CA Saint-Denis de la Réunion, ch. civ. tgi, 13 mai 2022, n° 21/00549
SAINT-DENIS DE LA RÉUNION
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Tropic Voyages (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chevrier
Conseillers :
Mme Flauss, Mme Issad
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LA COUR
Exposé du litige
Le 13 août 2018 Monsieur A. a fait l'acquisition auprès de la société TROPIC VOYAGES, en son établissement de Saint-Pierre, de 5 billets d' avion aller-retour Réunion-Johannesburg et 5 billets aller-retour Johannesburg- Rio de Janeiro et de trois nuits d'hôtel à San Paulo pour un voyage devant se dérouler du 9 au 29 janvier 2019.
Le 29 janvier 2019, alors que le retour de Mr A. et de ses proches devait s'effectuer selon le parcours suivant : Sao Paulo -Johannesburg -Maurice-Réunion, ce dernier a été modifié lorsque à Sao Paulo la compagnie d'aviation a refusé de les embarquer pour l'Afrique du Sud en l'absence de vaccination contre la fièvre jaune.
Monsieur A. a été contraint de modifier la destination de son voyage pour rejoindre l'Île de la Réunion en transitant par Paris et d'acheter des billets d’avion aller-retour Paris- la Réunion pour un total de 3 929,80 €.
Par lettre du 2 février 2019 Monsieur A. a demandé à la SAS TROPIC VOYAGES de l'indemniser au titre, notamment de cette dépense induite par l'impossibilité d'entrer en Afrique du Sud.
Le 4 septembre 2019, la société TROPIC VOYAGES a opposé à Monsieur A. un refus en affirmant avoir rempli son obligation de conseil dès lors qu’elle avait informé ce dernier Monsieur A. de la nécessité de rester informé sur des formalités à accomplir.
Toutefois, elle a proposé comme geste commercial lui allouer une somme de 2 200 €.
Le 28 juillet 2020, le Médiateur Tourisme et Voyage qui a été saisi par Monsieur A. a émis un avis aux termes duquel " Au vu de ces constatations de droit et de fait, j'estime que si le vaccin faisait partie des conditions d'accès officielles au pays de destination, l’agence était tenue d'en informer les clients, et doit ainsi les rembourser à hauteur des nouveaux billets achetés, si elle n'apporte pas la preuve de les avoir informés.
Dans le cas où ces informations ne feraient pas partie des conditions d'accès officielles au pays de destination, l’agence n'était pas tenue d'en informer les clients et le geste commercial proposé devra être vu comme suffisant. ".
Par lettre du 20 août 2020 le Conseil de Monsieur A. a demandé à TROPIC VOYAGES de revoir sa position.
Le 12 novembre 2020, Monsieur A. a assigné la SAS TROPIC VOYAGE aux fins de voir juger que la société TROPIC VOYAGES avait manqué à son obligation préalable d'information et de la voir condamner à payer les sommes de 3 929,80 € en réparation de son préjudice matériel, 3 000 € en réparation de son préjudice moral et 1 500 € sur le fondement de |'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de |'instance.
Par jugement réputé contradictoire du 18 mars 2021 le tribunal judiciaire de Saint-Pierre a :
-condamné la SAS TROPIC VOYAGE représentée par son représentant légal à payer à Monsieur Ramou A. la somme de 3.929,80 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement en réparation de son préjudice matériel ;
-condamné la SAS TROPIC VOYAGE représentée par son représentant légal à payer à Monsieur Ramou A. la somme de 800 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement en réparation de son préjudice moral ;
-condamné la SAS TROPIC VOYAGE représentée par son représentant légal à payer à Monsieur Ramou A. la somme de 1.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
-condamné la SAS TROPIC VOYAGE représentée par son représentant légal aux dépens de l'instance ;
-rappelé que l'exécution provisoire de la présente décision est de droit.
Par déclaration du 25 mars 2021 notifiée par RPVA la SAS TROPIC VOYAGES a interjeté appel de ce jugement.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 14 octobre 2021.
Moyens et prétentions des parties
Dans ses conclusions notifiées par RPVA le 25 juin 2021, la société TROPIC VOYAGES demande à la cour de :
-infirmer le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de SAINT-PIERRE en date du 1er mars 2021 ;
-condamner la SAS TROPIC VOYAGES à verser à Monsieur A. la somme de 1.964,90 euros en réparation de son entier préjudice financier ;
-juger n'y avoir lieu à réparation du préjudice moral lequel est insuffisamment démontré ;
-annuler la condamnation de la SAS TROPIC VOYAGES à verser à Monsieur A. la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
-dire n'y avoir lieu a article 700 en cause d'appel.
La société TROPIC VOYAGES soutient que le tribunal en ne faisant pas fait droit à la demande de réouverture lui a fait grief.
Elle fait valoir que la non-réouverture des débats en l'espèce est particulièrement attentatoire aux droits de la défense et au droit à un procès équitable pour plusieurs raisons :
- L'assignation mentionne l'absence du destinataire, en l'espèce une agence de voyage, un jour de semaine non chômé,
- L'assignation mentionne la remise d'un avis de passage de sorte qu'il est probable que le défendeur n'ait pas été touché,
- L'affaire a été retenue dès la première audience alors même qu'il est spécifié par huissier de justice que l'assignation n'a pas été délivrée à personne,
- Un acte de constitution d'avocat avec demande de réouverture des débats est intervenu 15 jours après l'audience du 25 janvier 2021 faisant état de la situation et de la volonté pour la société TROPIC VOYAGES de faire valoir ses arguments.
La société TROPIC VOYAGES demande à la cour d'infirmer le jugement qui a accordé une réparation excessive à Monsieur A. et de n'octroyer à ce dernier qu'un remboursement partiel des billets d’avion PARIS-REUNION, soit uniquement la fraction tenant à un aller simple vers la REUNION soit 1.964,90 euros.
Elle soutient qu'un aller simple suffisait à Monsieur A. et à sa famille pour regagner l'île et que rien ne justifiait l'acquisition de billets aller-retour de sorte que ce surcoût ne peut légitimement être supporté par l’agence de voyage, le billet retour vers la métropole ne présentant aucun lien direct avec la faute imputable à TROPIC VOYAGES.
Elle fait valoir qu'aucun élément ne corrobore les dires de Monsieur A. s'agissant du préjudice moral subi. Ce dernier ne démontrant pas en quoi le changement de vol était générateur d'angoisse alors qu'il n'avait pas contacté l’agence depuis le Brésil.
Dans ses conclusions notifiées par RPVA le 29 septembre 2021, Monsieur A. demande à la cour de :
-confirmer le jugement attaque en ce qu'il a :
Condamné la SAS TROPIC VOYAGES à lui payer la somme de 3 929,80 € en réparation de son préjudice matériel,
Condamné la SAS TROPIC VOYAGES à lui payer la somme de 800 € en réparation de son préjudice moral,
Condamné la SAS TROPIC VOYAGES à lui payer la somme de 1000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamné la SAS TROPIC VOYAGES aux dépens de l'instance.
-débouter la SAS TROPIC VOYAGES de toutes ses demandes plus amples ou contraires,
Statuant à nouveau
-condamner la SAS TROPIC VOYAGES à lui payer la somme de 1.500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamner la SAS TROPIC VOYAGES aux dépens de l'instance d'appel.
Elle soutient que l’agence de voyages est tenue au visa des articles L211-8 et R 211-4 du code du tourisme d’informer le client des conditions précises d' utilisation du billet , parmi lesquelles figurent les conditions d' entrée sur le territoire de l'État destinataire.
L’agence ayant manqué à son obligation d'information, elle doit réparer le préjudice matériel et moral supporté par son client qui a été contraint d'acheter des billets d’avion représentant un coût total de 3.929,80 € pour pouvoir rentrer à la REUNION.
Elle fait observer qu'il ne saurait lui être reproché le fait qu'il aurait pu prendre des billets simples pour revenir à la REUNION alors que l’agence lui a vendu des billets Aller-Retour en lui expliquant qu'ils étaient moins chers que des billets allers simples.
Il soutient que cette dépense est en lien direct et exclusif avec la faute commise par l’agence qui devra être déboutée de sa demande de partage par moitié des frais de transport ;
Il sollicite la confirmation du jugement de première instance qui lui a alloué au titre du préjudice matériel subi la somme de 3.929,80 € et la somme de 800 euros au titre du préjudice moral.
L'incertitude pesant sur son retour et sur celui de ses proches avec lesquels il voyageait a généré une anxiété qui doit être réparée.
Monsieur A. rappelle qu'il était accompagné de ses trois enfants âgés de 16, 15 et 6 ans au moment des faits, qu'ils ont passé des heures débout au comptoir de la compagnie LATHAM qui devait les acheminer vers l'Afrique du Sud mais qui avait refusé de le faire en raison des contraintes sanitaires, qu'ils étaient arrivés à l'aéroport de SAOPAULO à 15 heures 40 et avaient quitté la ville de 23 heures 40.
* * *
Pour un exposé plus détaillé des moyens et prétentions des parties, la Cour renvoie aux écritures déposées et développées à l'audience, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la non réouverture des débats
La société Tropic Voyages ne reprend pas dans le dispositif de ses conclusions l'argument selon lequel la non-réouverture des débats, en première instance, est particulièrement attentatoire aux droits de la défense et au droit à un procès équitable pour plusieurs raisons :
La cour n'a pas à statuer sur ce point puisqu' elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions, en application de l'article 954 du code de procédure civile.
Il sera toutefois rappelé que l'article 444 du code de procédure civile prévoit deux hypothèses dans lesquelles la réouverture des débats constitue une obligation pour le président de la juridiction. D'une part, les débats doivent être repris en cas de changement dans la composition du tribunal après l'ouverture des débats et d'autre part, la réouverture des débats s'impose lorsque " les parties n'ont pas été à même de s'expliquer contradictoirement sur les éclaircissements de droit ou de fait qui leur avaient été demandés "
En dehors de ces deux hypothèses, le président de la juridiction dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour décider de la réouverture des débats, la décision de réouverture des débats constituant alors une mesure d'administration judiciaire insusceptible de recours.
En l'espèce, en considérant que malgré la persistance de l'état d'urgence sanitaire et la fermeture de l’agence de Saint Pierre ce dont il n'était toutefois pas justifié, la partie défenderesse avait disposé d'un temps suffisant pour relever sa boite aux lettres, prendre connaissance de l'audience et à minima être présente à l'audience pour en solliciter le renvoi, le président a exercé son pouvoir discrétionnaire.
Sur la responsabilité de la société TROPIC VOYAGES
La société a vendu aux demandeurs un ensemble de billets d’avion pour un périple entre la Réunion, l'Afrique du Sud et le Brésil.
Aux termes de l'article L. 211-1 du code du tourisme, les opérations de réservation ou de vente de billets de transport n'entrent pas dans un forfait touristique et par voie de conséquence, les dispositions du code du tourisme, relatives aux règles de la vente des voyages et de séjours et le principe de responsabilité de plein droit n'ont pas vocation à s'appliquer au cas d'espèce.
Le jugement déféré ne pourra dès lors qu'être infirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité de la SAS TROPIC VOYAGES pour des prestations n'entrant pas dans le cadre d'un forfait touristique sur le fondement des dispositions de l'article L. 211-8 du code du tourisme.
Il entre dans les obligations de l’agence de voyage, en tant que professionnel mandataire de son client à qui elle vend un billet d’avion , celle de l' informer des conditions précises d' utilisation de ce billet , parmi lesquelles figurent les formalités sanitaires d' entrée sur le territoire de destination .
Tenant les dispositions de l'article 1992 du code civil, la responsabilité de l’agence de voyage sera engagée en cas de faute prouvée dans l'exercice de son mandat.
En l'espèce, et pour assurer l'efficacité du titre de transport délivré, la société TROPIC VOYAGES était tenue à une obligation d'information de son client sur la nécessité de se munir d'un justificatif de vaccination contre la fièvre jaune pour passer par la voie aérienne de Sao Paulo à l'Île Maurice via l'Afrique du Sud.
Dès lors, il convient de considérer que la société TROPIC VOYAGES a failli à ses obligations en n'informant pas de façon claire et précise Monsieur A. sur les conditions d’utilisation du billet parmi lesquelles figurent les formalités d’entrée sur le territoire des états de destination , notamment au regard des justifications requises de vaccinations en cours de validité.
Aux termes de l'article 1231-1 du code civil " le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure. " .
Il est pas contesté que Monsieur A. et sa famille n'ont pas pu rejoindre l'Île de la Réunion en transitant par Johannesburg et l'Île Maurice et qu'ils ont dû transiter par Paris avant de rejoindre La Réunion.
Tenant le principe de la réparation intégrale du dommage, il convient de retenir au titre du préjudice moral la somme de 1.964,90 euros correspondant au coût des billets exposés pour rejoindre La Réunion depuis Paris.
Le préjudice moral dont se prévaut Monsieur A. est justifié par les difficultés administratives rencontrées par ce dernier dans un pays étranger dont il ne maîtrise pas la langue, alors qu'il est accompagné de ses enfants et qui vont le contraindre à engager de nouveaux frais pour financer le trajet retour qui sera rallongé en temps et en distance.
Il convient de retenir en réparation du préjudice moral subi la somme de 800 euros.
Le lien direct entre la faute commise par l’agence de voyages et les préjudices subis est établi.
La société TROPIC VOYAGES sera déclarée responsable
Sur les autres demandes
Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La société TROPIC VOYAGES qui succombe, supportera les dépens d'appel.
L'équité commande en outre de la condamner à verser à l'intimée la somme de 1.000 euros au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile, par mise à disposition au greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a retenu la responsabilité de la SAS TROPIC VOYAGES pour des prestations n'entrant pas dans le cadre d'un forfait touristique sur le fondement des dispositions du code du tourisme et alloué au titre du préjudice matériel la somme de 3929,80 euros ;
Confirme le jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau ;
Y ajoutant ;
-Condamne la SAS TROPIC VOYAGES à payer à Monsieur Ramou A. la somme de 1.964,90 euros avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision en réparation de son préjudice matériel ;
-Condamne la SAS TROPIC VOYAGES à payer à Monsieur Ramou A. la somme de 1000 euros au titre des frais irrépétibles;
Condamne la SAS TROPIC VOYAGES aux dépens d'appel.