CA Poitiers, président, 17 octobre 2024, n° 24/00819
POITIERS
Ordonnance
Autre
PARTIES
Défendeur :
Drouineau 1927 (SCP)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Conseiller :
Mme Lafond
Avocat :
Me Brault
*****
Par lettre enregistrée le 17 novembre 2023, Madame [F] [B] a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Poitiers d'une contestation des honoraires facturés par la SCP Drouineau à la somme de 5 413 euros.
Par décision en date du 28 février 2024, le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Poitiers a taxé les honoraires de SCP Drouineau, à la somme de 4 513 euros toutes taxes comprises.
La décision du bâtonnier a été notifiée à Madame [F] [B] le 4 mars 2024, laquelle a formé un recours entre les mains de la première présidente de la cour d'appel de Poitiers selon courrier recommandé avec avis de réception reçu la 2 avril 2024.
L'affaire, appelée une première fois à l'audience du 23 mai 2024, a été renvoyée à l'audience du 26 septembre 2024.
Madame [F] [B] indique avoir confié la défense de ses intérêts à la SCP Drouineau dans le cadre d'un litige opposant ses parents à leurs voisins concernant une revendication de servitude de passage située sur le terrain de ces derniers.
Elle soutient que la SCP Drouineau aurait manqué à son obligation de conseil et reproche à son avocat un certain nombre de manquements dans la gestion de son dossier.
Elle fait valoir que l'article 1 de la convention d'honoraires, portant sur la mission de conseil et de rédaction, de même que l'article 4 dudit document, fixant « l'unité de valeur avocat » à la somme de 290 euros, ne répondraient pas à l'exigence de clarté et de transparence permettant un consentement en toute connaissance de cause.
Elle soutient ainsi que lesdites clauses constitueraient des clauses abusives au sens de l'article 4 paragraphe 2 de la directive n°93/13/CEE, de sorte qu'elles devraient être réputées non écrite, ce qui aurait pour effet l'invalidation de la convention d'honoraires dans son objet principal ainsi que de toutes les dispositions en découlant, avec pour corollaire, le remboursement de la somme de 4 300 euros hors taxes, soit 5 160 euros toutes taxes comprises par la SCP Drouineau.
Elle fait valoir que bien que le juge n'ait pas à connaitre de toute question relative à la responsabilité de l'avocat à l'égard de son client résultant d'un manquement à son devoir de conseil et d'information, il serait néanmoins tenu de vérifier si les honoraires ne sont pas exagérés au regard du service rendu.
Elle soutient ainsi que la SCP Drouineau aurait commis de graves manquements dans l'exécution du service rendu, tenant notamment à l'inversion du numéro de parcelle dans l'assignation délivrée à la partie adverse, malgré sa demande de correction, de sorte que le montant des honoraires apparaitrait exagéré.
Elle sollicite à l'oral l'infirmation de la décision et le remboursement de la totalité des honoraires versées, soit la somme de 5 413 euros toutes taxes comprises.
La SCP Drouineau fait valoir, dans ses conclusions écrites, qu'il résulterait de la combinaison des articles 542 et 954 du code de procédure civile que lorsque l'appelant ne demande, dans la disposition de ses conclusions, ni l'infirmation, ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne pourrait que confirmer le jugement contesté, de sorte que Madame [F] [B] ne sollicitant ni l'infirmation, ni l'annulation de la décision du bâtonnier, celle-ci ne pourrait qu'être confirmée.
Elle ajoute, dans l'éventualité où la cour estimerait que Madame [F] [B] sollicite l'infirmation de la décision du bâtonnier, que si le bâtonnier considère que les articles 1 et 4 de la convention d'honoraires manquent de clarté au sens de la jurisprudence européenne, elle n'aurait toutefois pas considéré que la convention était devenue sans objet et qu'elle donnait lieu à restitution, de sorte que les arguments de Madame [F] [B] seraient inopérants.
Elle indique que le juge de l'honoraire se bornerait à vérifier si les honoraires ne sont pas exagérées au regard du service rendu, de sorte que la remarque liminaire à propos de la rédaction de certains articles de la convention d'honoraires serait sans lien avec la rémunération principale de l'avocat.
Elle fait valoir que le juge ne l'honoraire ne serait pas compétent pour connaitre de la faute de gestion qui lui est reprochée.
Elle indique que la difficulté du dossier aurait résidé notamment dans l'urgence de la situation, ayant nécessité la rédaction d'une requête afin d'être autorisée à assigner en réfré, puis la rédaction de l'assignation.
Elle soutient que de nombreux échanges auraient eu lieu entre le cabinet et Madame [F] [B] dont le principe ne serait pas contesté par cette dernière.
Elle sollicite la confirmation de l'ordonnance du bâtonnier.
Sur la recevabilité :
Selon l'article 176 du décret du 27 novembre 1991, la décision du bâtonnier est susceptible de recours devant le premier président de la cour d'appel qui est saisi par l'avocat ou la partie par lettre recommandée avec accusé de réception. Le délai de recours est d'un mois à compter de la notification de la décision.
La décision du bâtonnier a été notifiée à Madame [F] [B] le 4 mars 2024, laquelle a formé un recours entre les mains de la première présidente de la cour d'appel de Poitiers selon courrier recommandé avec avis de réception reçu la 2 avril 2024.
Le recours de Madame [F] [B] est donc recevable et régulier en la forme.
Sur l'application des articles 542 et 954 du code de procédure civile:
La SCP Drouineau fait valoir qu'il résulterait de la combinaison des articles 542 et 954 du code de procédure civile que lorsque l'appelant ne demande, dans la disposition de ses conclusions, ni l'infirmation, ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne pourrait que confirmer le jugement contesté, de sorte que Madame [F] [B] ne sollicitant ni l'infirmation, ni l'annulation de la décision du bâtonnier, celle-ci ne pourrait qu'être confirmée.
Il convient relever que le moyen tenant à l'absence de demande d'infirmation ou d'annulation de la décision du bâtonnier est inopérant, s'agissant d'une procédure orale dans la mesure où la requérante a sollicité l'infirmation de la décision lors de l'audience.
Sur le fond :
Les contestations concernant le montant et le recouvrement des honoraires des avocats sont réglées en recourant à la procédure prévue aux articles 174 et suivants du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991.
Il résulte de l'article 10 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971, modifié par la loi du 10 juillet 1991 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, que sauf en cas d'urgence ou de force majeure ou lorsqu'il intervient au titre de l'aide juridictionnelle totale ou de la troisième partie de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, l'avocat conclut par écrit avec son client une convention d'honoraires, qui précise notamment le montant ou le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles, ainsi que les divers frais et débours envisagés.
A défaut de convention, les honoraires sont fixés au regard de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci, conformément au quatrième alinéa de l'article 10 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971.
Il sera rappelé qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge de l'honoraire de se prononcer sur l'éventuelle responsabilité civile de l'avocat à l'égard de son client, liée au manquement à son devoir de conseil et d'information, ou à une exécution défectueuse de sa prestation. De tels griefs relèvent de la responsabilité professionnelle de l'avocat et non de l'évaluation des honoraires et ils ne peuvent pas non plus justifier une réduction de sa rémunération.
Il résulte des éléments versés aux débats que les parties ont signé une convention d'honoraires le 16 mars 2022 laquelle prévoit une rémunération de l'avocat selon le barème suivant :
Intervention
Valeur de l'unité
Unité de valeur avocat
290 €
Unité de valeur secrétariat
130 €
Frais de reprographie en cas d'intervention d'un prestataire externe
Sur facture du prestataire
Temps de déplacement par unité horaire
120 €
Indemnités kilométriques
0,95 € / kilomètre
Outre les débours et frais afférents au dossier.
La Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu'il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l'applique pas, sauf si le consommateur s'y oppose.
Les dispositions du code de la consommation sont applicables aux conventions d'honoraires d'avocats.
Ainsi, il entre dans les pouvoirs du premier président, statuant en matière de fixation des honoraires d'avocat, d'examiner le caractère abusif des clauses des conventions d'honoraires lorsque le client de l'avocat est un non-professionnel ou un consommateur.
En l'espèce, il convient de relever, à l'instar de ce que soulève Madame [F] [B] et de ce qu'a retenu le bâtonnier, que l'article 1 de la convention d'honoraires se limitant à définir la mission confiée à la SCP Drouineau comme «une mission de conseil et de rédaction» est insuffisamment précis. Ladite clause constitue donc une clause abusive au sens de l'article 4 paragraphe 2 de la directive n°93/13/CEE, devant être réputée non écrite et rendant la convention d'honoraires innaplicable.
En l'absence de convention, les honoraires de la SCP Drouineau seront fixés au regard de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci, conformément au quatrième alinéa de l'article 10 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971.
Les honoraires facturés par la SCP Drouineau s'établissent à la somme de 5 413 euros toutes taxes comprises, se décomposant comme suit :
- 400 euros hors taxes pour l'analyse du dossier et les recherches,
- 1 200 euros hors taxes pour la rédaction d'une requête aux fins d'être autorisé à assigner en référé heure à heure ;
- 1 500 euros hors taxes pour rédaction d'une assignation en référé heure à heure ;
- 1 200 euros hors taxes pour l'audience de plaidoirie ;
- 200 euros hors taxes de frais de secrétariat ;
- 13 euros de droit de plaidoirie.
Si la SCP Drouineau justifie de l'ensemble des diligences accomplies, le volume horaire, correspondant à prêt de 15 heures de travail apparait manifestement disproportionné, de même que le taux horaire pratiqué de 290 euros hors taxes.
Ainsi, il convient de retenir un taux horaire de 180 euros hors taxes et de constater que la SCP Drouineau justifie pour l'ensemble des diligences accomplies de 10 heures de travail.
Ainsi, il convient de taxer les honoraires de la SCP Drouineau à la somme de 2 000 euros hors taxes, soit 2 400 euros toutes taxes comprises, se décomposant comme suit :
- 1 800 euros hors taxes, correspondant à 10 heures de travail selon un taux horaire de 180 euros hors taxes, pour l'analyse du dossier et les recherches, la rédaction d'une requête aux fins d'être autorisé à assigner en référé heure à heure, la rédaction d'une assignation en référé heure à heure et l'audience de plaidoirie,
- 200 euros hors taxes de frais de secrétariat ;
Outre un droit de plaidoirie de 13 euros.
En conséquence, l'ordonnance de taxe du bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Poitiers sera infirmée et les honoraires de la SCP Drouineau seront taxés à la somme de 2 000 euros hors taxes, soit 2 400 euros toutes taxes comprises, outre 13 euros de droit de plaidoirie.
Au regard du montant déjà payé par Madame [F] [B], soit la somme de 5 413 euros toutes taxes comprises, la SCP Drouineau sera condamnée à lui rembourser la somme de 3 000 euros toutes taxes comprises.
Succombant à la présente instance, la SCP Drouineau en supportera les dépens.
PAR CES MOTIFS :
Nous, Estelle LAFOND, conseillère chargée du secrétariat général de la première présidence, statuant par délégation de la première présidente, par mise à disposition au greffe et par ordonnance contradictoire,
Déclarons le recours de Madame [F] [B] recevable,
Infirmons l'ordonnance bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Poitiers en date du 28 février 2024 ;
Statuant à nouveau,
Taxons les honoraires de la SCP Drouineau à la somme de 2 000 euros hors taxes, soit 2 400 euros toutes taxes comprises, outre 13 euros de droit de plaidoirie ;
Condamnons la SCP Drouineau à rembourser à Madame [F] [B] la somme de 3 000 euros toutes taxes comprises ;
Condamnons la SCP Drouineau aux dépens.