CA Pau, 2e ch. sect. 1, 8 février 2024, n° 22/02517
PAU
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Nathalie Garcin Sud Ouest (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pellefigues
Conseillers :
M. Darracq, Mme Guiroy
Avocats :
Me Casadebaig, Me Gorguet, Me Paquet
FAITS-PROCEDURE -PRETENTIONS et MOYENS DES PARTIES
Par acte sous seing privé du 14 mai 2014, la société civile immobilière [F], dirigée par M. [L] [T], a donné à la société à responsabilité limitée Nathalie Garcin Sud-Ouest, agent immobilier, mandat sans exclusivité de location meublée saisonnière portant sur une villa située à [Localité 3].
L'agent immobilier a été contacté par Mme [Y] [E] qui a visité les lieux le 30 août 2017.
Le 1er septembre 2017, l'agent immobilier a organisé une réunion en présence de la bailleresse, représentée par les époux [T], sur le lieu de la résidence aux fins de signature du contrat, de la remise des clés et de l'établissement de l'état des lieux.
Par sous seing privé du 1er septembre 2017, établi par l'intermédiaire de l'agent immobilier, la SCI [F] a donné à bail meublé saisonnier sa villa à Mme [Y] [E], pour une durée de deux mois, du 1er septembre au 31 octobre 2017, moyennant un loyer de 8.000 euros et un dépôt de garantie de 5.000 euros payable avant la remise des clés.
Mme [E] indiquait alors qu'elle avait annulé le virement bancaire de 8.000 euros annoncé lors de la visite du 30 août et remettait la copie d'un ordre de virement bancaire international d'un montant de 13.000 euros établi au profit de la bailleresse.
Malgré la prise de possession des lieux, l'ordre bancaire n'a pas été exécuté et la locataire s'est maintenue dans les lieux au terme du bail.
L'agent immobilier a offert à sa mandante de prendre en charge les frais d'avocat et d'huissier de justice.
La bailleresse a délivré un commandement de payer en date du 11 octobre 2017 suivi d'une assignation en référé expulsion en date du 30 novembre.
Le 28 décembre 2017, la locataire a réglé la somme de 8.000 euros
Par ordonnance du 5 février 2018, le juge des référés a fait droit aux demandes de la bailleresse.
La locataire a quitté les lieux le 2 mai 2018.
La bailleresse a mis en cause la responsabilité professionnelle de l'agent immobilier et s'est adressée à l'assureur de celui-ci qui a refusé sa garantie en l'absence de faute de son assuré dans l'exécution du mandat.
Suivant exploit du 31 octobre 2019, la SCI [F] a fait assigner la société Nathalie Garcin Sud-Ouest par devant le tribunal judiciaire de Bayonne en responsabilité et indemnisation de son préjudice.
M. [L] [T] et Mme [N] [S], épouse [T], excipant de leur qualité d'associés, sont intervenus volontairement à l'instance aux fins de réparation de leur préjudice personnel.
Par jugement du 25 juillet 2022, auquel il convient expressément de se référer pour un plus ample exposé des faits et des prétentions et moyens initiaux des parties, le tribunal a :
- reçu M. [T] en son intervention volontaire
- jugé irrecevable Mme [S], épouse [T] en son intervention volontaire
- débouté la SCI [F] et M. [T] de l'ensemble de leurs prétentions
- condamné la SCI [F] aux dépens
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Par déclaration faite au greffe de la cour le 14 septembre 2022, la SCI [F], M. [T] et Mme [S] ont relevé appel de ce jugement.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 15 novembre 2023.
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Vu les dernières conclusions notifiées le 14 décembre 2022 par les appelants qui ont demandé à la cour de réformer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a déclaré recevable l'intervention volontaire de M. [T], et de condamner la société Nathalie Garcin Sud-Ouest à payer :
- en réparation du préjudice de la SCI [F] :
- la somme de 2.530,81 euros au titre du préjudice matériel
- la somme de 24.000 euros au titre de l'indemnité d'occupation non perçue pour la période allant du mois de novembre 2017 au 2 mai 2018
- la somme de 54.000 euros au titre de la perte de chance de louer le bien du 2 mai 2018 au 31 juillet 2018
- en réparation du préjudice moral des époux [T], la somme de 5.000 euros
- la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
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Vu les dernières conclusions notifiées le 2 mars 2023 par l'intimée qui a demandé à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris
- débouter les appelants de leurs demandes
- subsidiairement, dire et juger que seule une perte de chance que la locataire quitte les lieux au terme du bail est indemnisable
- réduire en conséquence le préjudice à de plus justes proportions
- dire et juger la demande de dommages et intérêts pour impossibilité de relocation est mal fondée
- condamner solidairement les appelants à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS
sur la recevabilité de l'intervention volontaire de Mme [S]
Le jugement a déclaré irrecevable l'intervention volontaire de Mme [S] au motif qu'elle ne justifiait pas de sa qualité d'associée de la SCI [F].
A hauteur d'appel, Mme [S] a justifié de cette qualité, ce qui n'est pas contesté, de sorte que le jugement sera infirmé en ce sens.
1 - sur la responsabilité contractuelle de l'agent immobilier
Contrairement à ce que soutient l'intimée, la SCI [F] n'agit pas sur le fondement de la responsabilité délictuelle, le visa de l'article 1382, en réalité 1240, du code civil concernant les demandes des époux [T], mais bien sur le fondement de la responsabilité contractuelle, au visa des articles 1991 et 1992 du code civil.
La cour précise ici que le mandat du 14 mai 2014 liant les parties s'est renouvelé tacitement d'année en année, de sorte que, à la date des faits litigieux, ce contrat est soumis, outre aux dispositions légales et réglementaires spéciales qui lui sont applicables, au droit commun issu de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016
La SCI [F] fait grief au jugement d'avoir rejeté ses demandes, après avoir retenu qu'il n'incombait pas à l'agent immobilier de vérifier l'encaissement effectif des fonds avant d'établir le contrat de location, ni de vérifier la solvabilité de la locataire dans le cadre d'un bail saisonnier, et que la bailleresse avait signé le contrat de location en toute connaissance des informations relatives à l'annulation du virement initial et au nouveau virement allégué par Mme [E] alors que, selon l'appelante, l'agent immobilier, tenu de vérifier la solvabilité de la locataire ainsi que d'une obligation d'information et de conseil, devait la mettre en garde avant de signer le bail au vu d'une copie d'un ordre de virement bancaire ne garantissant pas le paiement annoncé.
L'intimée approuve les motifs du jugement et ajoute que la bailleresse, qui exerce une activité de location immobilière, est seule responsable de son dommage dès lors que la prudence lui recommandait de reporter l'entrée dans les lieux et la remise des clés quelques jours le temps d'obtenir le justificatif du virement des fonds.
Cela posé, il résulte des articles 1991 et 1992 du code civil que le mandataire est tenu d'accomplir le mandat tant qu'il en demeure chargé, et répond des dommages et intérêts qui pourraient résulter de son inexécution, et qu'il répond des fautes qu'il commet dans sa gestion.
Dans ce cadre, l'agent immobilier est tenu d'une obligation d'information et de conseil envers son mandant, laquelle est une obligation de moyens, et, quelle que soit l'étendue de sa mission, il est tenu de s'assurer de la solvabilité des candidats à la location à l'aide de vérifications sérieuses.
En outre, l'agent immobilier qui prête son concours à la rédaction d'un acte, après avoir été mandaté par l'une des parties, est tenu de s'assurer que se trouvent réunies toutes les conditions nécessaires à l'efficacité juridique de la convention.
En l'espèce, aux termes du contrat de mandat de location meublée saisonnière du 14 mai 2014, la société Nathalie Garcin Sud-Ouest s'est également obligée à :
- rechercher des locataires, louer les biens au prix, charges et conditions que le propriétaire et l'agence auront préalablement, ou suite à négociation, fixé par écrit
- établir tout engagement de location, entre locataire et propriétaire, transmettre toutes sommes représentant les loyers, charges, cautionnements et recevoir les sommes dont la perception est la conséquence de sa démarche commerciale et administrative
- réclamer aux locataires un acompte à titre d'arrhes soit par virement bancaire crédité sur le compte des propriétaires, soit par chèque au nom des propriétaires, le solde du loyer étant versé aux propriétaires un mois avant l'arrivée, soit par un virement bancaire qui devra être crédité sur le compte des propriétaires, soit par un chèque au nom des propriétaires.
S'agissant de la clause du mandat qui stipule que la « location est acceptée, après entente sur le loyer et les prestations, dès lors que le propriétaire reçoit du locataire un montant de réservation et qu'il l'encaisse ou non », cette clause a pour seul objet de déterminer, dans les rapports entre l'agent immobilier et le mandant, le moment à partir duquel l'opération est réputée conclue en vue de la rémunération de l'agent immobilier. Elle ne peut donc être utilement invoquée dans le présent litige par l'intimée.
Aux termes du mandat qui lui a été confiée, la société Nathalie Garcin Sud-Ouest s'est donc obligée à mettre en oeuvre tous les moyens appropriés aux fins de présenter un locataire et établir un contrat de location meublée saisonnière aux conditions fixées par le mandant, la remise des clés du logement étant subordonnée au paiement de l'intégralité des causes du bail, ce paiement seul, qui s'opère pas la remise des fonds au mandataire ou au mandant, dispensant l'agent immobilier de procéder à d'autres vérifications sur la solvabilité du locataire.
En l'espèce, la société Nathalie Garcin Sud-Ouest, tenue d'assurer l'effectivité juridique du contrat de location meublée saisonnière prévoyant le paiement des causes du bail avant la remise des clés ne pouvait prêter son concours à la rédaction du contrat de location sans mettre en garde sa mandante, fût-elle un professionnel, sur le non-paiement des causes du bail en l'état de la simple remise d'une copie d'un simple ordre de virement bancaire international, inexécuté selon ses propres mentions, et sans conseiller à sa mandante de reporter, à tout le moins, la signature du bail ou la remise des clés dans l'attente de la vérification de l'encaissement des fonds, d'autant que la locataire n'avait pas tenu son premier engagement pris lors de la visite des lieux de payer la somme de 8.000 euros afin de réserver le logement.
Dès lors, l'intimée ne peut s'exonérer de sa responsabilité en soutenant qu'elle s'est bornée à exécuter les instructions de la SCI [F], alors que, au contraire, en violation avec toutes ses obligations, elle a laissé sa mandante s'engager dans une opération périlleuse sans l'informer des risques encourus en cas d'inexécution de l'ordre de virement et de mauvaise foi de la locataire dont, en l'état, la solvabilité n'avait été, de fait, vérifiée.
La société Nathalie Garcin Sud-Ouest doit donc répondre de l'ensemble des conséquences dommageables de sa faute.
Il résulte des dispositions de l'article 1231-1 du code civil que seule constitue une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable, et que le préjudice causé par une telle perte est distinct de l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée. Toutefois, la réparation doit être intégrale lorsque la faute a causé le préjudice en son entier et non une simple perte de chance.
Les appelants sollicitent :
- l'indemnisation des dégradations locatives imputées à la locataire qui a clandestinement libéré les lieux le 2 mai 2018
- l'impossibilité de percevoir l'indemnité d'occupation de novembre 2017 au 2 mai 2018 compte tenu de l'insolvabilité de la locataire
- la perte de chance de louer le bien pendant les semaines qui ont suivi le départ impromptu de la locataire.
Il est établi que la locataire s'est maintenue dans les lieux non seulement au-delà de la date de résiliation du bail mais de son terme contractuel, prenant ensuite la fuite en Espagne, la SCI [F] ayant vainement tenté de recouvrer sa créance au moyen de la saisie-attribution de ses comptes bancaires en France.
Cela posé, s'agissant des dégradations locatives, les demandes de l'appelante ne sont fondées sur des pièces établissant la réalité des dégradations alléguées : aucune facture de remplacement ou de réparation du meuble de la salle de bain n'a été versée aux débats.
Il ne ressort pas du bail que les frais de pressing pour le linge de maison sont à la charge du locataire.
Il n'est pas plus justifiés que les frais de serrurerie/portail sont imputables à la locataire.
En définitive, seuls les frais de nettoyage intérieur et extérieur de la villa méritent d'être retenus, et, en l'état de la facture sommaire versée aux débats, ils seront évalués à la somme forfaitaire de 500 euros.
La faute de l'agent immobilier a privé la SCI [F] du dépôt de garantie que devait verser la locataire.
La SCI [F] est donc en droit d'obtenir l'entière indemnisation de son préjudice qui aurait été couvert par le dépôt de garantie si la locataire l'avait versé.
La somme de 500 euros doit donc être mise à la charge de la société Nathalie Garcin Sud-Ouest.
S'agissant de « l'impossibilité de percevoir l'indemnité d'occupation », fixée en référé à la somme mensuelle de 4.000 euros, soit 24.000 euros pour six mois, une partie de cette indemnité avait vocation a être réglée au moyen du dépôt de garantie, de sorte que, la société Nathalie Garcin Sud-Ouest doit prendre en charge, à tout le moins, la somme complémentaire de 4.500 euros.
En revanche, s'agissant du surplus de l'indemnité d'occupation, l'agent immobilier n'est pas garant de la libération des lieux par le locataire au terme du bail, et, en l'espèce, une douzaine de jours seulement séparent le jeu de la clause résolutoire, pour défaut de paiement du dépôt de garantie, et la fin contractuelle du bail.
En outre, il ne ressort d'aucun élément que la société Nathalie Garcin Sud-Ouest connaissait ou aurait dû connaître, à la date du bail, le passé pénal de la locataire, condamnée pour escroqueries et poursuivie pour fraude fiscale, en relation avec son ancienne activité de promoteur immobilier.
Toutefois, il reste que la faute de la société Nathalie Garcin Sud-Ouest, qui en ne conseillant de reporter la signature du contrat de location meublée saisonnière dans l'attente de l'encaissement du virement bancaire, a fait perdre à la SCI [F] une chance de ne pas contracter avec une locataire de mauvaise foi, dont la solvabilité n'avait pas, de fait été vérifiée, présentant un risque d'inexécution de ses obligations excédant les aléas inhérents à une location saisonnière.
Ce préjudice ne peut donc être réparé en entier, comme le demande l'appelante, mais à la mesure de la perte de chance subie, elle-même tempérée par l'aléa inhérent au comportement de tout locataire à l'expiration du bail.
Elle sera réparée par une indemnité complémentaire de 8.000 euros
S'agissant de la perte de chance de louer le bien après le départ de la locataire et avant le mois d'août 2018, les appelants ne justifient pas de ce préjudice qui n'est étayé par aucune preuve même d'une mise en location de leur bien durant toute l'année ni, surtout, de l'impossibilité même de louer le bien entre le départ de la locataire et le mois d'août.
En définitive, et sous le bénéfice des considérations qui précèdent il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris et de condamner la société Nathalie Garcin Sud-Ouest à payer à la SCI [F] la somme de 13.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice.
sur la responsabilité délictuelle de l'agent immobilier
En droit, un tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.
En l'espèce, la faute de la société Nathalie Garcin Sud-Ouest a directement exposé les époux [T] aux fausses promesses et mensonges incessants de la locataire qui occupait leur villa située à proximité de leur propre logement, se voyant privés de leur bien sans contrepartie.
Les époux [T] justifient d'un préjudice moral, personnel et distinct de celui de la SCI [F], qui sera réparé par l'allocation d'une somme de 1.000 euros à chacun à titre de dommages et intérêts
Le jugement entrepris sera infirmé en ce sens et la société Nathalie Garcin Sud-Ouest condamnée à payer la somme de 1.000 euros à chacun des deux intervenants volontaires.
La société Nathalie Garcin Sud-Ouest sera condamnée aux entiers dépens et à payer aux appelants la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
la cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
INFIRME en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
et statuant à nouveau,
REJETTE la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'intervention volontaire de Mme [S],
CONDAMNE la société Nathalie Garcin Sud-Ouest à payer à la SCI [F] la somme de 13.000 euros en réparation de son préjudice,
CONDAMNE la société Nathalie Garcin Sud-Ouest à payer à Mme [S] et à M. [T], la somme de 1.000 euros à chacun à titre de dommages et intérêts,
CONDAMNE la société Nathalie Garcin Sud-Ouest aux entiers dépens de première instance et d'appel,
CONDAMNE la société Nathalie Garcin Sud-Ouest à payer aux appelants la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.