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Décisions

CA Lyon, 1re ch. civ. A, 16 juin 2022, n° 19/00914

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Ariel Services (Sté), Solidarité Services (Sté)

Défendeur :

Caisse de Crédit Mutuel de Villeurbanne Gratte Ciel (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Wyon

Conseillers :

Mme Clément, Mme Defrasne

Avocats :

Me Aguera, Selas Agis

TGI Lyon, 4e ch., du 8 janv. 2019, n° 15…

8 janvier 2019

*****

Selon contrat de travail du 4 août 1992, Monsieur [H] a été engagé en qualité de comptable par l'association Solidarité services.

Il a par ailleurs été engagé en qualité de responsable du pôle gestion administrative et comptabilité au sein de l'association Ariel services selon contrat de travail du 1er janvier 2001 et selon avenant du 1er janvier 2004, lui ont été confiées les fonctions de directeur adjoint.

À compter du 1er janvier 2007, ses contrats de travail ont été transférés au sein de l'association Unis vers l'emploi, groupe économique solidaire regroupant quatre associations spécialisées dans l'insertion sociale et professionnelle dont les associations Ariel services et Solidarité services, Monsieur [H] prenant les fonctions de directeur adjoint sous l'autorité de Madame [I], directrice.

Les associations susvisées étaient clientes, depuis de nombreuses années, de la société Crédit mutuel Villeurbanne Gratte-ciel (la société Crédit mutuel) auprès de laquelle elles avaient ouvert des comptes bancaires.

Par lettre du 26 juillet 2013, Monsieur [H] a été licencié pour faute lourde pour avoir notamment établi, signé et encaissé à son bénéfice plusieurs chèques au préjudice des associations Ariel services et Solidarité services.

Ces dernières ont tenté en vain d'obtenir l'indemnisation de leur préjudice auprès de la société Crédit mutuel qui a contesté toute responsabilité de sa part.

Les faits ont été dénoncés au procureur de la République et par courrier du 19 juillet 2013, une plainte a été déposée à l'encontre de Monsieur [H] pour son comportement délictueux.

Par acte d'huissier de justice du 14 novembre 2014, les associations Ariel services et Solidarité services ont fait assigner la société Crédit mutuel devant le tribunal de grande instance de Lyon aux fins d'indemnisation de leur préjudice.

Par jugement du 2 novembre 2015 du tribunal correctionnel de Lyon, Monsieur [H] a été déclaré coupable des faits d'escroquerie commis entre le 13 septembre 2010 et juillet 2013 et d'abus de confiance commis entre janvier 2005 et juillet 2013 et il a été condamné à verser à l'association Ariel services la somme de 46 372,95 euros et à l'association Solidarité services celle de 143 815,93 euros au titre de leur préjudice financier, ainsi que la somme de 1 000 euros à l'association

Unis Vers l'Emploi au titre de son préjudice moral.

Le 8 janvier 2019, le tribunal de grande instance de Lyon a :

- débouté l'association Ariel services et l'association Solidarité services de l'ensemble de leurs demandes,

- condamné l'association Ariel services et l'association Solidarité services à verser à la société Crédit mutuel la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens,

- débouté les parties pour le surplus.

Selon déclaration du 5 février 2019, les associations Ariel services et Solidarité services ont interjeté appel de ce jugement.

Dans leurs dernières conclusions déposées au greffe le 4 novembre 2019, elles demandent à la cour de :

- réformer en toutes ses dispositions le jugement dont appel,

Statuant à nouveau,

- condamner la société Crédit mutuel à payer à l'association Ariel services, à titre de dommages et intérêts, la somme de 13 765,22 euros ou subsidiairement une somme qui ne saurait être inférieure à 12 388,70 euros,

- condamner la société Crédit mutuel à payer à l'association Solidarité services, à titre de dommages et intérêts, la somme de 70 811,46 euros ou subsidiairement une somme qui ne saurait être inférieure à 63 730,31 euros,

- débouter la société Crédit mutuel de ses demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens,

- condamner la société Crédit mutuel à payer à chacune des appelantes la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions déposées au greffe le 7 janvier 2020, la société Crédit mutuel demande à la cour de :

- confirmer le jugement dont appel en tous ses points,

Y ajoutant,

- condamner les associations Ariel services et Solidarité services à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens.

Il convient de se référer aux écritures des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 21 janvier 2020.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, il sera rappelé que les « demandes » tendant à voir « constater » ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile et ne saisissent pas la cour ; il en est de même des « demandes » tendant à voir « dire et juger » lorsque celles-ci développent en réalité des moyens.

I Sur la responsabilité da la société Crédit Mutuel :

- sur la responsabilité de la banque pour manquement à son obligation de résultat :

Les associations Ariel services et Solidarité services demandent à la cour de retenir la responsabilité da la société Crédit mutuel en sa qualité de dépositaire et teneur de leurs comptes bancaires, pour manquement à son obligation de résultat consistant à restituer la chose déposée uniquement à celui qui la lui a confiée ; elles ajoutent que la charge de la preuve incombe au banquier qui se prétend libéré de son engagement.

Elles affirment qu'en payant de faux chèques tirés sur les comptes bancaires des associations en l'absence de leur accord, la banque a manqué à cette obligation de résultat.

Elles ajoutent que Monsieur [H] n'était ni le titulaire des comptes bancaires, ni le représentant légal des associations, ni leur mandataire et qu'ainsi les chèques signés de sa main n'ont pas qualité légale de chèques et engagent de plein droit la responsabilité de l'établissement bancaire sans qu'il soit nécessaire de démontrer une faute de sa part.

Pour contester toute exonération de responsabilité de la banque, les associations affirment que Monsieur [H] n'était pas leur préposé au moment où il a commis les falsifications et qu'en ce sens, aucune faute ne peut leur être reprochée ; elles précisent que ses contrats de travail ont été transférés à l'association Unis vers l'emploi le 1er janvier 2007 et ont donc pris fin le 31 décembre 2006 et qu'elles ne lui avaient donné aucun mandat.

Elles précisent enfin qu'elles n'étaient pas dotées d'un expert comptable et qu'en ce sens un simple contrôle de la comptabilité ne suffisait pas pour établir une anomalie et que seuls les rapports d'audit comptables ont pu, avec difficulté, identifier l'existence des détournements de l'intéressé.

La société Crédit mutuel soutient n'avoir commis aucune faute dans l'encaissement des chèques puisque Monsieur [H] disposait d'un pouvoir sur les comptes de l'association Unis vers l'emploi comme en témoigne le fait qu'il était l'unique détenteur matériel de l'ensemble des moyens de paiement des associations.

Elle invoque l'existence d'un mandat apparent donné par les deux associations à ce dernier et considère que les associations Ariel services et Solidarité services engagent leur responsabilité du fait de leur préposé qui a commis des détournements considérables qui n'auraient dû échapper à un contrôle comptable.

Sur ce :

L'article 1927 du code civil dispose que le dépositaire doit apporter, dans la garde de la chose déposée, les mêmes soins qu'il apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent.

L'article 1937 du même code ajoute que le dépositaire ne doit restituer la chose déposée qu'à celui qui la lui a confiée, ou à celui au nom duquel le dépôt a été fait, ou à celui qui a été indiqué pour le recevoir.

En application des dispositions susvisées, en l'absence de faute du déposant, ou d'un préposé de celui-ci et même s'il n'a lui-même commis aucune faute, le banquier n'est pas libéré envers son client qui lui a confié des fonds quand il se défait de ces derniers sur présentation d'un faux ordre de paiement revêtu, dès l'origine, d'une fausse signature et n'ayant eu à aucun moment la qualité légale de chèque.

En revanche, si l'établissement de ce faux ordre de paiement a été rendu possible à la suite d'une faute du titulaire du compte, ou de l'un de ses préposés, le banquier n'est tenu envers lui que s'il a lui-même commis une négligence, et ce seulement pour la part de responsabilité en découlant.

Il appartient au banquier d'apporter la preuve que l'ordre d'effectuer le paiement émane bien de son client et non à celui-ci d'établir qu'il est faux. Le banquier dépositaire, qui se borne à exécuter les ordres de paiement que lui transmet le mandataire du déposant, peut rapporter la preuve par tout moyen du contrat de mandat auquel il n'est pas partie.

Le premier juge a retenu en l'espèce, dans des termes pertinents qui répondent aux moyens soulevés en appel et que la cour adopte, que la société Crédit mutuel démontre d'une part son absence de négligence et établit d'autre part que les associations Ariel services et Solidarité services sont à l'origine du préjudice qu'elles invoquent, compte tenu du mandat accordé, sans contrôle effectif, à Monsieur [H] et de l'absence de suivi du fonctionnement de leurs comptes, circonstances l'exonérant ainsi de sa responsabilité.

Le tribunal a en effet justement retenu que :

- la banque pouvait légitimement croire que Monsieur [H] disposait des autorisations nécessaires à l'utilisation des moyens de paiement des associations Ariel services et Solidarité services, ce d'autant plus que d'une part il détenait une procuration sur les comptes de l'association Unis vers l'emploi et que d'autre part il avait exercé des fonctions à responsabilité auprès des associations susvisées avant d'accéder à la sous-direction de l'association Unis vers l'emploi,

- le fonctionnement des associations démontre des défaillances dans le contrôle de la direction et dans la gestion des comptes bancaires, peu important la mise en place d'un procédé ingénieux par l'intéressé, notamment par l'utilisation d'écritures comptables fictives lui permettant de cacher ses détournements malgré les contrôles réalisés par le commissaire aux comptes, alors même qu'il est établi qu'il détenait les chéquiers et moyens de paiement des associations dans son bureau sans pour autant bénéficier d'une délégation de signature et qu'il s'est avéré que certains chèques ont même été signés par la directrice sans qu'aucun bénéficiaire n'y soit inscrit, permettant ainsi à Monsieur [H] de s'attribuer des fonds pour un montant supplémentaire de 49'000 euros,

- dès lors, la négligence de la direction dans la gestion des moyens de paiement est d'une gravité telle qu'elle constitue une faute ayant concouru à la réalisation du détournement,

- alors même que le détournement des chèques couvre une période de huit années, aucune réclamation n'a été formulée à réception des relevés bancaires par les associations ou le commissaire aux comptes, alors même qu'il a été procédé à l'établissement des comptes annuels et qu'aucun pointage n'a permis aux associations de découvrir les irrégularités qu'elles demandent à la banque de supporter,

- les associations ont ainsi par leur négligence fautive concouru totalement à leur préjudice en ne procédant pas à un contrôle de leurs comptes et en maintenant une confusion dans les prérogatives de leur salarié en sa qualité de directeur adjoint de l'association Unis vers l'emploi, groupe réunissant plusieurs associations dont celles pour lesquelles il exerçait les fonctions de directeur adjoint.

Le jugement qui a rejeté la demande d'indemnisation formée à l'encontre de la banque mérite dès lors d'être confirmé à ce titre.

- Sur la responsabilité de la banque pour négligence fautive :

Les appelantes soutiennent que le banquier ne peut s'exonérer de sa responsabilité lorsqu'il est lui-même fautif, tel le cas en l'espèce de la société Crédit mutuel qui a manqué à son obligation de vigilance.

Elles reprochent à ce titre à la banque de ne pas avoir vérifié que la signature du tireur était conforme au spécimen donné lors de l'ouverture du compte, le devoir de non-immixtion dans les comptes de ses clients et les relations privilégiées entre une banque et son client n'ayant pu libérer la société Crédit mutuel de son obligation de vérification.

Elles contestent l'existence d'un mandat apparent ayant autorisé la banque à ne pas vérifier les pouvoirs de Monsieur [H], lequel, en l'absence de tout document contractuel à ce titre, ne saurait être caractérisé par l'ancienne fonction à responsabilité de ce dernier au sein des associations.

Prenant en compte un partage de responsabilité dès lors qu'il existe un concours de fautes entre le banquier et le titulaire du compte, elles demandent à la cour de dire que la faute de la banque est prépondérante et que celle-ci doit indemniser les associations pour plus de 90 % du préjudice qu'elles chiffrent à hauteur du montant des chèques établis par Monsieur [H] à son profit.

Elles rappellent enfin qu'en présence de plusieurs responsables d'un même dommage, celui qui a obtenu condamnation contre une personne sans pouvoir se faire indemniser totalement, a la faculté d'agir contre une autre personne qu'il estime responsable ; qu'ainsi, M. [H] qui a été condamné à indemniser les associations, a fait l'objet d'une procédure de surendettement qui ne leur permet d'être indemnisées qu'à hauteur de 200 euros par mois depuis le mois d'octobre 2017.

La société Crédit mutuel rappelle l'existence du mandat apparent à laquelle elle pouvait légitimement croire et son obligation de non immixtion dans les comptes de ses clients ; elle fait valoir que les associations ont bénéficié de sommes perçues dans le cadre de l'exécution du jugement du tribunal correctionnel et qu'elle ne saurait être condamnée pour une somme supérieure au montant des chèques émis la première année ; elle ajoute que les associations échouent à démontrer l'existence d'un préjudice.

Sur ce :

Il résulte des dispositions de l'article 1147 du code civil, dans sa version applicable au litige, qu'un établissement bancaire a une obligation de vigilance concernant la vérification d'éléments substantiels de validité des chèques présentés au paiement, comme la conformité de la signature apposée sur les chèques avec celle du titulaire du compte.

Le devoir de vigilance de la banque est moindre lorsque le chèque lui est présenté par un préposé dont elle savait qu'il jouissait alors de la confiance du titulaire du compte.

Le tribunal a, par des motifs pertinents qui répondent aux moyens présentés en cause d'appel et que la cour adopte, justement retenu que l'absence de contestation pendant de nombreuses années, de la part des associations Ariel services et Solidarité services, a confirmé l'apparence de mandat à laquelle la banque pouvait légitimement croire.

En effet, le premier juge a justement pris en considération l'évolution de Monsieur [H] au sein des associations depuis 1992, la confiance qui lui a toujours été accordée par la direction et les relations privilégiées qui lui ont toujours été confiées en toute connaissance de cause par la direction, avec l'établissement bancaire, l'existence d'une procuration détenue par ce dernier au sein de l'association Unis vers l'emploi qui gérait les comptes de quatre autres associations dont les associations Ariel services et solidarité services, dont le fonctionnement ambigu et fautif ne peut être imputé à la banque.

Le tribunal a encore très justement retenu que si la société Crédit mutuel est soumise à une obligation de vigilance, elle ne doit pas pour autant porter atteinte à son devoir de non immixtion dans les comptes de ses clients ; qu'ainsi :

- le dépôt de chèques dont les montants n'excèdaient pas 3 000 euros, soit en l'espèce entre 2 586,25 euros et 2 890,35 euros, n'était pas de nature à alerter la banque sur le fonctionnement des comptes bancaires de ces associations et qu'ainsi elle n'a pas commis de faute en ne procédant pas une vérification précise du bénéficiaire des chèques litigieux,

- la régularité mensuelle des chèques émis par Monsieur [H] et leur montant quasi identique à chaque fois pouvait légitimement laisser croire au banquier qu'il s'agissait de salaires, ce dernier n'ayant pas l'obligation de rechercher et s'assurer que les salaires étaient tous virés plutôt que réglés par chèque au sein des associations.

Le jugement qui a considéré que les associations Ariel services et Solidarité services ne rapportaient pas la preuve d'un manquement de la société Crédit mutuel à son obligation de vigilance et qui a ainsi rejeté les demandes indemnitaires de ce chef, mérite dès lors d'être confirmé.

III Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Une indemnité supplémentaire en cause d'appel sera allouée à la société Crédit mutuel, à hauteur d'une somme de 4 000 euros, à la charge des associations Ariel services et Solidarité services qui succombent dans l'intégralité de leurs prétentions et doivent être déboutées en leur demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 8 janvier 2019 par le tribunal de grande instance de Lyon,

Y ajoutant,

Condamne les associations Ariel services et Solidarités services aux dépens avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Rebotier, avocat,

Déboute les associations Ariel services et Solidarités services de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les condamne à payer à la société Crédit mutuel de Villeurbanne Gratte-ciel, une indemnité de procédure de 4 000 euros de ce chef.