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Décisions

CJUE, 10e ch., 24 octobre 2024, n° C-347/23

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

Question préjudicielle

PARTIES

Défendeur :

Getin Noble Bank (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Gratsias

Juges :

M. Jarukaitis, M. Csehi (rapporteur)

Avocat général :

M. Collins

Avocat :

Me Budzewski

CJUE n° C-347/23

23 octobre 2024

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation de l'article 2, sous b), de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant LB et JL à Getin Noble Bank S.A. au sujet d'une demande de remboursement des mensualités payées au titre d'un contrat de crédit hypothécaire indexé sur une devise étrangère.

Le cadre juridique

Le droit de l'Union

3 Le dixième considérant de la directive 93/13 énonce :

« considérant qu'une protection plus efficace du consommateur peut être obtenue par l'adoption de règles uniformes concernant les clauses abusives ; que ces règles doivent s'appliquer à tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur ; que, par conséquent, sont notamment exclus de la présente directive les contrats de travail, les contrats relatifs aux droits successifs, les contrats relatifs au statut familial ainsi que les contrats relatifs à la constitution et aux statuts des sociétés ».

4 L'article 2 de cette directive est rédigé dans les termes suivants :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

b) “consommateur” : toute personne physique qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle ;

c) “professionnel” : toute personne physique ou morale qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit dans le cadre de son activité professionnelle, qu'elle soit publique ou privée. »

Le droit polonais

5 L'article 221 de l'ustawa – Kodeks cywilny (loi portant code civil), du 23 avril 1964 (Dz. U. no 16, position 93), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « code civil »), définit le « consommateur » comme étant « toute personne physique qui accomplit avec un professionnel un acte juridique qui n'est pas directement lié à son activité professionnelle ».

6 En vertu de l'article 431 du code civil, un professionnel est une personne physique, une personne morale ou une unité organisationnelle visée à l'article 331, paragraphe 1, de ce code, exerçant en son nom propre une activité professionnelle.

7 Aux termes de l'article 3851, paragraphes 1 et 2, du code civil :

« 1. Les clauses d'un contrat conclu avec un consommateur qui n'ont pas fait l'objet d'une négociation individuelle ne lient pas ce consommateur lorsqu'elles définissent les droits et obligations de celui‑ci d'une façon contraire aux bonnes mœurs, en portant manifestement atteinte à ses intérêts (clauses illicites). La présente disposition n'affecte pas les clauses qui déterminent les prestations principales des parties, dont le prix ou la rémunération, si elles sont formulées de manière non équivoque.

2. Lorsqu'une clause du contrat ne lie pas le consommateur en application du paragraphe 1, les parties restent liées par les autres dispositions du contrat. »

8 L'article 3852 du code civil prévoit :

« La compatibilité des clauses d'un contrat avec les bonnes mœurs est appréciée au regard de la situation ayant cours au moment de la conclusion de ce contrat, en tenant compte du contenu, des circonstances qui entourent la conclusion de celui-ci ainsi que des autres contrats liés audit contrat, dans lequel figurent les dispositions qui font l'objet de l'appréciation. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

9 En 2008, les requérants au principal, LB et JL, formaient un couple marié résidant à Londres (Royaume-Uni) où ils n'exerçaient aucune activité commerciale. LB était officier de police judiciaire et JL était directrice d'école.

10 Au cours de cette année, les requérants au principal ont conclu avec le prédécesseur en droit de Getin Noble Bank un contrat de crédit hypothécaire indexé sur le franc suisse (CHF), stipulant un taux d'intérêt variable et un remboursement de ce crédit en zlotys polonais (PLN) (ci-après le « contrat de crédit hypothécaire »).

11 Les requérants au principal ont conclu le contrat de crédit hypothécaire aux fins de l'acquisition d'un bien immobilier résidentiel situé à Varsovie (Pologne), destiné à être loué à titre onéreux. Les loyers servaient principalement au remboursement des mensualités de ce contrat de crédit hypothécaire. Les requérants au principal n'ont pas mis d'autres biens immobiliers en location.

12 Afin de réaliser un tel projet, les requérants au principal ont recouru aux services de JP, un gestionnaire immobilier exerçant son activité professionnelle en Pologne, lequel est devenu leur mandataire et les a représentés lors de la conclusion du contrat de crédit hypothécaire, du contrat d'achat de ce bien immobilier, du contrat de bail relatif à la mise en location de celui-ci et du contrat de services aux locataires.

13 En 2019, les requérants au principal avaient remboursé la totalité de leur crédit hypothécaire et ont vendu ledit bien immobilier.

14 Le 27 décembre 2019, les requérants au principal ont saisi le Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional de Varsovie, Pologne), qui est la juridiction de renvoi, d'une demande visant à obtenir le remboursement de toutes les sommes versées en exécution de ce contrat de crédit hypothécaire. Ils font valoir que ledit contrat de crédit hypothécaire comporte des clauses abusives entraînant sa nullité.

15 À cet égard, la juridiction de renvoi indique que les clauses du contrat de crédit hypothécaire prévoyant l'indexation de ce crédit sur le cours du franc suisse, qui définissent l'objet principal de ce contrat de crédit hypothécaire, ont un caractère abusif au motif qu'elles n'ont pas fait l'objet d'une négociation individuelle, qu'elles n'ont pas été rédigées dans un langage clair et compréhensible et qu'elles sont contraires aux exigences de bonne foi, créant ainsi au détriment des requérants au principal un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat de crédit hypothécaire.

16 Toutefois, la juridiction de renvoi s'interroge sur la possibilité de qualifier les requérants au principal de « consommateurs », au sens de la directive 93/13. Dans l'affirmative, les dispositions de la directive 93/13 s'appliqueraient, de sorte que cette juridiction pourrait déclarer la nullité du contrat de crédit hypothécaire.

17 À cet égard, la juridiction de renvoi fait observer que la mise en location d'un bien immobilier à titre onéreux vise à générer des profits, ce qui est l'objectif principal de l'exploitation d'une entreprise.

18 Cependant, il serait également envisageable de considérer que, en obtenant un crédit immobilier en vue d'acquérir un seul local destiné à être mis en location, l'emprunteur agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre d'une activité professionnelle et que, partant, il y aurait lieu de qualifier un tel emprunteur de « consommateur », au sens de l'article 2, sous b), de la directive 93/13.

19 En effet, eu égard au périmètre restreint de l'activité concernée, celle-ci ne serait pas caractéristique de l'activité d'une entreprise. En outre, les requérants au principal étant, au moment de la conclusion du contrat de crédit hypothécaire, employés dans le cadre de contrats de travail et n'exerçant pas la profession de gestionnaire immobilier, la mise en location de biens immobiliers ne constituerait pas un objectif professionnel important pour eux et n'aurait pas non plus été destinée à être leur principale source de revenus, mais procéderait d'une forme d'investissement qui, en tant que telle, ne serait pas liée à une entreprise. Enfin, la reconnaissance de la qualité de « consommateur » à l'emprunteur, dans une situation telle que celle en cause au principal, répondrait davantage à l'objectif de la directive 93/13 de protéger les consommateurs contre les clauses contractuelles abusives.

20 C'est dans ces conditions que le Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional de Varsovie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L'article 2, sous b) et c), de la directive [93/13] doit-il être interprété en ce sens qu'une personne physique qui conclut un contrat de crédit hypothécaire en vue d'obtenir des fonds pour l'acquisition d'un seul local, destiné à être mis en location à titre onéreux (buy-to-let), doit être considérée comme étant un “consommateur”, au sens de cette directive ? »

Sur la question préjudicielle

21 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'article 2, sous b), de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu'une personne physique qui conclut un contrat de crédit hypothécaire afin de financer l'achat d'un seul bien immobilier résidentiel pour le mettre en location à titre onéreux relève de la notion de « consommateur », au sens de cette disposition.

22 À titre liminaire, il convient de rappeler que, ainsi que l'énonce le dixième considérant de la directive 93/13, les règles uniformes concernant les clauses abusives doivent, sous réserve des exceptions énumérées à ce considérant, s'appliquer à « tout contrat » conclu entre un professionnel et un consommateur, tels que définis à l'article 2, sous b) et c), de cette directive [arrêt du 8 juin 2023, YYY. (Notion de « consommateur »), C‑570/21, EU:C:2023:456, point 33 et jurisprudence citée].

23 Conformément à cet article 2, sous b), est un « consommateur » toute personne physique qui, dans les contrats relevant de ladite directive, agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle. Par ailleurs, conformément audit article 2, sous c), est un « professionnel » toute personne physique ou morale qui, dans les contrats relevant de la même directive, agit dans le cadre de son activité professionnelle, qu'elle soit publique ou privée.

24 C'est donc par référence à la qualité des contractants, selon qu'ils agissent ou non dans le cadre de leur activité professionnelle, que la directive 93/13 définit les contrats auxquels elle s'applique [arrêt du 8 juin 2023, YYY. (Notion de « consommateur »), C‑570/21, EU:C:2023:456, point 34 et jurisprudence citée].

25 Ainsi, la qualité de « consommateur » de la personne concernée doit être déterminée au regard d'un critère fonctionnel, consistant à apprécier si le rapport contractuel concerné s'inscrit dans le cadre d'activités étrangères à l'exercice d'une profession. La Cour a, en outre, eu l'occasion de préciser que la notion de « consommateur », au sens de l'article 2, sous b), de la directive 93/13, a un caractère objectif et est indépendante des connaissances concrètes que la personne concernée peut avoir ou des informations dont cette personne dispose réellement (arrêt du 8 juin 2023, Lyoness Europe, C‑455/21, EU:C:2023:455, point 48 et jurisprudence citée).

26 À cet égard, il convient de rappeler que le consommateur se trouve dans une situation d'infériorité à l'égard du professionnel, en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d'information, situation qui le conduit à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci (arrêt du 21 mars 2019, Pouvin et Dijoux, C‑590/17, EU:C:2019:232, point 25 ainsi que jurisprudence citée).

27 Or, la Cour a déjà jugé qu'une conception large de la notion de « consommateur », au sens de l'article 2, sous b), de la directive 93/13, permet, le cas échéant, d'assurer la protection accordée par cette directive à l'ensemble des personnes physiques se trouvant dans une situation d'infériorité à l'égard du professionnel [arrêt du 8 juin 2023, YYY. (Notion de « consommateur »), C‑570/21, EU:C:2023:456, point 37 et jurisprudence citée].

28 Dans ces conditions, le caractère impératif des dispositions figurant dans la directive 93/13 et les exigences particulières de protection du consommateur qui leur sont liées requièrent qu'une interprétation large de la notion de « consommateur », au sens de l'article 2, sous b), de cette directive, soit privilégiée, afin d'assurer l'effet utile de cette dernière [arrêt du 8 juin 2023, YYY. (Notion de « consommateur »), C‑570/21, EU:C:2023:456, point 38].

29 Il convient, en outre, de rappeler que, dans le cadre d'un contrat de crédit conclu avec un professionnel, dès lors que le codébiteur se trouve dans une situation analogue à celle du débiteur, en termes d'obligations contractuelles, à l'égard de ce professionnel avec lequel ils ont signé un contrat, il n'y a pas lieu de faire de distinction entre le débiteur et le codébiteur en ce qui concerne l'application de la directive 93/13 à ce contrat spécifique. Partant, relève aussi de la notion de « consommateur », au sens de l'article 2, sous b), de la directive 93/13, dans le cadre d'un tel contrat, la personne physique qui se trouve dans la situation d'un codébiteur lorsqu'elle agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle [voir, en ce sens, arrêt du 8 juin 2023, YYY. (Notion de « consommateur »), C‑570/21, EU:C:2023:456, point 52 et jurisprudence citée].

30 Conformément à une jurisprudence constante, il incombe au juge national saisi d'un litige portant sur un contrat susceptible d'entrer dans le champ d'application de la directive 93/13 de vérifier, en tenant compte de l'ensemble des éléments de preuve et notamment des termes de ce contrat, si la personne concernée peut être qualifiée de « consommateur », au sens de cette directive. Pour ce faire, le juge national doit tenir compte de toutes les circonstances de l'espèce, et notamment de la nature du bien ou du service faisant l'objet du contrat en cause, susceptibles de démontrer à quelle fin ce bien ou ce service est acquis (arrêt du 8 juin 2023, Lyoness Europe, C‑455/21, EU:C:2023:455, point 49 et jurisprudence citée).

31 Par conséquent, lorsque deux personnes physiques concluent un contrat de crédit hypothécaire afin de financer l'acquisition d'un bien immobilier résidentiel, il appartient au juge national d'établir, en prenant en considération notamment la nature du bien faisant l'objet de ce contrat, si ces personnes physiques ont agi dans le cadre de leur activité professionnelle ou si elles ont agi à des fins étrangères à cette activité.

32 En l'occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que les requérants au principal sont des personnes physiques qui, au moment de la conclusion du contrat de crédit hypothécaire, étaient employées respectivement en tant qu'officier de police judiciaire et en tant que directrice d'école. Par ailleurs, ils n'exerçaient aucune activité commerciale à titre professionnel dans le domaine de la gestion immobilière. Il en ressort également qu'ils ont conclu ce contrat de crédit hypothécaire afin de financer l'acquisition d'un seul bien immobilier résidentiel, situé à Varsovie, destiné à être loué à titre onéreux, et que les revenus locatifs ont servi principalement à payer les mensualités du prêt. Les requérants au principal n'avaient pas mis d'autres biens immobiliers en location.

33 Partant, il apparaît, sous réserve des vérifications qu'il appartiendra à la juridiction de renvoi d'effectuer, que la conclusion du contrat de crédit hypothécaire en cause ne poursuivait pas, pour les requérants au principal, une finalité professionnelle, mais visait à consolider leur patrimoine privé, l'acquisition du bien immobilier résidentiel financé par ce crédit constituant pour eux une forme d'investissement.

34 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par le fait que les requérants au principal avaient l'intention de mettre ce bien immobilier résidentiel en location afin d'en tirer des avantages financiers, ni même par la circonstance qu'ils ont eu recours aux services d'un spécialiste pour effectuer l'achat et gérer la location de celui-ci.

35 En particulier, ainsi qu'il résulte de la jurisprudence, une interprétation de la notion de « consommateur », au sens de l'article 2, sous b), de la directive 93/13, qui exclurait de cette notion une personne physique agissant à des fins qui n'entrent pas dans le cadre d'une activité professionnelle au motif qu'elle en tire certains avantages financiers reviendrait à empêcher que puisse être assurée la protection accordée par cette directive à l'ensemble des personnes physiques se trouvant dans une situation d'infériorité à l'égard d'un professionnel et faisant un usage non professionnel des services offerts par ce dernier (voir, en ce sens, arrêt du 8 juin 2023, Lyoness Europe, C‑455/21, EU:C:2023:455, point 53).

36 Eu égard à l'ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l'article 2, sous b), de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu'une personne physique qui conclut un contrat de crédit hypothécaire afin de financer l'achat d'un seul bien immobilier résidentiel pour le mettre en location à titre onéreux relève de la notion de « consommateur », au sens de cette disposition, lorsque cette personne physique agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle. Le seul fait que ladite personne physique cherche à tirer des revenus de la gestion de ce bien immobilier ne saurait, en soi, conduire à exclure la même personne de la notion de « consommateur », au sens de ladite disposition.

Sur les dépens

37 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :

L'article 2, sous b), de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs,

doit être interprété en ce sens que :

une personne physique qui conclut un contrat de crédit hypothécaire afin de financer l'achat d'un seul bien immobilier résidentiel pour le mettre en location à titre onéreux relève de la notion de « consommateur », au sens de cette disposition, lorsque cette personne physique agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle. Le seul fait que ladite personne physique cherche à tirer des revenus de la gestion de ce bien immobilier ne saurait, en soi, conduire à exclure la même personne de la notion de « consommateur », au sens de ladite disposition.