CJUE, 5e ch., 24 octobre 2024, n° C-240/22 P
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Intel Corporation Inc.
Défendeur :
Commission européenne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Jarukaitis
Juges :
M. Gratsias (rapporteur), M. Regan
Avocat général :
Mme Medina
Avocats :
Me Meyring, Me Bellis, Me Van Hove
LA COUR (cinquième chambre),
1 Par son pourvoi, la Commission européenne demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 26 janvier 2022, Intel Corporation/Commission (T 286/09 RENV, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2022:19), en ce que celui-ci a annulé, d’une part, l’article 1er, sous a) à e), et l’article 2 de la décision C(2009) 3726 final de la Commission, du 13 mai 2009, relative à une procédure d’application de l’article [102 TFUE] et de l’article 54 de l’accord EEE (affaire COMP/C 3/37.990 – Intel) (ci-après la « décision litigieuse »), ainsi que, d’autre part, l’article 3 de cette décision en ce qu’il concerne l’article 1er, sous a) à e), de celle-ci.
Les antécédents du litige et la décision litigieuse
2 Les antécédents du litige et le contenu de la décision litigieuse sont décrits aux points 1 à 35 de l’arrêt attaqué. Aux fins de la présente procédure, ils peuvent être résumés de la manière suivante.
3 Intel Corporation Inc. (ci-après « Intel ») est une société de droit américain qui assure la conception, le développement, la fabrication et la commercialisation de microprocesseurs (Central Processing Units, ci après les « CPU »), de chipsets (jeux de puces) et d’autres composants semi-conducteurs ainsi que de solutions pour plateformes dans le cadre du traitement des données et des dispositifs de communication.
4 À la suite d’une plainte déposée le 18 octobre 2000 par Advanced Micro Devices Inc. (ci-après « AMD ») et complétée le 26 novembre 2003, la Commission a lancé, sur le fondement du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), une enquête visant Intel.
5 Le 26 juillet 2007, la Commission a notifié à Intel une communication des griefs relative à son comportement à l’égard de cinq grands équipementiers informatiques (Original Equipment Manufacturers, ci après les « OEM »), à savoir Dell, Hewlett-Packard Company (HP), Acer Inc., NEC Corp. et International Business Machines Corp. (IBM).
6 Le 17 juillet 2008, la Commission a notifié à Intel une communication des griefs complémentaire relative à son comportement à l’égard de Media-Saturn-Holding GmbH (ci-après « MSH »), distributeur européen d’appareils microélectroniques et premier distributeur européen d’ordinateurs de bureau. Cette communication des griefs portait également sur le comportement d’Intel à l’égard de Lenovo Group Ltd (ci-après « Lenovo ») et comportait de nouveaux éléments de preuve concernant le comportement d’Intel à l’égard de certains des OEM concernés par la communication des griefs du 26 juillet 2007, que la Commission avait obtenus postérieurement à cette date.
7 Le 13 mai 2009, la Commission a adopté la décision litigieuse, dont un résumé figure au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2009, C 227, p. 13).
8 Selon la décision litigieuse, Intel a commis une violation unique et continue de l’article 102 TFUE et de l’article 54 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE), du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3), entre le mois d’octobre 2002 et le mois de décembre 2007, en mettant en œuvre une stratégie visant à exclure un concurrent, à savoir AMD, du marché des CPU d’architecture x86 (ci-après les « CPU x86 »).
9 Les produits en cause dans la décision litigieuse sont des CPU, qui sont des composants essentiels de tout ordinateur, tant pour les performances générales du système que pour son coût global. Ils sont souvent considérés comme étant le « cerveau » de l’ordinateur. La fabrication des CPU requiert ainsi des installations de pointe coûteuses.
10 Les CPU utilisés dans les ordinateurs peuvent être regroupés en deux catégories, à savoir les CPU x86 et les CPU fondés sur une autre architecture. L’architecture x86 est une norme conçue par Intel pour ses CPU. Elle permet le fonctionnement des systèmes d’exploitation Windows et Linux. Windows est principalement lié à l’ensemble des instructions correspondant à l’architecture x86. Avant l’année 2000, plusieurs fabricants de CPU x86 étaient présents sur le marché. La plupart l’ont toutefois depuis quitté. Intel et AMD sont pratiquement les deux seules entreprises à fabriquer des CPU x86 après cette date.
11 Le marché géographique a été défini comme étant de taille mondiale.
12 Compte tenu, premièrement, d’une part de marché d’au moins 70 % détenue par Intel entre l’année 1997 et l’année 2007 et, deuxièmement, de l’existence de barrières importantes à l’entrée sur ce marché et à l’expansion résultant des investissements irrécupérables dans la recherche et le développement, la propriété intellectuelle et les installations de production nécessaires à la fabrication de CPU x86, la Commission a conclu qu’Intel avait occupé une position dominante sur ledit marché au moins au cours de la période allant du mois d’octobre 2002 au mois de décembre 2007.
13 La Commission a imputé à Intel deux types de comportement abusif. Il s’agit, premièrement, des rabais accordés à quatre OEM, en l’occurrence Dell, Lenovo, HP et NEC, à la condition qu’ils achètent auprès d’elle la totalité ou la quasi-totalité de leurs CPU x86 et des paiements accordés à MSH, à la condition que cette dernière vende exclusivement des ordinateurs équipés de CPU x86 produits par Intel (ci-après, ensemble, les « rabais contestés »). Ces rabais constitueraient des rabais de fidélité. Les paiements conditionnels effectués au profit de MSH constitueraient, par ailleurs, un mécanisme équivalent à celui desdits rabais.
14 Dans la décision litigieuse, la Commission a procédé à une analyse économique portant sur la capacité des rabais contestés à évincer un concurrent qui serait aussi efficace qu’Intel sans occuper pour autant une position dominante (as efficient competitor test) (ci-après le « test AEC »). Cette analyse permet d’établir le prix auquel un concurrent aussi efficace qu’Intel aurait dû proposer ses CPU afin d’« indemniser » un OEM pour la perte d’un tel rabais, accordé par Intel. Une analyse du même type a été réalisée pour les paiements octroyés par Intel à MSH.
15 Sur la base des éléments de preuve qu’elle a rassemblés, la Commission a conclu que les rabais contestés ont eu pour conséquence d’assurer la fidélité des OEM dits « stratégiques » et de MSH. Ces rabais auraient eu des effets complémentaires, en ce sens qu’ils auraient sensiblement réduit la capacité des concurrents d’Intel à se livrer à une concurrence fondée sur les mérites de leurs CPU x86. Le comportement anticoncurrentiel d’Intel aurait contribué ainsi à réduire le choix offert aux consommateurs ainsi que les incitations à l’innovation.
16 Deuxièmement, la Commission a imputé à Intel des pratiques constitutives de restrictions non déguisées (naked restrictions) consistant à rémunérer trois OEM, à savoir HP, Acer et Lenovo, pour qu’ils reportent ou annulent le lancement de produits équipés de CPU x86 d’AMD ou imposent des restrictions à la distribution de ces produits. La Commission a conclu que ces pratiques, qui ne relèveraient pas d’une concurrence normale, fondée sur les mérites, ont également causé un préjudice direct à la concurrence.
17 La Commission conclut, dans la décision litigieuse, que chacun des comportements imputés à Intel à l’égard des OEM susmentionnés et de MSH constitue un abus, au sens de l’article 102 TFUE, la totalité de ces abus s’inscrivant cependant également dans le cadre d’une stratégie d’ensemble visant à évincer AMD, le seul concurrent important d’Intel, du marché des CPU x86. Ces abus formeraient donc une infraction unique au sens de l’article 102 TFUE.
18 En appliquant les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2), la Commission a infligé à Intel une amende de 1,06 milliard d’euros.
19 Le dispositif de la décision litigieuse, reproduit au point 35 de l’arrêt attaqué, se lit comme suit :
« Article premier
Intel a commis une infraction unique et continue à l’article [102 TFUE] et à l’article 54 de l’accord EEE, entre octobre 2002 et décembre 2007, en mettant en œuvre une stratégie visant à évincer des concurrents du marché des CPU x86 qui a consisté à :
a) accorder des rabais à Dell entre décembre 2002 et décembre 2005 dont le niveau était subordonné à la condition que Dell achète la totalité de ses CPU x86 auprès d’Intel ;
b) accorder des rabais à HP entre novembre 2002 et mai 2005 dont le niveau était subordonné à la condition que HP achète au moins 95 % des CPU x86 destinés à ses ordinateurs de bureau pour entreprises auprès d’Intel ;
c) accorder des rabais à NEC entre octobre 2002 et novembre 2005 dont le niveau était subordonné à la condition que NEC achète au moins 80 % des CPU x86 destinés à ses PC “clients” auprès d’Intel ;
d) accorder des rabais à Lenovo entre janvier 2007 et décembre 2007 dont le niveau était subordonné à la condition que Lenovo achète la totalité des CPU x86 destinés à ses ordinateurs portables auprès d’Intel ;
e) accorder des paiements à [MSH] entre octobre 2002 et décembre 2007 dont le niveau était subordonné à la condition que [MSH] ne vende que des ordinateurs équipés des CPU x86 d’Intel ;
f) accorder des paiements à HP entre novembre 2002 et mai 2005 à condition que : (i) HP oriente les ordinateurs de bureau HP équipés de CPU x86 d’AMD destinés aux entreprises vers les petites et moyennes entreprises et les clients du secteur gouvernemental, éducatif et médical, plutôt que vers les grandes entreprises ; (ii) HP interdise à ses partenaires de distribution de stocker les ordinateurs équipés de CPU x86 d’AMD destinés aux entreprises de façon à ce que ces ordinateurs soient uniquement disponibles pour les clients en les commandant à HP (soit directement, soit par le biais de partenaires de distribution de HP exerçant une fonction d’agents commerciaux) ; (iii) HP retarde de six mois le lancement de son ordinateur de bureau destiné aux entreprises équipé d’un CPU x86 d’AMD dans la région Europe, Moyen-Orient et Afrique ;
g) accorder des paiements à Acer entre septembre 2003 et janvier 2004 à condition qu’Acer retarde le lancement d’un ordinateur portable équipé d’un CPU x86 d’AMD ;
h) accorder des paiements à Lenovo entre juin 2006 et décembre 2006 à condition que Lenovo retarde et annule finalement le lancement de ses ordinateurs portables équipés de CPU x86 d’AMD.
Article 2
Pour l’infraction mentionnée à l’article 1er, une amende d’un montant de 1 060 000 000 d’euros est infligée à Intel [...]
Article 3
Intel doit mettre fin immédiatement à l’infraction mentionnée à l’article 1er si ce n’est déjà le cas.
Intel doit s’abstenir de réitérer les agissements ou comportements visés à l’article 1er ainsi que de tout agissement ou comportement ayant un objet ou un effet identique ou similaire.
[...] »
La première procédure devant le Tribunal et la Cour
20 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 juillet 2009, Intel a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse en invoquant neuf moyens.
21 Association for Competitive Technology Inc. (ci-après « ACT ») et l’Union fédérale des consommateurs – Que choisir (UFC – Que choisir) ont été admises à intervenir dans la procédure au soutien, respectivement, d’Intel et de la Commission.
22 Par arrêt du 12 juin 2014, Intel/Commission (T 286/09, ci-après l’« arrêt initial », EU:T:2014:547), le Tribunal a rejeté le recours dans son intégralité. Le rejet de ce recours était fondé, notamment, sur deux prémisses concernant le rôle du test AEC utilisé par la Commission pour analyser l’incidence des rabais contestés. Selon la première de ces prémisses, le constat d’illégalité de ces rabais ne nécessitait pas un examen des circonstances de l’espèce, de sorte que la Commission n’était pas tenue de démontrer la capacité d’éviction desdits rabais au cas par cas. Selon la seconde desdites prémisses, à supposer même qu’une appréciation des circonstances de l’espèce fût nécessaire afin de démontrer les effets anticoncurrentiels potentiels des rabais de fidélité, il n’aurait quand même pas été nécessaire de démontrer ceux-ci au moyen d’un test AEC. Dans le cadre d’un examen effectué à titre subsidiaire, le Tribunal a considéré que la Commission avait démontré, à suffisance de droit et sur la base d’une analyse des circonstances de l’espèce, la capacité des rabais contestés à restreindre la concurrence. Il s’ensuivait que le Tribunal n’était tenu ni d’examiner si la Commission avait effectué le test AEC dans les règles de l’art et sans commettre d’erreurs ni de vérifier que les calculs alternatifs proposés par Intel pour ledit test avaient été effectués de manière correcte.
23 Par requête déposée au greffe de la Cour le 26 août 2014, Intel a formé un pourvoi contre l’arrêt initial. À l’appui de ce pourvoi, Intel a soulevé six moyens.
24 Par arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C 413/14 P, ci-après l’« arrêt sur pourvoi », EU:C:2017:632), la Cour a annulé l’arrêt initial et a renvoyé l’affaire devant le Tribunal.
25 En particulier, après avoir écarté les cinquième et quatrième moyens du pourvoi, tirés, respectivement, d’une application erronée par le Tribunal des critères relatifs à la compétence de la Commission à l’égard des accords conclus entre Intel et Lenovo, et d’un vice de procédure substantiel, la Cour a examiné et accueilli le premier moyen, tiré d’une erreur de droit en raison de l’absence d’examen des rabais contestés au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes.
26 À cet égard, aux points 133 et 134 de l’arrêt sur pourvoi, la Cour a souligné que l’article 102 TFUE n’a aucunement pour but d’empêcher une entreprise de conquérir, par ses propres mérites, une position dominante sur un marché. Cette disposition ne vise pas non plus à assurer que des concurrents moins efficaces que l’entreprise occupant une position dominante restent sur le marché. Ainsi, tout effet d’éviction ne porte pas nécessairement atteinte au jeu de la concurrence. Par définition, la concurrence par les mérites peut conduire à la disparition du marché ou à la marginalisation des concurrents moins efficaces que l’entreprise en position dominante et donc moins intéressants pour les consommateurs du point de vue notamment des prix, du choix, de la qualité ou de l’innovation.
27 Aux points 135 à 137 de l’arrêt sur pourvoi, la Cour a néanmoins rappelé que, compte tenu de la responsabilité particulière qui lui incombe de ne pas porter atteinte, par son comportement, à une concurrence effective et non faussée dans le marché intérieur, une entreprise en position dominante ne saurait évincer ses concurrents considérés comme étant aussi efficaces qu’elle-même et renforcer sa position dominante en recourant à des moyens autres que ceux qui relèvent d’une concurrence par les mérites, tels qu’un système de remises conditionnées par le fait que le client s’approvisionne exclusivement pour la totalité ou pour une partie importante de ses besoins auprès de cette entreprise.
28 Cela étant, aux points 138 et 139 de l’arrêt sur pourvoi, la Cour a précisé que, dans le cas où l’entreprise concernée soutient, au cours de la procédure administrative, éléments de preuve à l’appui, que son comportement, consistant à appliquer des rabais de fidélité, n’a pas eu la capacité de restreindre la concurrence et, en particulier, de produire les effets d’éviction reprochés, la Commission est non seulement tenue d’analyser, d’une part, l’importance de la position dominante de l’entreprise sur le marché pertinent et, d’autre part, le taux de couverture du marché par les rabais contestés, ainsi que les conditions et les modalités d’octroi de ces rabais, leur durée et leur montant, mais également d’apprécier l’existence éventuelle d’une stratégie visant à évincer les concurrents au moins aussi efficaces que l’entreprise en position dominante.
29 Ainsi, la Cour a constaté, aux points 143 et 144 de l’arrêt sur pourvoi, que le test AEC avait revêtu une importance réelle dans l’appréciation par la Commission de la capacité des rabais contestés à produire un effet d’éviction de concurrents aussi efficaces qu’Intel, de sorte que le Tribunal était tenu d’examiner l’ensemble des arguments de celle-ci formulés au sujet de ce test.
30 Or, comme exposé aux points 145 et 146 de l’arrêt sur pourvoi, le Tribunal avait jugé, dans l’arrêt initial, qu’il n’était pas nécessaire d’examiner si la Commission avait effectué le test AEC dans les règles de l’art et sans commettre d’erreurs, et qu’il n’était pas non plus nécessaire d’examiner la question de savoir si les calculs alternatifs proposés par Intel avaient été effectués de manière correcte. Dès lors, dans le cadre de son examen, à titre surabondant, des circonstances de l’espèce, le Tribunal avait, dans le même arrêt, dénié toute pertinence au test AEC opéré par la Commission et n’avait, partant, pas répondu aux critiques émises contre ce test par Intel.
31 Dans ces conditions, la Cour a considéré, au point 147 de l’arrêt sur pourvoi, qu’il y avait lieu d’annuler l’arrêt initial en ce que le Tribunal s’était, à tort, abstenu, dans le cadre de son analyse de la capacité des rabais contestés à restreindre la concurrence, de prendre en considération l’argumentation d’Intel visant à dénoncer de prétendues erreurs commises par la Commission dans le cadre du test AEC.
32 Ainsi, aux points 149 et 150 de l’arrêt sur pourvoi, la Cour a jugé qu’il incombait au Tribunal, auquel il y avait lieu de renvoyer l’affaire, d’examiner, à la lumière des arguments avancés par Intel, la capacité des rabais contestés à restreindre la concurrence.
La procédure devant le Tribunal après renvoi et l’arrêt attaqué
33 Le 14, le 15 et le 16 novembre 2017, ACT, Intel et la Commission ont, respectivement, soumis leurs observations écrites sur les conclusions à tirer de l’arrêt sur pourvoi pour la solution du litige, au titre de l’article 217, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal (ci après les « observations principales sur le renvoi »).
34 Le 20 février 2018, ACT et, le 5 mars 2018, Intel ainsi que la Commission ont, respectivement, déposé des observations écrites complémentaires conformément à l’article 217, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal (ci-après les « observations complémentaires sur le renvoi »).
35 Dans ses observations principales sur le renvoi, Intel, soutenue par ACT, a réitéré, notamment, sa demande d’annulation de la décision litigieuse. Dans les siennes, la Commission, pour sa part, a conclu à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours.
36 À titre liminaire, aux points 74 à 102 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est prononcé sur l’objet du litige après renvoi et, aux points 103 à 111 de cet arrêt, sur la recevabilité des observations principales et complémentaires sur le renvoi d’Intel et d’ACT.
37 S’agissant de l’objet du litige pendant devant lui après renvoi, le Tribunal a conclu que celui-ci portait, en substance, sur l’analyse de la capacité des rabais contestés à restreindre la concurrence à la lumière, d’une part, des précisions relatives aux principes posés dans l’arrêt du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission (85/76, EU:C:1979:36), apportées aux points 133 et suivants de l’arrêt sur pourvoi et, d’autre part, des observations principales et complémentaires sur le renvoi sur les conclusions à tirer de ces précisions.
38 À cet égard, le Tribunal a repris à son compte les constatations de l’arrêt initial concernant les restrictions non déguisées et leur caractère illégal au regard de l’article 102 TFUE ainsi que les appréciations de cet arrêt portant sur la qualification des rabais contestés de « rabais d’exclusivité ». Toutefois, le Tribunal a estimé que, en conformité avec les points de droit tranchés par l’arrêt sur pourvoi, la qualification des rabais contestés de « rabais d’exclusivité » n’impliquait pas qu’un test AEC n’était pas nécessaire afin d’apprécier la capacité desdits rabais à restreindre la concurrence ni qu’elle suffisait à leur conférer un caractère abusif, au sens de l’article 102 TFUE.
39 S’agissant de la recevabilité des observations principales et complémentaires sur le renvoi d’Intel et d’ACT, le Tribunal a souligné que l’article 84, paragraphe 1, de son règlement de procédure ne s’oppose pas à ce qu’Intel consacre l’essentiel desdites observations à répéter les arguments de la requête relatifs au test AEC, ou même à procéder à une ampliation desdits arguments. Cela étant, selon le Tribunal, l’arrêt sur pourvoi ne constitue pas, en tant que tel, un élément nouveau justifiant la modification ou l’extension des griefs d’Intel contre la décision litigieuse.
40 Ensuite, après avoir rappelé la méthode définie par la Cour pour apprécier la capacité d’un système de rabais à restreindre la concurrence et les principes découlant de l’arrêt sur pourvoi, le Tribunal a apprécié le bien-fondé des arguments soulevés par Intel et par ACT.
41 Dans ce contexte, le Tribunal a examiné, dans un premier temps, l’argument selon lequel la décision litigieuse est fondée sur une analyse juridique erronée. À cet égard, le Tribunal a considéré que, en partant de la prémisse selon laquelle elle pouvait valablement constater que les rabais contestés enfreignaient l’article 102 TFUE au motif qu’ils étaient par nature abusifs, sans devoir nécessairement tenir compte, à cet effet, de la capacité de ces rabais à restreindre la concurrence, la Commission avait entaché la décision litigieuse d’une erreur de droit. Cela étant, en invoquant « l’importance réelle » qu’avait revêtu le test AEC dans l’appréciation, par la Commission, de la capacité des rabais contestés à produire un effet d’éviction de concurrents aussi efficaces qu’Intel, le Tribunal s’est estimé tenu d’examiner, dans un deuxième temps, les arguments d’Intel par lesquels celle-ci faisait valoir que le test AEC était entaché de nombreuses erreurs.
42 La partie de l’arrêt attaqué consacrée à ces arguments comporte quatre sous-parties. Les motifs figurant aux points 150 et 151 de l’arrêt attaqué concernent la portée du contrôle du Tribunal.
43 Les motifs compris aux points 152 à 159 de cet arrêt sont consacrés à des considérations générales sur le test AEC effectué dans la décision litigieuse. Ces points de l’arrêt attaqué sont ainsi libellés :
« 152 Le point de départ du test AEC, tel qu’il a été défini aux considérants 1003 et suivants de la décision [litigieuse] et appliqué par la Commission dans la présente affaire, est que, compte tenu notamment de la nature de son produit, de son image de marque et de son profil, Intel était un partenaire commercial incontournable et que les OEM auraient toujours acheté au moins une partie de leurs besoins en CPU auprès d’Intel, indépendamment de la qualité de l’offre du fournisseur alternatif. Par conséquent, c’est seulement pour une part du marché que les clients étaient disposés et en mesure de reporter leur approvisionnement sur ce fournisseur alternatif (ci-après la “part disputable”). De cette qualité de partenaire commercial incontournable résultait le pouvoir d’Intel d’utiliser la part non disputable comme un levier pour réduire le prix sur la part disputable du marché.
153 Ainsi que l’a relevé le Tribunal au point 141 de l’arrêt initial, le test AEC effectué dans la décision [litigieuse] part du principe qu’un concurrent aussi efficace [qu’Intel], qui cherche à décrocher la part disputable des commandes jusque-là satisfaites par une entreprise [en position] dominante, doit offrir une compensation au client pour le rabais d’exclusivité qu’il perdrait s’il achetait une part moindre que celle définie par la condition d’exclusivité ou de quasi-exclusivité. Le test AEC vise à déterminer si le concurrent aussi efficace que l’entreprise en position dominante, qui subit les mêmes coûts que celle-ci, peut toujours couvrir ses coûts dans ce cas.
154 Le test AEC, tel qu’il est appliqué en l’espèce, établit le prix auquel un concurrent aussi efficace qu’Intel aurait dû offrir ses CPU x86 afin de compenser un OEM pour la perte d’un quelconque paiement d’exclusivité octroyé par Intel. Ce prix est dénommé dans le test AEC “prix effectif” ou “PE”.
155 En principe, la partie des rabais totaux, pour laquelle un concurrent aussi efficace [qu’Intel] doit offrir une compensation, comprend seulement le montant des rabais qui est soumis à la condition d’approvisionnement exclusif en excluant des rabais de quantité (ci-après la “part conditionnelle” des rabais). Ainsi que cela ressort notamment du considérant 1460 de la décision [litigieuse], pour ne prendre en considération que la part conditionnelle d’un paiement, le test AEC fait référence, en l’espèce, au prix moyen de vente [...], à savoir le prix catalogue, déduction faite des rabais conditionnels.
156 Plus la part disputable et, par conséquent, la quantité des produits avec lesquels le fournisseur alternatif peut entrer en concurrence [sont petites], plus la probabilité que le paiement d’exclusivité ait la capacité d’évincer un concurrent aussi efficace [que l’entreprise en position dominante] est grande. En effet, si la perte des paiements octroyés par Intel à son client doit être répartie sur une faible quantité de produits offerts par le fournisseur alternatif sur la part disputable, cela entraîne une réduction sensible du prix effectif. Ce dernier sera donc plus vraisemblablement inférieur à la mesure viable du coût d’Intel.
157 Le prix effectif doit être comparé à la mesure viable du coût d’Intel. La mesure viable du coût d’Intel adoptée dans la décision [litigieuse] est celle du coût évitable moyen [...]
158 Ainsi qu’il ressort notamment du considérant 1006 de la décision [litigieuse], il est permis de conclure qu’un système de paiements d’exclusivité est capable de barrer l’accès au marché pour les concurrents aussi efficaces [qu’Intel] lorsque le prix effectif est inférieur au [coût évitable moyen] d’Intel. Il s’agit dans ce cas d’un résultat négatif du test AEC. Si, en revanche, le prix effectif est supérieur au [coût évitable moyen d’Intel], un concurrent aussi efficace [qu’Intel] est censé pouvoir couvrir ses coûts et donc être en mesure d’accéder au marché. Dans ce cas, le test AEC aboutit à un résultat positif.
159 C’est à la lumière de ces considérations générales qu’il y a lieu d’examiner le bien-fondé des arguments d[’Intel] selon lesquels [le test AEC est entaché] de nombreuses erreurs. »
44 Il ressort, notamment, des points 175, 258, 260, 283, 285, 286, 297 à 299 et 334 de l’arrêt attaqué que, selon la méthodologie adoptée par la Commission, le résultat, positif ou négatif, du test AEC, au sens exposé au point 158 du même arrêt, est déterminé, in fine, au moyen d’une comparaison entre la part disputable et la part requise, cette dernière étant la part des besoins du client qu’un concurrent aussi efficace qu’Intel doit décrocher afin qu’il puisse accéder au marché sans subir de pertes. Si la part disputable est supérieure à la part requise, le résultat du test AEC est positif pour Intel, la situation inverse se traduisant par un résultat négatif et donc une capacité des rabais contestés à évincer un concurrent aussi efficace que cette entreprise.
45 Les motifs figurant aux points 160 à 166 de l’arrêt attaqué portent sur la charge de la preuve et le niveau de preuve requis.
46 Dans les motifs que comportent les points 167 à 482 de cet arrêt, le Tribunal a examiné le bien-fondé des arguments d’Intel selon lesquels la décision litigieuse était entachée de nombreuses erreurs en ce qui concerne le test AEC.
47 Ces motifs se divisent en cinq parties, dont chacune est consacrée aux arguments qu’Intel a soulevés au sujet du test AEC contenu dans la décision litigieuse au regard des quatre OEM concernés, à savoir Dell, HP, NEC et Lenovo, d’une part, et du distributeur MSH, d’autre part.
48 L’analyse du Tribunal relative à la situation de Dell est exposée aux points 202 à 282 de l’arrêt attaqué. Au terme de cette analyse, le Tribunal a considéré, premièrement, au point 283 de cet arrêt, que la Commission n’avait pas établi à suffisance de droit le bien-fondé de son hypothèse selon laquelle la part disputable de Dell pour la période en cause était de 7,1 %. Cette hypothèse ayant servi de base pour démontrer, par une comparaison entre la part disputable et la part requise, la capacité des rabais accordés par Intel à Dell à produire un effet d’éviction, la comparaison en question n’a pas, selon le Tribunal, démontré à suffisance de droit ladite capacité.
49 Deuxièmement, au point 284 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré, d’une part, que les facteurs qui, selon la Commission, renforçaient la capacité d’éviction estimée des rabais contestés, consistant, en substance, en ce que toute perte de rabais d’Intel se traduirait par une augmentation des rabais consentis par celle-ci aux OEM concurrents de Dell et en ce que l’estimation de la part disputable ne tient pas compte du fait que Dell achetait également à Intel des produits autres que les microprocesseurs CPU x86, notamment des jeux de puces, n’avaient pas été suffisamment analysés dans la décision litigieuse. D’autre part, une méthode alternative de calcul mise en œuvre par la Commission dans cette décision ne démontrerait pas que les rabais contestés étaient susceptibles de produire un effet d’éviction anticoncurrentiel durant toute la période pertinente.
50 Or, au point 285 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé que, selon le considérant 1281 de la décision litigieuse, les conclusions auxquelles la Commission était parvenue s’agissant de la capacité des rabais contestés accordés à Dell à produire un effet d’éviction anticoncurrentiel étaient déduites de la comparaison de la part disputable et de la part requise, des facteurs de renforcement et de ladite méthode alternative de calcul.
51 Dans ces conditions, le Tribunal a estimé, au point 286 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas été en mesure d’établir, sur la base de la comparaison entre la part disputable et la part requise ainsi que des facteurs de renforcement, la capacité des rabais contestés accordés à Dell à produire un tel effet d’éviction. En outre, le troisième élément retenu par la Commission, à savoir une méthode alternative de calcul, ayant, selon les termes du considérant 1281 de la décision litigieuse, pour fonction de confirmer ces deux premiers éléments, ne saurait, selon le Tribunal, étayer, à lui seul, les conclusions de la Commission, d’autant moins qu’il ne démontrerait pas que les rabais contestés étaient susceptibles de produire un effet d’éviction anticoncurrentiel durant toute la période pertinente.
52 Par suite, au point 287 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a accueilli le grief d’Intel pris de ce que la Commission n’avait pas établi à suffisance de droit le bien-fondé de la conclusion, formulée au considérant 1281 de la décision litigieuse, selon laquelle, sur la période comprise entre le mois de décembre 2002 et le mois de décembre 2005, les rabais contestés étaient capables ou susceptibles de produire un effet d’éviction anticoncurrentiel au motif que même un concurrent aussi efficace qu’Intel aurait été empêché d’approvisionner Dell pour ses besoins en CPU x86.
53 L’analyse du Tribunal relative à la situation de HP est exposée aux points 288 à 335 de l’arrêt attaqué. Après avoir examiné une série d’éléments relatifs aux volumes d’achats, au montant des rabais et au prix moyen de vente du CPU x86, le Tribunal a estimé, au point 319 de cet arrêt, que la Commission avait commis une erreur en considérant que son calcul de la part requise lui permettait de tirer des conclusions relatives à l’effet d’éviction anticoncurrentiel produit par les rabais accordés par Intel à HP pour l’ensemble de la période comprise entre le mois de novembre 2002 et le mois de mai 2005. En particulier, la Commission n’aurait pas démontré l’existence dudit effet pour la période comprise entre le mois de novembre 2002 et le mois de septembre 2003.
54 En outre, au point 320 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que le fait pour la Commission d’avoir procédé, au considérant 1389 de la décision litigieuse, à un calcul alternatif de la part requise en se référant aux chiffres exposés au considérant 1338 de cette décision ne saurait pallier cette erreur, puisque ce calcul alternatif ne couvrait pas non plus l’ensemble de la période comprise entre le mois de novembre 2002 et le mois de mai 2005.
55 Au demeurant, aux points 328 à 331 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a estimé, au sujet du facteur de renforcement tenant au transfert des rabais contestés initialement accordés par Intel à HP vers un des concurrents de ce dernier, que la Commission aurait dû préciser lequel des éléments pris en compte dans le test AEC aurait été influencé et de quelle manière. Dès lors, la décision litigieuse était entachée d’un défaut de motivation.
56 Dans ces conditions, le Tribunal a conclu, au point 335 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas établi à suffisance de droit le bien-fondé de la conclusion, formulée au considérant 1406 de la décision litigieuse, selon laquelle, au cours de la période allant du mois de novembre 2002 au mois de mai 2005, les rabais accordés par Intel à HP étaient capables de produire un effet d’éviction anticoncurrentiel ou susceptibles de produire un tel effet, dans la mesure où elle n’avait pas démontré l’existence d’un tel effet d’éviction pour la période comprise entre le 1er novembre 2002 et le 30 septembre 2003.
57 L’analyse du Tribunal relative à la situation de NEC est exposée aux points 336 à 411 de l’arrêt attaqué. Au point 411 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que, en conférant une valeur exagérée à la part conditionnelle des rabais et en extrapolant les résultats auxquels elle était parvenue pour le quatrième trimestre de l’année 2002 sur toute la période infractionnelle, la Commission avait commis deux erreurs d’appréciation. Le Tribunal a déduit de ces constatations que le test AEC de la Commission était erroné dans ses paramètres de base. Dès lors, la Commission n’avait pas établi à suffisance de droit le bien-fondé de la conclusion, formulée au considérant 1456 de la décision litigieuse, selon laquelle les paiements accordés par Intel à NEC étaient capables ou susceptibles d’évincer un concurrent aussi efficace qu’Intel.
58 L’analyse du Tribunal relative à la situation de Lenovo est exposée aux points 412 à 457 de l’arrêt attaqué. Au point 439 de cet arrêt, le Tribunal a considéré que les calculs effectués par la Commission pour établir la part conditionnelle des rabais et, par suite, la part requise qu’un concurrent aussi efficace qu’Intel devait atteindre afin de pouvoir accéder au marché sans subir de pertes étaient fondés sur un postulat contraire aux fondements du test AEC exposés aux considérants 1003 et 1004 de la décision litigieuse. En particulier, parmi ces fondements figure le principe selon lequel le concurrent hypothétique est aussi efficace qu’Intel. Or, dans son analyse relative à l’appréciation du montant des rabais contestés accordés par Intel à Lenovo sous forme de deux avantages en nature, à savoir l’extension de la garantie standard d’Intel d’un an ainsi que la proposition d’une meilleure utilisation d’une plateforme de distribution en Chine, la Commission a, selon le Tribunal, raisonné en réalité par rapport à un concurrent moins efficace, qui ne constituerait cependant pas l’acteur économique pertinent pour évaluer la capacité des rabais contestés à produire un effet d’éviction anticoncurrentiel.
59 Après avoir considéré, aux points 440 à 456 de l’arrêt attaqué, que cette considération ne pouvait pas être infirmée par les arguments de la Commission, le Tribunal a jugé, au point 457 de cet arrêt, que cette institution n’avait pas établi à suffisance de droit le bien-fondé de la conclusion formulée au considérant 1507 de la décision litigieuse, selon laquelle, en 2007, les rabais contestés accordés par Intel étaient capables ou susceptibles de produire un tel effet d’éviction au détriment d’un concurrent aussi efficace que cette dernière.
60 L’analyse du Tribunal relative à la situation de MSH est exposée aux points 458 à 481 de l’arrêt attaqué. Aux points 466 à 480 de cet arrêt, le Tribunal s’est focalisé sur la méthode du « double rabais conditionnel ». Cette méthode repose sur l’idée que, pour pouvoir vendre des ordinateurs d’une certaine marque à MSH, un concurrent aussi efficace qu’Intel devait s’assurer non seulement que MSH était prête à acheter des ordinateurs équipés des CPU de ce concurrent, mais aussi, et surtout, que des OEM étaient prêts à fabriquer ces ordinateurs. Ce concurrent aurait donc dû accorder deux paiements. L’un pour obtenir la part disputable de l’OEM et l’autre pour obtenir la part disputable de MSH. Les pratiques d’Intel à différents niveaux de la chaîne d’approvisionnement auraient donc pu avoir un effet cumulatif. Sans remettre en cause le principe de ce raisonnement, le Tribunal a constaté que sa mise en œuvre, fondée sur la présomption que chaque OEM fournisseur de MSH bénéficiait d’un rabais conditionnel équivalant au rabais contesté total accordé à NEC au quatrième trimestre de l’année 2002, était entachée de deux vices, dont chacun était susceptible d’invalider les résultats du test AEC relatif à MSH. Premièrement, la Commission n’aurait pas prétendu ni démontré qu’Intel aurait accordé à l’un des autres OEM auprès desquels MSH réalisait ses achats, à savoir Fujitsu, Acer, HP, Compaq, Toshiba et Medion, des rabais conditionnels sur le segment des ordinateurs destinés aux particuliers, dans des conditions comparables aux rabais contestés relatifs aux ordinateurs achetés auprès de NEC. Deuxièmement, et en tout état de cause, la Commission n’aurait pas démontré que les rabais contestés accordés à NEC pour le quatrième trimestre de l’année 2002, à les supposer représentatifs pour tous les OEM, avaient été stables sur une période de dix ans.
61 Dans ces conditions, le Tribunal a considéré, au point 482 de l’arrêt attaqué, qu’il y avait lieu d’accueillir l’argument d’Intel selon lequel le test AEC effectué par la Commission dans la décision litigieuse au regard de Dell, de HP, de NEC, de Lenovo et de MSH était entaché d’erreurs.
62 Ensuite, le Tribunal a examiné, aux points 483 à 521 de l’arrêt attaqué, les arguments d’Intel et d’ACT pris de ce que la Commission n’avait pas analysé de façon appropriée, en tant que critères mentionnés au point 139 de l’arrêt sur pourvoi, le taux de couverture du marché par les rabais contestés, d’une part, et la durée ainsi que le montant desdits rabais, d’autre part.
63 En ce qui concerne le taux de couverture du marché par les rabais contestés, au point 485 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a identifié la section 4.2.4 de la décision litigieuse, qui comporte les considérants 1577 à 1596 de cette décision, comme étant pertinente au sujet de l’importance stratégique des OEM ayant bénéficié des rabais contestés. Selon le Tribunal, au considérant 1577 de ladite décision, la Commission a souligné, en substance, que, en raison de leur part de marché, de leur présence forte dans le segment le plus profitable du marché en cause ainsi que de leur pouvoir de légitimer un nouveau processeur sur ce marché, certains OEM, en l’occurrence Dell et HP, étaient stratégiquement plus importants que d’autres pour fournir aux fabricants de CPU x86 un accès audit marché. Le Tribunal a également identifié comme étant pertinent le considérant 1597 de la même décision, selon lequel les OEM ciblés par le comportement d’Intel détenaient une part de marché significative et étaient stratégiquement plus importants que les autres, ce qui aurait eu un impact sur le marché dans son ensemble plus important que celui qui aurait correspondu à leurs seules parts de marché cumulées. La Commission en a conclu que la couverture du marché par les rabais contestés devait être considérée comme étant significative.
64 Au point 493 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré qu’il ne saurait être exclu que la section 4.2.4 de la décision litigieuse ait pu être pertinente dans le cadre de l’examen du taux de couverture du marché par les rabais contestés, en ce qu’elle aborde certains facteurs a priori pertinents pour examiner la capacité d’éviction d’un système de rabais. Cela étant, au point 494 de cet arrêt, le Tribunal a relevé que cette section 4.2.4 ainsi que le considérant 1597 de cette décision, sur lequel s’est appuyée la Commission pour considérer que le taux de couverture du marché avait été examiné, ne sauraient être interprétés comme constituant en eux-mêmes un examen suffisant, dans les circonstances de l’espèce, du taux de couverture du marché par les rabais contestés, au sens du point 139 de l’arrêt sur pourvoi.
65 À cet égard, au point 495 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a observé que, à supposer que la Commission pouvait valablement se fonder sur les parts de marché détenues par certains OEM plutôt que d’examiner le taux de couverture du marché par les rabais contestés, cette institution n’avait pris en compte, aux considérants 1578 à 1580 de la décision litigieuse, que les parts de marché de Dell et de HP, en excluant les autres OEM concernés par ces rabais. En outre, les parts de marché ainsi prises en compte par la Commission ne concerneraient que la période allant du premier trimestre de l’année 2003 au dernier trimestre de l’année 2005, à savoir seulement une partie de la période allant du mois d’octobre 2002 au mois de décembre 2007 visée par cette décision, et ferait, donc, également abstraction de la période 2006-2007, au cours de laquelle Lenovo et MSH étaient concernés. Enfin, les chiffres relatifs aux parts de marché sur lesquels s’est fondée la Commission tiendraient compte des parts du marché mondial détenues par Dell et HP dans tous les segments, malgré le fait que les seuls rabais contestés concernant HP portaient sur des ordinateurs de bureau pour entreprises, comme cela est indiqué à l’article 1er, sous b), de ladite décision.
66 Dans ces conditions, le Tribunal a relevé, aux points 499 et 500 de l’arrêt attaqué, que la Commission s’était abstenue de déterminer le taux de couverture du marché par les rabais contestés, contrairement à ce qu’elle était tenue de faire conformément au point 139 de l’arrêt sur pourvoi, et en a déduit qu’elle n’avait pas dûment examiné le critère relatif audit taux de couverture.
67 S’agissant de la durée des rabais contestés, le Tribunal a identifié, aux points 508 à 515 de l’arrêt attaqué, deux groupes de considérants de la décision litigieuse dans lesquels la Commission avait examiné des éléments en rapport avec ladite durée. Il s’agit, premièrement, des considérants 1013 à 1035 de cette décision et, deuxièmement, des considérants 201, 202, 965 à 968 et 1227 de celle-ci.
68 À cet égard, le Tribunal a considéré, d’une part, que l’objet des considérants 1013 à 1035 de la décision litigieuse était uniquement de définir l’horizon temporel, en l’occurrence un an, dans lequel s’inscrivaient les choix des OEM en rapport avec leurs besoins en CPU x86 en tant qu’hypothèse fondant le calcul de la part disputable des rabais contestés accordés par Intel à chacun des OEM concernés.
69 Partant, selon le Tribunal, la Commission aurait utilisé un tel facteur temporel pour déterminer la méthodologie de calcul de la part disputable d’un OEM, laquelle part disputable devait ensuite être mise en rapport avec d’autres facteurs du test AEC afin d’évaluer la capacité des rabais contestés de produire un effet d’éviction anticoncurrentiel. Un tel examen ne constitue donc pas, selon le Tribunal, une analyse de la durée de ces rabais en tant que facteur susceptible, en soi, de démontrer leur capacité de produire un tel effet d’éviction.
70 D’autre part, certes, aux considérants 201, 202, 965 à 968 et 1227 de la décision litigieuse, la Commission a examiné la durée et la forme des engagements souscrits par les OEM auprès d’Intel donnant droit à des rabais en tant que facteurs susceptibles de favoriser ou de faire obstacle à l’entrée d’un nouveau concurrent sur le marché, compte tenu notamment de la portée temporelle desdits engagements ou de la capacité d’Intel à verser ou à ajuster ses rabais dans de brefs délais.
71 Toutefois, selon le Tribunal, même si ces aspects du facteur temporel lui apparaissaient pertinents, la Commission ne les a examinés que de façon contingente et circonscrite. Elle n’a pas procédé à un examen desdits aspects pour tous les OEM en tant que facteur pertinent pour établir la capacité des rabais contestés à produire un effet d’éviction anticoncurrentiel.
72 En outre, aux points 516 à 518 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a écarté un argument de la Commission pris de ce que, quand bien même le test AEC ne démontrerait pas la capacité des rabais contestés à produire un effet d’éviction, il conviendrait de s’attacher à la durée totale pendant laquelle Intel a appliqué des rabais et des paiements d’exclusivité aux OEM et que, dans la mesure où les rabais ont perduré durant une année pour Lenovo et pendant plusieurs années pour les autres OEM et pour MSH, il devrait en être conclu qu’un concurrent d’Intel sur le marché des CPU x86 aurait dû accepter une baisse de la rentabilité et un niveau de rentabilité beaucoup plus faible sur ces ventes qu’Intel. Selon la Commission, ces considérations ressortaient des points 93 et 195 de l’arrêt initial et étaient, à ce titre, définitives.
73 À cet égard, le Tribunal a relevé, dans un premier temps, que l’arrêt initial avait été intégralement annulé par la Cour, de sorte qu’il lui incombait, à la suite du renvoi, de procéder à un nouvel examen des arguments des parties relatifs à la durée des rabais, sans être lié par les points 93 et 195 de cet arrêt.
74 Dans un second temps, le Tribunal a estimé que, eu égard à l’ensemble des critères mentionnés au point 139 de l’arrêt sur pourvoi qui doivent être examinés dans le cas où l’entreprise concernée soutient, éléments de preuve à l’appui, que son comportement n’a pas eu la capacité de restreindre la concurrence, la seule référence, nonobstant les conclusions qu’il est possible de tirer du test AEC, à la durée pendant laquelle les rabais contestés ont été accordés par Intel aux OEM et à MSH ne suffisait pas, en elle-même, à fonder des appréciations définitives quant aux effets d’éviction anticoncurrentiels ainsi produits.
75 Pour les mêmes motifs, le Tribunal a écarté, au point 519 de l’arrêt attaqué, l’argument de la Commission pris de ce que la durée des rabais contestés ne pouvait être dissociée de leur calendrier (timing), car ils auraient été nécessaires pour surmonter l’incapacité d’Intel à produire une réponse technique en temps opportun aux CPU x86 à 64 bits commercialisés par AMD.
76 Sur la base de ces considérations, le Tribunal a considéré, au point 520 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait commis une erreur en n’examinant pas, dans la décision litigieuse, la durée des rabais en tant qu’élément permettant d’établir la capacité des rabais contestés à produire un effet d’éviction anticoncurrentiel.
77 Ainsi, au point 521 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré qu’Intel était fondée à soutenir que l’analyse des critères mentionnés au point 139 de l’arrêt sur pourvoi effectuée dans la décision litigieuse était entachée de plusieurs erreurs, en ce que la Commission n’avait pas dûment examiné, dans cette décision, le critère relatif au taux de couverture du marché par les rabais contestés et n’avait pas procédé à une analyse correcte de la durée de ces rabais.
78 Dans les points conclusifs de l’arrêt attaqué, le Tribunal a résumé les motifs sous-tendant le dispositif dudit arrêt.
79 À cet égard, au point 523 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé qu’Intel avait soutenu, au cours de la procédure administrative, éléments de preuve à l’appui, que les rabais contestés n’avaient pas eu la capacité de produire les effets d’éviction qui lui étaient reprochés. Aux considérants 1002 à 1573 de la décision litigieuse, la Commission a effectué un test AEC et, au regard des résultats de ce test, celle-ci a conclu, aux considérants 1574 et 1575 de cette décision, que les rabais contestés et les paiements litigieux effectués par Intel étaient capables ou susceptibles d’avoir des effets d’éviction anticoncurrentiels, dès lors que même un concurrent aussi efficace que cette dernière se serait vu empêché d’approvisionner Dell, HP, NEC et Lenovo pour leurs besoins en CPU x86 ou de vendre, au travers des ordinateurs commercialisés par MSH, les CPU x86 qu’il produisait.
80 Au point 524 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a souligné qu’il ressortait, toutefois, des appréciations relatives aux moyens et aux arguments examinés, premièrement, que le test AEC effectué dans la décision litigieuse était entaché d’erreurs et, deuxièmement, s’agissant des critères mentionnés au point 139 de l’arrêt sur pourvoi, que la Commission n’avait pas dûment examiné le critère relatif au taux de couverture du marché par les rabais contestés et n’avait pas procédé à une analyse correcte de la durée de ces rabais.
81 S’agissant tout particulièrement des rabais consentis à HP, au point 525 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé que la Commission n’avait pas établi à suffisance de droit sa conclusion selon laquelle, au cours de la période allant du mois de novembre 2002 au mois de mai 2005, les rabais contestés accordés à HP étaient capables ou susceptibles de produire un effet d’éviction anticoncurrentiel, dans la mesure où elle n’avait pas démontré l’existence d’un tel effet pour la période comprise entre le 1er novembre 2002 et le 30 septembre 2003. À supposer donc qu’il fallût en déduire que le test AEC pourrait être considéré comme étant probant pour une partie de la période allant du mois de novembre 2002 au mois de mai 2005, l’effet d’éviction anticoncurrentiel de ces rabais ne saurait, selon le Tribunal, être établi à suffisance de droit, dès lors que la Commission n’avait pas dûment examiné le critère relatif au taux de couverture du marché par les rabais contestés et n’avait pas procédé à une analyse correcte de la durée de ces rabais.
82 C’est ainsi que, aux points 526 et 527 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que la Commission n’avait pas été en mesure d’établir que les rabais contestés et les paiements litigieux effectués par Intel étaient capables ou susceptibles d’avoir des effets d’éviction anticoncurrentiels et qu’ils étaient donc constitutifs d’une violation de l’article 102 TFUE, de sorte que les motifs de la décision litigieuse n’étaient pas susceptibles de servir de fondement à l’article 1er, sous a) à e), de cette décision.
83 Dans ces conditions, le Tribunal a annulé, premièrement, l’article 1er, sous a) à e), ainsi que l’article 2 de la décision litigieuse et, deuxièmement, l’article 3 de cette décision uniquement en ce qui concerne les agissements décrits à l’article 1er, sous a) à e), de celle-ci. En revanche, ayant repris à son compte les constatations de l’arrêt initial concernant les restrictions non déguisées et leur caractère illégal au regard de l’article 102 TFUE, le Tribunal a rejeté le recours pour le surplus.
La procédure devant la Cour et les conclusions des parties
84 Par décision du président de la Cour du 5 août 2022, la République fédérale d’Allemagne a été autorisée à intervenir à la présente procédure, au soutien des conclusions de la Commission.
85 La Commission demande à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué, à l’exception du point 3 de son dispositif, en vertu duquel le Tribunal a rejeté le recours dont il était saisi pour le surplus ;
– de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et
– de réserver les dépens.
86 Intel et ACT demandent à la Cour :
– de rejeter le pourvoi et
– de condamner la Commission aux dépens afférents au pourvoi et la République fédérale d’Allemagne à ceux afférents à son intervention.
87 La République fédérale d’Allemagne demande à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué, à l’exception du point 3 de son dispositif ;
– de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et
– de réserver les dépens.
Sur le pourvoi
88 La Commission soulève six moyens à l’appui du pourvoi :
– le premier est tiré d’une violation du principe ne ultra petita, assortie d’une interprétation et application erronées des critères établis par la Cour, dans l’arrêt sur pourvoi, s’agissant de la capacité des rabais contestés à évincer la concurrence ;
– le deuxième est tiré d’une violation des droits de la défense de la Commission dans le cadre de l’examen du test AEC ;
– le troisième est tiré d’une erreur de droit en ce qui concerne la preuve requise, d’une violation des droits de la défense et d’une dénaturation des éléments de preuve dans le cadre de l’examen du test AEC à l’égard de Dell ;
– le quatrième est tiré de plusieurs erreurs de droit et d’une violation des droits de la défense de la Commission dans le cadre de l’examen du test AEC à l’égard de HP ;
– le cinquième est tiré d’une mauvaise interprétation du test AEC effectué par la Commission et de l’article 102 TFUE, d’une dénaturation des preuves et d’une violation des droits de la défense de la Commission dans le cadre de l’examen du test AEC à l’égard de Lenovo, et
– le sixième est tiré d’une mauvaise appréciation des conséquences à tirer des erreurs constatées dans le cadre du test AEC.
89 Avant de formuler sa réponse à chacun des moyens soulevés à l’appui du pourvoi, Intel, soutenue par ACT, observe que ces moyens sont inopérants au motif que la Commission n’a pas remis en cause l’analyse que le Tribunal a effectuée aux points 144 à 149 de l’arrêt attaqué. Selon cette analyse, la qualification des rabais contestés d’abusifs par nature et indépendamment de leur capacité à restreindre la concurrence serait constitutive d’une erreur de droit. La Commission aurait ainsi reconnu que le test AEC ne faisait pas partie du raisonnement sous tendant le dispositif de la décision litigieuse. Dans ces conditions, la constatation de cette erreur suffirait, à elle seule, pour justifier le dispositif de l’arrêt attaqué, toute prétendue erreur commise par le Tribunal dans le cadre des appréciations effectuées par ce dernier à la suite de cette constatation étant dépourvue de pertinence.
90 Cet argument ne saurait être retenu. Ainsi que l’a observé, en substance, le Tribunal au point 149 de l’arrêt attaqué, l’erreur tenant à la qualification des rabais contestés comme étant, par nature, constitutifs d’une violation de l’article 102 TFUE ne suffisait pas pour annuler la décision litigieuse, dès lors que la Commission avait effectué un test AEC ayant revêtu une importance réelle dans l’appréciation de la capacité de ces rabais à évincer un concurrent aussi efficace qu’Intel. Par suite, l’annulation de cette décision par le Tribunal repose, ainsi qu’il ressort par ailleurs du point 524 de l’arrêt attaqué, sur les erreurs constatées dans le cadre du test AEC, sur le défaut d’examen du taux de couverture du marché par les rabais contestés et sur le caractère incorrect de l’analyse que la Commission a consacrée à la durée de ces rabais. Il s’ensuit que les moyens soulevés à l’appui du présent pourvoi sont susceptibles de remettre en cause les appréciations du Tribunal sous-tendant le dispositif de l’arrêt attaqué et de conduire, sous réserve de leur bien-fondé, à l’annulation de cet arrêt. Par conséquent, il y a lieu de rejeter l’objection d’Intel tirée du caractère inopérant de ces moyens et, partant, de procéder à leur examen.
Sur le premier moyen, tiré de ce que le Tribunal a statué ultra petita et qu’il a effectué une interprétation et une application erronées de la capacité des rabais contestés à évincer la concurrence
91 Le premier moyen comporte deux branches, tirées, respectivement, de ce que le Tribunal a statué ultra petita et, à titre subsidiaire, de ce qu’il a effectué une interprétation et une application erronées des critères permettant de reconnaître la capacité des rabais contestés à évincer la concurrence.
Sur la première branche, tirée de ce que le Tribunal a statué ultra petita
– Argumentation des parties
92 La Commission fait valoir qu’Intel n’avait pas soulevé, dans sa requête en première instance, d’argument selon lequel la portée de l’examen, dans la décision litigieuse, des critères relatifs au taux de couverture du marché et à la durée des rabais contestés était insuffisante. Intel n’aurait argumenté en ce sens que dans les observations principales sur le renvoi.
93 En effet, d’une part, cette requête ne contiendrait aucune référence aux considérants de la décision litigieuse relatifs à l’importance stratégique des OEM qui ont bénéficié des rabais contestés. Dans le cadre du pourvoi qu’elle a introduit contre l’arrêt initial, Intel n’aurait contesté que l’appréciation du Tribunal portant sur l’importance du taux de couverture du marché par ces rabais. L’argument qu’Intel a soulevé dans ladite requête aurait porté sur la part, prétendument très limitée, du marché effectivement touché par l’effet d’éviction anticoncurrentiel résultant desdits rabais et non sur la question de savoir si la Commission avait adéquatement analysé le taux de couverture du marché par les mêmes rabais.
94 D’autre part, et de manière similaire, Intel n’aurait pas remis en cause la portée de l’analyse de la durée des rabais contestés effectuée par la Commission, mais aurait simplement contesté la validité de l’approche de cette institution qui a consisté à cumuler des accords de courte durée conclus avec les OEM et MSH, ce qui serait une question située en aval. Ainsi, à l’appui du pourvoi qu’elle a introduit contre l’arrêt initial, Intel se serait limitée à remettre en cause le cumul de ces accords, repris par le Tribunal afin d’étayer la capacité des rabais contestés à évincer la concurrence. Contrairement à ce qu’indique le Tribunal au point 506 de l’arrêt attaqué, les griefs tirés de la durée des rabais contestés ne se rattacheraient pas à ceux présentés aux points 102 et 111 à 114 de la requête.
95 Soutenue par ACT, Intel conteste le bien-fondé de cette branche du premier moyen.
– Appréciation de la Cour
96 Il résulte des règles régissant la procédure devant les juridictions de l’Union européenne, notamment de l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ainsi que de l’article 76 et de l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, que le litige est en principe déterminé et circonscrit par les parties et que le juge de l’Union ne peut statuer ultra petita (arrêt du 13 juillet 2023, Commission/CK Telecoms UK Investments, C 376/20 P, EU:C:2023:561, point 324), l’annulation prononcée ne pouvant excéder celle sollicitée par le requérant (voir, en ce sens, arrêt du 14 novembre 2017, British Airways/Commission, C 122/16 P, EU:C:2017:861, point 81 et jurisprudence citée).
97 En l’espèce, ainsi qu’il a été exposé au point 83 du présent arrêt, le Tribunal a annulé, premièrement, l’article 1er, sous a) à e), ainsi que l’article 2 de la décision litigieuse et, deuxièmement, l’article 3 de cette décision uniquement en ce qui concerne les agissements décrits à l’article 1er, sous a) à e), de celle-ci. Par ailleurs, en vertu du point 3 du dispositif de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours pour le surplus, à savoir en ce qui concerne les restrictions non déguisées et leur caractère illégal au regard de l’article 102 TFUE.
98 Il y a lieu de relever à cet égard que, au point 674 de la requête, Intel a demandé, notamment, l’annulation de la décision litigieuse dans son entièreté, de sorte que l’annulation prononcée par le Tribunal se situe en deçà de celle sollicitée par Intel. Il s’ensuit que, dans la mesure où la Commission reproche formellement au Tribunal d’avoir statué ultra petita, ce grief doit être écarté.
99 La Commission reproche également au Tribunal d’avoir contrôlé, aux points 485 à 500 de l’arrêt attaqué, la légalité des appréciations effectuées par elle dans la décision litigieuse au sujet du taux de couverture du marché par les rabais contestés à l’aune d’un moyen soulevé pour la première fois par Intel dans le cadre des observations principales sur le renvoi. Ce faisant, le Tribunal aurait excédé le cadre du litige tel que déterminé et circonscrit par la requête et, le cas échéant, par la réplique, enfreignant ainsi l’article 84 de son règlement de procédure.
100 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite, à moins que ces moyens ne soient fondés sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure.
101 Il s’ensuit que, ainsi que le Tribunal l’a souligné à bon droit au point 106 de l’arrêt attaqué, après un arrêt de renvoi de la Cour, les parties ne sont pas recevables, en principe, à invoquer des moyens qui n’auraient pas été soulevés au cours de la procédure ayant donné lieu à l’arrêt du Tribunal annulé par la Cour (arrêt du 1er juillet 2008, Chronopost et La Poste/UFEX e.a., C 341/06 P et C 342/06 P, EU:C:2008:375, point 71). Seul un moyen qui constitue l’ampliation d’un moyen énoncé antérieurement, directement ou implicitement, dans la requête introductive d’instance et qui présente un lien étroit avec celui-ci doit être déclaré recevable (arrêt du 11 mars 2020, Commission/Gmina Miasto Gdynia et Port Lotniczy Gdynia Kosakowo, C 56/18 P, EU:C:2020:192, point 66).
102 En l’espèce, après avoir énoncé, au point 12 de la requête, que, en méconnaissance de l’article 102 TFUE, la Commission avait omis d’apprécier la capacité des rabais contestés à restreindre la concurrence à l’aune de l’ensemble des circonstances de l’espèce, Intel a exposé, aux points 115 à 117 de la requête que la Commission aurait dû prendre en considération la part négligeable du marché des CPU x86 concerné par ces rabais, situé entre 0,3 % et 2 % par an. Dans ces points de la requête, Intel a également critiqué l’approche de la Commission consistant à apprécier les effets d’éviction anticoncurrentiels desdits rabais de manière isolée par segment du marché, alors qu’AMD pouvait rivaliser dans des segments non concernés par les rabais contestés, et a souligné que la Commission n’avait pas constaté d’octroi de rabais à plusieurs autres OEM de premier plan. Intel a développé davantage ces griefs aux points 12, 37, 38, 52, 155, 185, 208 et 257 de la réplique, les quatre derniers points concernant, respectivement, les rabais contestés accordés à HP, à Lenovo, à NEC et à MSH. Pour documenter ses calculs, Intel a itérativement fait référence au rapport du professeur Salop et du Dr Hayes du 22 juillet 2009 (ci-après le « rapport Salop Hayes »).
103 Il en ressort que, par lesdits griefs, Intel a, en substance, fait valoir devant le Tribunal que le taux de couverture du marché par les rabais contestés était faible au point d’exclure toute capacité d’éviction anticoncurrentielle. Partant, en appréciant, aux points 492 à 500 de l’arrêt attaqué, la légalité des appréciations effectuées à cet égard par la Commission dans la décision litigieuse, le Tribunal n’a pas excédé le cadre du litige tel qu’il avait été déterminé et circonscrit par Intel dans son recours en première instance.
104 La Commission fait également valoir que l’examen, dans l’arrêt attaqué, de l’analyse de la durée des rabais contestés effectuée dans la décision litigieuse ne correspond à aucun moyen soulevé dans la requête, mais correspond uniquement à un moyen nouveau soulevé dans le cadre des observations principales et complémentaires d’Intel sur le renvoi qui serait, de ce fait, irrecevable.
105 À cet égard, aux points 101 et 102 de la requête, Intel a souligné l’importance de la durée d’une pratique dans le cadre de l’appréciation de la capacité de cette dernière à restreindre la concurrence. Dans ce cadre, aux points 111 et 112 de la requête, relatifs à la capacité d’éviction anticoncurrentielle des rabais contestés, Intel a mis en exergue le fait que les rabais contestés n’étaient accordés que pour des périodes de quelques mois et que les OEM pouvaient mettre fin à certains des accords prévoyant ceux-ci sous réserve du respect d’un délai de 30 jours, de sorte qu’un tel effet d’éviction ne pouvait être présumé. Intel a réitéré cet argument au point 39 de la réplique.
106 Il en résulte que, par ces griefs, Intel a fait valoir, en substance, que la durée des rabais contestés était telle qu’elle ne permettait pas de présumer leur capacité à produire un effet d’éviction anticoncurrentiel. Le Tribunal a, dès lors, considéré à bon droit, au point 506 de l’arrêt attaqué, rejetant l’exception d’irrecevabilité soulevée à cet égard par la Commission, que les arguments d’Intel présentés dans ses observations principales et complémentaires sur le renvoi au sujet de la durée des rabais contestés se rattachaient clairement à ceux présentés dans sa requête et qu’ils étaient, de ce fait, recevables.
107 Il s’ensuit que la première branche du premier moyen doit être écartée.
Sur la seconde branche, tirée d’une interprétation et d’une application erronées des critères relatifs à la capacité des rabais contestés à évincer la concurrence
– Argumentation des parties
108 À titre subsidiaire, la Commission fait valoir que le Tribunal a limité son examen relatif aux critères établis au point 139 de l’arrêt sur pourvoi au caractère suffisant de l’analyse du taux de couverture du marché par les rabais contestés et de la durée de ceux-ci sans tenir compte d’aucun des autres critères pertinents pour l’appréciation de la capacité de ces rabais à évincer la concurrence. Cette approche serait contraire à l’exigence d’une appréciation globale de toutes les circonstances pertinentes de l’affaire.
109 À cet égard, sans être exhaustifs, les critères établis par la Cour au point 139 de l’arrêt sur pourvoi feraient partie des circonstances pertinentes pour apprécier la capacité d’un système de rabais à évincer la concurrence. Les critères en question ne seraient donc pas cumulatifs, en ce sens que la Commission ne serait pas tenue d’analyser chacun d’entre eux séparément ni d’attribuer à chacun le même poids. Il s’ensuivrait que la capacité d’un système de rabais à évincer la concurrence ne saurait être infirmée sur le fondement d’une ou de deux circonstances examinées de manière isolée. Toutefois, aux points 519 à 521 et 525 à 527 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait considéré que le fait pour la Commission de ne pas avoir dûment examiné le critère relatif au taux de couverture du marché par les rabais contestés et de ne pas avoir procédé à une analyse correcte de la durée des rabais contestés suffisait pour entraîner l’annulation de la décision litigieuse. En effet, d’une part, la mesure dans laquelle le Tribunal a fondé son appréciation sur les erreurs constatées dans le test AEC ne ressortirait pas avec clarté de l’arrêt attaqué. D’autre part, au point 525 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que la capacité d’éviction anticoncurrentielle ne saurait être considérée comme étant démontrée si la Commission n’examine pas dûment les critères relatifs au taux de couverture du marché et à la durée des rabais.
110 Le Tribunal semblerait donc avoir adopté une approche formaliste, selon laquelle la Commission aurait dû examiner tous les critères établis au point 139 de l’arrêt sur pourvoi et accorder à chacun d’entre eux le même poids, indépendamment, d’une part, de l’importance relative de chaque critère dans le contexte spécifique de l’affaire dont il était saisi et, d’autre part, d’une appréciation globale de toutes les circonstances pertinentes susceptibles de démontrer la capacité des rabais contestés à évincer la concurrence.
111 Or, selon la Commission, le Tribunal ne pouvait parvenir à une conclusion sur la capacité du comportement incriminé à évincer la concurrence sans examiner, premièrement, l’importance de la position dominante d’Intel sur le marché pertinent, deuxièmement, les conditions et les modalités d’octroi des rabais contestés ainsi que leur influence sur les décisions des OEM et de MSH relatives à leurs approvisionnements, troisièmement, le montant de ces rabais, quatrièmement, leur calendrier et, cinquièmement, l’existence d’une stratégie anticoncurrentielle.
112 En particulier, s’agissant des deux premiers critères mentionnés au point précédent, Intel n’aurait pas contesté le fait que la condition d’approvisionnement exclusif, dont dépendaient les rabais contestés, a influencé les décisions des OEM et de MSH relatives à leurs sources d’approvisionnement. De manière similaire, compte tenu du duopole caractérisant le marché des CPU x86, l’existence d’une stratégie visant à exclure AMD impliquerait un risque d’élimination de toute concurrence sur ce marché. Cependant, le Tribunal aurait omis de tenir compte de l’existence d’une telle stratégie non seulement en tant que critère en soi pertinent, mais aussi dans le cadre du test AEC. En outre, selon la Commission, le calendrier des rabais contestés serait d’une importance accrue, dès lors qu’il démontrerait que la mise en œuvre de ces derniers répondait à l’incapacité d’Intel à produire, en temps opportun, une réponse technique aux CPU x86 à 64 bits commercialisés par AMD.
113 Le Tribunal aurait, par conséquent, annulé la décision litigieuse au seul motif que la Commission avait insuffisamment analysé deux critères parmi ceux établis au point 139 de l’arrêt sur pourvoi. Or, cette circonstance ne suffirait pas pour prononcer l’annulation d’un acte fondé sur un ensemble d’appréciations complexes, si d’autres éléments de ces appréciations, qui n’ont pas été contestés ou ont été validés, suffisent à étayer la conclusion à laquelle parvient ledit acte. Ainsi, le Tribunal aurait dû examiner si, en dépit des lacunes constatées dans la portée de l’examen des deux critères en question réalisé dans la décision litigieuse, cette dernière contenait une analyse au regard des autres critères justifiant la constatation de la capacité des rabais contestés à évincer la concurrence.
114 La République fédérale d’Allemagne fait valoir que le Tribunal aurait dû examiner d’abord si, pendant la procédure administrative, Intel avait soulevé des arguments précis au sujet du taux de couverture du marché par les rabais contestés et de la durée de ces rabais, de nature à renverser la présomption relative à la capacité desdits rabais à évincer la concurrence. Ce serait uniquement dans ce cas que la Commission aurait été tenue, sur le fondement du droit d’être entendu, d’aborder ces deux critères dans la décision litigieuse. En outre, le Tribunal aurait dû examiner si une analyse ou une pondération différente de ces deux critères par la Commission auraient conduit à conclure que l’éviction anticoncurrentielle n’était pas possible. Ainsi, le Tribunal aurait dû mesurer l’importance de ces critères au regard de l’existence d’une stratégie d’ensemble qu’Intel aurait mise en œuvre afin d’évincer AMD, son seul concurrent sur le marché des CPU x86. Or, l’existence d’une intention d’évincer les concurrents peut contrebalancer tout doute relatif à la couverture du marché par les rabais contestés et à la durée de ceux ci.
115 Intel et ACT réfutent le bien-fondé de cette branche du premier moyen.
– Appréciation de la Cour
116 Il convient de rappeler qu’une partie qui, au titre de l’article 40 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, est admise à intervenir à un litige soumis à cette dernière ne peut pas modifier l’objet du litige tel que circonscrit par les conclusions et les moyens des parties principales. Il s’ensuit que seuls les arguments d’un intervenant qui s’inscrivent dans le cadre défini par ces conclusions et moyens sont recevables, la partie intervenante ne pouvant invoquer des moyens nouveaux, distincts de ceux invoqués par la partie requérante au pourvoi (voir, en ce sens, arrêt du 10 novembre 2016, DTS Distribuidora de Televisión Digital/Commission, C 449/14 P, EU:C:2016:848, points 114 et 121).
117 Le grief soulevé par la République fédérale d’Allemagne, tiré de ce que le Tribunal aurait dû examiner d’abord si, pendant la procédure administrative, Intel avait soulevé des arguments précis au sujet du taux de couverture du marché par les rabais contestés et de la durée de ces rabais, doit être écarté comme étant irrecevable. En effet, ce grief ne se rattache à aucun moyen soulevé par la Commission à l’appui du pourvoi. De surcroît, il contredit, en réalité, l’affirmation que formule cette dernière dans le cadre du deuxième moyen, selon laquelle Intel a soumis, durant la procédure administrative, un volume très important d’éléments de preuve au sujet de la capacité des rabais contestés à produire les effets d’éviction anticoncurrentiels reprochés, ce qui, selon les points 138 et 139 de l’arrêt sur pourvoi, implique que la Commission était tenue d’analyser, notamment, le taux de couverture du marché par les rabais contestés ainsi que la durée de ceux-ci.
118 S’agissant des griefs sur lesquels prend appui la Commission dans le cadre de la deuxième branche du premier moyen, il importe de relever que, dans son pourvoi, la Commission expose que cette branche repose sur la prémisse selon laquelle le Tribunal a annulé la décision litigieuse en se fondant exclusivement sur le fait qu’elle n’avait pas dûment examiné le critère relatif au taux de couverture du marché par les rabais contestés et n’avait pas procédé à une analyse correcte de la durée de ces rabais. La Commission indique également que, si la Cour estime que cette prémisse est erronée, il y a lieu de passer à l’examen des autres moyens de pourvoi.
119 Pour justifier ladite prémisse, la Commission prend appui sur le point 525 de l’arrêt attaqué, dont le contenu est reproduit au point 81 du présent arrêt.
120 La Commission déduit de ce point 525, qui concerne tout particulièrement les rabais contestés accordés par Intel à HP, que, en dépit de la référence expresse, opérée au point 524 de l’arrêt attaqué, à trois motifs sous-tendant l’annulation de la décision litigieuse, à savoir, premièrement, les erreurs entachant le test AEC au regard des OEM et de MSH, deuxièmement, l’examen déficient du taux de couverture du marché par les rabais contestés et, troisièmement, l’analyse incorrecte de la durée de ces rabais, le Tribunal a en réalité fondé cette annulation sur les seules appréciations relatives aux deux derniers motifs. En adoptant cette approche, le Tribunal aurait, selon la Commission, apprécié de manière abstraite et formaliste le caractère suffisant de l’examen de ces deux critères effectué par celle-ci, sans tenir compte de l’importance relative de chacun d’entre eux et sans prendre en considération d’autres circonstances analysées dans la décision litigieuse.
121 À cet égard, il convient de rappeler que, après avoir considéré, aux points 145 et 147 de l’arrêt attaqué, qu’était entachée d’une erreur de droit l’approche adoptée dans la décision litigieuse, selon laquelle les rabais contestés étaient par nature abusifs indépendamment de leur capacité à restreindre la concurrence par l’éviction d’un concurrent aussi efficace, de sorte qu’un test AEC n’était pas nécessaire pour apprécier cette capacité, le Tribunal a constaté, au point 149 de cet arrêt, que la Commission avait tout de même effectué un tel test et que celui ci avait revêtu une importance réelle dans l’appréciation de ladite capacité, de sorte qu’il y avait lieu encore d’examiner les arguments d’Intel formulés au sujet de ce test. En cohérence avec cette appréciation, le Tribunal a examiné, aux points 150 à 482 dudit arrêt, les arguments d’Intel tirés de ce que la décision litigieuse devait être annulée au motif que le test AEC effectué au regard de Dell, de HP, de NEC, de Lenovo et de MSH était entaché de plusieurs erreurs (voir points 42 à 61 du présent arrêt).
122 Ce n’est qu’après avoir considéré, au point 482 de l’arrêt attaqué, qu’il y avait lieu d’accueillir une grande partie de ces arguments, que le Tribunal a examiné, aux points 483 à 520 de cet arrêt, les arguments d’Intel et d’ACT pris de ce que la Commission n’avait pas dûment analysé, en tant que critères mentionnés au point 139 de l’arrêt sur pourvoi, le taux de couverture du marché par les rabais contestés, d’une part, et la durée et le montant de ces rabais, d’autre part (voir points 62 à 77 du présent arrêt).
123 Au terme de cet examen, le Tribunal a considéré, au point 521 de l’arrêt attaqué, qu’Intel était fondée à soutenir que l’analyse des critères mentionnés au point 139 de l’arrêt sur pourvoi effectuée dans la décision litigieuse était entachée de plusieurs erreurs, en ce que la Commission n’avait pas dûment examiné le critère relatif au taux de couverture du marché par les rabais contestés et n’avait pas procédé à une analyse correcte de la durée de ces rabais.
124 Ainsi, aux points 523 et 524 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a exposé que, si la Commission avait constaté, sur le fondement d’un test AEC effectué aux considérants 1002 à 1575 de la décision litigieuse, la capacité des rabais contestés à évincer un concurrent aussi efficace qu’Intel et à restreindre ainsi la concurrence, il n’en restait pas moins, premièrement, que ce test était entaché d’erreurs, deuxièmement, que la Commission n’avait pas dûment examiné le critère relatif au taux de couverture du marché par les rabais contestés et, troisièmement, qu’elle n’avait pas procédé à une analyse correcte de la durée de ces rabais.
125 Dans ce contexte, le Tribunal a rappelé, au point 525 de l’arrêt attaqué, que l’erreur constatée dans le test AEC en ce qui concerne tout particulièrement les rabais contestés accordés à HP portait sur la période allant du 1er novembre 2002 au 30 septembre 2003 alors que la période infractionnelle relative à cet OEM s’étalait du mois de novembre 2002 au mois de mai 2005. Toutefois, compte tenu du fait que la Commission n’avait pas dûment examiné le critère relatif au taux de couverture du marché par les rabais contestés et n’avait pas procédé à une analyse correcte de la durée de ces rabais, le Tribunal a estimé que la capacité de la pratique mise en œuvre à l’égard de HP à engendrer un effet d’éviction anticoncurrentiel ne saurait être établie à suffisance de droit pour l’ensemble de la période infractionnelle, même s’il fallait considérer que le test AEC était probant pour une partie de cette période.
126 Il découle de ce qui précède que la Commission fait une lecture erronée du point 525 de l’arrêt attaqué.
127 En effet, d’une part, ce point 525, dans la mesure où il porte uniquement sur les rabais accordés à HP, ne saurait remettre en cause le fait que, ainsi qu’il ressort du point 524 de l’arrêt attaqué, la capacité des rabais contestés à évincer un concurrent aussi efficace qu’Intel du marché constitué par Dell, Lenovo, NEC et MSH se fonde sur l’examen de plusieurs critères, à savoir le test AEC, le taux de couverture du marché et la durée de ces rabais. D’autre part, pour autant que cette capacité devrait être appréciée au regard des seuls rabais contestés consentis à HP, il ressort du point 525 de cet arrêt que le taux de couverture du marché par ces rabais et la durée de ceux-ci revêtent une importance d’autant plus fondamentale pour la constatation d’une telle capacité et donc d’une infraction pour l’ensemble de la période infractionnelle. Or, la Commission ne fait pas valoir que la décision litigieuse contiendrait une analyse susceptible de démontrer l’existence d’une capacité d’éviction anticoncurrentielle sur le seul fondement des rabais accordés à HP et cela pour la période allant du mois d’octobre 2003 au mois de mai 2005. Au demeurant, il ne ressort pas des points 483 à 521 dudit arrêt que la décision litigieuse contient une telle analyse.
128 Il en ressort que le point 525 de l’arrêt attaqué ne saurait être compris d’une manière isolée de son contexte, comme impliquant de faire abstraction de l’analyse du Tribunal relative au test AEC, effectuée aux points 150 à 482 de cet arrêt, alors même qu’il est expressément indiqué, au point 524 dudit arrêt, que cette analyse sous-tend l’annulation de la décision litigieuse au même titre que les appréciations relatives au taux de couverture du marché par les rabais contestés et à la durée de ces rabais. La prémisse exposée au point 118 du présent arrêt, sur laquelle la Commission fonde la deuxième branche du premier moyen est, donc, inexacte.
129 L’inexactitude de cette prémisse implique également que la Commission ne saurait valablement reprocher au Tribunal d’avoir annulé la décision litigieuse pour un motif purement formel, selon lequel cette institution aurait dû examiner chacun des critères énoncés au point 139 de l’arrêt sur pourvoi séparément et avec un même degré de détail, indépendamment du poids relatif de chaque critère au regard des circonstances de l’espèce.
130 À cet égard, ainsi qu’il ressort des points 137 à 139 de l’arrêt sur pourvoi, le taux de couverture du marché par les rabais contestés et la durée de ceux-ci font partie des éléments que la Commission doit apprécier afin d’établir que l’entreprise incriminée a commis un abus de position dominante, le fait pour cette entreprise de soutenir, au cours de la procédure administrative, éléments de preuve à l’appui, que son comportement n’a pas eu la capacité de produire un effet d’éviction anticoncurrentiel entraînant, pour cette institution, l’obligation particulière d’apprécier l’existence éventuelle d’une stratégie visant à évincer les concurrents au moins aussi efficaces.
131 Dans ce contexte, d’une part, ainsi qu’il ressort des points 485, 493 à 495, 509 et 510 de l’arrêt attaqué, et contrairement à ce que lui reproche la Commission, le Tribunal a cherché à identifier les considérants de la décision litigieuse susceptibles de présenter une pertinence au sujet du taux de couverture du marché par les rabais contestés et de la durée de ceux-ci.
132 D’autre part, il ressort des points 493 à 500 et 506 à 520 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a identifié une série de lacunes entachant les considérants pertinents de la décision litigieuse qui l’ont amené à considérer que la Commission n’avait pas dûment examiné le critère relatif au taux de couverture du marché par les rabais contestés ni la durée de ces rabais en tant qu’éléments permettant d’établir la capacité de ceux-ci à produire un effet d’éviction anticoncurrentiel. Or, la Commission ne remet pas en cause, dans le cadre du présent pourvoi, ces appréciations du Tribunal.
133 Au demeurant, le grief de la Commission, partagé par la République fédérale d’Allemagne, selon lequel le Tribunal ne pouvait annuler la décision litigieuse sans examiner l’importance de la position dominante d’Intel sur le marché pertinent, les conditions et les modalités d’octroi des rabais contestés et des paiements en cause ainsi que leur influence sur les décisions des OEM et de MSH relatives à leurs approvisionnements, le montant de ces rabais, leur calendrier et l’existence d’une stratégie anticoncurrentielle ne saurait non plus prospérer.
134 À cet égard, premièrement, en tant qu’il fait partie intégrante de la seconde branche du premier moyen de pourvoi, ce grief repose, lui aussi, sur la prémisse erronée selon laquelle l’annulation de la décision litigieuse est exclusivement fondée sur les appréciations du Tribunal relatives au taux de couverture du marché par les rabais contestés et à la durée de ces rabais.
135 Deuxièmement, selon l’arrêt attaqué, la seule analyse contenue dans la décision litigieuse tendant à démontrer que les rabais contestés sont constitutifs d’un abus indépendamment de leur capacité à évincer un concurrent aussi efficace qu’Intel est celle ressortant notamment des considérants 920 à 926, 950, 972, 981, 989, 1000 et 1001 de cette décision, examinés aux points 133 à 144 de l’arrêt attaqué. Ainsi que l’a observé le Tribunal aux points 145 à 147 de cet arrêt, il ressort des points 137 à 139 et 141 de l’arrêt sur pourvoi que cette analyse est entachée d’une erreur de droit.
136 Or, dans la mesure où la Commission prend appui sur la position dominante d’Intel, sur le caractère conditionnel des rabais et sur l’existence d’une stratégie visant à exclure un concurrent de cette dernière, indépendamment de la question de savoir si celui-ci est aussi efficace qu’Intel, les arguments ainsi invoqués au soutien de ce grief reposent, implicitement mais nécessairement, sur l’idée d’un caractère abusif per se des rabais contestés.
137 Dans la mesure où la Commission invoque le montant des rabais contestés, les facteurs de renforcement des effets d’éviction et le caractère stratégique des OEM bénéficiaires de ces rabais, il y a lieu de relever que, contrairement à ce que fait valoir cette institution, le Tribunal a examiné ces éléments dans le cadre des appréciations qu’il a portées sur le test AEC, le taux de couverture du marché par les rabais contestés ou la durée de ceux-ci.
138 La Commission reproche ainsi, en réalité, au Tribunal de ne pas avoir examiné si les différents chapitres de la décision litigieuse contiennent des éléments permettant de construire un raisonnement tendant à démontrer la capacité des rabais contestés à produire un effet d’éviction anticoncurrentiel, en dépit des constatations du Tribunal relatives au taux de couverture du marché par les rabais contestés et à la durée de ceux-ci, alors que la Commission ne conteste pas ces constatations dans le cadre du présent pourvoi. Or, indépendamment du fait que, à eux seuls, les critères sur lesquels prend appui la Commission ne paraissent pas suffisants pour constater une infraction à l’article 102 TFUE, le Tribunal ne pouvait effectuer un tel examen, dès lors que, ainsi qu’il l’a rappelé, en substance, au point 150 de l’arrêt attaqué, il ne peut pas modifier les éléments constitutifs de l’infraction constatée par la Commission en substituant sa propre motivation à celle de l’auteur de l’acte dont il contrôle la légalité en vertu de l’article 263 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 2022, Sony Corporation et Sony Electronics/Commission, C 697/19 P, EU:C:2022:478, point 95 ainsi que jurisprudence citée).
139 Il s’ensuit que, en identifiant, aux points 150 à 527 de l’arrêt attaqué, les erreurs qui, selon lui, entachaient d’illégalité les motifs de la décision litigieuse s’agissant de la conduite du test AEC, du taux de couverture du marché par les rabais contestés et de la durée de ceux-ci, de telle sorte que ces motifs n’étaient, conformément à son analyse, pas aptes à établir une violation de l’article 102 TFUE et, de ce fait, à servir de fondement à l’article 1er, sous a) à e), de cette décision, le Tribunal n’a pas méconnu les critères relatifs à la capacité des rabais contestés à évincer la concurrence.
140 Par conséquent, la deuxième branche du premier moyen doit être écartée, de sorte que le premier moyen doit être écarté dans son intégralité.
Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation des droits de la défense de la Commission
Argumentation des parties
141 Selon la Commission, dès lors que les rabais contestés consentis par Intel sont présumés abusifs, cette institution ne saurait être tenue de motiver la décision litigieuse de manière à répondre non seulement au volume très important d’éléments de preuve produits par Intel au cours de la procédure administrative, mais aussi à des arguments que celle-ci n’a pas soulevés durant cette procédure. Au cours de la procédure devant le Tribunal, Intel aurait présenté, sous forme de rapports d’expertises économiques, des arguments supplémentaires concernant le test AEC. Malgré le fait que le Tribunal a tenu compte de ces nombreux nouveaux éléments de preuve, ce dernier aurait refusé, aux points 235, 236, 252, 253, 316, 317, 443 et 444 de l’arrêt attaqué, de tenir compte des réfutations de ces éléments présentées par la Commission, au motif qu’un tel examen le conduirait à substituer son propre raisonnement à celui exposé dans la décision litigieuse. Or, ces réfutations auraient pour objet non pas de combler une lacune quelconque dans la motivation de cette décision, mais de répondre aux nouvelles analyses économiques fournies par Intel pour la première fois en cours d’instance. La prise en compte des arguments de la Commission n’aurait donc pas conduit le Tribunal à substituer sa propre appréciation aux analyses contenues dans la décision litigieuse.
142 Dans ces conditions, le Tribunal aurait enfreint les droits de la défense de la Commission en ce qui concerne, premièrement, le calcul de la part disputable de Dell, deuxièmement, la capacité d’éviction des rabais contestés consentis à HP entre le mois de novembre 2002 et le mois de septembre 2003 et, troisièmement, la valeur des avantages en nature accordés à Lenovo.
143 Intel conteste le bien-fondé du deuxième moyen.
Appréciation de la Cour
144 Il convient de rappeler, d’une part, que, ainsi qu’il ressort des points 137 à 139 de l’arrêt sur pourvoi, la Commission n’a l’obligation d’apprécier l’existence éventuelle d’une stratégie de l’entreprise en position dominante visant à évincer les concurrents au moins aussi efficaces qu’elle que si cette entreprise soutient, au cours de la procédure administrative, éléments de preuve à l’appui, que son comportement n’a pas eu la capacité de restreindre la concurrence et, en particulier, de produire les effets d’éviction reprochés.
145 Il s’ensuit que, lorsque cette capacité est démontrée par la Commission au moyen d’un test AEC tenant compte des éléments fournis par l’entreprise incriminée, le Tribunal ne saurait conclure que ce test est invalide en se fondant sur des éléments que ladite entreprise a produits pour la première fois devant lui à cet effet, alors qu’ils étaient inconnus de la Commission et auraient pu être présentés durant la procédure administrative.
146 D’autre part, selon la méthodologie adoptée par la Commission pour apprécier la capacité des rabais contestés à évincer un concurrent aussi efficace qu’Intel, le résultat, positif ou négatif, du test AEC, au sens exposé au point 158 de l’arrêt attaqué, est déterminé, in fine, au moyen d’une comparaison entre la part disputable et la part requise. Cette dernière est la part des besoins du client qu’un concurrent aussi efficace qu’Intel doit obtenir afin qu’il puisse accéder au marché sans subir de pertes. Si la part disputable est supérieure à la part requise, le résultat du test AEC est positif pour Intel, alors que la situation inverse conduit à un résultat négatif et donc à constater une capacité des rabais contestés à évincer un concurrent aussi efficace que cette entreprise.
147 En premier lieu, en ce qui concerne la situation de Dell, aux points 204 à 206, 215 et 220 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a présenté les éléments de preuve invoqués par Intel pour contester le calcul de la part disputable de 7,1 % que la Commission avait retenue à l’égard de cette entreprise dans la décision litigieuse.
148 Il s’agit, premièrement, d’un courriel daté du 10 novembre 2005 et rédigé par un dirigeant de Dell, dénommé « D 1 » (ci-après le « courriel de D 1 »), dont il ressortirait que le transfert de la demande de Dell vers AMD pouvait concerner jusqu’à 25 % du volume de CPU x86, ce dirigeant ayant par ailleurs confirmé sous serment la teneur dudit courriel dans le cadre d’une procédure contentieuse privée opposant Intel et AMD dans l’État du Delaware (États-Unis d’Amérique). Au point 204 de l’arrêt attaqué, le Tribunal expose, en outre, que, selon le rapport Salop-Hayes, produit par Intel pour la première fois devant le Tribunal, la projection en volume de 25 % des besoins de Dell se traduisait par une part disputable de 17,5 % pour la première année, ou de 12,5 %, si était utilisée l’approche de la Commission, qu’Intel estimait déraisonnable.
149 Deuxièmement, un courriel daté du 9 mars 2004 et rédigé par un autre dirigeant de Dell, dénommé « D 5 », faisait référence à un possible transfert des approvisionnements de Dell vers AMD pour 25 % du volume total des besoins de Dell en CPU x86 en 90 jours (ci-après le « courriel de D 5 »).
150 Troisièmement, une déclaration faite le 21 décembre 2007 par, ainsi qu’il ressort du point 194 de l’arrêt attaqué, un employé responsable chez Intel de la relation avec Dell à l’époque des faits, dénommé « I1 », indiquerait qu’Intel estimait en interne que la part disputable des besoins de Dell en CPU x86 se situait entre 15 % et 25 % au cours de la première année (ci-après la « déclaration de I1 »).
151 Enfin, quatrièmement, une déclaration de D 1, faite dans le cadre de la procédure contentieuse privée opposant Intel et AMD dans l’État du Delaware, confirmerait la teneur de son courriel du 10 novembre 2005, alors qu’une déclaration d’un autre dirigeant de Dell, dénommé « D 3 », faite dans le cadre de cette procédure, indiquerait que le déclarant n’avait aucune raison de s’interroger sur l’exactitude des propos de D 1.
152 Il ressort des points 174, 196, 209 à 211 et 222 de l’arrêt attaqué que, à l’exception du rapport Salop-Hayes, tous les documents invoqués par Intel faisaient partie du dossier administratif et qu’il en a été question dans la décision litigieuse, ce que la Commission ne conteste pas. Cette dernière focalise son argumentation sur l’utilisation, par le Tribunal, du rapport Salop-Hayes afin de mettre en doute la part contestable de 7,1 % calculée par cette institution dans cette décision, et critique le refus, par le Tribunal, de prendre en compte des analyses ne faisant pas partie de la motivation de ladite décision, que la Commission a annexées au mémoire en défense et à la duplique déposés dans le cadre de la procédure en première instance.
153 À cet égard, il ressort des points 171, 229, 233 et 234 de l’arrêt attaqué que, s’agissant du test AEC relatif à Dell, la Commission a retenu une part disputable de 7,1 % sur la base d’une feuille de calcul datant du mois de janvier 2004 (ci-après la « feuille de calcul de 2004 ») que Dell lui avait fournie au cours de la procédure administrative. En particulier, la Commission a inféré la part disputable de 7,1 % sur la base d’un transfert de la demande de Dell vers AMD concernant 7 % du volume de CPU x86 que, selon la feuille de calcul de 2004, Dell avait l’intention d’acheter auprès de cette dernière entreprise pour l’année 2005.
154 Au point 175 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est référé à la comparaison de la part requise avec la part disputable, telle qu’effectuée par la Commission dans la décision litigieuse. De cette comparaison, la Commission a conclu que, pour neuf des treize trimestres composant la période infractionnelle concernant Dell, la part requise était supérieure à la part disputable.
155 Certes, ainsi qu’il ressort du point 204 de l’arrêt attaqué, consacré à la présentation de l’argumentation d’Intel, le rapport Salop-Hayes a permis de traduire la projection en volume de 25 % des besoins de Dell résultant des courriels de D 1 et de D 5 en part disputable, en établissant cette part à 17,5 % pour la première année, pourcentage qui serait diminué à 12,5 % s’il fallait utiliser l’approche de la Commission, qu’Intel rejette.
156 Cependant, premièrement, il ressort des points 220 à 234 de l’arrêt attaqué, consacrés à l’appréciation des éléments de preuve dont s’est prévalue Intel devant le Tribunal, que celui-ci a mis en doute le calcul de la part disputable de Dell effectué dans la décision litigieuse en se fondant sur les courriels de D 1 et de D 5, sur les déclarations faites par des dirigeants de Dell dans le cadre de la procédure contentieuse privée opposant Intel et AMD dans l’État du Delaware ainsi que sur la déclaration de I1. Le Tribunal n’a, en revanche, pas pris appui, aux fins de son appréciation, sur le rapport Salop-Hayes, qui n’est d’ailleurs pas mentionné dans ces points.
157 Par conséquent, contrairement à la prémisse sur laquelle la Commission fait reposer son raisonnement, le Tribunal n’a pas fondé son appréciation sur ce rapport, de sorte que l’argumentation de cette institution doit, en tout état de cause, être écartée.
158 Deuxièmement, certes, au point 236 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé que tenir compte des analyses complémentaires, produites par la Commission pour la première fois devant lui, afin d’étayer le test AEC contenu dans la décision litigieuse le conduirait à substituer sa propre motivation à celle figurant dans cette décision, ce qui ne lui serait pas permis dans le cadre du contrôle de légalité visé à l’article 263 TFUE. Toutefois, aux points 237 à 239 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a tout de même examiné, à titre superfétatoire, ces éléments et a conclu qu’ils ne remettaient pas en cause la considération formulée au point 234 du même arrêt, de sorte que le grief avancé par la Commission à l’appui de ce moyen de pourvoi est, pour cette raison aussi, fondé sur une prémisse erronée.
159 En outre, aux points 240 à 255 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné les éléments relatifs au transfert effectif de la demande de Dell vers AMD en 2006 et en 2007, considérant qu’ils confortaient l’existence d’un doute quant à l’établissement de la part disputable de Dell à 7,1 %. À cet égard, au point 243 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a exposé que, selon le considérant 1245 de la décision litigieuse, il était possible de calculer, à partir des observations tirées du transfert effectif d’une partie de la demande de Dell vers AMD, une part disputable supérieure à 7,1 %, comprise entre 8,2 % et 10,1 %.
160 Contrairement à ce que fait valoir la Commission, les appréciations du Tribunal relatives au transfert effectif de la demande de Dell vers AMD en 2006 et en 2007 sont exclusivement fondées sur des éléments ressortant de la décision litigieuse. Le Tribunal ne prend appui sur aucun élément produit par Intel pour la première fois en cours d’instance et la Commission n’indique pas à quel point de l’arrêt attaqué le Tribunal se serait fondé sur un tel élément.
161 Il s’ensuit que le grief de la Commission pris de ce que le Tribunal a fondé son appréciation relative à la part disputable de Dell sur des éléments produits pour la première fois devant lui sans tenir compte des analyses que cette institution a produites pour réfuter le bien-fondé de ces éléments repose, en tout état de cause, sur des prémisses erronées.
162 En deuxième lieu, s’agissant de HP, le Tribunal a relevé que la Commission n’avait pas démontré l’existence d’effets d’éviction anticoncurrentiels entre le 1er novembre 2002 et le 30 septembre 2003. Or, la Commission considère que, si Intel était en droit de faire valoir, pour la première fois devant le Tribunal, que des éléments concernant une certaine période n’avaient pas été inclus dans le test AEC, cette institution devrait être admise à compléter ce test en cours d’instance.
163 Il y a lieu de souligner, à cet égard, que l’argumentation d’Intel devant le Tribunal relativement à HP visait à contester la légalité du test AEC contenu dans la décision litigieuse sans invoquer d’éléments qui n’avaient pas été produits au cours de la procédure administrative. Il s’ensuit que le Tribunal n’a, en tout état de cause, pas commis d’erreur en écartant, aux points 300 et 301 de l’arrêt attaqué, sur le fondement de l’arrêt du 1er juillet 2010, Knauf Gips/Commission (C 407/08 P, EU:C:2010:389, point 89), l’argument de la Commission pris de la prétendue irrecevabilité de cette argumentation au motif qu’Intel n’aurait pas contesté, durant la procédure administrative, les périodes utilisées par la Commission pour ses calculs. De manière similaire, à l’instar de ce qui a été relevé au point 138 du présent arrêt, c’est à juste titre que le Tribunal a jugé, au point 317 de l’arrêt attaqué, qu’il ne pouvait tenir compte des calculs complémentaires, ne ressortant pas de la décision litigieuse, produits par la Commission pour la première fois en annexe de la duplique pour étayer le test AEC contenu dans cette décision sans substituer sa propre motivation à celle sous-tendant ladite décision.
164 En troisième lieu, le Tribunal a considéré que, dans son analyse relative à l’appréciation du montant des rabais contestés accordés à Lenovo sous forme de deux avantages en nature, à savoir l’extension de la garantie standard d’Intel d’un an et la meilleure utilisation d’une plateforme de distribution en Chine, en se fondant sur la valeur de ces avantages pour Lenovo plutôt que sur leur coût pour Intel, la Commission avait raisonné en réalité par rapport à un concurrent moins efficace qu’Intel, qui ne constituerait cependant pas l’acteur économique pertinent pour évaluer la capacité de la pratique des rabais contestés à produire un effet d’éviction anticoncurrentiel.
165 Ainsi qu’il ressort des points 433 à 439 de l’arrêt attaqué, pour étayer cette appréciation, qui porte sur les principes du test AEC, le Tribunal s’est fondé sur la nature dudit test telle que décrite dans la décision litigieuse. Contrairement à ce que fait valoir la Commission pour établir une violation de ses droits de la défense par le Tribunal, celui-ci n’a pas pris appui, à cet effet, sur le rapport supplémentaire Shapiro-Hayes du 28 janvier 2009 (ci-après le « rapport supplémentaire Shapiro-Hayes »), produit par Intel pour la première fois en première instance, lequel, ainsi qu’il ressort des points 423 et 452 de l’arrêt attaqué, porte sur une question distincte, à savoir le calcul du coût pour Intel des deux avantages en nature.
166 Dans ces conditions, le refus du Tribunal, ressortant des points 443 et 444 de l’arrêt attaqué, de tenir compte des calculs présentés par la Commission et portant sur les coûts réels, pour Intel, des avantages en nature concernés, au motif qu’une telle prise en compte l’amènerait à substituer son appréciation à celle contenue dans la décision litigieuse, n’est pas constitutif d’une violation des droits de la défense de cette institution.
167 Ce n’est que dans le contexte d’une analyse des éléments produits par la Commission pour la première fois devant lui, effectuée à titre surabondant aux points 451 à 453 de l’arrêt attaqué, que, au point 452 de cet arrêt, le Tribunal s’est référé au rapport supplémentaire Shapiro Hayes.
168 Il ressort de ce qui précède que le deuxième moyen doit être écarté.
Sur le troisième moyen, tiré d’une erreur de droit concernant la preuve requise, d’une violation des droits de la défense de la Commission et d’une dénaturation des éléments de preuve dans le cadre de l’examen du test AEC à l’égard de Dell
169 Le troisième moyen comporte trois branches.
Sur la première branche, tirée d’une erreur de droit concernant le niveau de preuve requis
– Argumentation des parties
170 La Commission fait valoir que le Tribunal s’est fondé sur des critères juridiques erronés pour apprécier la preuve apportée par cette institution à l’appui de sa constatation relative à l’existence d’un abus de position dominante. En particulier, premièrement, le test AEC se fonderait non pas sur des suppositions relatives au comportement découlant de faits observés, mais sur l’application d’un modèle économétrique aux évaluations des valeurs d’entrée (input values) pour ce modèle. Par conséquent, contrairement à ce qu’exposerait le Tribunal au point 165 de l’arrêt attaqué, la circonstance qu’Intel a fourni une explication plausible des faits qui permettrait de conclure à l’absence d’infraction ne saurait conduire à l’annulation de la décision litigieuse. Deuxièmement, le test AEC serait, en substance, un exercice d’évaluation qui, en ce qui concerne la part disputable d’un OEM, se fonde sur des hypothèses pour lesquelles, par définition, il y a non pas de réponse certaine et définitive, mais seulement une appréciation optimale ou raisonnable. Ainsi, contrairement à ce qu’aurait considéré le Tribunal au point 166 de l’arrêt attaqué, il ne suffirait pas de jeter un doute sur l’appréciation opérée par la Commission à l’issue d’un tel test ou, a fortiori, de simplement suggérer qu’un autre résultat serait envisageable, pour obtenir l’annulation de la décision litigieuse.
171 L’approche correcte en ce qui concerne le niveau de preuve et le contrôle juridictionnel d’un test AEC serait donc celle qui, sans soustraire le test AEC au contrôle juridictionnel, consiste à vérifier non seulement l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également à contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées. En effet, la capacité d’une pratique d’une entreprise dominante à restreindre la concurrence serait appréciée sur la base d’éléments contextuels qui ne sont pas exclusivement liés au comportement de cette entreprise.
172 Ce serait donc en application d’un standard de preuve erroné que le Tribunal aurait écarté l’appréciation de la part disputable de Dell effectuée dans la décision litigieuse en se contentant de constater, au point 244 de l’arrêt attaqué, que « l’hypothèse d’une part disputable de 7,1 % n’était pas la seule envisageable » et que ce fait « [mettait] en doute le bien-fondé de l’évaluation retenue par la Commission dans la décision [litigieuse] ». La présomption d’innocence ne signifierait pas que les appréciations portant sur des éléments contextuels, non liés au comportement de l’entreprise en position dominante, doivent être considérées comme étant invalides dès lors que le Tribunal a un « doute » sur l’un d’entre eux.
173 Intel conteste le bien-fondé de cette branche du troisième moyen.
– Appréciation de la Cour
174 Pour apprécier le bien-fondé des arguments de la Commission, il y a lieu de rappeler le contexte dont fait partie le test AEC effectué en l’espèce.
175 Aux points 133 et 134 de l’arrêt sur pourvoi, la Cour a rappelé que l’article 102 TFUE ne vise ni à empêcher une entreprise de conquérir, par ses propres mérites, une position dominante sur un ou plusieurs marchés ni à assurer que des entreprises concurrentes moins efficaces que celles qui détiennent une telle position restent sur le marché. Ainsi, tout effet d’éviction ne porte pas nécessairement atteinte au jeu de la concurrence. En effet, la concurrence par les mérites peut conduire à la disparition du marché ou à la marginalisation des concurrents moins efficaces et donc moins intéressants pour les consommateurs en termes, notamment, de prix, de production, de choix, de qualité ou d’innovation (arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C 333/21, EU:C:2023:1011, points 126 et 127 ainsi que jurisprudence citée).
176 Par conséquent, pour pouvoir considérer, dans un cas donné, qu’un comportement doit être qualifié d’« exploitation abusive d’une position dominante », il est nécessaire, en règle générale, de démontrer que, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent la concurrence par les mérites entre les entreprises, ce comportement a pour effet actuel ou potentiel de restreindre cette concurrence en évinçant des entreprises concurrentes aussi efficaces du ou des marchés concernés, ou en empêchant leur développement sur ces marchés (arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C 333/21, EU:C:2023:1011, point 129 et jurisprudence citée).
177 Dans ce contexte, compte tenu de la responsabilité particulière incombant à une entreprise en position dominante de ne pas porter atteinte, par son comportement, à une concurrence effective et non faussée dans le marché intérieur, l’article 102 TFUE lui interdit de mettre en œuvre des pratiques, y compris tarifaires, produisant des effets d’éviction pour ses concurrents considérés comme étant aussi efficaces qu’elle-même, renforçant ainsi sa position dominante en recourant à des moyens autres que ceux qui relèvent d’une concurrence par les mérites (voir, en ce sens, arrêt sur pourvoi, points 135 et 136, ainsi que arrêt du 12 mai 2022, Servizio Elettrico Nazionale e.a., C 377/20, EU:C:2022:379, point 76).
178 Une telle pratique peut prendre la forme, ainsi que le rappelle la Cour au point 137 de l’arrêt sur pourvoi, d’un système de rabais de fidélité, c’est-à-dire de remises conditionnées par le fait que le client, quel que soit par ailleurs le montant de ses achats auprès de l’entreprise en position dominante, s’approvisionne exclusivement pour la totalité ou pour une partie importante de ses besoins auprès de cette entreprise.
179 Cela étant, la démonstration de l’effet restrictif actuel ou potentiel d’un comportement sur la concurrence, qui peut impliquer de recourir à des grilles d’analyse différentes en fonction du type de comportement qui est en cause dans un cas d’espèce donné, doit être effectuée, dans tous les cas, en appréciant l’ensemble des circonstances factuelles pertinentes, que celles-ci concernent ce comportement lui-même, le ou les marchés en cause ou le fonctionnement de la concurrence sur celui ci ou ceux-ci. En outre, ladite démonstration doit viser à établir, en se fondant sur des éléments d’analyse et de preuve précis et concrets, que ledit comportement a, à tout le moins, la capacité de produire des effets d’éviction (arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C 333/21, EU:C:2023:1011, points 129 et 130 ainsi que jurisprudence citée).
180 Ainsi, s’agissant d’une pratique consistant en l’octroi de rabais de fidélité, au regard de laquelle l’entreprise en position dominante soutient, au cours de la procédure administrative, éléments de preuve à l’appui, qu’elle n’a pas eu la capacité de produire les effets d’éviction reprochés, il incombe à la Commission d’analyser non seulement des éléments tels que l’importance de la position dominante de l’entreprise en cause, le taux de couverture du marché par les rabais contestés ainsi que les conditions et les modalités d’octroi des rabais en cause, leur durée et leur montant, mais aussi l’existence éventuelle d’une stratégie visant à évincer les concurrents au moins aussi efficaces (arrêt sur pourvoi, points 138 et 139 ainsi que jurisprudence citée ; voir, en ce sens, arrêt du 19 janvier 2023, Unilever Italia Mkt. Operations, C 680/20, EU:C:2023:33, points 47 à 49).
181 La capacité de tels rabais à évincer un concurrent aussi efficace que l’entreprise en position dominante, lequel concurrent est supposé faire face aux mêmes coûts que ceux que supporte cette entreprise, s’apprécie, de manière générale, en recourant au test AEC. En effet, même si ce test n’est que l’une des manières d’apprécier si une entreprise en position dominante a eu recours à des moyens autres que ceux relevant d’une concurrence « normale », il vise précisément à apprécier la capacité qu’aurait un tel concurrent aussi efficace, considéré abstraitement, à reproduire le comportement de l’entreprise en position dominante et, par voie de conséquence, si ce comportement doit être considéré comme relevant d’une concurrence normale, à savoir fondée sur les mérites (voir, en ce sens, arrêt du 12 mai 2022, Servizio Elettrico Nazionale e.a., C 377/20, EU:C:2022:379, points 80 à 82 ainsi que jurisprudence citée).
182 Pour apprécier le bien-fondé des arguments soulevés par la Commission, il y a également lieu de garder à l’esprit que, comme exposé aux points 43 et 44 du présent arrêt, le test AEC, tel qu’effectué en l’espèce, tient compte, notamment, de l’éventuelle perte des rabais contestés en cas d’approvisionnement d’un OEM auprès d’AMD et repose, in fine, sur une comparaison entre la part disputable et la part requise pour chaque OEM ainsi que pour MSH.
183 S’agissant de la comparaison entre la part disputable et la part requise, il ressort du point 175 de l’arrêt attaqué que la Commission a indiqué la part requise au tableau no 22 de la décision litigieuse (ci-après le « tableau no 22 »).
184 En outre, au point 171 de l’arrêt attaqué, le Tribunal indique que la Commission a retenu une part disputable de 7,1 %, chiffre qui découle de la feuille de calcul de 2004, mentionnée au point 153 du présent arrêt.
185 Au point 175 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a exposé que, en substance, la Commission a pris ce chiffre comme étant le pourcentage pertinent à appliquer pour déterminer la part disputable et l’a comparé à la part requise ressortant du tableau no 22 pour chaque trimestre concerné.
186 La dernière colonne de ce tableau, auquel renvoie également le point 175 de l’arrêt attaqué, indique que, pour la période allant du quatrième trimestre de l’exercice fiscal 2003 au quatrième trimestre de l’exercice fiscal 2006, la part requise s’est située entre 4,9 %, qui est la valeur calculée pour le premier trimestre de l’exercice fiscal 2004, et 12,1 %, qui est la valeur calculée pour le quatrième trimestre de l’exercice fiscal 2006. Comme l’expose le Tribunal audit point de l’arrêt attaqué, la Commission a estimé que pour les neuf derniers trimestres de la période considérée, la part requise était supérieure à la part disputable.
187 Après avoir écarté, aux points 189 à 201 de l’arrêt attaqué, les arguments d’Intel faisant grief à la Commission d’avoir méconnu le principe de sécurité juridique en tenant compte de la feuille de calcul de 2004, le Tribunal a examiné, aux points 202 à 256 de cet arrêt, les arguments d’Intel portant sur l’évaluation de la part disputable à 7,1 %.
188 À cet égard, il ressort des points 203 et 240 de l’arrêt attaqué qu’Intel a contesté la part disputable de 7,1 % retenue par la Commission en invoquant, en premier lieu, des éléments de preuve autres que la feuille de calcul de 2004 et, en second lieu, des données relatives au transfert effectif de la demande de Dell vers AMD en 2006 et en 2007, qui démontreraient que la part disputable de Dell pouvait être supérieure à 7,1 %.
189 En premier lieu, les éléments de preuve sur lesquels Intel a pris appui sont, ainsi qu’il ressort des points 204 à 206, 215 et 220 de l’arrêt attaqué, le courriel de D 1, le courriel de D 5, les déclarations faites par des dirigeants de Dell dans le cadre de la procédure contentieuse privée opposant Intel et AMD dans l’État du Delaware ainsi que la déclaration de I1, mentionnés aux points 147 à 151 du présent arrêt.
190 Le Tribunal a analysé ces éléments de preuve aux points 213 à 232 de l’arrêt attaqué. Au point 233 de cet arrêt, le Tribunal a considéré qu’il ressort des courriels de D 1 et de D 5, des déclarations faites par des dirigeants de Dell dans le cadre de la procédure contentieuse privée opposant Intel et AMD dans l’État du Delaware ainsi que de la déclaration de I1, qui, pris ensemble, sont corroborés les uns par les autres, que, durant l’année 2005, le transfert de la demande de Dell vers AMD pouvait concerner jusqu’à 25 % du volume de CPU x86, et non 7 % comme cela ressortait de la feuille de calcul de 2004.
191 Dans ces conditions, le Tribunal a considéré, au point 234 de l’arrêt attaqué, que les éléments de preuve dont se prévalait Intel conduisaient à mettre en doute le fait que la part disputable de Dell devait être évaluée uniquement à partir de la feuille de calcul de 2004 mentionnant un transfert de la demande de Dell vers AMD pour un volume de 7 % pour l’année 2005, dont la Commission avait inféré une part disputable de 7,1 %.
192 En second lieu, le Tribunal a observé, au point 243 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait expressément admis, au considérant 1245 de la décision litigieuse, qu’il était possible de calculer une part disputable supérieure à 7,1 %, qui serait comprise entre 8,2 % et 10,1 %, à partir des observations relatives au transfert effectif d’une partie de la demande de Dell vers AMD en 2006 et en 2007.
193 Dans ce contexte, le Tribunal a relevé, d’une part, au point 244 de l’arrêt attaqué, que l’existence même de ces estimations suffisait à démontrer que l’hypothèse d’une part disputable de 7,1 % n’était pas la seule envisageable et conduisait à mettre en doute le bien-fondé de l’évaluation retenue par la Commission dans la décision litigieuse.
194 D’autre part, aux points 246 à 251 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a écarté les arguments de la Commission pris de ce que le transfert des approvisionnements de Dell vers AMD en 2006 et en 2007 n’avait qu’un intérêt limité pour examiner la situation durant la période infractionnelle, qu’il y aurait lieu à tout le moins de réajuster certains paramètres du calcul, notamment le niveau des rabais contestés durant l’année 2006, et que la Commission avait effectué, à titre subsidiaire, un test AEC dans la décision litigieuse tenant compte de la situation en 2006 et en 2007 qui corroborait ses conclusions.
195 Dans ce cadre, le Tribunal a considéré, au point 254 de l’arrêt attaqué, qu’il ressortait de la décision litigieuse qu’il était possible d’établir une part disputable pour Dell comprise entre 8,2 % et 10,1 % à partir d’autres éléments que la feuille de calcul de 2004. Ainsi, le Tribunal a réitéré l’appréciation selon laquelle l’existence même des estimations allant en ce sens dans la décision litigieuse elle-même démontrait que l’hypothèse d’une part disputable de 7,1 % s’agissant de Dell n’était pas la seule envisageable, ce qui l’a conduit à douter du bien-fondé de cette hypothèse, retenue par la Commission dans la décision litigieuse.
196 Au point 255 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a estimé que cette constatation ainsi que celle formulée au point 234 de cet arrêt, qui porte sur l’évaluation de la part disputable sur la base d’éléments, invoqués par Intel, autres que la feuille de calcul de 2004, confortaient, prises ensemble, le doute concernant l’évaluation de cette part disputable retenue dans la décision litigieuse.
197 Compte tenu de ces appréciations, le Tribunal a considéré, au point 256 de l’arrêt attaqué, que les éléments avancés par Intel étaient à même de faire naître un doute dans l’esprit du juge quant au fait que la part disputable pour Dell devait être fixée à 7,1 %. Par conséquent, selon le Tribunal, la Commission n’avait pas démontré à suffisance de droit le bien-fondé de l’évaluation de ladite part disputable.
198 De surcroît, aux points 257 à 271 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné, à titre surabondant, le bien-fondé de l’analyse de la Commission portant sur la part disputable de Dell pour la partie initiale de la période pertinente, comprise entre le mois de décembre 2002 et le mois d’octobre 2003. À cet égard, le Tribunal a souligné, au point 260 de l’arrêt attaqué, que le tableau no 22 faisait clairement ressortir que la part disputable était supérieure à la part requise, pour les quatre premiers trimestres figurant dans ce tableau, et ce même si l’on acceptait les calculs de la part requise et de la part disputable effectués par la Commission.
199 Après avoir analysé les arguments présentés par la Commission à cet égard, le Tribunal a considéré, aux points 270 et 271 de l’arrêt attaqué, que cette institution n’avait pas pu expliquer ou valider, a posteriori, la différence entre les résultats positifs pour Intel, indiqués dans le tableau no 22 pour les quatre premiers trimestres de la période infractionnelle, et sa conclusion, adoptée pour l’ensemble de cette période, selon laquelle Intel n’avait pas réussi le test AEC.
200 Les considérations finales du Tribunal sur le test AEC pour les rabais contestés accordés à Dell figurent aux points 283 à 287 de l’arrêt attaqué dont le contenu est reproduit aux points 48 à 51 du présent arrêt.
201 À cet égard, il y a lieu de relever que, comme le fait, par ailleurs, valoir la Commission, tel qu’effectué en l’espèce, le test AEC est un modèle économétrique alimenté de valeurs d’entrée (input values) permettant, premièrement, le calcul de la part requise et, deuxièmement, l’établissement de la part disputable. Pour calculer la part requise, il est tenu compte des rabais conditionnels accordés par l’entreprise en position dominante, du coût évitable moyen et du prix moyen de vente de cette entreprise. Pour calculer la part disputable, il est tenu compte des estimations que l’entreprise bénéficiaire des rabais mais aussi les autres acteurs impliqués peuvent avoir faites au sujet de la part des besoins que ledit bénéficiaire peut couvrir en s’approvisionnant auprès d’un concurrent de l’entreprise en position dominante.
202 Ainsi, le résultat du test AEC est de nature à indiquer si une pratique tarifaire, telle que des rabais de fidélité, adoptée par une entreprise en position dominante, présentant des caractéristiques suffisamment prononcées du point de vue du taux de couverture du marché, des conditions et des modalités d’octroi de ces rabais, de leur durée et de leur montant, a la capacité d’évincer un concurrent aussi efficace que cette entreprise et de porter ainsi atteinte au jeu de la concurrence protégé par l’article 102 TFUE.
203 S’agissant de Dell, le résultat, positif ou négatif, du test AEC dépend, ainsi qu’il ressort des points 183 à 186 du présent arrêt, d’une comparaison entre deux taux, celui de la part disputable et celui de la part requise, exprimés jusqu’à la première position décimale. Pour calculer ces taux, la Commission se fonde sur des hypothèses impliquant la prise en compte d’un ensemble de nombreuses données chiffrées.
204 Il s’ensuit que, comme le fait encore valoir la Commission, il ne suffit pas pour l’entreprise en position dominante de remettre en cause l’exactitude de l’un des calculs effectués dans le cadre du test AEC afin d’invalider la conclusion de la Commission, fondée sur un tel test, relative à la capacité d’un système de rabais de fidélité d’évincer un concurrent aussi efficace que cette entreprise. Encore faut-il que la déficience ou l’erreur relevée soit de nature à altérer le résultat du test, en le faisant passer de négatif à positif, de sorte à faire naître un doute raisonnable quant au bien-fondé du résultat retenu par la Commission et, de ce fait, quant à la capacité des rabais concernés à évincer un concurrent aussi efficace que l’entreprise en position dominante. Ce type de doute peut naître en raison d’erreurs de calcul ou bien en raison d’une prise en compte sélective ou lacunaire d’éléments de preuve.
205 À cet égard, il ressort des points 213 à 256 et 283 de l’arrêt attaqué que le Tribunal n’a pas fondé ses considérations relatives au test AEC à l’égard des rabais contestés accordés à Dell sur un doute affectant une partie non déterminante de l’appréciation de la Commission ou sur la simple suggestion qu’un autre résultat était envisageable pour ce test. Le Tribunal a, en revanche, pris appui sur le fait que l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier la part disputable de Dell, dont l’appréciation relève, sous réserve de l’allégation de dénaturation, examinée dans le cadre de la troisième branche du présent moyen, de la seule compétence du Tribunal, données dont seule la feuille de calcul de 2004 avait été prise en compte par la Commission, indiquait que cette part disputable pouvait fort probablement être supérieure non seulement au taux de 7,1 % retenu par la Commission, mais aussi à la part requise, de telle sorte que le résultat du test AEC aurait pu être modifié, en le faisant passer de négatif en positif, s’il avait été tenu compte de l’ensemble de ces données. C’est sur cette base que le Tribunal a considéré, dans le cadre de son appréciation souveraine des éléments de preuve, que l’hypothèse de la Commission selon laquelle cette part disputable était de 7,1 % n’était pas établie à suffisance de droit de sorte que les conclusions que cette institution avait tirées du test AEC étaient invalides.
206 La Commission ne saurait tirer un argument valable en sens contraire de la seule formulation des points 244 et 254 de l’arrêt attaqué, selon lesquels l’existence des estimations figurant dans la décision litigieuse et portant sur le transfert effectif d’une partie de la demande de Dell vers AMD en 2006 et en 2007 « suffit à démontrer que l’hypothèse d’une part disputable de 7,1 % n’était pas la seule envisageable et conduit à mettre en doute le bien-fondé de l’évaluation retenue par la Commission dans la décision [litigieuse] ».
207 En effet, il ressort du libellé de ces points de l’arrêt attaqué, lus à la lumière des points 242 et 243 de cet arrêt, que le Tribunal a entendu souligner qu’une part disputable supérieure non seulement à 7,1 % mais aussi à la part requise était envisageable même sur la base des estimations de la Commission figurant dans la décision litigieuse. Ainsi, cette part disputable était « envisageable » pour la Commission elle même, qui a pourtant choisi de se fonder sur la seule feuille de calcul de 2004. Par ailleurs, le Tribunal est parvenu à l’appréciation figurant au point 254 de l’arrêt attaqué après avoir écarté, aux points 245 à 251 de cet arrêt, les arguments de la Commission tendant à remettre en cause la pertinence des données relatives au transfert effectif de la demande de Dell vers AMD en 2006 et en 2007.
208 Il s’ensuit que le Tribunal n’a pas méconnu la nature du test AEC en tant que modèle économétrique permettant d’apprécier la capacité des rabais contestés à évincer un concurrent aussi efficace que l’entreprise en position dominante, de sorte que la première branche du troisième moyen doit être écartée.
Sur la deuxième branche, tirée d’une mauvaise application du standard de preuve retenu
– Argumentation des parties
209 À titre subsidiaire, la Commission soutient que le Tribunal a fait une mauvaise application du standard de preuve qu’il a lui-même retenu au point 166 de l’arrêt attaqué. En particulier, comme l’aurait retenu le Tribunal au point 217 de cet arrêt, la feuille de calcul de 2004, sur laquelle la Commission a pris appui pour calculer la part disputable de Dell, aurait une valeur probante supérieure aux documents ou aux déclarations de hauts dirigeants de cette dernière dont se prévaut Intel. Dans ces conditions, la circonstance que les éléments de preuve dont Intel se prévaut ne soient pas dépourvus de toute valeur probante ne suffirait pas pour remettre en cause ceux invoqués par la Commission.
210 Intel conteste le bien-fondé de cette branche du troisième moyen.
– Appréciation de la Cour
211 Au point 166 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé, en substance, que, lorsque l’entreprise en position dominante évoque la possibilité qu’une circonstance susceptible d’affecter la valeur probante des preuves sur lesquelles prend appui la Commission se soit produite, il appartient à cette entreprise d’établir à suffisance de droit l’existence et la pertinence de la circonstance qu’elle invoque ainsi que l’influence que celle-ci exerce sur la valeur probante des éléments invoqués à sa charge.
212 À cet égard, il y a lieu de relever que les appréciations figurant aux points 217 et 218 de l’arrêt attaqué constituent une réponse à l’argument d’Intel, présenté au point 215 de cet arrêt, selon lequel, premièrement, les documents dont cette dernière se prévalait avaient été rédigés par de hauts dirigeants de Dell, deuxièmement, D 1 avait confirmé sous serment, lors de la procédure contentieuse privée opposant Intel et AMD dans l’État du Delaware, la teneur de son courriel du 10 novembre 2005 et, troisièmement, D 3, un autre dirigeant de Dell, avait déclaré, dans le cadre de cette procédure, qu’il n’avait aucune raison de s’interroger sur l’exactitude des propos de D 1.
213 Au point 216 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a répondu à cet argument particulier que les réponses données au nom d’une entreprise, telle la réponse que Dell avait fournie durant la procédure administrative, lors de laquelle celle-ci avait produit la feuille de calcul de 2004, sont revêtues d’une crédibilité surpassant celle que pourrait avoir la réponse donnée par un membre de son personnel ou un de ses dirigeants. C’est donc du point de vue de cette règle générale que le Tribunal a fait état, aux points 217 et 218 de l’arrêt attaqué, de la valeur probante supérieure et du caractère détaillé et précis de la feuille de calcul de 2004.
214 Toutefois, premièrement, ladite règle générale n’affecte pas l’obligation pour la Commission de prendre en compte l’ensemble des éléments pertinents pour apprécier si une infraction à l’article 102 TFUE peut être démontrée à suffisance de droit. Cette appréciation s’impose d’autant plus que, comme l’indique le Tribunal au point 172 de l’arrêt attaqué, la feuille de calcul de 2004 constituait, elle aussi, un document interne de Dell, présentant des hypothèses dans lesquelles la relation entre Dell et AMD pouvait évoluer, avec une pénétration croissante d’AMD dans les différents segments d’activité de Dell.
215 Deuxièmement, il ressort de l’examen détaillé des preuves effectué par le Tribunal aux points 220 à 256 de l’arrêt attaqué que celui-ci n’a pas attribué aux éléments sur lesquels Intel a pris appui une valeur probante supérieure à celle de la feuille de calcul de 2004, mais qu’il a considéré, dans le cadre de son appréciation souveraine des éléments de preuve, que ces éléments remettaient en cause à suffisance de droit le bien fondé de l’établissement de la part disputable à 7,1 % plutôt qu’à des niveaux supérieurs précis, qui, s’ils avaient été retenus, auraient modifié le résultat du test AEC de manière favorable à Intel. En outre, aux points 257 à 271 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a également considéré, ainsi qu’il a été relevé aux points 198 et 199 du présent arrêt, que la Commission n’avait pas démontré que les rabais accordés à Dell étaient capables de restreindre la concurrence pendant la partie initiale de la période pertinente.
216 Il s’ensuit que la Commission fonde son argumentation prise d’une méconnaissance du standard de preuve retenu par le Tribunal sur une lecture partielle de l’arrêt attaqué.
217 La deuxième branche du troisième moyen doit, par conséquent, être écartée.
Sur la troisième branche, tirée d’une dénaturation des éléments de preuve dans le cadre de l’examen du test AEC à l’égard de Dell et d’une violation des droits de la défense de la Commission
– Argumentation des parties
218 À titre encore plus subsidiaire, la Commission fait valoir que le Tribunal a dénaturé les éléments de preuve, fondé sa décision sur des motifs contradictoires et méconnu ses droits de la défense.
219 En particulier, la considération exposée au point 239 de l’arrêt attaqué, selon laquelle un doute demeurait quant au pourcentage pouvant être définitivement consacré en tant que part disputable pour Dell et, plus particulièrement, sur le fait que ce pourcentage devait être fixé à 7,1 %, serait entachée d’une dénaturation des éléments de preuve. Il ressortirait des points 204 à 206 de l’arrêt attaqué qu’Intel a principalement fondé son argumentation sur trois documents, à savoir le courriel de D 1, le courriel de D 5 et la déclaration de I1, ainsi que sur des analyses économiques reposant sur ces documents.
220 S’agissant des deux premiers documents, la Commission fait valoir que, en en déduisant, au point 233 de l’arrêt attaqué, une part disputable pouvant atteindre 25 % des besoins de Dell, le Tribunal a fait un amalgame entre les besoins que Dell pouvait parvenir à couvrir auprès d’AMD à la fin d’une période d’un an et la moyenne desdits besoins tout au long de cette période. Or, il irait de soi que cette moyenne était inférieure à 25 %. Ainsi que l’aurait reconnu le Tribunal au point 218 de l’arrêt attaqué, la Commission se serait prévalue à juste titre du caractère précis et détaillé des informations figurant dans la feuille de calcul de 2004, ce qui justifierait d’établir la part disputable de Dell à 7,1 %. Par conséquent, contrairement à ce qu’expose le Tribunal au point 239 de l’arrêt attaqué, le fait que le courriel de D 1 justifie une appréciation de la part disputable de Dell entre 5,6 % et 10,4 % ne permettrait pas de douter du fait que la part disputable de Dell devait être fixée à 7,1 %. En outre, l’établissement d’une part disputable sur le fondement des documents mentionnés au point 219 du présent arrêt nécessiterait d’envisager des hypothèses quant au calendrier et au taux d’accroissement du passage d’Intel à AMD en tant que fournisseur de Dell, alors que la feuille de calcul de 2004 contiendrait, elle, toutes les informations nécessaires à cet effet. Or, les éléments de preuve sur lesquels a pris appui le Tribunal ne lui auraient permis de calculer la part disputable que sous forme de fourchettes, alors que les informations précises et détaillées figurant dans la feuille de calcul de 2004 auraient permis de calculer un chiffre concret, comme il a été reconnu au point 218 de l’arrêt attaqué.
221 S’agissant du troisième document, à savoir la déclaration de I1, préparée aux fins de l’enquête et destinée à exonérer Intel de toute responsabilité, le Tribunal aurait qualifié, au point 227 de l’arrêt attaqué, sa valeur probante de faible, tout en cherchant, au point 230 de cet arrêt, à rétablir sa crédibilité au moyen de motifs contradictoires révélant une dénaturation de cette déclaration. En effet, des éléments de faible valeur probante ne sauraient l’emporter sur des éléments de preuve précis et détaillés. Sans considérer que la feuille de calcul de 2004 n’était pas de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées dans la décision litigieuse, le Tribunal aurait appliqué un critère erroné consistant à déterminer si l’appréciation bien étayée de la Commission portant la part disputable à 7,1 % était la seule envisageable.
222 De surcroît, en considérant, au point 247 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait utilisé, aux fins de l’évaluation de la part disputable, les observations déduites du transfert d’une part de la demande de Dell vers AMD en 2006 et en 2007, le Tribunal aurait dénaturé la décision litigieuse. La Commission n’aurait pas tenu compte de données postérieures à l’infraction, si bien qu’elle n’aurait pas admis que la part disputable pouvait atteindre 10,1 % au cours de la période infractionnelle. La circonstance que la pression concurrentielle croissante exercée par AMD, et relevée au considérant 1243 de la décision litigieuse, a permis en définitive à AMD d’être en concurrence à hauteur d’une part disputable pouvant aller jusqu’à 10,1 % entre le mois d’octobre 2006 et le mois de juin 2007, impliquerait nécessairement une pression concurrentielle moindre au cours de la période infractionnelle. Les considérations du Tribunal effectuées aux points 249 à 251 de l’arrêt attaqué reposeraient également sur une dénaturation des considérants 1245 et 1258 de la décision litigieuse, dans la mesure où elles partiraient du principe que la Commission a tenu compte de données relatives à la période postérieure à l’infraction pour calculer la part disputable et ignoreraient les éléments ressortant du tableau no 22. Au point 250 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait confondu les années civiles et les exercices fiscaux de Dell, ce qui l’aurait conduit à conclure, de manière erronée, que la période postérieure à l’infraction avait été prise en compte dans le cadre du test AEC.
223 Au demeurant, contrairement à l’appréciation que le Tribunal a formulée au point 263 de l’arrêt attaqué, aucune contradiction ne saurait être constatée entre ce qui ressort, d’une part, du considérant 1256 de la décision litigieuse selon lequel, à tout le moins sur quatre trimestres de la période infractionnelle, Intel réussissait à passer le test AEC et, d’autre part, des conclusions de la Commission aux considérants 1281 et 1282 de cette décision, dont il découle que les rabais contestés accordés à Dell étaient susceptibles de produire un effet d’éviction durant toute cette période. En effet, alors que le considérant 1263 de ladite décision se limiterait à comparer la part requise et la part disputable, le considérant 1281 de la même décision contiendrait une appréciation globale de la capacité des rabais contestés à évincer la concurrence, compte tenu également de facteurs de renforcement, que la Commission ne serait pas tenue de quantifier et dont l’existence n’aurait pas été contestée par Intel. Ces facteurs de renforcement, qui feraient partie du contexte du test AEC et seraient pertinents aux fins de l’appréciation de la capacité des rabais contestés à évincer un concurrent aussi efficace qu’Intel, seraient également présents pendant les quatre premiers trimestres de l’infraction.
224 De manière similaire, la considération effectuée au point 268 de l’arrêt attaqué, tirée du fait que la Commission n’aurait pas tenu compte de parts disputables de l’ordre de 17,3 %, de 22,5 % et de 24,2 %, qui ressortiraient également de la feuille de calcul de 2004, serait fondée sur une dénaturation du considérant 1212 de la décision litigieuse. En effet, les pourcentages mentionnés par le Tribunal se rapporteraient à des périodes postérieures à celle prise en compte aux fins du calcul de la part disputable, pendant lesquelles, après avoir réussi à obtenir l’acceptation du marché pour ses ordinateurs équipés de CPU x86 produits par AMD, Dell aurait été en mesure d’augmenter sa proportion d’achats de ces CPU. Le fait que le Tribunal qualifie ces chiffres plus élevés de « part disputable » montrerait qu’il a commis une erreur en considérant que lesdits chiffres remettaient en cause la constatation par la Commission d’une part disputable de 7,1 %.
225 Cette dénaturation de la décision litigieuse entacherait la considération que le Tribunal a effectuée au point 270 de l’arrêt attaqué, selon laquelle les arguments de la Commission ne permettaient pas d’expliquer ou de valider, a posteriori, la différence entre les résultats, indiqués par celle ci pour les quatre premiers trimestres de la période infractionnelle, dans le tableau no 22, et la considération qu’il a effectuée pour l’ensemble de cette période, selon laquelle Intel n’a pas réussi le test AEC.
226 Enfin, le Tribunal aurait dû prendre en compte les analyses économiques présentées par la Commission en cours d’instance, qui visaient à démontrer que, à supposer même qu’il y ait lieu de calculer la part disputable à partir des documents mentionnés au point 219 du présent arrêt, l’on ne saurait en déduire une part disputable comprise entre 12,5 % et 17,5 %. En refusant de procéder ainsi, le Tribunal aurait, aux points 235, 236, 252 et 253 de l’arrêt attaqué, enfreint les droits de la défense de la Commission.
227 Intel conteste le bien-fondé de cette branche du troisième moyen.
– Appréciation de la Cour
228 Compte tenu de la nature exceptionnelle d’un grief tiré de la dénaturation des éléments de preuve, le requérant doit, en application de l’article 256 TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 168, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure de la Cour, indiquer de façon précise les éléments qui auraient été dénaturés par le Tribunal et démontrer les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, auraient conduit celui-ci à cette dénaturation. Une telle dénaturation doit apparaître de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 2018, QuaMa Quality Management/EUIPO, C 139/17 P, EU:C:2018:608, point 34).
229 Si une dénaturation des éléments de preuve peut donc consister dans une interprétation d’un document contraire au contenu de celui-ci, il ne suffit pas, en vue d’établir une telle dénaturation, de démontrer que ce document pouvait faire l’objet d’une interprétation différente de celle retenue par le Tribunal. Il est nécessaire, à cette fin, d’établir que le Tribunal a manifestement outrepassé les limites d’une appréciation raisonnable de ce document, notamment en faisant une lecture de celui ci contraire à son libellé (arrêts du 25 février 2021, Dalli/Commission, C 615/19 P, EU:C:2021:133, point 139, et du 23 mars 2023, PV/Commission, C 640/20 P, EU:C:2023:232, point 134).
230 Il y a lieu de rappeler que les passages de l’arrêt attaqué relatif au test AEC appliqué à Dell se composent d’une partie qui concerne l’évaluation de la part disputable (points 171 à 271 de l’arrêt attaqué), d’une partie qui concerne un calcul alternatif appliqué par la Commission dans le but de confirmer que les rabais contestés accordés à Dell étaient capables d’évincer un concurrent aussi efficace qu’Intel (points 272 à 276 de cet arrêt) et d’une partie qui concerne la prise en compte de certains facteurs qui, s’ils étaient inclus dans le test AEC, renforceraient, selon la décision litigieuse, la capacité d’éviction estimée de ces rabais. Ces facteurs de renforcement consisteraient, premièrement, en ce que Dell aurait clairement considéré que toute perte, par elle, de rabais contestés serait accompagnée d’une augmentation des rabais contestés consentis par Intel aux OEM qui sont ses concurrents et, deuxièmement, en ce que l’estimation de la part disputable ne tient pas compte du fait que Dell achetait également à Intel des produits autres que les microprocesseurs CPU x86, notamment des jeux de puces (points 177 et 277 à 282 dudit arrêt).
231 La partie qui concerne l’évaluation de la part disputable de Dell se divise en trois sous-parties. La première, qui inclut les points 189 à 201 de l’arrêt attaqué, porte sur les arguments d’Intel tirés du principe de sécurité juridique, que le Tribunal a écartés. La deuxième, qui inclut les points 202 à 256 de cet arrêt, porte sur les arguments d’Intel visant à contester la part disputable de 7,1 % retenue par la Commission, que le Tribunal a accueillis. La troisième, qui inclut les points 257 à 271 dudit arrêt, porte sur les allégations d’Intel concernant la partie initiale de la période infractionnelle, comprise entre le mois de décembre 2002 et le mois d’octobre 2003, que le Tribunal a examinées à titre surabondant et a également accueillies.
232 S’agissant de la partie concernant le calcul alternatif appliqué par la Commission, le Tribunal a conclu, au point 276 de l’arrêt attaqué, qu’il ne démontrait pas que les pratiques de rabais d’Intel étaient susceptibles de produire un effet d’éviction durant toute la période infractionnelle.
233 Quant à la partie sur les facteurs de renforcement, le Tribunal a considéré, au point 282 de l’arrêt attaqué, que ces facteurs avaient été inclus dans la décision litigieuse en tant qu’éléments susceptibles de renforcer l’examen principal relatif à l’existence d’un effet d’éviction produit par les rabais contestés et qu’ils n’avaient pas été suffisamment analysés par la Commission quant à l’incidence qu’ils auraient eue sur l’appréciation de la capacité d’éviction desdits rabais. Ainsi, selon ce point de l’arrêt attaqué, leur prise en compte ne pouvait pas être utilement contrôlée par le Tribunal ni n’aurait pu se substituer à l’analyse principale de la Commission sur la capacité des rabais contestés accordés à Dell à produire un effet d’éviction.
234 Les arguments qu’avance la Commission au soutien du grief sur la dénaturation des éléments de preuve portent sur les deux dernières sous parties de la partie de l’arrêt attaqué relative à l’évaluation de la part disputable de Dell ainsi que sur les facteurs de renforcement (voir points 231 et 233 du présent arrêt).
235 À cet égard, ainsi qu’il ressort des points 203 et 240 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné en deux temps l’argumentation d’Intel visant à contester la part disputable de 7,1 % retenue par la Commission au sujet de Dell. En premier lieu, aux points 203 à 239 de cet arrêt, le Tribunal a examiné les éléments de preuve sur lesquels s’était appuyée Intel pour contester ladite part et, en second lieu, aux points 240 à 255 dudit arrêt, il a examiné les arguments de cette dernière pris du transfert effectif de la demande de Dell vers AMD durant les années 2006 et 2007.
236 Dans ce contexte, premièrement, l’argument de la Commission selon lequel le Tribunal aurait dénaturé le courriel de D 1 ou celui de D 5 en faisant l’amalgame entre un transfert en volume des besoins de Dell vers AMD à la fin d’une période d’un an et la part disputable de Dell est fondé sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué. En effet, il ressort, notamment, des points 204, 233 et 234 de l’arrêt attaqué que le Tribunal distingue entre la notion de transfert de volume d’achats de CPU x86 d’Intel vers AMD, d’une part, et de celle de la part disputable, d’autre part. En particulier, dans ces points, le Tribunal expose que la projection d’un transfert de 25 % d’un tel volume pouvait, selon les estimations des parties au litige, se traduire en une part disputable située entre 12,5 % et 17,5 %, et il compare ce transfert en volume aux 7 % pris en compte par la Commission pour établir une part disputable de 7,1 %. Dans ces conditions, force est de constater que, sous couvert d’une allégation de dénaturation, la Commission tend, en réalité, en se prévalant de la valeur probante élevée de la feuille de calcul de 2004 par rapport à celle du courriel de D 1, à obtenir une nouvelle appréciation des éléments de preuve par la Cour. Cette argumentation doit, de ce fait, être écartée comme étant irrecevable.
237 Deuxièmement, s’agissant de l’argumentation de la Commission relative à la déclaration de I1, il ressort du point 233 de l’arrêt attaqué que cette déclaration n’a été que l’un des quatre éléments sur lesquels le Tribunal a pris appui afin de considérer, au même point, que le transfert de la demande de Dell vers AMD pouvait concerner jusqu’à 25 % du volume de CPU x86, et non 7 % comme cela ressortait de la feuille de calcul de 2004. En outre, la Commission n’indique pas de façon précise les éléments qui auraient été dénaturés par le Tribunal. Dans ces conditions, l’argument en cause n’est, en réalité, pas tiré d’une dénaturation de la déclaration de I1, au sens exposé aux points 228 et 229 du présent arrêt, mais tend, en revanche, à obtenir, de la part de la Cour, une nouvelle appréciation de cet élément de preuve et de son importance parmi l’ensemble des preuves examinées par le Tribunal, si bien qu’il doit être écarté comme étant irrecevable.
238 S’agissant, troisièmement, des arguments par lesquels la Commission fait valoir que les appréciations du Tribunal exposées aux points 247 à 251 de l’arrêt attaqué, portant sur la prise en compte des données résultant du transfert effectif d’une part de la demande de Dell vers AMD en 2006 et en 2007, à savoir postérieurement à la période infractionnelle, qui a pris fin au mois de décembre 2005, sont entachées d’une dénaturation de la décision litigieuse, il convient de relever ce qui suit.
239 Aux points 247 et 248 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a observé que la Commission ne saurait se fonder sur la pertinence des éléments déduits du transfert d’une part de la demande de Dell vers AMD en 2006 et en 2007 pour contredire l’argumentation d’Intel relative au point de départ de l’horizon temporel d’un an dans le cadre du calcul de la part disputable, tout en niant, en même temps, la pertinence de ces éléments aux fins de l’évaluation du taux précis de la part disputable. Contrairement à ce que fait valoir la Commission, en adoptant cette position de principe, qui critique une utilisation sélective par celle-ci des éléments de preuve, le Tribunal n’a pas considéré que cette institution avait utilisé, aux fins de l’évaluation de la part disputable, les observations déduites du transfert d’une part de la demande de Dell vers AMD en 2006 et en 2007.
240 En outre, au point 249 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a écarté l’argument de la Commission présenté dans ses observations complémentaires sur le renvoi, selon lequel la pertinence du transfert effectif d’une part de la demande de Dell vers AMD en 2006 et en 2007 devait être relativisée en raison de l’augmentation des rabais contestés accordés par Intel pendant cette période. À cet égard, le Tribunal a observé que la Commission n’avait pas réajusté la part disputable retenue au considérant 1245 de la décision litigieuse, évaluée entre 8,2 % et 10,1 %, pour tenir compte de cet élément. Il ne ressort pas de ce point de l’arrêt attaqué que le Tribunal aurait considéré que la Commission avait retenu des taux de part disputable fixés entre 8,2 % et 10,1 % pendant la période infractionnelle. Le Tribunal y observe simplement que, si la Commission estimait qu’un certain facteur affectait la fiabilité des taux mentionnés au considérant 1245 de cette décision, elle aurait dû les réajuster pour tenir compte de ce facteur.
241 Au point 250 de l’arrêt attaqué, le Tribunal se réfère à un autre argument que la Commission a avancé dans ses observations complémentaires sur le renvoi, selon lequel le test AEC avait « intégré » les parts de marché réels d’AMD dans les achats de Dell en 2006 et en 2007 et que les résultats de ces calculs corroboraient les constatations de la décision litigieuse « pour la période prenant fin en 2005 ». À cet égard, au point 251 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a observé que la Commission n’avait pas procédé à un réajustement de la part disputable retenue pour l’année 2005 à partir des calculs effectués au considérant 1245 de cette décision, qui concernent la période postérieure à l’infraction. Faute d’un tel réajustement, il ne serait, en effet, pas possible d’affirmer que les résultats des calculs effectués dans ladite décision corroboraient les constatations de la même décision relatives à la période infractionnelle, d’autant moins qu’ils font état d’une part disputable élevée, qui remet plutôt en cause ces constatations.
242 Il ressort de ces considérations que le Tribunal a correctement distingué entre les données du test AEC relatives à la période infractionnelle et celles relatives à la période postérieure à l’infraction, ne faisant pas partie de ce test. Ainsi, le Tribunal a examiné, en réponse aux arguments d’Intel, le bien-fondé des appréciations de la Commission concernant la pertinence des données portant sur la période postérieure à l’infraction sans dénaturer le contenu des considérants pertinents de la décision litigieuse.
243 Par ailleurs, les arguments de la Commission selon lesquels le Tribunal a enfreint ses droits de la défense en refusant, aux points 236 et 253 de l’arrêt attaqué, de prendre en compte les analyses complémentaires, mentionnées aux points 235 et 252 de cet arrêt, produites par celle-ci pour la première fois en cours d’instance pour contredire des éléments prétendument produits par Intel pour la première fois devant le Tribunal, ne sauraient prospérer. En effet, ainsi qu’il ressort des points 156 à 161 du présent arrêt, le Tribunal n’a pas tenu compte d’éléments produits par Intel pour la première fois devant lui, de sorte que les arguments présentés par la Commission au soutien de ce moyen de pourvoi sont, en tout état de cause, fondés sur une prémisse erronée.
244 Compte tenu des appréciations figurant aux points 235 à 243 du présent arrêt, il y a lieu d’écarter comme étant inopérants les arguments de la Commission portant sur l’évaluation que le Tribunal a effectuée, à titre surabondant, aux points 257 à 271 de l’arrêt attaqué, concernant l’analyse de la part disputable de Dell portant sur la partie initiale de la période infractionnelle, comprise entre le mois de décembre 2002 et le mois d’octobre 2003. En effet, comme il est précisé au point 257 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a procédé à cette évaluation bien que la conclusion à laquelle il était parvenu au point 256 de l’arrêt attaqué, selon laquelle la Commission n’avait pas démontré à suffisance de droit le bien-fondé de l’évaluation de la part disputable de Dell retenue dans la décision litigieuse, invalidât déjà en soi l’appréciation de cette part disputable effectuée par la Commission.
245 Enfin, l’argument de la Commission pris de ce que le Tribunal a commis une erreur de droit en exigeant une quantification des facteurs de renforcement invoqués par elle afin de démontrer la capacité des rabais contestés à évincer un concurrent aussi efficace qu’Intel repose sur une lecture erronée des points 278 à 282 de l’arrêt attaqué. Il découle de ces points que le Tribunal a écarté l’analyse effectuée dans la décision litigieuse au sujet du transfert des rabais contestés accordés à Dell vers les concurrents de celle-ci et de la perte de ces rabais dans le cadre de l’achat de jeux de puces au motif que, en l’absence d’une évaluation chiffrée à cet égard, il était impossible pour le Tribunal de contrôler utilement si ces deux facteurs de renforcement étaient aptes à neutraliser les déficiences résultant des erreurs entachant le test AEC relatif à la part disputable de Dell ou à démontrer une capacité d’éviction desdits rabais. Par conséquent, le Tribunal a considéré non pas que les facteurs de renforcement devaient être chiffrés avec précision en toutes circonstances, mais que, s’ils devaient se substituer à l’analyse principale de la Commission sur la capacité des rabais contestés accordés à Dell à évincer un concurrent aussi efficace qu’Intel, l’examen qui leur était consacré devait être propre à démontrer cette capacité.
246 Il s’ensuit que la troisième branche doit être écartée, tout comme le troisième moyen dans son intégralité.
Sur le quatrième moyen, tiré de plusieurs erreurs de droit et d’une violation des droits de la défense de la Commission dans le cadre de l’examen du test AEC à l’égard de HP
247 Le quatrième moyen comporte deux branches.
Sur la première branche, tirée d’erreurs de droit dans le cadre de l’examen du test AEC à l’égard de HP
– Argumentation des parties
248 Selon la Commission, en jugeant, aux points 319 et 335 de l’arrêt attaqué, que le calcul de la part requise de HP ne permettait pas de considérer que les rabais contestés accordés à celle-ci étaient capables d’évincer la concurrence pour la période allant du 1er novembre 2002 au 30 septembre 2003, le Tribunal aurait entaché l’arrêt attaqué d’erreurs de droit.
249 À cet égard, premièrement, la Commission fait valoir que le Tribunal a appliqué un standard de preuve erroné qui, s’agissant du test AEC relatif à HP, aurait entaché d’illégalité les points 292 à 320 de l’arrêt attaqué. Ainsi, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en considérant, au point 335 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas démontré que, au cours de la période allant du mois de novembre 2002 au mois de mai 2005, les rabais contestés accordés à HP étaient capables de produire un effet d’éviction anticoncurrentiel.
250 En particulier, le Tribunal n’aurait pas contesté que la décision litigieuse indiquait également la part requise pour la période allant du mois de novembre 2002 au mois de septembre 2003. Toutefois, aux points 304 et 305 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait critiqué le fait que, afin de déterminer cette part, la Commission se soit fondée sur des chiffres tirés de la somme ou de la moyenne arithmétique des chiffres concernant seulement trois trimestres, à savoir le quatrième trimestre de l’exercice 2003 ainsi que les premier et deuxième trimestres de l’exercice 2004. Or, ces chiffres seraient suffisamment représentatifs pour l’ensemble de la période du premier accord conclu entre Intel et HP, en vigueur entre le mois de novembre 2002 et le mois de mai 2004 (ci-après l’« accord HPA 1 »), raison pour laquelle la Commission se serait fondée sur ceux-ci.
251 Le Tribunal aurait donc critiqué le choix, par la Commission, d’un paramètre économique, en l’espèce la période de référence choisie pour le calcul de la part requise. Or, ce paramètre économique serait non pas une question de fait, mais un aspect d’une appréciation économique complexe pour laquelle la Commission disposerait d’une large marge d’appréciation, le contrôle du Tribunal devant, par conséquent, se limiter à vérifier la possible existence d’une erreur manifeste d’appréciation, telle que l’utilisation par la Commission d’une méthode illégale. Or, Intel n’aurait pas produit de calcul alternatif concernant les trimestres concernés, l’approche de la Commission lui ayant, en toute hypothèse, été favorable. Dans ces conditions, le Tribunal aurait substitué sa propre appréciation à celle de la Commission.
252 De surcroît, le choix méthodologique opéré par la Commission pour déterminer cette période de référence serait fondé sur une motivation implicite résultant, d’une part, du fait que le tableau no 35 de la décision litigieuse présente la part requise comme couvrant la totalité de la durée de l’accord HPA 1 et, d’autre part, du fait que, comme il serait exposé au considérant 346 de la décision litigieuse, le facteur le plus décisif, à savoir le montant des rabais contestés accordés à HP, est resté inchangé pendant toute la période couverte par ledit accord, ce qu’Intel n’aurait pas contesté.
253 Deuxièmement, en refusant de tenir compte, d’une part, du fait qu’Intel n’avait pas contesté, au cours de la procédure administrative, les périodes utilisées par la Commission pour ses calculs dans la communication des griefs et, d’autre part, que cette entreprise avait même utilisé ces périodes pour ses propres calculs, qu’elle a soumis à la Commission au cours de cette procédure, le Tribunal aurait commis une erreur de droit.
254 Troisièmement, à supposer même que l’appréciation du Tribunal selon laquelle la Commission n’avait pas démontré d’effet d’éviction anticoncurrentiel au cours de la période comprise entre le mois de novembre 2002 et le mois de septembre 2003 soit fondée, cela ne justifierait pas de conclure, comme le fait le Tribunal au point 335 de l’arrêt attaqué, que cette erreur entachait l’ensemble de l’analyse selon laquelle les rabais contestés accordés à HP étaient capables d’évincer la concurrence au cours de la période allant du mois de novembre 2002 au mois de mai 2005, qui comprend la période allant du mois de juin 2004 au mois de mai 2005 couverte par le deuxième accord signé entre Intel et HP (ci-après l’« accord HPA 2 »). Au contraire, ainsi que le Tribunal l’aurait admis au point 525 de l’arrêt attaqué, le test AEC pourrait être considéré comme probant pour la période allant du mois d’octobre 2003 au mois de mai 2005.
255 Quatrièmement, en concluant au point 334 de l’arrêt attaqué que la décision litigieuse n’est pas motivée à suffisance de droit en ce qui concerne les facteurs de renforcement, le Tribunal a nécessairement fait référence aux deux facteurs de renforcement pris en compte dans cette décision, cités au point 321 de l’arrêt attaqué, à savoir l’utilisation, par la Commission, de chiffres favorables à Intel et le risque de transfert des rabais contestés initialement destinés à HP vers un autre concurrent de celle-ci. Or, le Tribunal aurait examiné la motivation de la décision litigieuse seulement en ce qui concerne le second de ces facteurs, de sorte que l’arrêt attaqué ne serait pas motivé, même de manière implicite, en ce qui concerne le premier de ceux-ci. En toute hypothèse, en jugeant, aux points 328, 331 et 334 de l’arrêt attaqué, que la décision litigieuse n’était pas motivée à suffisance de droit en ce qui concerne le second facteur de renforcement, le Tribunal aurait également commis une erreur de droit. À cet égard, la Commission observe, notamment, que le Tribunal a en réalité exigé d’elle d’aller au-delà d’une appréciation de la capacité des rabais contestés à évincer un concurrent aussi efficace qu’Intel et de quantifier les effets d’éviction, cela par référence à un élément étranger aux paramètres du test AEC et hypothétique. Par conséquent, même si c’était à bon droit que le Tribunal a considéré, dans l’arrêt attaqué, que la décision litigieuse ne démontrait pas l’existence d’effet d’éviction anticoncurrentiel pour la période allant du mois de novembre 2002 au mois de septembre 2003, la conclusion générale tirée au point 335 de cet arrêt serait erronée.
256 Intel conteste le bien-fondé des arguments de la Commission.
– Appréciation de la Cour
257 Le Tribunal a présenté le contexte factuel relatif aux rabais contestés accordés à HP aux points 288 et 289 de l’arrêt attaqué. Il ressort de ces points qu’Intel avait conclu avec HP, pour la période allant du mois de novembre 2002 au mois de mai 2005, deux accords successifs ayant eu pour objet l’équipement d’ordinateurs de bureau destinés aux entreprises au moyen de CPU x86. Le premier de ces accords, à savoir l’accord HPA 1, couvrait une période allant du mois de novembre 2002 au mois de mai 2004 et le second, à savoir l’accord HPA 2, une période allant du mois de juin 2004 au mois de mai 2005. L’octroi des rabais prévus dans ces accords était subordonné à la condition non écrite que HP se fournisse auprès d’Intel pour au moins 95 % de ses besoins en CPU x86 afin d’équiper ses ordinateurs de bureau destinés aux entreprises. Selon le point 288 de l’arrêt attaqué, qui renvoie, à cet égard, au considérant 1406 de la décision litigieuse, la Commission a conclu, sur la base du test AEC, que ces rabais étaient susceptibles d’avoir des effets d’éviction anticoncurrentiels.
258 Selon les points 298, 299, 303 et 321 de l’arrêt attaqué, cette conclusion est fondée, d’une part, sur une comparaison entre la part disputable et la part requise et, d’autre part, sur deux facteurs de renforcement. Ces facteurs sont constitués, premièrement, de l’utilisation par la Commission des chiffres les plus favorables à Intel et, deuxièmement, du fait que, en cas de transfert par HP de ses achats de CPU x86 vers AMD, Intel pourrait à son tour transférer les rabais contestés initialement destinés à HP vers un autre concurrent de cette dernière, tel que Dell.
259 Il ressort du point 299 de l’arrêt attaqué que, selon la décision litigieuse, la part disputable de HP avait été établie par la Commission à 7 %.
260 Quant à la part requise, celle-ci est indiquée au tableau no 34, qui figure au considérant 1334 de la décision litigieuse (ci-après le « tableau no 34 »), auquel renvoie le point 303 de l’arrêt attaqué. La dernière colonne de ce tableau indique que, pour la période allant du troisième trimestre de l’exercice fiscal 2003 au troisième trimestre de l’exercice fiscal 2006, la part requise s’est située entre 9,7 %, qui est la valeur calculée pour le quatrième trimestre de l’exercice fiscal 2003, et 18,9 %, qui est la valeur calculée pour le premier trimestre de l’exercice fiscal 2005. La Commission a, ainsi, estimé, au considérant 1387 de la décision litigieuse, auquel renvoie le point 298 de l’arrêt attaqué, que la part requise était supérieure à la part disputable pour l’ensemble de la période infractionnelle.
261 En outre, le tableau no 35, qui figure au considérant 1337 de la décision litigieuse, auquel renvoie le point 292 de l’arrêt attaqué, démontre, selon ce considérant, la solidité de la conclusion de la Commission et est présenté de manière à suggérer qu’il englobe l’intégralité de la période couverte par l’accord HPA 1. Ce tableau fait état d’une part requise de 10,6 % pour la période couverte par l’accord HPA 1.
262 Il ressort du point 291 de l’arrêt attaqué qu’Intel a reproché à la Commission d’avoir commis, notamment, quatre erreurs relatives, la première, à la part disputable, la deuxième, au montant de la part conditionnelle des rabais contestés, la troisième, à la période infractionnelle examinée et, la quatrième, aux facteurs de renforcement pris en considération. Le Tribunal a fait porter son analyse sur les erreurs invoquées en troisième et en quatrième lieux.
263 S’agissant de la période infractionnelle examinée, le Tribunal a observé, au point 303 de l’arrêt attaqué, que le tableau no 34 couvrait la période allant du quatrième trimestre de l’exercice fiscal 2003 au troisième trimestre de l’exercice fiscal 2005, de sorte qu’il n’intégrait aucune donnée concernant les mois de novembre et de décembre 2002 ainsi que les trois premiers trimestres de l’exercice fiscal 2003.
264 De manière similaire, au point 304 de l’arrêt attaqué le Tribunal a souligné que les chiffres relatifs à l’accord HPA 1 qui figurent à la première ligne du tableau no 35 résultent de la somme ou de la moyenne arithmétique des chiffres qui figurent aux trois premières lignes du tableau no 34. Le Tribunal a présenté les détails sous-tendant cette appréciation au point 305 de cet arrêt, en ajoutant, au point 306 de celui ci, que la Commission n’avait pas soutenu que cette relation mathématique résulterait d’une coïncidence ou que les différentes valeurs identifiées seraient, pour les trois trimestres manquants ainsi que pour les trois trimestres suivants, identiques.
265 Dans ces conditions, le Tribunal a considéré, au point 307 de l’arrêt attaqué, que les mois de novembre et de décembre 2002 ainsi que les trois premiers trimestres de l’exercice fiscal 2003 n’avaient effectivement pas été pris en compte par la Commission dans les calculs dont résultaient les chiffres figurant dans le tableau no 35. Il a ajouté, au même point, que le calcul de la part requise pendant la durée de l’accord HPA 1 ayant mené aux résultats figurant dans les tableaux nos 34 et 35 ne couvrait donc pas l’ensemble de la période comprise entre le mois de novembre 2002 et le mois de mai 2005 pour laquelle la Commission avait estimé pouvoir démontrer l’existence d’un effet d’éviction anticoncurrentiel produit par les rabais contestés accordés à HP.
266 Aux points 308 à 320 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a écarté les arguments que la Commission avait tirés, premièrement, de ce que le résultat d’un calcul sur une base trimestrielle ne diffère pas fondamentalement du résultat du calcul global prétendument effectué et, deuxièmement, de renvois faits à une annexe du mémoire en défense et à une annexe de la duplique.
267 S’agissant des arguments de la Commission tirés du fait que le test AEC implique des appréciations économiques complexes au regard desquelles cette institution jouit d’une marge d’appréciation que le Tribunal aurait dû respecter, il convient de rappeler que la Commission a effectué un test AEC dans le but de démontrer que les rabais contestés avaient la capacité d’évincer un concurrent aussi efficace qu’Intel.
268 Ainsi que l’expose, en substance, Mme l’avocate générale aux points 83 à 85 de ses conclusions, le calcul de la part requise implique des choix méthodologiques que la Commission doit effectuer de manière à s’assurer qu’elle fonde ses conclusions sur toutes les données factuellement exactes, fiables et cohérentes nécessaires à cet effet. Dans ce contexte, la Commission pouvait décider d’analyser la capacité des rabais contestés accordés à HP à évincer un concurrent aussi efficace qu’Intel sur une base trimestrielle pour une période allant du mois de novembre 2002 au mois de mai 2005. Cela étant, faute d’un autre moyen employé dans la décision litigieuse afin de démontrer cette capacité, le test AEC doit pouvoir soutenir utilement la conclusion selon laquelle ces rabais ont une telle capacité pour l’ensemble de cette période.
269 Or, premièrement, la Commission ne fait pas valoir que les constatations factuelles du Tribunal, qui relèvent de son appréciation souveraine, selon lesquelles, d’une part, le tableau no 34, consacré au calcul de la part requise, ne couvre pas la période allant jusqu’au début du quatrième trimestre de l’année fiscale 2004 et, d’autre part, le tableau no 35 est, en dépit d’une référence à l’accord HPA 1, entaché de la même lacune, sont issues d’une quelconque dénaturation d’éléments de preuve ou de la décision litigieuse elle-même.
270 Deuxièmement, ainsi que l’expose, en substance, Mme l’avocate générale aux points 91 et 92 de ses conclusions, même si le recours au mécanisme de l’extrapolation n’est pas un choix par principe proscrit, dans la mesure où ce mécanisme vise à déduire un élément inconnu à partir de données qui sont, elles, connues, il doit reposer sur une séquence logique concrète, définie et explicitée par la partie qui supporte la charge de la preuve, en l’occurrence la Commission.
271 Or, la Commission ne fait pas valoir, et il ne ressort pas non plus de l’arrêt attaqué, qu’elle a invoqué devant le Tribunal le caractère représentatif des données relatives à la période s’étant déroulée postérieurement au troisième trimestre fiscal 2003 afin de justifier leur extrapolation à la partie de la période infractionnelle allant jusqu’à l’expiration de ce trimestre et, encore moins, qu’un tel caractère représentatif ressort de la décision litigieuse. Au contraire, la note en bas de page 1658, appelée au considérant 1337 de la décision litigieuse, auquel renvoient les points 292 et 297 de l’arrêt attaqué, indique que la période examinée ne coïncide pas complétement avec la durée des accords en cause parce que, s’agissant de l’accord HPA 1, les chiffres fournis par HP ne couvraient pas la durée de cet accord dans son intégralité. Cette référence exclut, par ailleurs, la possibilité de considérer que la décision litigieuse contient une motivation implicite tenant au caractère représentatif des données relatives à la période s’étant déroulée postérieurement au troisième trimestre fiscal 2003, qui aurait pu justifier une extrapolation. Au demeurant, la Commission ne remettant pas en cause l’affirmation exposée au point 306 de l’arrêt attaqué, décrite au point 264 du présent arrêt, force est de considérer que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant, au point 307 de l’arrêt attaqué, que les mois de novembre et de décembre 2002 ainsi que les trois premiers trimestres de l’exercice fiscal 2003 n’avaient effectivement pas été pris en compte par la Commission.
272 Troisièmement, au point 318 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné, à titre surabondant, les calculs que la Commission avait produits en annexe de la duplique afin de démontrer que les résultats relatifs à la part requise de HP auraient été les mêmes pour les deux mois et les trois trimestres manquants que ceux relatifs à cette part pour les trimestres qui ont été effectivement pris en compte par la Commission. À cet égard, le Tribunal a considéré que rien ne démontrait l’exactitude de l’hypothèse selon laquelle, en raison de la stabilité des rabais contestés au cours de la période couverte par l’accord HPA 1, les résultats de la part requise pour cette dernière période seraient également applicables à la période qui n’a pas été prise en compte, d’autant moins que rien n’indiquait que le volume des achats de HP et le prix moyen de vente était resté identique pendant toute la période infractionnelle. Or, la Commission se limite à indiquer que le montant des rabais contestés perdus par HP est le facteur le plus important du calcul de la part requise, sans pour autant faire valoir que l’appréciation susmentionnée du Tribunal est entachée d’une dénaturation des éléments de preuve.
273 S’agissant de l’argument de la Commission pris de ce qu’Intel n’avait pas contesté, au cours de la procédure administrative, les périodes utilisées par elle pour ses calculs, il y a lieu de rappeler que la Commission se doit d’apprécier, notamment, l’existence éventuelle d’une stratégie visant à évincer, au moyen de l’octroi de rabais de fidélité, les concurrents au moins aussi efficaces que l’entreprise en position dominante lorsque celle-ci soutient, au cours de la procédure administrative, éléments de preuve à l’appui, que son comportement n’a pas eu la capacité de restreindre la concurrence et, en particulier, de produire les effets d’éviction reprochés (voir points 138 et 139 de l’arrêt sur pourvoi).
274 Il s’ensuit que la Commission est en droit de fonder son appréciation sur les mêmes prémisses et éléments que ceux présentés par l’entreprise incriminée, tout comme elle peut effectuer ses propres analyses à partir d’autres éléments obtenus au cours de son enquête.
275 Toutefois, le fait pour Intel d’avoir présenté, pendant la procédure administrative, des calculs qui, même fondés sur les périodes de référence utilisées par la Commission, montrent, selon cette entreprise, que les rabais contestés n’avaient pas la capacité d’évincer un concurrent aussi efficace qu’elle se distingue nettement d’une situation dans laquelle Intel aurait produit, pendant cette procédure, des éléments portant sur une partie de la période infractionnelle qu’elle aurait elle même extrapolés à une autre partie de celle-ci, sur lesquels la Commission se serait fondée à son tour dans la communication des griefs et, faute de contestation, dans la décision litigieuse. Cette distinction s’impose indépendamment de la question de savoir si, comme elle l’affirme, Intel avait mis en évidence, durant la procédure administrative, la lacune concernant la période allant du mois de novembre 2002 au mois de juillet 2003.
276 Dans ce contexte, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort déjà du point 163 du présent arrêt, et comme le Tribunal l’a relevé à bon droit au point 300 de l’arrêt attaqué, aucune disposition du droit de l’Union n’impose au destinataire de la communication des griefs de contester ses différents éléments de fait ou de droit au cours de la procédure administrative, sous peine de ne plus pouvoir le faire ultérieurement au stade de la procédure juridictionnelle (arrêt 1er juillet 2010, Knauf Gips/Commission, C 407/08 P, EU:C:2010:389, point 89).
277 Ainsi, dès lors qu’Intel a soutenu, durant la procédure administrative, éléments de preuve à l’appui, que son comportement n’avait pas eu la capacité de restreindre la concurrence à l’égard de HP, déclenchant ainsi l’obligation pour la Commission d’apprécier l’existence éventuelle d’une stratégie visant à évincer les concurrents au moins aussi efficaces qu’Intel, rien ne l’empêchait de contester devant le Tribunal les éléments de cette appréciation relatifs à la période en cause faisant partie de la motivation de la décision litigieuse. Il s’ensuit que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en adoptant la même approche aux points 300 à 302 de l’arrêt attaqué.
278 L’argument de la Commission pris de ce que, en considérant que la lacune du test AEC concernant la partie de la période infractionnelle s’étant déroulée jusqu’à la fin du troisième trimestre fiscal 2003 entachait l’analyse relative à l’ensemble de la période infractionnelle, qui s’étale du mois de novembre 2002 au mois de mai 2005, le Tribunal a commis une erreur de droit se fonde sur une lecture erronée du point 335 de l’arrêt attaqué. En effet, dans ce point, le Tribunal a indiqué que la conclusion, formulée au considérant 1406 de la décision litigieuse, selon laquelle les rabais contestés accordés à HP étaient capables de produire un effet d’éviction anticoncurrentiel au cours de la période allant du mois de novembre 2002 au mois de mai 2005 n’avait pas été établie à suffisance de droit uniquement « dans la mesure où [la Commission] n’a[vait] pas démontré l’existence d’effets d’éviction pour la période comprise entre le 1er novembre 2002 et le 30 septembre 2003 ». Ainsi, au point 525 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a admis que cette circonstance n’était pas apte à entraîner l’annulation de la décision litigieuse pour toute la période infractionnelle retenue au sujet de HP. Dans ces conditions, ainsi qu’il ressort du même point de cet arrêt, le Tribunal n’a prononcé l’annulation pour toute cette période qu’après avoir constaté, aux points 485 à 520 dudit arrêt, que la Commission n’avait pas dûment examiné le critère relatif au taux de couverture du marché par les rabais contestés et qu’elle n’avait pas procédé à une analyse correcte de la durée de ces rabais.
279 Il s’ensuit que, contrairement à ce que fait valoir la Commission, le Tribunal n’a pas fondé l’annulation de la décision litigieuse au regard des rabais contestés accordés à HP sur la lacune affectant seulement une partie de la période infractionnelle.
280 L’argument de la Commission pris de ce que le Tribunal n’a examiné que le facteur de renforcement pris du risque de transfert des rabais contestés initialement destinés à HP vers un autre concurrent de celle-ci à l’exclusion de celui consistant en l’utilisation, par la Commission, de chiffres favorables à Intel doit également être écarté. Il suffit de relever, à cet égard, que, compte tenu de la nature de la déficience constatée par le Tribunal consistant en l’absence totale d’éléments relatifs à la première partie de la période infractionnelle, un « facteur de renforcement » tiré de ce que la Commission aurait utilisé des éléments avantageux pour Intel ne pouvait pas, par définition, concerner cette partie. Le Tribunal n’était donc pas tenu de consacrer une analyse particulière à ce facteur.
281 Quant à l’argument de la Commission tiré de ce que le Tribunal aurait, en réalité, exigé qu’elle aille au-delà d’une appréciation de la capacité des rabais contestés à évincer un concurrent aussi efficace qu’Intel et qu’elle quantifie les effets d’éviction produits par un facteur de renforcement, il ressort des points 328 et 329 de l’arrêt attaqué que le défaut de motivation constaté par le Tribunal au point 331 de cet arrêt concerne, en substance, la possibilité que le facteur de renforcement consistant en un transfert des rabais contestés initialement octroyés à HP vers un des concurrents de celle-ci permette d’écarter tous les arguments d’Intel formulés au sujet du test AEC et de neutraliser toutes les erreurs que contiendrait la décision litigieuse à ce sujet.
282 À cet égard, au point 330 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé que l’argument présenté par la Commission lors de l’audience, selon lequel HP n’aurait refusé une offre d’AMD consistant à lui fournir un million de CPU x86 gratuitement qu’en raison des conséquences qu’une acceptation aurait eues sur sa relation avec Intel, était une simple supposition non étayée, qui ne saurait combler l’absence de motivation de la décision litigieuse quant à l’influence qu’aurait le facteur de renforcement consistant en un transfert des rabais contestés initialement octroyés à HP vers un des concurrents de celle-ci sur les conclusions de la Commission découlant du test AEC.
283 Dans ce contexte, il ressort d’une lecture combinée des points 321, 334 et 335 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a examiné si les considérants 1390 à 1395 de la décision litigieuse, consacrés aux facteurs de renforcement, comportaient des motifs permettant de pallier l’absence d’éléments sous-tendant le calcul de la part requise de HP pour les deux mois et les trois trimestres pour lesquels le test AEC s’était avéré déficient.
284 À cet égard, il y a lieu de rappeler que la capacité des rabais contestés à évincer un concurrent aussi efficace qu’Intel a été appréciée au moyen d’une comparaison, effectuée dans le cadre du test AEC, entre la part requise et la part contestable de HP. Cette comparaison repose, à son tour, sur un calcul prenant en compte le montant des rabais contestés, qui sont perdus au cas où les conditions d’exclusivité qui les sous tendent ne sont pas respectées, le volume des achats de HP ainsi que le prix moyen de vente et le coût évitable moyen d’Intel. Or, ainsi qu’il ressort des considérants 1393 et 1394 de la décision litigieuse, auxquels il est renvoyé au point 321 de l’arrêt attaqué, l’éventuel transfert de ces rabais vers un des concurrents de HP est un paramètre quantifiable, évoqué lors des contacts entre HP et AMD, susceptible d’influencer notamment l’effet engendré par la perte desdits rabais prise en compte aux fins du calcul de la part requise. De manière similaire, au considérant 1285 de la décision litigieuse, invoqué par la Commission au soutien de cette branche du quatrième moyen, cette institution indique que le calcul de la part requise au sujet de HP, effectué dans la décision litigieuse, « repose sur l’hypothèse que les rabais potentiellement perdus ne sont pas transférés aux concurrents [de HP] ».
285 Par conséquent, à l’instar de ce qu’expose le Tribunal aux points 328 et 329 de l’arrêt attaqué, si la Commission entendait se fonder sur l’éventuel transfert des rabais contestés accordés à HP vers un concurrent de celle-ci afin d’établir la capacité de ceux-ci à évincer un concurrent aussi efficace qu’Intel indépendamment des lacunes entachant le test AEC, cette institution se devait d’exposer le raisonnement illustrant l’influence de ce transfert sur l’un ou l’autre des facteurs sous-tendant le calcul de la part requise.
286 Cette analyse du Tribunal ne serait pas moins fondée si, comme le fait valoir la Commission au soutien de cette branche du quatrième moyen, il fallait comprendre le considérant 1285 de la décision litigieuse en ce sens que les paramètres du calcul de la part requise au regard de HP excluent une prise en compte de l’éventuel transfert des rabais contestés accordés à celle-ci à un ou plusieurs concurrents de cette entreprise. En effet, si un tel transfert ne fait pas partie des paramètres de ce calcul, il ne peut alors qu’aggraver l’impact de l’éviction anticoncurrentielle, comme la Commission l’a relevé au considérant 1392 de la décision litigieuse. Or, ainsi qu’il ressort des points 267 à 280 du présent arrêt, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a conclu que la Commission n’avait pas démontré une capacité d’éviction anticoncurrentielle des rabais contestés pour deux mois et trois trimestres faisant partie de la période infractionnelle, de sorte qu’une aggravation de l’impact d’une éventuelle éviction anticoncurrentielle ne saurait être prise en compte pour cette période, faute d’une motivation spécifique en ce sens.
287 Il s’ensuit que, contrairement à ce que fait valoir la Commission, le Tribunal n’a pas implicitement exigé qu’elle aille au-delà d’une appréciation de la capacité des rabais contestés à évincer un concurrent aussi efficace qu’Intel ni qu’elle quantifie les effets d’éviction. Le Tribunal s’est borné à constater que, afin de considérer qu’un facteur de renforcement tel que celui invoqué par la Commission est apte à permettre d’écarter les arguments d’Intel concernant les calculs effectués aux fins du test AEC et à neutraliser les erreurs entachant ce test, les éléments permettant de reconnaître cette aptitude doivent, tout comme les éléments principaux de ces calculs, ressortir de la motivation de la décision constatant l’infraction.
288 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu d’écarter la première branche du quatrième moyen.
Sur la seconde branche, tirée d’une violation des droits de la défense de la Commission dans le cadre de l’examen du test AEC à l’égard de HP
– Argumentation des parties
289 La Commission expose que, aux points 316 et 317 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a refusé de prendre en considération certains éléments produits en cours d’instance. Ces éléments démontreraient que, même si le nouvel argument d’Intel concernant la période de référence pour le test AEC était retenu, cela ne vicierait pas le résultat de ce test. Or, pour les mêmes raisons que celles exposées à l’appui du deuxième moyen, le refus du Tribunal d’examiner la réfutation des allégations d’Intel méconnaîtrait les droits de la défense de la Commission.
290 Intel conteste le bien-fondé de cette branche du quatrième moyen.
– Appréciation de la Cour
291 Il y a lieu de relever que, dès lors que, eu égard aux arguments et aux preuves produits par Intel durant la procédure administrative, la Commission devait examiner si cette entreprise avait mis en œuvre une stratégie visant à évincer les concurrents au moins aussi efficaces qu’elle, il incombait à cette institution de démontrer, dans la décision litigieuse, que la stratégie en question avait une telle capacité.
292 En l’espèce, il ressort des points 316 et 317 de l’arrêt attaqué que la Commission s’est prévalue devant le Tribunal d’un calcul supplémentaire couvrant les deuxième et troisième trimestres fiscaux de l’exercice 2003 pour la première fois dans un document produit en tant qu’annexe de la duplique.
293 Or, ainsi qu’il a été exposé au point 163 du présent arrêt, c’est sans commettre d’erreur que le Tribunal a refusé de tenir compte de ces calculs complémentaires produits par la Commission pour la première fois en annexe de la duplique, d’autant plus que cette institution ne fait pas valoir avoir justifié leur présentation tardive en première instance, comme le requiert l’article 85, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal.
294 Il s’ensuit que la seconde branche du quatrième moyen doit être rejetée comme étant non fondée et, avec elle, ce moyen dans son intégralité.
Sur le cinquième moyen, tiré d’une mauvaise interprétation du test AEC et de l’article 102 TFUE, d’une dénaturation des éléments de preuve et d’une violation des droits de la défense de la Commission dans le cadre de l’examen du test AEC à l’égard de Lenovo
Argumentation des parties
295 La Commission rappelle que le Tribunal, dans son examen du test AEC en ce qu’il porte sur Lenovo, a fait porter son attention sur la question de la valeur de deux avantages en nature dont celle-ci a bénéficié, à titre de rabais en échange d’un approvisionnement exclusif auprès d’Intel, pour la perte desquels un concurrent aussi efficace que cette dernière aurait dû lui offrir une compensation. Il s’agirait, premièrement, de l’extension de la garantie standard d’Intel d’un an et, deuxièmement, de la mise à disposition d’une plateforme de distribution d’Intel à Shenzhen (Chine). À cet égard, la Commission fait valoir que, aux points 436 à 439 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a méconnu la nature du test AEC, ce qui aurait impliqué une mauvaise définition du concurrent « aussi efficace » qu’Intel et, in fine, à une violation de l’article 102 TFUE.
296 En outre, d’une part, au point 454 de l’arrêt attaqué, le Tribunal n’aurait pas qualifié les erreurs d’appréciation constatées aux points précédents de cet arrêt de « manifestes ». Or, eu égard aux choix méthodologiques que nécessite un test AEC, seules les erreurs « manifestes » d’appréciation pourraient donner lieu à l’annulation d’une décision fondée sur un tel test.
297 D’autre part, en prenant appui sur l’ensemble des coûts encourus par Intel, y compris ceux encourus pour la mise à la disposition de Lenovo d’une plateforme de distribution, et non seulement sur ceux relatifs à la production des CPU, le Tribunal aurait méconnu le fait que la question ultime à résoudre au regard de l’article 102 TFUE est celle de savoir s’il existe une capacité d’éviction anticoncurrentielle résultant de l’existence des rabais contestés, qui sont également appliqués sur la part non disputable, qui est bien plus large que la part disputable. Par conséquent, l’accent aurait dû être mis sur la question de savoir si le concurrent aussi efficace qu’Intel était en mesure d’obtenir la part disputable des besoins d’un OEM, et ce en dépit du fait qu’il opère à une échelle plus modeste que celle-ci.
298 Ainsi, ce serait non pas le coût des rabais contestés pour l’entreprise en position dominante qui devrait être pris en compte, mais le bénéfice que ces rabais représentent pour leur bénéficiaire, à savoir le client de cette entreprise. Cette approche, qui garantirait que la position de l’entreprise dominante n’opérerait pas à son avantage dans le cadre du test AEC, devrait être adoptée indépendamment de la question de savoir si les rabais prennent la forme de paiements en espèces ou en nature. En outre, il ressortirait des éléments de preuve produits par Intel que celle ci n’a pas considéré que les coûts afférents à la mise à la disposition de Lenovo d’une plateforme de distribution faisaient partie du coût évitable moyen d’un concurrent aussi efficace qu’elle.
299 En toute hypothèse, le Tribunal aurait erronément écarté, au point 438 de l’arrêt attaqué, l’approche adoptée par la Commission dans la décision litigieuse selon laquelle un concurrent d’Intel ne disposerait pas d’une plateforme de distribution telle que celle mise à la disposition de Lenovo et que, de ce fait, il aurait dû offrir à cette dernière une compensation pour la perte de cet avantage en nature.
300 S’agissant de l’extension de la garantie standard, le Tribunal aurait méconnu le fait qu’Intel continuerait de vendre à Lenovo une part non disputable bien plus importante que la part disputable vendue par le concurrent. En supposant que le taux de défaillance des CPU x86 au cours de leur période de garantie et les coûts de réparation ou de remplacement seraient les mêmes, le coût total de la réponse aux demandes de garantie pour les CPU x86 d’Intel dans les ordinateurs de Lenovo serait beaucoup plus élevé que celui des demandes de garantie relatives aux ordinateurs de Lenovo contenant les CPU x86 provenant du concurrent aussi efficace qu’Intel. Par conséquent, le niveau similaire d’efficacité des deux producteurs ne changerait rien au fait que, pour persuader Lenovo de renoncer à l’extension de garantie offerte par Intel en échange de l’exclusivité, le concurrent aussi efficace que celle-ci devrait proposer ses CPU x86 à un prix qui compenserait le coût des demandes de garantie que Lenovo ne pourrait pas répercuter sur Intel. Ce serait donc à juste titre que, dans le cadre de son test AEC, la Commission a traité la valeur pour Lenovo de l’extension de garantie standard d’Intel de la même manière qu’un rabais en espèces.
301 À titre subsidiaire, en refusant d’examiner les éléments réfutant les allégations d’Intel que la Commission a présentés en cours d’instance en tant qu’annexe D.39 de la duplique, le Tribunal aurait enfreint les droits de la défense de celle-ci. Dans la mesure où le Tribunal a examiné les éléments produits par la Commission en tant qu’annexe D.39 de la duplique, dont il découlerait, selon celle-ci, qu’Intel aurait estimé les coûts des avantages en nature à 47 millions USD, il n’aurait pas motivé son refus, au point 452 de l’arrêt attaqué, de tenir compte d’un document intitulé « Intel Chart entitled 2006 v. 2007 Trend », dont il ressortirait que le coût de l’extension de la garantie standard s’élevait à 23 millions USD pour Intel. Si le Tribunal n’a pas tenu compte de ce document au motif qu’il pouvait avoir pour but de présenter la proposition d’Intel de façon favorable durant les négociations avec Lenovo, ce motif serait constitutif d’une dénaturation du document en question dans la mesure où ce document porterait la mention « Intel confidentiel ».
302 Intel conteste le bien-fondé du cinquième moyen.
Appréciation de la Cour
303 Au point 98 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé qu’Intel et Lenovo avaient conclu une déclaration d’intention, le Memorandum of Understanding de 2007 (ci-après le « MoU 2007 »), qui était soumise à une condition, non écrite, d’exclusivité. Au point 415 de cet arrêt, le Tribunal s’est référé au considérant 1461 de la décision litigieuse, dans lequel la Commission avait affirmé que le montant des rabais contestés accordés à Lenovo était indiqué dans le MoU 2007, qui prévoyait un soutien financier de 180 millions USD pour l’année 2007, sous forme de paiements trimestriels.
304 Au point 417 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est référé au considérant 1463 de la décision litigieuse, qui fait état de l’argument d’Intel selon lequel seul un montant de 138 millions USD était pertinent pour apprécier le montant de ces rabais. Ainsi, il est expliqué, au point 417 de cet arrêt, que, sur un soutien financier à Lenovo de 180 millions USD prévu dans le MoU 2007, seuls 135 millions USD auraient été attribués en espèces. Le reste de ce soutien aurait été accordé sous forme d’avantages en nature, à savoir l’extension de la garantie standard d’Intel d’un an et la proposition d’une meilleure utilisation d’une plateforme de distribution d’Intel en Chine. La Commission a souligné qu’Intel avait fait valoir que, si la valeur de ces deux contributions non monétaires à Lenovo était respectivement de 20 et de 24 millions USD, leur coût pour Intel était nettement inférieur, à savoir, respectivement, 1,7 et 1,3 million USD. Intel avait également fait valoir que, afin de déterminer si un concurrent était aussi efficace qu’elle, il convenait d’évaluer ces éléments en fonction de leur coût économique pour elle et non pas en fonction de leur valeur pour Lenovo. C’est en ajoutant au soutien financier versé en espèces, à savoir 135 millions USD, ces coûts de 1,7 et de 1,3 million USD qu’Intel est parvenue au montant de 138 millions USD.
305 Aux points 420 et 421 de l’arrêt attaqué, le Tribunal expose que, aux considérants 1466 et 1467 de la décision litigieuse, la Commission a, d’une part, écarté ce dernier argument d’Intel aux motifs que le test AEC nécessite que soit examiné le prix auquel un concurrent aussi efficace mais non dominant aurait dû proposer ses produits à un client afin de compenser la perte des avantages conditionnels accordés par l’entreprise en position dominante, perte résultant du transfert par ce client de la part disputable de ses besoins d’approvisionnement de l’entreprise en position dominante vers cet hypothétique concurrent aussi efficace. D’autre part, la Commission en avait déduit qu’il convenait d’évaluer la perte pour le client, dès lors que ce serait cette perte que le concurrent aussi efficace devrait compenser, et non le coût économique pour l’entreprise en position dominante, dans le cas où les deux chiffres divergeaient.
306 Aux points 433 à 439 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que la méthode employée par la Commission pour évaluer l’ampleur des rabais contestés accordés à Lenovo était fondée sur un postulat contraire aux fondements du test AEC, tels que ceux-ci étaient exposés aux considérants 1003 et 1004 de la décision litigieuse.
307 À cet égard, au point 434 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a souligné que, selon le considérant 1003 de la décision litigieuse, le test AEC a pour objet d’examiner si, compte tenu de ses propres coûts et de l’effet des rabais contestés, Intel serait elle-même en mesure d’entrer sur le marché sur une base plus restreinte sans subir de pertes. Ainsi, au point 435 de cet arrêt, le Tribunal a souligné que, comme exposé au considérant 1004 de cette décision, le test AEC est un exercice hypothétique, en ce sens qu’il s’agit de déterminer si l’accès au marché d’un concurrent aussi efficace qu’Intel, quant à la production et la fourniture de CPU x86 d’une valeur équivalente à celle que procure Intel à ses clients, mais qui n’aurait pas une base de vente aussi large qu’Intel, serait verrouillé.
308 Il convient, en outre, de rappeler que, ainsi que l’a exposé le Tribunal aux points 154, 157 et 158 de l’arrêt attaqué, reproduits au point 43 du présent arrêt, le test AEC, tel qu’il a été appliqué en l’espèce, établit le « prix effectif », à savoir le prix auquel un concurrent aussi efficace qu’Intel aurait dû offrir ses CPU x86 afin de compenser la perte par un OEM d’un quelconque paiement d’exclusivité accordé par Intel, le prix effectif devant ensuite être comparé à la « mesure viable du coût d’Intel », à savoir au coût évitable moyen. Or, un système de paiements d’exclusivité est capable d’évincer les concurrents aussi efficaces qu’Intel lorsque le prix effectif est inférieur au coût évitable moyen de celle-ci. Ainsi qu’il est, par ailleurs, exposé au point 44 du présent arrêt, le résultat, positif ou négatif, du test AEC est déterminé, in fine, au moyen d’une comparaison entre la part disputable et la part requise, cette dernière étant la part des besoins d’un client d’Intel qu’un concurrent aussi efficace que cette dernière doit obtenir afin qu’il puisse accéder au marché sans subir de pertes.
309 À cet égard, il ressort du point 412 de l’arrêt attaqué, qui renvoie aux considérants 1457 à 1508 de la décision litigieuse, que l’ampleur et la nature des rabais contestés accordés à Lenovo sont des facteurs pris en compte lors du calcul de la part requise. Lorsque ces rabais sont accordés en espèces, leur valeur est objective et identique tant pour Intel que pour leur bénéficiaire. En revanche, lorsqu’ils sont accordés en nature, fut-ce partiellement, il y a lieu de les évaluer.
310 Il y a lieu de relever, dans ce contexte, que, certes, le concurrent aussi efficace qu’Intel doit proposer ses produits à un prix qui compense la perte des avantages conditionnels accordés par l’entreprise en position dominante. Toutefois, cette compensation ne doit pas forcément prendre la forme d’une prestation en espèces égale à la valeur de la prestation en nature pour le client concerné. Elle peut consister en une prestation en nature équivalente à celle que perdra ce client suite à sa décision de s’approvisionner pour la part disputable auprès du concurrent de l’entreprise en position dominante. Il est, dans ce cas également, indifférent que cette prestation puisse représenter, du point de vue subjectif du client qui en bénéficie, une valeur qui diffère du coût que le concurrent aussi efficace que l’entreprise en position dominante a dû exposer pour l’accorder à ce client.
311 Par conséquent, il convient, en conformité avec les fondements du test AEC, d’évaluer un rabais accordé sous forme de prestation en nature en prenant en compte un concurrent hypothétique ayant une structure de coûts analogue à celle de l’entreprise en position dominante (voir, en ce sens, arrêts du 14 octobre 2010, Deutsche Telekom/Commission, C 280/08 P, EU:C:2010:603, point 198, et du 19 janvier 2023, Unilever Italia Mkt. Operations, C 680/20, EU:C:2023:33, point 59).
312 Une telle approche est d’autant plus justifiée que, ainsi que le Tribunal l’a relevé à bon droit au point 190 de l’arrêt attaqué, elle est également conforme au principe général de sécurité juridique. En effet, la prise en compte des coûts de l’entreprise en position dominante permet à celle ci, eu égard à la responsabilité particulière qui lui incombe au titre de l’article 102 TFUE, d’apprécier la légalité de ses propres comportements, dès lors qu’elle connaît ses propres coûts (voir, en ce sens, arrêt du 14 octobre 2010, Deutsche Telekom/Commission, C 280/08 P, EU:C:2010:603, point 202).
313 Cela étant, il ne saurait être exclu, comme l’expose Mme l’avocate générale aux points 160 et 165 de ses conclusions, que le coût de la prestation en nature puisse nécessiter un certain ajustement permettant de tenir compte du fait que le concurrent aussi efficace ne détient pas de position dominante. Un tel ajustement peut s’avérer nécessaire lorsque les coûts du concurrent aussi efficace que l’entreprise en position dominante sont affectés en raison du fait qu’il satisfait uniquement la part disputable des clients, qui est moins importante que la part non disputable de ceux-ci, approvisionnée par cette entreprise.
314 Il s’ensuit, à l’instar de ce qu’observe Mme l’avocate générale au point 155 de ces conclusions, que, en constatant, aux points 437 et 438 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas raisonné en tenant compte d’un concurrent hypothétique capable de vendre des CPU x86 à Lenovo tout en lui offrant des avantages en nature dans les mêmes conditions qu’Intel et, au point 439 de cet arrêt, que, ce faisant, la Commission était partie d’un postulat contraire aux fondements du test AEC exposés dans la décision litigieuse, le Tribunal n’a pas substitué son appréciation à une analyse valable effectuée par la Commission, mais qu’il a mis en évidence une incohérence interne au test AEC tel qu’appliqué en l’espèce par cette institution.
315 Ainsi que l’observe, par ailleurs, le Tribunal au point 441 de l’arrêt attaqué, sans être contesté par la Commission dans le cadre du pourvoi, la décision litigieuse n’apporte pas de réponse à la question de savoir quel aurait été le coût pour un concurrent aussi efficace qu’Intel s’il avait dû fournir l’accès à une plateforme de distribution ou procéder au moyen d’une simple transformation de sa propre plateforme déjà existante de sorte à l’étendre au profit d’un OEM, à l’instar de ce qu’a proposé Intel à Lenovo, et à celle de savoir quels auraient été les coûts liés à une extension de garantie.
316 Il ressort du point 428 de l’arrêt attaqué que la Commission a présenté une telle analyse pour la première fois à l’annexe D.39 de la duplique. Cependant, d’une part, cette analyse sort du cadre défini par la motivation de la décision litigieuse de sorte que, comme il l’a exposé aux points 443 et 444 de l’arrêt attaqué, le Tribunal ne saurait en tenir compte.
317 À cet égard, le grief soulevé par la Commission à titre subsidiaire, pris de la violation de ses droits de la défense (voir point 301 du présent arrêt), doit être écarté pour les motifs exposés aux points 164 à 167 de cet arrêt dont il découle que, en exposant, au point 444 de l’arrêt attaqué, qu’il ne pouvait, sans substituer sa propre motivation à celle de la Commission figurant dans la décision litigieuse, tenir compte des éléments produits pour la première fois en annexe de la duplique et sortir ainsi du cadre défini par la motivation de cette décision, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit ni n’a enfreint les droits de la défense de la Commission.
318 D’autre part, au point 448 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné, à titre surabondant, l’analyse contenue à l’annexe D.39 de la duplique et l’a écartée au motif que les coûts supportés, selon la Commission, par un concurrent aussi efficace qu’Intel disposant d’une plateforme de distribution en Chine diffèrent de la valeur pour Lenovo des prestations en nature dont la Commission a tenu compte aux fins de son test AEC. Or, en toute hypothèse, la Commission ne fait pas valoir que cette appréciation, effectuée à titre surabondant par le Tribunal, est entachée d’une quelconque dénaturation de preuves.
319 De manière similaire, doit également être écarté l’argument de la Commission selon lequel, au point 452 de l’arrêt attaqué, dans le cadre duquel le Tribunal examine la valeur probante du document intitulé « Intel Chart entitled 2006 v. 2007 Trend », produit par cette institution pour la première fois en tant qu’annexe D.41 de la duplique, celui-ci aurait ignoré le coût pour Intel engendré par l’extension de la garantie standard tel que figurant dans ce document et accepté le coût moindre calculé dans le rapport supplémentaire Shapiro-Hayes.
320 En effet, ainsi qu’il ressort des termes « En tout état de cause » introduisant le point 451 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné la valeur probante dudit document à titre surabondant. Or, la Commission ne conteste pas la constatation effectuée à titre principal par le Tribunal au point 450 de cet arrêt, selon laquelle les éléments figurant dans ce document n’ont pas été mentionnés dans la décision litigieuse. Dans ces conditions, l’argument de la Commission est inopérant.
321 Il ressort des appréciations qui précèdent que le cinquième moyen doit être écarté.
Sur le sixième moyen, tiré d’une mauvaise appréciation des conséquences à tirer des erreurs constatées dans le cadre du test AEC
Argumentation des parties
322 La Commission soulève le sixième moyen à titre subsidiaire, pour le cas où la Cour rejetterait les autres moyens soulevés à l’appui du pourvoi. Dans ce cadre, la Commission fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en ce qui concerne les conséquences à tirer, premièrement, des erreurs constatées s’agissant du test AEC et, deuxièmement, de la notion de concurrent aussi efficace qu’Intel telle qu’elle découlerait de l’arrêt sur pourvoi.
323 En particulier, d’une part, la constatation d’erreurs entachant le test AEC signifierait non pas qu’Intel a réussi ce test et que les rabais contestés n’avaient pas la capacité d’évincer la concurrence, mais seulement que la Commission n’a pas prouvé, dans la décision litigieuse, qu’Intel avait échoué audit test. À cet égard, en renvoyant à ses observations principales sur le renvoi, lesquelles se fondent notamment sur les considérants 1037 et 1038 de cette décision, la Commission rappelle que la « mesure viable du coût d’Intel » adoptée dans ladite décision est celle du coût évitable moyen, qui serait un critère de coût prudent et favorable à Intel, puisqu’il exclurait les coûts fixes importants nécessaires qu’un concurrent de celle-ci devrait engager pour être viable sur le long terme. Ainsi, le fait pour Intel de ne pas avoir échoué au test AEC tenant compte du coût évitable moyen ne serait qu’une circonstance parmi celles à prendre en considération dans le cadre de l’appréciation d’ensemble nécessaire pour répondre à la question de savoir si les rabais contestés avaient la capacité d’évincer la concurrence. La République fédérale d’Allemagne ajoute que, dans certaines circonstances, comme celles de la présente espèce, les accords d’exclusivité sont susceptibles de rendre les partenaires commerciaux plus réticents à accepter des offres équivalentes de concurrents de leur fournisseur en raison de l’engagement pris et de la dépendance à l’égard de la part non disputable des produits achetés.
324 Ce serait donc par une dénaturation de l’argument avancé par la Commission dans ses observations sur le renvoi que le Tribunal a estimé aux points 518 et 519 de l’arrêt attaqué que la seule référence à la durée pendant laquelle Intel a mis en œuvre les rabais contestés et au calendrier de ceux-ci ne suffisait pas, en elle-même, nonobstant les conclusions qu’il était possible de tirer du test AEC, à fonder des conclusions définitives quant aux effets d’éviction ainsi produits.
325 Il s’ensuivrait que la conclusion du Tribunal, formulée aux points 526 et 527 de l’arrêt attaqué, selon laquelle la Commission n’a pas établi que les rabais contestés et les paiements litigieux étaient capables ou susceptibles d’avoir des effets d’éviction anticoncurrentiels serait entachée d’une erreur de droit. Avant d’arriver à cette conclusion, il aurait incombé au Tribunal, dans le cadre d’une appréciation globale des circonstances de l’affaire, d’examiner si le test AEC était un facteur particulièrement déterminant dans la décision litigieuse et si les erreurs constatées dans ce test étaient suffisamment importantes pour entraîner l’annulation de celle-ci.
326 D’autre part, cette conclusion méconnaîtrait le fait que la notion de « concurrent aussi efficace » n’est pas uniquement fondée sur des considérations relatives aux prix et aux coûts. À cet égard, il ressortirait du point 139 de l’arrêt sur pourvoi que la question de savoir si les rabais contestés étaient capables d’évincer un concurrent aussi efficace qu’Intel dépend également de paramètres tels que le choix, la qualité et l’innovation dont feraient preuve les produits de ce concurrent. Or, il ressortirait des points 116 à 122 et 134 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a omis de tenir compte de ces critères, bien que ceux-ci fussent pertinents pour la notion de « concurrent efficace » tel que pourrait l’être AMD, dont les produits seraient tant innovants que performants et, par suite, attrayants pour les OEM.
327 Intel conteste le bien-fondé de cette argumentation.
Appréciation de la Cour
328 En premier lieu, il importe de rappeler que c’est à la Commission qu’il appartient d’apporter la preuve des infractions aux règles de concurrence qu’elle constate et d’établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des éléments constitutifs d’une infraction (voir, en ce sens, arrêts du 6 janvier 2004, BAI et Commission/Bayer, C 2/01 P et C 3/01 P, EU:C:2004:2, point 62, ainsi que du 16 février 2017, Hansen & Rosenthal et H&R Wax Company Vertrieb/Commission, C 90/15 P, EU:C:2017:123, point 26).
329 Ces éléments constitutifs doivent ressortir de la motivation de l’acte constatant l’infraction, les juridictions de l’Union ne pouvant, ainsi qu’il a été relevé aux points 138 et 163 du présent arrêt, les modifier en substituant, dans le cadre du contrôle de légalité visé à l’article 263 TFUE, leur propre motivation à celle de l’auteur de l’acte en cause.
330 En deuxième lieu, il découle des points 175 à 181 du présent arrêt que, si l’octroi de rabais de fidélité de la part d’une entreprise en position dominante peut constituer une infraction à l’article 102 TFUE, le fait pour cette entreprise de soutenir, au cours de la procédure administrative, éléments de preuve à l’appui, que son comportement n’a pas eu la capacité de restreindre la concurrence et, en particulier, de produire les effets d’éviction reprochés oblige la Commission à effectuer une analyse visant à déterminer l’existence de cette capacité.
331 Dans cette hypothèse, dès lors que la démonstration de l’effet actuel ou potentiel de restriction de la concurrence s’apprécie au regard de l’ensemble des circonstances factuelles pertinentes, la Commission est tenue d’analyser, comme l’a souligné la Cour au point 139 de l’arrêt sur pourvoi, non seulement l’importance de la position dominante de l’entreprise sur le marché pertinent, le taux de couverture du marché par les rabais contestés, les conditions et les modalités d’octroi de ces rabais, leur durée et leur montant, mais aussi l’existence éventuelle d’une stratégie visant à évincer les concurrents au moins aussi efficaces que cette entreprise.
332 C’est sur la base de cette analyse que le Commission doit, dans ce cas, satisfaire à son obligation, décrite aux points 328 et 329 du présent arrêt, d’établir, dans la motivation de la décision adoptée à l’issue de son enquête, que le comportement incriminé est constitutif d’un abus de position dominante au sens de l’article 102 TFUE.
333 En troisième lieu, il découle des points 142, 143, 147 et 149 de l’arrêt sur pourvoi ainsi que, notamment, des points 30, 31, 152 à 158, 175, 283, 285, 286, 297 à 299, 339, 412, 413, 457 et 466 à 468 de l’arrêt attaqué que c’est au moyen du test AEC, qui vise à établir le prix auquel un concurrent aussi efficace qu’Intel aurait dû proposer ses CPU x86 afin d’« indemniser » un OEM pour la perte des rabais contestés, que la Commission a motivé, dans la décision litigieuse, la capacité des rabais contestés à évincer un tel concurrent et à restreindre ainsi la concurrence, au regard des OEM et de MSH, de manière prohibée par l’article 102 TFUE.
334 Ainsi qu’il découle, par ailleurs, des points 147 et 149 de l’arrêt sur pourvoi, c’est au regard du fait que la Commission avait effectué un test AEC que la Cour a renvoyé l’affaire devant le Tribunal, afin que celui ci examine la capacité des rabais contestés à restreindre la concurrence à l’aune des arguments d’Intel visant à dénoncer de prétendues erreurs commises par la Commission dans le cadre de ce test. Comme l’a observé le Tribunal au point 523 de l’arrêt attaqué, la Commission a conclu, au regard des résultats dudit test, que les rabais contestés et les paiements litigieux accordés par Intel étaient capables ou susceptibles d’avoir des effets d’éviction anticoncurrentiels, au motif que même un concurrent aussi efficace que celle-ci se serait vu empêcher d’approvisionner Dell, HP, NEC et Lenovo pour leurs besoins en CPU x86 ou d’assurer la vente par MSH d’ordinateurs équipés de ses CPU x86.
335 Dans ce contexte, il découle du point 157 de l’arrêt attaqué que la Commission a tenu compte, aux fins du test AEC, du coût évitable moyen d’Intel. Il est constant que la Commission s’est fondée sur ce critère de coût au motif que, eu égard à son caractère plus favorable pour Intel, l’impossibilité pour le concurrent aussi efficace que celle-ci de couvrir un tel coût indiquerait clairement qu’il sacrifie ses bénéfices et réalise des pertes lorsqu’il effectue des ventes aux clients concernés par le comportement de l’entreprise en position dominante, de sorte que la concurrence serait évincée.
336 En quatrième lieu, il ressort des points 485, 493 à 495, 509 et 510 de l’arrêt attaqué que la Commission a consacré un certain nombre de considérants de la décision litigieuse à l’analyse du taux de couverture du marché par les rabais contestés ainsi que de la durée de ceux-ci et que, parmi les considérants relatifs à cette durée, plusieurs relèvent de la partie de la décision litigieuse consacrée au test AEC. Or, comme exposé aux points 62 à 76 du présent arrêt, le Tribunal a considéré, au terme d’un examen effectué aux points 483 à 521 de l’arrêt attaqué, dont les éléments particuliers ne sont pas contestés dans le cadre du pourvoi, que la Commission n’avait pas dûment examiné le critère relatif au taux de couverture du marché par les rabais contestés et n’avait pas procédé à une analyse correcte de la durée de ces rabais.
337 C’est dans ces conditions que, ainsi qu’il est exposé aux points 80 à 82 du présent arrêt, le Tribunal a estimé, aux points 524 à 527 de l’arrêt attaqué, que les erreurs qu’il avait identifiées dans le test AEC, le taux de couverture du marché par les rabais contestés et la durée d’application de ceux-ci justifiaient l’annulation de l’article 1er, sous a) à e), de la décision litigieuse.
338 Compte tenu des appréciations qui précèdent, il n’incombait pas au Tribunal d’examiner, avant de prononcer l’annulation partielle de la décision litigieuse, si les rabais contestés avaient une capacité d’évincer un concurrent aussi efficace qu’Intel en se fondant, aux fins de cet examen, sur des éléments différents de ceux sur lesquels avait pris appui la Commission afin d’établir cette capacité.
339 En particulier, il n’incombait pas au Tribunal de rechercher si une telle capacité pouvait être établie au moyen d’un raisonnement dépourvu des erreurs constatées par lui, dans la mesure où un tel raisonnement n’est pas formulé dans la décision litigieuse d’une façon cohérente permettant de déduire qu’il est susceptible de soutenir le dispositif de celle-ci indépendamment des motifs entachés d’erreurs de droit ou de fait rendant invalides les conclusions de la Commission.
340 À cet égard, d’une part, il ressort des points 133 à 147 de l’arrêt attaqué que l’analyse effectuée dans la décision litigieuse, tendant à démontrer que les rabais contestés sont constitutifs d’un abus indépendamment des conclusions que la Commission a tirées du test AEC, est entachée d’une erreur de droit dans la mesure où elle part de la prémisse que les rabais contestés étaient abusifs indépendamment de leur capacité à évincer un concurrent aussi efficace qu’Intel. D’autre part, s’agissant du test AEC, la Commission ne soutient ni que cette décision contient un examen supplémentaire tenant compte d’un critère de coût autre que le coût évitable moyen, qui permettrait de constater cette capacité, ni qu’elle a établi, dans ladite décision, que le comportement incriminé comportait également d’autres composantes qui auraient été capables d’engendrer, indépendamment des conclusions à tirer du test AEC, un effet d’éviction anticoncurrentiel qu’Intel aurait poursuivi en exploitant la part non disputable.
341 Dans ces conditions, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant, aux points 518 et 519 de l’arrêt attaqué, que la seule référence, nonobstant les conclusions qu’il est possible de tirer du test AEC, à la durée pendant laquelle Intel a mis en œuvre les rabais contestés et au calendrier de ceux-ci ne suffisait pas, en elle-même, à fonder des conclusions définitives quant aux effets d’éviction ainsi produits. Cette considération paraît d’autant plus justifiée à l’aune des constatations du Tribunal au sujet, d’une part, du taux de couverture du marché par les rabais contestés et de la durée de ceux-ci, effectuées respectivement aux points 492 à 500 et 508 à 515 de l’arrêt attaqué et, d’autre part, des rabais contestés tels que mis en œuvre au regard de NEC et de MSH, les éléments particuliers des constatations faites à ce dernier égard n’étant pas contestés dans le cadre du pourvoi.
342 Au demeurant, l’argument de la Commission pris de ce que le Tribunal n’a pas tenu compte du fait qu’AMD est un concurrent « efficace », tel que défini par l’arrêt sur pourvoi, en raison du caractère performant, innovant et attrayant de ses produits, est également dénué de pertinence.
343 En effet, ainsi qu’il ressort du point 435 de l’arrêt attaqué, le test AEC est un exercice hypothétique permettant de déterminer si un concurrent qui serait aussi efficace qu’Intel en termes de production et de fourniture de CPU x86 représentant une valeur équivalente à celle que procure Intel à ses clients, mais qui n’aurait pas une base de vente aussi large que celle-ci, serait exclu du marché en raison des rabais contestés. Il s’ensuit que cette analyse est indépendante de la capacité effective d’AMD elle-même de rester sur le marché. L’analyse en question peut donc démontrer que les rabais contestés avaient, en violation de l’article 102 TFUE, une capacité d’évincer un concurrent présumé être aussi efficace qu’Intel en termes de coûts, de choix, de qualité et d’innovation, même si AMD n’avait pas elle-même été évincée, tout comme elle peut révéler l’absence d’une telle capacité, en dépit du fait que l’un ou l’autre concurrent de l’entreprise en position dominante a quitté le marché ou a été marginalisé.
344 Il ressort de ce qui précède que le sixième moyen doit être écarté et, par conséquent, que le pourvoi doit être rejeté dans son intégralité.
Sur les dépens
345 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.
346 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
347 Intel et ACT ayant conclu à la condamnation de la Commission aux dépens et cette dernière ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens.
348 Conformément à l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.
349 Intel et ACT ayant conclu à la condamnation de la République fédérale d’Allemagne aux dépens, cette dernière supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par Intel et par ACT afférents à l’intervention.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) La Commission européenne supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par Intel Corporation Inc. ainsi que par Association for Competitive Technology Inc.
3) La République fédérale d’Allemagne supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par Intel Corporation Inc. et par Association for Competitive Technology Inc. afférents à l’intervention.