leur conseil adressé à celui de l'appelante le 3 novembre 2017, par lequel les consorts [L] indiquent refuser de proroger la période d'exclusivité contenue dans la lettre d'offre acceptée le 11 septembre 2017, il ne fait que confirmer l'existence des échanges précédemment évoqués, lesquels avaient donc eu lieu au cours d'une réunion entre avocats qui s'était tenue, en présence de M. [T] [L], le 31 octobre 2017, et où des propositions avaient été formulées, de manière exclusivement orale, par la SAS Experimental Group concernant les conditions de la promesse synallagmatique d'achat et vente des titres de la SAS Carlton's Hôtel et la SARL Holding Montmartre, propositions que, après s'en être entretenus, les vendeurs avaient décidé de ne pas accepter.
L'explication ainsi donnée à leur refus alors signifié de prolonger le délai d'exclusivité n'est contredite par aucun élément, le souhait de l'appelante de voir proroger ladite période, que suppose le refus ainsi exprimé, ne faisant au contraire que confirmer l'échec à son terme des négociations entreprises, d'ailleurs de son fait semble-t-il au vu notamment des commentaires apportés par son conseil sur le dernier projet de promesse établi le 27 octobre 2017.
Dans ces conditions, et sans qu'il y ait davantage lieu de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, la SAS Experimental Group, qui ne rapporte la preuve, ni d'une prétendue collusion frauduleuse entre les intimés, ni même d'une quelconque faute ou manquement des consorts [L] ou de la SARL JRR Conseils dans l'exécution de leurs obligations contractuelles respectives, est déboutée de l'ensemble de ses demandes, principales et subsidiaires.
Le jugement est confirmé en toutes ses dispositions.
Pour autant, il ne saurait être fait droit à la demande des consorts [L] tendant à voir condamner la SAS Experimental Group à l'amende civile prévue à l'article 32-1 du code de procédure civile au motif invoqué du caractère abusif et dilatoire de l'appel interjeté.
En effet, outre qu'il n'appartient pas aux parties de solliciter le règlement d'une amende civile, il n'est pas ici démontré en quoi le fait d'exercer une voie de recours qui lui était ouverte constitue pour l'appelante un abus du droit d'agir en justice.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme le jugement entrepris,
Y ajoutant,
Déboute les consorts [L] de leur demande tendant au prononcé d'une amende civile,
Condamne la SAS Experimental Group, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, à payer :
- à M. [T] [L], M. [U] [L], M. [X] [L], M. [J] [L] et Mme [E] [I] [D], ensemble, la somme de 15.000 euros,
- à la SARL JRR Conseils, la somme de 6.000 euros,
- à la SAS Solanet Gestion Hôtelière et à la SAS Invest Hôtel Carlton's, chacune, la somme de 2.000 euros,
Condamne la SAS Expérimental Group aux dépens d'appel.