CA Bordeaux, ch. soc. A, 16 octobre 2024, n° 22/00085
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Philae (SELARL), Châteaux Aquitains (EURL), Association Garantie des Salaires-CGEA
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Hylaire
Conseillers :
Mme Tronche, Mme Quinet
Avocats :
Me Muller, Me Truong, Me Taste, Me Hontas
EXPOSÉ DU LITIGE
Par jugement rendu le 5 juillet 2017, le tribunal de commerce de Bordeaux a placé la société Châteaux Aquitains, exerçant notamment une activité de vente de vins en gros, en redressement judiciaire et désigné la société Malmezat-Lucas-Prat-Dabadie, devenue la société Philae, en qualité de mandataire judiciaire.
Selon un contrat de travail à durée indéterminée conclu le 12 février 2018, soit pendant la période d'observation, la société Châteaux Aquitains a engagé M. [T] [V], né en 1964, en qualité de directeur de l'organisation clients des produits et services et des ressources humaines, moyennant une rémunération fixe mensuelle de 3.300 euros nets outre une rémunération variable ainsi que le bénéfice d'un treizième mois, le contrat prévoyant une indemnité contractuelle en cas de licenciement.
Par jugement en date du 27 juin 2018, le tribunal de commerce de Bordeaux a converti la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire, désignant la société Malmezat-Lucas-Prat-Dabadie, devenue la société Philae, en qualité de liquidateur judiciaire.
Le 28 juin 2018, le liquidateur a convoqué le salarié à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 6 juillet 2018.
Par décision rendue le 19 juillet 2018, l'Inspection du travail a autorisé le licenciement de M. [V] pour motif économique en visant un procès-verbal d'élection des représentants des salariés en date du 28 juin 2018.
Par courrier du 25 juillet 2018, M. [V] a été licencié pour motif économique, le liquidateur lui précisant : « la présente lettre vous est adressée sous toutes réserves uniquement afin de sauvegarder vos éventuels droits au regard de l'AGS. En effet, à ce jour, le lien de subordination n'est pas établi et la qualité de salarié et la validité du contrat de travail ne sont pas reconnus ».
Le 6 février 2019, M. [V] a saisi la formation des référés du conseil de prud'hommes de Bordeaux aux fins de voir fixer au passif de la liquidation de la société des sommes à titre de rappels de salaire.
Par arrêt rendu le 16 janvier 2020, la cour d'appel de Bordeaux, renvoyant M. [V] à mieux se pourvoir, a infirmé l'ordonnance de référé rendue en formation de départage le 5 juin 2019 qui avait fait droit partiellement aux demandes de M. [V].
Dans l'intervalle, M. [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux le 18 juin 2019 aux fins de voir fixer au passif de la société une indemnité de licenciement, une indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents ainsi qu'une prime de treizième mois.
De son côté, le 3 juillet 2019, le liquidateur judiciaire a saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux sollicitant la nullité du contrat de travail de M. [V] et son inopposabilité à la liquidation judiciaire.
En l'absence de conciliation des parties, le conseil de prud'hommes de Bordeaux a, par un jugement en date du 17 décembre 2021 :
- ordonné la jonction des deux procédures,
- dit que le contrat de travail du 12 février 2018 entre M. [V] et l'EURL Châteaux Aquitains est nul,
- débouté M. [V] de l'ensemble de ses demandes,
- condamné reconventionnellement M. [V] à payer à la SELARL Philae la somme de 6.075,73 euros en recouvrement de sommes indûment versées en exécution provisoire de l'ordonnance de référé du 5 juin 2019,
- débouté les parties défenderesses de toutes autres demandes,
- condamné M. [V] aux dépens et frais éventuels d'exécution.
Par déclaration enregistrée au greffe de la cour d'appel de Bordeaux le 6 janvier 2022, M. [V] a relevé appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises au greffe de la cour d'appel de Bordeaux le 5 avril 2022, M. [V] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il prononce la nullité de son contrat de travail et le déboute de l'intégralité de ses demandes indemnitaires et salariales et de :
- juger que son contrat de travail n'encourt aucune nullité, et est parfaitement opposable aux organes de la procédure collective ainsi qu'au CGEA,
- juger que le mandataire judiciaire ne fait pas non plus la démonstration du caractère fictif de ce contrat de travail et de l'absence de lien de subordination,
- juger qu'il a droit à l'intégralité des sommes dues en vertu de son contrat de travail et des indemnités découlant de la rupture de celui-ci,
En conséquence,
- condamner la société Châteaux Aquitains à lui payer les sommes suivantes :
* 24.156 euros au titre de son indemnité conventionnelle de licenciement, ou à défaut l'indemnité légale,
* 12.078 euros au titre de son indemnité de préavis et la somme de 1.207,80 euros au titre des congés payés sur préavis,
* 4.045,92 euros au titre du treizième mois,
* 11.663,40 euros au titre des salaires de mai à juillet 2018,
* 1.867,74 euros au titre de ses congés payés,
- condamner la société Châteaux Aquitains et la société Philae, en sa qualité de mandataire liquidateur, à lui délivrer ses documents de fin de contrat et ses bulletins de paie de juin et juillet,
- fixer l'ensemble des condamnations au passif de la société Châteaux Aquitains, et comme étant opposables aux organes de la procédure collective ainsi qu'à l'UNEDIC CGEA de [Localité 3] comme devant sa garantie,
Subsidiairement, si la cour d'appel confirme la nullité de son contrat de travail et sur le fondement de l'article 565 du code de procédure civile :
- juger qu'il a droit au principe d'une indemnité au titre des prestations réalisées, et restées sans contrepartie financière à ce jour,
- juger qu'il a également droit en sa qualité de représentant du personnel, non contestée à ce jour, au principe d'une indemnisation telle que prévue à l'article L. 625-2 du code de commerce,
En conséquence,'
- lui octroyer une indemnité de prestation équivalente dans son montant à ses salaires et congés payés impayés, soit la somme de 13.531,14 euros,
- fixer cette créance au passif de la société Châteaux Aquitains, comme étant opposable en totalité à la société Philae et à l'UNEDIC CGEA de [Localité 3].
Aux termes de ses dernières conclusions transmises au greffe de la cour d'appel de Bordeaux le 28 juin 2022, la société Philae demande à la cour, outre de déclarer mal fondé l'appel interjeté par M. [V] et de l'en débouter, de :
- débouter M. [V] de l'ensemble de ses demandes,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
En tout état de cause,
- constater les conditions anormales de l'embauche de M. [V] en qualité de directeur de l'organisation client et des ressources humaines de la société Châteaux Aquitains en redressement judiciaire et les dispositions exorbitantes de son contrat de travail pour ladite société,
- constater que la conclusion du contrat de travail de M. [V] pendant la période d'observation constituait un acte de disposition étranger à la gestion courante de l'entreprise,
- constater l'absence d'autorisation du juge-commissaire,
- juger nul, et en tout cas inopposable à la liquidation judiciaire de la société Châteaux Aquitains, le contrat de travail de M. [V] en date du 18 février 2018,
En conséquence,
- débouter M. [V] de l'intégralité de ses demandes,
- en tant que de besoin, condamner M. [V] à lui rembourser la somme de 6.075,73 euros versée en exécution de l'ordonnance de la formation de référés du conseil de prud'hommes de Bordeaux en date du 05 juin 2019,
A titre subsidiaire,
* Sur les demandes nouvelles liées à l'exécution du contrat, juger irrecevables les demandes de M. [V] au titre des salaires de mai à juillet 2018, représentant les congés payés ainsi qu'au titre de la remise des documents de fins de contrat et ses bulletins de paie,
A titre infiniment subsidiaire,
- juger que les demandes de M. [V] sont infondées dans leur principe et dans leur quantum,
- en conséquence, débouter M. [V] de l'intégralité de ses demandes,
* Sur les demandes initiales :
- réduire l'indemnité contractuelle de licenciement à 19.800 euros nets,
- réduire l'indemnité compensatrice de préavis à 9.900 euros nets,
- débouter M. [V] de sa demande au titre d'une prime de 13ème mois,
Plus subsidiairement sur la demande d'indemnité de prestation,
- juger irrecevable la demande de M. [V] au titre d'une indemnité de prestation,
A titre subsidiaire,
- constater le caractère infondé de cette demande tant dans son principe que dans son quantum,
- débouter M. [V] de l'intégralité de ses demandes,
En toute hypothèse,
- condamner M. [V] à lui payer la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamner M. [V] aux dépens de première instance et d'appel.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises au greffe de la cour d'appel de Bordeaux le 21 juin 2022, l'Association Garantie des Salaires-CGEA de [Localité 3] (ci-après l'AGS) demande à la cour, outre de juger irrecevable et mal fondé M. [V] en son appel et en ses demandes, de :
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
* ordonné la jonction des procédures,
* dit que le contrat de travail du 12 février 2018 entre M. [V] et l'EURL Châteaux Aquitains est nul,
* débouté en conséquence, M. [V] de l'ensemble de ses demandes,
* condamné reconventionnellement M. [V] à payer à la société Philae la somme de 6.075,73 euros en recouvrement des sommes indûment versées en exécution provisoire de l'ordonnance de référé du 5 juin 2019,
* condamné M. [V] aux dépens et frais éventuels d'exécution,
A titre principal,
- juger que le contrat de travail de M. [V] est entaché de nullité et ce, pour avoir été conclu sans autorisation du juge commissaire, en méconnaissance de l'article L. 622-7 du code de commerce et qu'en tout état de cause, il est inopposable tant à la procédure collective de l'EURL Châteaux aquitains qu'à l'AGS CGEA de [Localité 3],
- juger que le contrat de travail de M. [V] est fictif et frauduleux et qu'il y a lieu de l'annuler de le déclarer inopposable à la procédure collective et à l'AGS CGEA de [Localité 3],
- débouter M. [V] de l'ensemble de ses demandes, lesquelles ne peuvent pas être garanties par l'AGS CGEA de [Localité 3],
A titre subsidiaire,
- déclarer irrecevable et mal fondé M. [V] en ses demandes,
- débouter M. [V] de sa demande de voir juger qu'en présence d'un contrat de travail écrit, la charge de la preuve de l'absence de lien de subordination repose sur le mandataire judiciaire,
- débouter M. [V] de sa demande de voir juger que le mandataire judiciaire ne fait pas la démonstration de la fictivité du contrat de travail de M. [V] et de l'absence de lien de subordination,
- débouter M. [V] de sa demande de voir juger que son contrat de travail n'encourt aucune nullité et est parfaitement opposable aux organes de la procédure collectives ainsi qu'au CGEA,
- débouter M. [V] de sa demande de voir juger que la SELARL Malmezat-Prat est l'auteur d'une discrimination à son encontre,
- débouter M. [V] de sa demande de voir juger qu'il a droit à l'intégralité des sommes dues en vertu de son contrat de travail et de la rupture de celui-ci,
- débouter M. [V] de sa demande tendant à fixer au passif de la société Châteaux Aquitains les sommes suivantes :
* 24.156 euros au titre de son indemnité de licenciement,
* 12.078 euros au titre de son indemnité de préavis,
* 1.207,80 euros au titre de ses congés payés sur préavis,
* 4.045,92 euros au titre de son treizième mois,
* 11.663,40 euros au titre des salaires de mai à juillet 2018,
* 1.867,74 euros au titre de ses congés payés,
- juger irrecevable et subsidiairement mal fondé M. [V] en sa demande soutenue à titre subsidiaire, aux termes de laquelle, si la cour d'appel confirme la nullité du contrat de travail et sur le fondement de l'article 565 du code de procédure civile, il soit jugé qu'il a droit au principe d'une indemnité au titre des prestations réalisées et restées sans contrepartie financière,
- juger irrecevable et subsidiairement mal fondé M. [V] en sa demande soutenue à titre subsidiaire, aux termes de laquelle il soit dit et jugé qu'il a également droit en sa qualité de représentant du personnel, non contestée à ce jour, au principe d'une indemnisation telle que prévu à l'article L. 656-2 du code de commerce,
- juger irrecevable et subsidiairement mal fondé M. [V] en sa demande soutenue à titre subsidiaire, aux termes de laquelle il lui soit octroyé une indemnité de prestation équivalente dans son montant à ses salaires et congés payés, soit la somme de 13.531,14 euros,
- débouter M. [V] de sa demande tendant à condamner la société Châteaux Aquitains et la SELARL Malmezat-Prat à délivrer au salarié ses documents de fin de contrat et ses bulletins de paie de juin et juillet,
- juger que les demandes de M. [V] sont manifestement excessives et, à titre infiniment subsidiaire, réduire le montant de l'indemnité conventionnelle de licenciement à 100 euros et celui de l'indemnité compensatrice de préavis à 9.900 euros et à 990 euros le montant de l'indemnité compensatrice de congés payés y afférente,
- débouter M. [V] de sa demande tendant à fixer l'ensemble des condamnations au passif de la société Châteaux Aquitains et comme étant opposables aux organes de la procédure collective, dont la SELARL Malmezat-Prat et à l'AGS comme devant sa garantie,
- débouter M. [V] de l'ensemble de ses demandes, lesquelles ne peuvent pas être garanties par l'AGS CGEA de [Localité 3],
En tout état de cause,
- juger que la mise en cause de l'AGS CGEA de [Localité 3] dans la présente instance ne peut avoir pour objet que de lui rendre opposable le jugement à intervenir et non d'obtenir une condamnation au paiement qui serait dirigée à son encontre et ce à défaut de droit direct de M. [V] à agir contre lui,
- juger que la garantie de l'AGS CGEA de [Localité 3] est limitée, toutes sommes et créances avancées confondues, à un ou des montants déterminés par décret, en référence au plafond mensuel retenu pour le calcul des contributions du régime d'assurance chômage, et inclut les cotisations et contributions sociales et salariales d'origine légale, ou d'origine conventionnelle imposée par la loi et ce dans les limites des articles L. 3253-8 et L. 3253-17 du code du travail et des textes réglementaires édictés pour son application,
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens,
- condamner, M. [V] à payer à l'AGS CGEA de [Localité 3] une indemnité de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens et frais éventuels d'exécution.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 août 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 3 septembre 2024 au cours de laquelle la cour a relevé d'office l'irrecevabilité des demandes nouvelles présentées par M. [V] au titre des rappels de salaire des mois de mai à juillet 2018, des congés payés, de la remise des documents de fins de contrat et de ses bulletins de paie ainsi qu'au titre d'une indemnité de prestation.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'au jugement déféré.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'irrecevabilité des demandes additionnelles et des demandes nouvelles
Au soutien de l'irrecevabilité des demandes au titre des rappels de salaire de mai à juillet 2018, des congés payés et de la remise des documents de fin de contrat et des bulletins de salaire, la liquidation fait valoir qu'elles ont été formées le 24 février 2020 en cours d'instance devant le conseil de prud'hommes sans avoir été présentées dans la requête initiale du salarié du 18 juin 2019.
Elle soulève également, ainsi que l'Association Garantie des salaires-CGEA de [Localité 3] (ci-après l'AGS), l'irrecevabilité en cause d'appel de la demande nouvelle présentée à titre subsidiaire tendant à l'octroi d'une indemnité de prestation.'
- Sur les demandes additionnelles en première instance
Aux termes des dispositions de l'article 70 du code de procédure civile, les demandes additionnelles sont recevables si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.
Il en résulte qu'en matière prud'homale, la procédure étant orale, le requérant est recevable à formuler contradictoirement des demandes additionnelles qui se rattachent suffisamment aux prétentions originaires, devant le juge lors des débats, ou dans ses dernières conclusions écrites.
En l'espèce, et ainsi que le fait valoir à juste titre la liquidation, M. [V] a, dans le cadre de sa requête initiale, formé exclusivement des demandes en lien avec la rupture de son contrat de travail indiquant dans ses écritures venir « réclamer au fond l'ensemble des indemnités lui revenant à la suite de la rupture de son contrat de travail ».
Ses demandes de rappels de salaires et des congés afférents s'analysent comme des demandes relatives à l'exécution du contrat de travail par l'employeur. Elles ne présentent ainsi pas un lien suffisant avec les demandes initiales relatives à la rupture du contrat de travail, de sorte qu'elles doivent être déclarées irrecevables.
En revanche la demande tendant à la remise des documents de fins de contrat et des bulletins de salaires sera déclarée recevable en ce qu'elle présente un lien suffisant avec les prétentions originaires, ces documents étant délivrés lors de la rupture du contrat de travail.
- Sur la demande nouvelle en appel
Selon l'article 654 du code de procédure civile, « à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ».
Cependant en vertu de l'article 655 du même code, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
La demande tendant à l'allocation d'une indemnité de prestation est une demande nouvelle en cause d'appel, nonobstant son caractère subsidiaire, en ce qu'elle n'a pas pour objet la rupture des relations contractuelles comme l'ensemble des demandes formées en première instance, mais l'exécution du contrat de travail.
Elle est donc irrecevable.
Sur l'inopposabilité du contrat de travail aux organes de la procédure collective et de la qualité de salarié de M. [V]
Pour voir infirmer le jugement entrepris qui a considéré que son contrat de travail conclu le 12 février 2018 était nul et l'a débouté de l'ensemble de ses demandes, M. [V] se prévaut de la qualité de salarié en invoquant les éléments suivants :
- le contrat de travail établi et les bulletins de paie qui lui ont été délivrés,
- les contrats de travail qui ont été conclus postérieurement au sien témoignant d'une relance commerciale afin de permettre à la société d'accéder à un plan de continuation,
- l'obligation d'analyser la validité de son contrat de travail au regard du prévisionnel qui avait été établi pour soutenir la démarche commerciale de l'employeur,
- la discrimination dont il a été victime dans la mesure où les autres créances salariales ont été réglées par les organes de la procédure collective,
- s'agissant de l'indemnité de licenciement contractuelle, il était loisible aux organes de la procédure d'en rejeter l'application sans pour autant rechercher la nullité de l'entier contrat,
- le mandataire n'a pas respecté les dispositions légales qui s'imposent à lui dans la mesure où il s'est abstenu de l'informer des sommes admises ou rejetées,
- l'absence de démonstration par les organes de la procédure de la fictivité de son contrat de travail,
- le motif de la lettre de licenciement basé sur l'absence d'un lien de subordination,
- il avait quitté la société Ambre d'Automne avant d'être engagé par la société Châteaux Aquitains.
En réplique, le liquidateur ainsi que l'AGS, qui sollicitent la confirmation du jugement entrepris, relèvent que M. [V] a été engagé pendant la période d'observation dans un contexte de fragilité financière de l'entreprise, le bénéfice de cette dernière s'élevant alors à la somme mensuelle de 1.758 euros par mois, tandis que le salaire prévu au bénéfice de M. [V] s'établissait à la somme mensuelle de 3.300 euros nets sur 13 mois, outre une rémunération variable ainsi qu'une indemnité de licenciement à hauteur de 6 mois de salaires nets, augmentée d'un mois supplémentaire chaque année écoulée, assortie d'une durée de préavis contractuel excédant celle du préavis légal et conventionnel.
Ils considèrent en conséquence que la conclusion de ce contrat constituait un acte de disposition étranger à la gestion courante en période d'observation qui devait donc faire l'objet d'une autorisation du juge-commissaire.
Ils soulignent que M. [V], engagé à compter du 12 février 2018 par la société Châteaux Aquitains, a déclaré une activité salariée auprès de la société Ambre d'Automne et ce, jusqu'au 9 mars 2018.
Ils produisent par ailleurs plusieurs décisions de liquidation judiciaire concernant M. [V].
Ils ajoutent à juste titre qu'il importe peu de savoir si le relevé de créances avait été notifié à M. [V], les dispositions de l'article L. 625-1 du code de commerce lui permettant de saisir directement la juridiction prud'homale aux fins de faire régulariser de tels manquements et précisant que le délai de forclusion ne court
pas lorsque le mandataire a omis d'informer le salarié du montant de ses créances salariales déclarées au passif de la société.
Considérant que M. [V] échoue à démontrer qu'il exerçait une activité salariée dans le cadre d'un lien de subordination et soulignant d'ailleurs avoir été mandaté par le gérant de la société pour le représenter aux actes de la procédure commerciale, ils en déduisent que la qualité de salarié ne peut lui être reconnue.
Ils sollicitent en conséquence le rejet de l'ensemble des demandes de M. [V], la confirmation de la nullité et de l'inopposabilité de son contrat de travail soit déclaré nul et inopposable et demandent qu'il soit condamné à rembourser la somme de 6.075,73 euros versée en exécution provisoire de l'ordonnance de référé du 5 juin 2019.
* * *
Selon l'article L. 622-3 du code de commerce, le débiteur continue à exercer sur son patrimoine les actes de disposition et d'administration, ainsi que les droits et actions qui ne sont pas compris dans la mission de l'administrateur et, sous réserve des dispositions des articles L. 622-7 et L. 622-13, les actes de gestion courante qu'accomplit seul le débiteur sont réputés valables à l'égard des tiers de bonne foi.
Aux termes des dispositions de l'article L. 622-7, le juge-commissaire peut autoriser le débiteur à faire un acte de disposition étranger à la gestion courante de l'entreprise, à consentir une hypothèque, un gage ou un nantissement ou à compromettre ou transiger. Néanmoins, si cet acte est susceptible d'avoir une incidence déterminante sur l'issue de la procédure, le juge-commissaire ne peut statuer qu'après avoir recueilli l'avis du ministère public.
Tout acte ou tout paiement passé en violation des dispositions du présent article est annulé à la demande de tout intéressé ou du ministère public.
La conclusion d'un contrat de travail n'est pas un acte de gestion courante pouvant être passé par le débiteur seul, sans l'assistance de l'administrateur judiciaire ; néanmoins, lorsqu'aucun administrateur n'a été désigné, le contrat de'travail conclu par le débiteur pour une courte période constitue un acte de gestion courante.
La notion d'actes de gestion courante dépend de la situation de l'entreprise et renvoie aux actes qui relèvent de l'activité normale de celle-ci et qui, lorsque l'administrateur se voit confier une mission d'assistance, peuvent être accomplis sans son concours parce qu'ils ne présentent aucun caractère exceptionnel et répondent aux nécessités de la gestion' quotidienne de l'entreprise.
Si, aux termes de l'article L. 622-3 du code de commerce, le débiteur continue, au cours de la période d'observation, à exercer sur son patrimoine les actes de disposition et d'administration ainsi que les droits et actions qui ne sont pas compris dans la mission de l'administrateur, il doit cependant, en application de l'article L. 622-7 du même code, obtenir l'autorisation du juge-commissaire pour les actes de disposition étrangers à la gestion courante de l'entreprise.
En l'espèce, aucun administrateur judiciaire n'a été désigné par le tribunal de commerce lors du jugement d'ouverture de la procédure collective de la société de sorte que cette dernière pouvait accomplir des actes de gestion courante.
Cependant, il ne peut qu'être constaté que :
- l'embauche de M. [V] a été faite dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, et non pas sur une courte période, alors qu'il n'est pas justifié que la conclusion de ce contrat correspondait à la nécessité de répondre à un accroissement d'activité,
- la rémunération prévue relevait des attributions d'un cadre position IX échelon B selon la convention collective applicable, disposant d'un très haut niveau de compétences et exerçant des fonctions de commandement et d'animation sur des personnels d'encadrement, ce qui n'était pas le cas en l'espèce,
- le caractère 'inhabituel' de la clause contractuelle de licenciement prévoyant une indemnité égale à 6 mois de salaire net de charges sociales et CSG/RDS, revalorisée tous les ans à la date anniversaire de la date d'entrée du salarié dans la société d'un mois supplémentaire.
Ces différents éléments doivent conduire à considérer que la conclusion du contrat de travail de M. [V] ne constituait manifestement pas un acte de gestion courante, de sorte que l'autorisation préalable du juge commissaire aurait dû être sollicitée par le dirigeant de la société, ce qui n'a pas été le cas.
La décision déférée sera donc confirmée en ce qu'elle a retenu la nullité du contrat de travail, emportant son inopposabilité aux organes de la procédure collective ainsi qu'à l'AGS.
* * *
Par ailleurs, aux termes de l'article L. 1221-1 du code du travail, le contrat de travail suppose un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination d'autrui, moyennant rémunération.
Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité de l'employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
L'existence d'un contrat de travail dépend, non pas de la volonté manifestée par les parties à la convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité de celui qui revendique la qualité de salarié.
C'est à celui qui se prévaut d'un contrat de travail d'en établir l'existence, mais en présence d'un contrat de travail apparent, il incombe à celui qui invoque son caractère fictif d'en rapporter la preuve.
M. [V] verse aux débats :
- un contrat de travail à durée indéterminée conclu le 12 février 2018 aux termes duquel il est engagé par la société Châteaux Aquitains en qualité de directeur de l'organisation clients des produits et services et des ressources humaines moyennant une rémunération fixe mensuelle de 3.300 euros nets sur 13 mois, le treizième mois étant en juin de chaque année à compter de juin 2018, outre une rémunération variable ainsi que le bénéfice d'un treizième mois et d'une indemnité contractuelle de licenciement égale à 6 mois de salaire nets,
- les bulletins de salaire qui lui ont été délivrés pour la période de février à mai 2018, la cour relève toutefois que le salarié n'en réclame pas moins le paiement du salaire de mai 2018,
Il doit toutefois être être relevé que M. [V] prétend avoir été engagé à compter du 12 février 2018 par la société Châteaux Aquitains alors qu'il ressort des pièces produites par les parties intimées que, dans le même temps, il était salarié de la société Ambre d'Automne jusqu'au 9 mars 2018 et ce, nonobstant le protocole de rupture conventionnelle conclu le 31 janvier 2018 avec la société Ambre d'Automne dont l'homologation par la DIRRECTE n'est pas produite.
En outre, et ainsi que le font valoir la liquidation judiciaire et l'AGS, il résulte du jugement rendu le 27 juin 2018 par le tribunal de commerce de Bordeaux prononçant la liquidation judiciaire de la société, que M. [V] disposait du pouvoir de représenter la société à l'audience et ne s'est pas opposé à la liquidation judiciaire tandis que le représentant des salariés, dont l'identité n'est pas précisée, était également présent et a fait part de ses observations.
Dans la mesure où le contrat de travail dont se prévaut M. [V] a été annulé et déclaré inopposable aux organes de la procédure, ces documents ne permettent pas en l'état de retenir l'existence d'un contrat de travail le liant à la société Châteaux Aquitains, M. [V] échouant à démontrer que la relation de travail qu'il invoque s'inscrivait dans un rapport de subordination.Dès lors, la qualité de salarié ne peut lui être reconnue.
En considération de l'ensemble de ces éléments, c'est donc à bon droit que les premiers juges ont débouté M. [V] de l'ensemble de ses demandes.
L'obligation de restituer les sommes qui ont été versées à titre provisoire en exécution de l'ordonnance de référé du 5 juin 2019 découle de l'infirmation de cette décision par l'arrêt du 16 janvier 2020.
Sur les autres demandes
M. [V], partie perdante à l'instance et en son recours, supportera la charge des dépens et sera condamné à verser au liquidateur judiciaire la somme de 1.000 euros ainsi que celle de 1.000 euros à l'AGS au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel.
L'arrêt à intervenir sera déclaré opposable à l'AGS-CGEA de [Localité 3].
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Déclare irrecevables les demandes additionnelles et nouvelles formées par M. [V] au titre des rappels de salaire de mai à juillet 2018, des congés payés et d'une indemnité de prestation,'
Déclare recevable la demande additionnelle formée par M. [V] au titre de la remise des documents de fin de contrat et des bulletins de salaire pour la période de mai à juillet 2018,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute M. [V] de sa demande de remise des documents de fin de contrat et des bulletins de salaire pour la période de mai à juillet 2018,
Dit l'arrêt opposable à l'AGS-CGEA de [Localité 3],
Condamne M. [V] à verser la somme de 1.000 euros à la SELARL Philae en sa qualité de liquidateur de la société Châteaux Aquitains au titre des frais irrépétibles pour les procédures de première instance et d'appel,
Condamne M. [V] à verser la somme de 1.000 euros à l'AGS-CGEA de [Localité 3] au titre des frais irrépétibles pour les procédures de première instance et d'appel,
Condamne M. [V] aux dépens.