CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 3 octobre 2024, n° 24/01780
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Société Coopérative Ouvrière de Bâtiment (SCOPSA), Goto Capital (SAS)
Défendeur :
Pierres Investissement (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Masseron
Conseillers :
Mme Chopin, M. Najem
Avocats :
Me Pincent, Me Farthouat-Falek, Me Llorca
EXPOSE DU LITIGE
Exposant :
- avoir investi pour un montant total de 1.860.000 d'euros dans le produit « ICBS » (Immo Capital Builder Sytem) conçu par la société holding Marne et Finance (ayant pour activité principale l'acquisition de biens immobiliers et la gestion de ce patrimoine par la mise en location et la cession de ces biens), placement tenant à une participation en capital dans l'une des 130 sous-filiales de cette société, dite société support opérationnelle, associée à une promesse unilatérale de rachat des titres par Marne et Finance à un prix défini par pacte d'associés correspondant au capital investi majoré d'un intérêt de 6 %, ce placement s'étant toutefois avéré procéder de pratiques commerciales trompeuses justifiant des poursuites pénales actuellement en cours, la société Marne et Finance s'étant en particulier volontairement placée dans l'incapacité de procéder au rachat des titres en les faisant disparaître par des opérations de cession de ces titres à ses sous-filiales, puis d'absorption de ces sous-filiales par sa filiale la société Boissières Part, rebaptisée Pierres Investissement ;
- avoir des doutes sur la composition de l'actionnariat de la société Pierres Investissement, dans laquelle ils sont censés être désormais actionnaires (titulaires d'actions préférentielles), certains actionnaires n'ayant pas reçu de convocation à l'assemblée générale ordinaire du 30 novembre 2023 de la société Pierres Investissement et d'autres en ayant reçu une alors qu'ils ont cédé leurs titres, et n'être pas parvenus à obtenir en vue de cette assemblée générale une liste sincère des actionnaires conformément aux dispositions des articles L.225-116 et R.225-90 du code de commerce, par acte du 29 novembre 2023, MM. [T], [B], [H], [I], [GU], Mmes [N] épouse [E], [V] et les sociétés Goto capital et Scobat ont fait assigner devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris la société Pierres investissement et son dirigeant M. [OT], aux fins de voir :
enjoindre la société Pierres investissement et M. [OT], ès qualités de représentant légal de la société Pierres investissement, à leur communiquer la liste des actionnaires de la société Pierres investissement comportant les nom, prénom usuel et domicile de chaque titulaire d'actions nominatives et le nombre d'actions dont chaque actionnaire est titulaire au porteur, dans un délai de 48 heures à compter de la signification de l'ordonnance et, passé ce délai, sous astreinte de 9.000 euros par jour de retard,
juger que la société Pierres investissement et M. [OT], ès qualités de représentant légal de la société Pierres investissement, pourront le cas échéant être condamnés in solidum par le juge de l'exécution au paiement d'astreintes
liquidées à leur bénéfice,
condamner la société Pierres investissement à leur verser une somme de 9.000 euros au titre des frais irrépétibles,
condamner M. [OT], ès qualités de représentant légal de la société Pierres investissement, à leur verser une somme de 9.000 euros au titre des frais irrépétibles,
condamner in solidum la société Pierres investissement et M. [OT], ès qualités de représentant légal de la société Pierres investissement, aux entiers dépens, dont le coût du commissaire de justice et de l'ensemble de ses prestataires ayant effectué les opérations préalables à la délivrance de l'assignation.
Par ordonnance contradictoire du 12 décembre 2023, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a :
dit la demande irrecevable,
condamné la société Scobat, MM. [T], [B], [H], [I], [GU], Mmes [N] épouse [E], [V] et la société Goto capital à payer à la société Pierres investissement et M. [OT] la somme de 1.000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
laissé les dépens à la charge des demandeurs, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 194,85 euros TTC dont 32,26 euros de TVA.
Par déclaration du 12 janvier 2024, les sociétés Scobat et Goto capital, MM. [T], [B], [H], [I], [GU], Mmes [N] épouse [E] et [V] ont relevé appel de cette décision.
Dans leurs dernières conclusions déposées et notifiées le 28 juin 2024 ils demandent à la cour, de :
infirmer l'ordonnance de référé du 12 décembre 2023 en toutes ses dispositions,
Et, statuant à nouveau, enjoindre la société Pierres investissement et M. [OT], ès qualité de représentant légal de la société Pierres investissement, à communiquer à la société Scobat, MM. [T], [B], Mmes [N] épouse [E], [V], MM. [H], [I], [GU] et la société Goto capital, une liste des actionnaires de la société Pierres investissement conforme et complète à la date de prononcé de l'arrêt, comportant les nom, prénom usuel et domicile de chaque titulaire d'actions nominatives et le nombre d'actions dont chaque actionnaire est titulaire au porteur, en y intégrant les titulaires des 1.771.099 actions P manquantes dans la liste fournie fin 2023 et en y extrayant tout actionnaire ayant cédé en totalité ses titres avant l'émission par la société Pierres investissement des actions P, dans un délai de huit jours à compter de la signification de l'arrêt et, passé ce délai, sous astreinte de 9.000 euros par jour de retard, à la charge solidaire de la société Pierres investissement et de son président directeur général M. [OT] ;
condamner in solidum la société Pierres investissement et M. [OT] ès qualité de représentant légal de la société Pierre investissement, à verser à la société Scobat, MM. [T], [B], [H], [I], [GU], Mmes [N] épouse [E], [V] et à la société Goto capital une somme de 15.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel, condamner in solidum la société Pierres investissement et M. [OT] ès qualité de représentant légal de la société Pierres investissement aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont le coût du commissaire de justice ayant effectué les opérations préalables à la délivrance de l'assignation, d'un montant de 2.604,65 euros.
Les appelants soutiennent que leur action a été de façon inexpliquée déclarée irrecevable par le premier juge, alors qu'ils ont agi en référé avant la tenue de l'assemblée générale du 30 novembre 2023 (dont ils poursuivent l'annulation par une action au fond) et que le droit à l'information dont ils sont les créanciers en leur qualité d'actionnaires a été sciemment lésé par la société Pierres investissement et sa gouvernance, d'abord en empêchant la consultation de la liste à son siège social (factice), et ensuite en transmettant en dernière minute une liste d'actionnaires volontairement tronquée et insincère dans son contenu, cela afin notamment de les empêcher de se coaliser avec les autres propriétaires d'actions avant l'assemblée générale, de vérifier les anomalies de la liste, d'analyser les proportions respectives dans lesquelles leurs droits sociaux ont été dilués, d'obtenir une régularisation de la liste pour les prochaines assemblées générales. Ils expliquent faire la preuve de l'insincérité de la liste d'actionnaires qui leur a été fournie, celle-ci comportant des personnes ayant cédé leurs titres et omettant à l'inverse des actionnaires que la société Pierre investissement a manifestement fait disparaître.
Dans leurs dernières conclusions déposées et notifiées le 24 juin 2024, la société Pierres investissement et M. [OT] demandent à la cour, de :
les recevoir en toutes leurs demandes,
Les y déclarant bien fondés, y faisant droit,
débouter la société Scobat, MM. [T], [B], [H], [I], [GU], Mmes [N] épouse [E], [V] et la société Goto capital de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;
confirmer l'ordonnance du 12 décembre 2023 en ce qu'elle a :
déclaré irrecevables les demandes de la société Scobat, MM. [T], [B], [H], [I], [GU], Mmes [N] épouse [E], [V] et de la
société Goto capital ;
condamné la société Scobat, MM. [T], [B], [H], [I], [GU], Mmes [N] épouse [E], [V] et la société Goto capital à payer à la société Pierres investissement et M. [OT] la somme de 1.000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Y ajoutant,
condamner conjointement et solidairement la société Scobat, MM [T], [B], [H], [I], [GU], Mmes [N] épouse [E], [V] et la société Goto capital à payer chacun à la société Pierres investissement et à M. [OT], chacun, la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de la procédure d'appel.
Les intimés soutiennent que la société Pierres investissement est allée au-delà de son obligation légale de tenir la liste d'actionnaires consultable sur place à son siège social, en l'adressant aux appelants, lesquels sont irrecevables à agir faute d'intérêt dès lors qu'ils ont obtenu la liste sollicitée fin novembre et début décembre 2023. Ils contestent l'insincérité de cette liste, observant que les textes n'imposent pas qu'elle soit exempte d'erreurs.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
SUR CE, MOTIFS
Les appelants fondent leur action sur les dispositions de l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile, aux termes desquelles le juge des référés, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit de l'obligation de faire.
Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l'un des moyens de défense opposés aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.
Les appelants se prévalent précisément de l'obligation (de faire) de la société Pierres Investissement de communiquer la liste complète et sincère de ses actionnaires en application des articles L 225-116 et R 225-90 du code de commerce.
Selon le premier de ces textes, « Avant la réunion de toute assemblée générale tout actionnaire a le droit d'obtenir, dans les conditions et les délais déterminés par décret en Conseil d'Etat, communication de la liste des actionnaires. »
Selon le second, « En application des dispositions de l'article L 225-116, l'actionnaire a le droit pendant le délai de quinze jours qui précède la réunion de l'assemblée générale de prendre connaissance ou copie aux lieux prévus à l'article R. 225-89, de la liste des actionnaires.
A cette fin, la liste des actionnaires est arrêtée par la société le seizième jour qui précède la réunion de l'assemblée. Elle contient les nom, prénom usuel et domicile de chaque titulaire d'actions nominatives. Le nombre d'actions dont chaque actionnaire est titulaire au porteur est en outre mentionné. »
La liste d'actionnaires soumise à l'obligation légale d'information et de communication de la société s'entend nécessairement d'une liste correspondant à la réalité et donc complète et sincère.
Il est constant qu'une liste des actionnaires a été communiquée par la société Pierres Investissement fin novembre, début décembre 2023, que les actionnaires demandeurs puis appelants estiment toutefois insincère car omettant des actionnaires qui devraient y figurer et mentionnant des actionnaires qui ont perdu cette qualité pour avoir cédé leurs titres, maintenant en conséquence leur demande de communication d'une liste conforme à la réalité et complète.
Cette demande ne peut prospérer en référé que s'il est démontré l'inexactitude évidente de la liste fournie et, partant, le caractère non sérieusement contestable de l'inexécution alléguée.
Les appelants soutiennent en premier lieu que conformément à l'annexe 7.1 des statuts de la société Pierres investissement, la liste des actionnaires devrait comporter un montant total d'actions préférentielles de 18.433.957 correspondant au comptage qui en été fait par le cabinet Abergel & Associés dans son rapport du 17 août 2022, alors que sur la liste fournie ce montant total est de 16.662.855, soit un différentiel de 1.771.099 actions préférentielles dont les titulaires ont dès lors été omis sur la liste produite.
La société Pierres investissement explique cette différence par le fait que les valorisations appréciées par le cabinet Abergel & Associés le 7 août 2022 incluaient quatre sociétés supplémentaires : les sociétés Lomme, Du Gatinais, Les Portes du Gatinais et Balzacimmag. En effet, poursuit-elle, le rapport Abergel a pris en considération les valeurs de chaque société participant à l'opération de fusion afin de déterminer le nombre d'actions préférentielles de la société Pierres Investissement, ce qui incluait ces quatre sociétés. Cependant, ces sociétés n'ont pas fait l'objet de fusions, elles ont été sorties du périmètre d'action.
Il se déduit logiquement de cette explication que les titulaires des 1.771.099 actions manquantes sont restés actionnaires des sociétés Lomme, Du Gatinais, Les Portes du Gatinais et Balzacimmag, lesquelles n'ont pas été absorbées par la société Pierres investissement, auquel cas leur omission de la liste des actionnaires de cette dernière n'est pas anormale.
Aucun élément n'est cependant produit par les appelants, qui ont la charge de prouver le caractère incomplet de la liste communiquée, aucun élément permettant de vérifier ce fait, tel que des attestations, lettres ou courriels des quatre sociétés citées. L'omission d'actionnaires de la liste litigieuse n'est donc pas certaine. Partant, l'obligation de (re)faire de l'intimée est sérieusement contestable.
Les appelants soutiennent en second lieu que des actionnaires ne devraient pas figurer sur la liste qui a été communiquée, ayant cédé leurs actions, citant à titre d'exemples neuf actionnaires : la société AMSGP, Mme [Y] [K], M. [W] [K], Mme [F] [C], la société Herbretaise Finances, M. [A] [L], M. [R] [YI], Mme [O] [G], M. [P] [G].
Cependant, outre que la réalité des cessions invoquées est imparfaitement démontrée par de simples ordres de cession émanant des titulaires d'actions, sauf en ce qui concerne Mme [G] pour laquelle un contrat de cession signé des deux parties est versé aux débats, le nombre d'actions figurant sur ces ordres de cession et ce contrat de cession ne correspond pas à celui mentionné sur la liste litigieuse à côté du nom de chacune des personnes concernées, et cela pour aucun des neuf actionnaires cités en exemple, si bien que chacune de ces personnes a pu ne céder qu'une partie de ses actions et ainsi demeurer actionnaire de la société Pierres Investissement. Il n'est pas justifié du nombre des actions que ces personnes ont souscrites au départ, de sorte qu'il n'est pas établi que les cessions invoquées ont porté sur la totalité de ces actions.
Il n'est donc pas démontré de manière certaine que des actionnaires figurant sur la liste communiquée par la société
Pierres investissements ne devraient plus y être mentionnés pour avoir perdu la qualité d'actionnaire de cette société.
L'obligation de (re)faire de cette dernière est là aussi sérieusement contestable.
En conséquence, si l'action des demandeurs et appelants est incontestablement recevable contrairement à ce qu'a dit le premier juge (sans toutefois le motiver), leur intérêt à la communication d'une liste sincère étant évidemment caractérisé, leur action est mal fondée.
L'ordonnance entreprise sera donc infirmée en ce qu'elle a déclaré l'action irrecevable et, statuant à nouveau, la cour déboutera les appelants de leurs demandes.
Parties perdantes, les sociétés Scobat et Goto capital, MM. [T], [B], [H], [I], [GU], Mmes [N] épouse [E] et [V] seront condamnés in solidum aux entiers dépens de première instance et d'appel, l'ordonnance étant confirmée sur ce point.
L'équité commande toutefois d'exclure l'application de l'article 700 du code de procédure civile, tant en première instance qu'en appel, l'ordonnance étant infirmée de ce chef.
PAR CES MOTIFS
Infirme l'ordonnance entreprise, sauf en ce qu'elle a laissé les dépens à la charge des demandeurs,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare recevable l'action des sociétés Scobat et Goto capital, de MM. [T], [B], [H], [I], [GU] et de Mmes [N] épouse [E] et [V] ;
Déboute de leurs demandes les sociétés Scobat et Goto capital, MM. [T], [B], [H], [I], [GU], Mmes [N] épouse [E] et [V],
Condamne in solidum aux dépens de l'instance d'appel les sociétés Scobat et Goto capital, MM. [T], [B], [H], [I], [GU],
Mmes [N] épouse [E] et [V],
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile, tant en première instance qu'en appel.