CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 17 octobre 2024, n° 21/10262
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Talbot Découpage Emboutissage (SAS)
Défendeur :
Métal Protection (SARL), Selarl AJRS (ès qual.), Selarl MJ & Associés (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard
Conseillers :
Mme Soudry, Mme Prigent
Avocats :
Me Durand, Me Dereux
EXPOSE DU LITIGE
La société Métal Protection est un sous-traitant spécialisé dans le traitement de surface de pièces métalliques.
La société Talbot Découpage Emboutissage (ci-après la société Talbot) est spécialisée dans le découpage, l'emboutissage et la transformation industrielle de métaux, matières plastiques et de synthèses.
Une relation commerciale s'est établie entre les parties depuis près de 15 années.
Le 15 février 2018, les parties se sont réunies au sein des locaux de la société Talbot afin que la société Métal Protection présente les augmentations de tarifs de certaines des prestations.
Le 28 février 2018, la société Métal Protection a transmis à la société Talbot sa nouvelle grille tarifaire applicable.
La société Talbot a continué à passer ses ordres d'achat en utilisant les prix historiques.
La société Métal Protection a demandé à la société Talbot de régulariser les prix en appliquant les nouveaux tarifs.
Le 12 mars 2019, la société Métal Protection a mis en demeure la société Talbot de lui régler le solde impayé des factures s'élevant à 35 745, 88 euros TTC en principal, et la somme de 245 941, 20 euros en réparation du préjudice subi suite à la rupture brutale de la relation commerciale.
Par acte du 14 novembre 2019, la société Métal Protection a assigné la société Talbot devant le tribunal de commerce de Paris en paiement du solde des factures impayées et en indemnisation du préjudice subi au titre de la rupture brutale de la relation commerciale.
Par jugement du 10 mai 2021, le tribunal de commerce de Paris a :
- Condamné la société Talbot à payer à la société Métal Protection la somme de 35 745,88 euros TTC au titre des impayés, majorée des intérêts de retard au taux BCE augmenté de 10 points calculés à compter du 12 mars 2019, outre la somme de 440 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement,
- Condamné la société Talbot à payer à la société Métal Protection la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif,
- Ordonné l'exécution provisoire du jugement,
- Condamné la société Talbot aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 euros dont 12,20 euros de TVA.
Par déclaration du 2 juin 2021, la société Talbot a interjeté appel du jugement en ce qu'il a :
- Condamné la société Talbot à payer à la société Métal Protection la somme de 35 745,88 euros TTC au titre des impayés, majorée des intérêts de retard au taux BCE augmenté de 10 points calculés à compter du 12 mars 2019, outre la somme de 440 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement,
- Condamné la société Talbot à payer à la société Métal Protection la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Débouté la société Talbot de ses demandes tendant à voir la société Métal Protection condamnée à lui régler la somme de 10 250 euros au titre du coût des pièces qu'elle a abusivement retenues, la somme de 121 579 euros au titre du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies dont elle est à l'initiative et la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Ordonné l'exécution provisoire du jugement,
- Condamné la société Talbot aux dépens.
La société Talbot a notifié ses dernières conclusions le 15 février 2024 à la société Métal Protection.
Par ordonnance du 29 février 2024, le magistrat en charge de la mise en état a constaté l'interruption de l'instance à la suite de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société Métal Protection.
Par acte du 5 avril 2024, la société Talbot a assigné en intervention forcée, devant la cour d'appel de Paris, la société MJ & Associés, prise en la personne de Me [W], en qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la société Métal Protection.
Aux termes de son assignation en intervention forcée en date du 5 avril 2024, la société Talbot demande, au visa de l'article L442-6 I 5° du code de commerce, de :
- Infirmer le jugement rendu le 10 mai 2021 par le tribunal de commerce de Paris, en ce qu'il a :
Condamné la société Talbot à payer à la société Métal Protection la somme de 35
745,88 euros TTC au titre des impayés, majorée des intérêts de retard au taux BCE augmenté de 10 points calculés à compter du 12 mars 2019, outre la somme de 440 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement,
Condamné la société Talbot à payer à la société Métal Protection la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Débouté la société Talbot de ses demandes tendant à voir la société Métal Protection condamnée à lui régler la somme de 10 250 euros au titre du coût des pièces qu'elle a abusivement retenues, la somme de 121 579 euros au titre du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies dont elle est à l'initiative et la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Ordonné l'exécution provisoire du jugement,
Condamné la société Talbot aux dépens.
- En conséquence, inscrire au passif de la société Métal Protection la somme de 47 247,19 euros (correspondant au total des sommes versées par la société Talbot Découpage Emboutissage à la société Métal Protection en exécution du jugement).
- Confirmer le jugement rendu le 10 mai 2021 par le tribunal de commerce de Paris uniquement en ce qu'il a débouté la société Métal Protection de sa demande formulée au titre de la rupture brutale des relations commerciales,
Et statuant à nouveau,
- Débouter la société MJ & Associés, en qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la société Métal Protection de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
À titre reconventionnel,
- Fixer au passif de la société Métal Protection la somme de 10 250 euros au titre du coût des pièces qu'elle a abusivement retenues,
- Fixer au passif de la société Métal Protection la somme de 121 579 euros au titre du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies dont elle est à l'initiative,
En tout état de cause,
- Fixer au passif de la société Métal Protection la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Fixer au passif de la société Métal Protection les entiers dépens.
Par ses dernières conclusions notifiées le 28 mai 2024, la société Métal Protection, la SELARL AJRS, prise en la personne de Me [N] [U] en qualité d'administrateur judiciaire à la procédure de redressement judiciaire de la société
Métal Protection, la SELARL MJ & Associés, prise en la personne de Me [W],
en qualité de mandataire judiciaire à la procédure de redressement judiciaire de la
société Métal Protection demandent, au visa des articles 1103 et 1231-6 du code civil, L442-6 I 5° et L441-1 II du code de commerce, et 700 du code de procédure civile, de :
- Juger recevables et fondées l'intervention et la constitution de la Selarl MJ & Associés, prise en la personne de Me [W], en qualité de mandataire judiciaire et de la Selarl AJRS, prise en la personne de Me [U], en qualité d'administrateur judiciaire.
- Sur la confirmation des chefs du jugement attaqués :
- Juger que la société Métal Protection est créancière de la société Talbot à hauteur de la somme de 35 745,88 euros TTC au titre du solde des factures n°18071, 18121, 18130, 18192, 18297, 18355, 18361, 18409, 18444, 18448, 18500 et 18566,
- Juger que la société Métal Protection a légitiment retenu les pièces objets de sa facture n°18566 demeurée impayée,
- Juger que la société Métal Protection n'a procédé à aucune rupture brutale de ses relations avec la société Talbot,
En conséquence,
- Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Talbot à payer à la société Métal Protection, la somme de 35 745,88 euros TTC au titre du solde des factures impayées, augmentée de la pénalité de retard conventionnelle au taux BCE augmenté de 10 points à compter du premier jour suivant la date de règlement de chaque facture, outre la somme de 440 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement,
- Débouter la société Talbot de l'ensemble de ses demandes financières à l'encontre de la société Métal Protection,
A titre incident sur la rupture brutale de la relation commerciale établie opérée par la société Talbot,
- Juger que la société Talbot a entretenu une relation commerciale établie avec la société Métal Protection,
- Juger que la société Talbot a brutalement rompu cette relation commerciale le 24 octobre 2018,
- Fixer la durée du préavis raisonnable à 18 mois,
- Juger que la rupture brutale de la relation commerciale établie entre la société Talbot et la société Métal Protection est constitutive d'une rupture brutale des relations commerciales établies,
En conséquence,
- Infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Métal Protection de sa demande indemnitaire au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies,
Statuant à nouveau,
- Condamner la société Talbot à payer à la société Métal Protection, à titre de dommages et intérêts la somme de 126 084,95 euros en réparation du préjudice subi consécutivement à la brutalité de la rupture,
A titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour considérait en statuant à nouveau que la société Métal Protection est à l'origine de la rupture de la relation commerciale,
- Juger que cette rupture n'est pas brutale,
En conséquence,
- Rejeter l'ensemble des demandes formées par la société Talbot,
A titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire la cour considérait en statuant à nouveau que la société Métal Protection est à l'origine d'une rupture brutale de la relation commerciale,
- Juger que le préjudice invoqué par la société Talbot n'est pas lié à la brutalité de la rupture,
- Juger qu'il n'est pas justifié.
En conséquence,
- Rejeter l'ensemble des demandes formées par la société Talbot,
En tout état de cause,
- Condamner la société Talbot à payer à la société Métal Protection, la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la société Talbot aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 30 mai 2024.
La cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la demande de la société Métal Protection en paiement des factures
La société Talbot fait valoir que :
- les conditions générales de l'Union des industries des technologies de surface ne lui ont pas été notifiées et elle ne les a pas acceptées ; elles lui sont donc inopposables,
- Les factures n'ont pas été émises sur la base d'un tarif négocié. La société Talbot a fait part de son désaccord quant aux nouveaux tarifs de la société Métal Protection.
La société Métal Protection réplique que :
- Le nouveau tarif a été notifié à la société Talbot, qui ne l'a jamais contesté et n'a pas sollicité de délai.
- Les factures émises conformément aux nouveaux tarifs expriment l'accord des parties et doivent être réglées par la société Talbot.
- Les conditions générales de l'Union des industries des technologies de surfaces, notifiées et acceptées tacitement par la société Talbot, régissent la relation des parties.
- Les accusés de réception de commande forment chacun un contrat définitif définissant les obligations réciproques des parties,
L'article L. 441-6, I, fait obligation à « tout producteur, prestataire de services, grossiste ou importateur de communiquer ses conditions générales de vente à tout acheteur de produits ou tout demandeur de prestations de services qui en fait la demande pour une activité professionnelle ».
Ce même article précise que ces conditions générales de vente « constituent le socle unique de la négociation commerciale ».
L'article 1119 du code civil dispose : « Les conditions générales invoquées par une partie n'ont effet à l'égard de l'autre que si elles ont été portées à la connaissance de celle-ci et si elle les a acceptées. En cas de discordance entre des conditions générales invoquées par l'une et l'autre des parties, les clauses incompatibles sont sans effet. En cas de discordance entre des conditions générales et des conditions particulières, les secondes l'emportent sur les premières. »
La société Métal Protection justifie avoir adressé à la société Talbot les conditions générales de façonnage de l'Union des industries des technologies de surfaces par courrier recommandé avec avis de réception du 27 juin 2013 ; l'adresse de la société Talbot sur l'avis de réception signé permet d'identifier le destinataire du courrier.
La société Métal Protection précise dans son courrier que « ces conditions, déposées au greffe du tribunal de commerce de Paris le 10 /12/ 2012 régissent les relations commerciales entre les façonniers du traitement de surface et leurs donneurs d'ordre. »
Les deux sociétés entretenaient des relations commerciales et des commandes ont été régulièrement passés entre les deux sociétés entre 2013 et 2018. La société Talbot a donc eu connaissance de ces conditions générales et les a acceptées en continuant à passer des commandes pendant cinq ans après la réception de ce courrier.
Aux termes de l'article 2.1 de ces conditions générales, à défaut d'accord des deux parties sur un prix, avant l'exécution du travail, le prix sera facturé par le façonnier sur la base de sa proposition. »
Ces dispositions autorisaient la société Métal Protection à fixer ses tarifs ; celle-ci explique qu'elle a été amenée pour des motifs économiques à augmenter ses prix qui n'avaient pas été revus depuis plusieurs années.
Les sociétés Talbot et Métal Protection se sont rencontrées le 15 février 2018 afin de discuter des tarifs appliqués par cette dernière. Suite à cette réunion, la société Métal Protection a par courriel du 28 février 2018 indiqué à sa cocontractante : « comme spécifié lors de cet entretien, nous vous confirmons devoir revoir à la hausse certains prix historiquement bas. Ces prix sont prévus pour un volume annuel équivalent à 140 k € par an et pourront faire l'objet d'une réévaluation après un délai de prévenance de 30 jours. Les articles non spécifiées dans ce fichier devront faire l'objet d'une demande de prix de votre part ' » et a transmis à la société Talbot sa nouvelle grille tarifaire prévoyant une hausse de tarif pour la moitié des références de prestations.
Le 2 mars 2018, le directeur de la société Talbot répondait : « nous allons analyser cela début de semaine prochaine mais certain prix semble déjà très inquiétant ! ! ! ».
Le directeur de la société Métal Protection précisait le même jour à son interlocuteur qu'il attendait ses analyses et commentaires sur les nouveaux tarifs, sollicitant donc expressément son avis.
La société Talbot verse aux débats un courrier qu'elle affirme avoir envoyé à la société Métal Protection le 19 mars 2018 et dont les termes sont les suivants : « Suite à votre courrier concernant votre nouvelle grille tarifaire, j'ai le regret de vous informer qu'à ce jour, je ne peux y répondre favorablement. Au vu de l'ancienneté de notre collaboration commerciale, j'ai besoin d'un délai de 6 mois afin de pouvoir analyser la nouvelle proposition commerciale. »
La société Métal Protection soutient n'avoir jamais reçu ce courrier et la société Talbot ne rapporte pas la preuve de son envoi ni d'une réponse de son fournisseur alors que celui-ci répondait à ses courriels et demandes. Les deux sociétés ne communiquaient que par courriel.
Le 8 juin 2018, le directeur de la société Métal Protection demandait au directeur de la société Talbot de réactualiser les prix pour les articles transmis et le 28 juin 2018, celui-ci répondait « nous sommes en mise à jour de l'ensemble de vos prix dans notre « GPAO » [logiciel de gestion assisté par ordinateur]et cela nous demande beaucoup de travail. »
Par courriel des 20 avril, 2 mai, 6 et 19 juillet 2018, la société Métal Protection indiquait à la société Talbot : « nous avons bien reçu vos commandes et nous vous en remercions. Merci de modifier les prix et les tarifs en vigueur. »
Par courriel des 21 et 28 juin 2018, le directeur de la société Métal Protection demandait à la société Talbot de régulariser le solde impayé de factures correspondant à l'augmentation des tarifs.
Le 28 septembre 2018, une réunion a eu lieu en présence notamment des directeurs des deux sociétés quant au règlement des factures, au partenariat entre les deux sociétés et à la réactualisation des prix.
Le 1er octobre 2018, le directeur de la société Talbot écrivait au directeur de la société Métal Protection : « Comme convenu, veuillez trouver ci-dessus un listing des articles pour lequel vous êtes fournisseur n°1 dans ma GPAO. Je vous ai fait une proposition pour des nouveaux prix. Si vous le souhaitez, nous allons ensuite pouvoir travailler sur les autres articles pour lequel vous êtes en en rang 2. Je suis disponible pour en discuter directement. »
Le 4 décembre 2018, la société Métal Protection lui ayant accordé un avoir de 2600 euros, la société Talbot répondait : « Merci pour l'avoir, je viens de passer toutes les réguls en compta, nous vous faisons le virement cet après-midi. »
Par courriel du 21 décembre 2018, le président de la société Talbot informait le directeur de la société Métal Protection que conformément aux ordres d'achat, la société Talbot n'avait jamais accepté l'augmentation des tarifs sans préavis.
Il résulte des échanges entre les deux sociétés que si la société Métal Protection a communiqué ses nouveaux tarifs le 28 février 2018 après en avoir informé la société Talbot, celle-ci a disposé d'un délai d'un mois pour analyser la nouvelle grille tarifaire sur laquelle elle ne s'est pas prononcée clairement tout en continuant à adresser des commandes sur la base de l'ancien tarif.
Elle a reçu les accusés de réception de commandes de la part de la société Métal Protection appliquant les nouveaux tarifs sans les contester et a poursuivi ses commandes tout en ayant connaissance de l'application de ces nouveaux tarifs.
Elle a par courriel du mois de juin 2018, affirmé « nous sommes en mise à jour de l'ensemble de vos prix dans notre GPAO » indiquant ainsi à sa cocontractante qu'elle prenait en compte les nouveaux tarifs.
Si la société Talbot fait valoir qu'elle n'a pas accepté les nouveaux tarifs, elle n'en a jamais fait part expressément à la société Métal Protection alors que celle-ci le lui avait demandé. Le fait qu'elle commande sur la base des anciens tarifs pouvait s'expliquer par le fait qu'elle n'avait pas actualisé sa propre tarification comme elle le soulignait au mois de juin 2018 dans ses deux courriels, ne contestant pas les accusés de réception de commandes qu'elle recevait régulièrement de son partenaire commercial.
Elle a poursuivi ses commandes et la société Métal Protection a continué à lui fournir des prestations pendant plus de six mois. Des discussions sur les prix applicables se sont poursuivies comme le démontrent la réunion du 26 septembre 2018 et le courriel du 1er octobre 2018.
Au vu des conditions générales de façonnage de l'Union des Industries des Technologies de Surfaces acceptées, de l'absence de réponse de la société Talbot quant à la révision des tarifs, et de la poursuite des commandes, la société Métal Protection était fondée à réclamer le paiement du solde des factures demeurées impayées.
Le jugement sera confirmé en ce que le tribunal a condamné la société Talbot à payer à la société Métal Protection la somme de 35 745,88 euros TTC au titre du solde des factures impayés, majorée des intérêts de retard au taux BCE augmenté de 10 points calculés à compter du 12 mars 2019, date de la mise en demeure, outre la somme de 440 euros (40 euros X 11 factures) au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement.
Sur la demande de la société Talbot en paiement de la somme de 10 250 euros
L'article 2286 du code civil énonce :
« Peut se prévaloir d'un droit de rétention sur la chose :
1° Celui à qui la chose a été remise jusqu'au paiement de sa créance ;
2° Celui dont la créance impayée résulte du contrat qui l'oblige à la livrer ;
3° Celui dont la créance impayée est née à l'occasion de la détention de la chose ;
4° Celui qui bénéficie d'un gage sans dépossession.
Le droit de rétention se perd par le dessaisissement volontaire. »
La société Talbot ayant continué à commander des pièces sans en régler le prix applicable et alors qu'elle s'était engagée à s'acquitter du solde des factures, le tribunal de commerce a jugé à juste titre que la société Talbot « ne saurait lui reprocher de ne pas avoir livré les pièces objets de la facture, alors que cette absence de livraison s'explique par son propre refus de se libérer de ses obligations de payer ».
La décision du tribunal de commerce repose sur ce point sur des motifs exacts et pertinents que la cour adopte ; en l'absence de moyens nouveaux et de nouvelles preuves, le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les demandes au titre de la rupture brutale de la relation commerciale
L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
La relation commerciale, pour être établie au sens de ces dispositions, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.
Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis.
Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.
Les parties reconnaissent qu'elles entretenaient des relations commerciales depuis 15 ans lorsque la rupture est intervenue en octobre 2018. La relation commerciale était donc établie.
L'augmentation conséquente de prix sans préavis est susceptible de constituer une rupture brutale de la relation commerciale.
En l'espèce, la société Talbot a poursuivi la relation en commandant des pièces après avoir été informée préalablement de l'application de nouveaux tarifs notamment par courriel du 28 février 2018, et les a acceptés ainsi qu'il résulte des termes de ses courriels du 28 juin 2018 et du 4 décembre 2018.
Elle n'est dès lors pas fondée à invoquer une rupture brutale de la relation commerciale par sa cocontractante.
La société Talbot a cessé de passer des commandes à la société Métal Protection en octobre 2018 sans l'en aviser, ce qui caractérise de sa part une rupture brutale des relations commerciales.
Elle ne lui a adressé un courriel que le 21 décembre 2018 pour lui réclamer un avoir de
16 076, 64 euros, lui demander la restitution des pièces qu'elle retenait et pour se plaindre d'une rupture brutale des relations.
Compte tenu de la relation commerciale d'une durée de 15 ans, du secteur d'activité de la société Métal Protection, et du pourcentage de chiffre d'affaires réalisé avec la société Talbot équivalant à 6,66% de son chiffre d'affaires total, la société Métal Protection pouvait prétendre au bénéfice d'un préavis d'une durée de six mois pour lui permettre de retrouver un nouveau client.
La société Métal Protection verse aux débats une attestation de son expert-comptable en date du 7 novembre 2019 rectifiée par une seconde attestation en date du 18 janvier 2020, la première comportant des erreurs. Cette dernière attestation sera retenue.
L'expert-comptable a évalué le chiffre d'affaires global de la société Métal Protection et celui réalisé avec la société Talbot sur les trois dernières années de relations et a évalué son préjudice sur la base de la marge sur coûts variables réalisée durant la même période.
Le chiffre d'affaires moyen annuel réalisé de 2016 à 2018 entre les deux sociétés s'est élevé à la somme de 138 523,58 euros ; la marge sur coûts variables pour l'activité totale de la société Métal Protection a été évaluée par l'expert-comptable sur ces trois années à une moyenne annuelle de 60,75% et dans les relations avec la société Talbot à la somme de 84 056,63 euros.
La société Métal Protection expose que compte tenu de la nature de son activité qui ne nécessite pas d'achats de matière, la part des coûts variables est très réduite ce qui explique son taux de marge. La société Talbot qui conteste les éléments comptables ne démontre pas que dans ce secteur d'activités de traitement des métaux par dépôt de zinc, ou usage de peinture, le taux de marge serait habituellement inférieur à celui dont l'application est sollicitée. Le fait de calculer le préjudice en prenant en compte les éléments comptables des trois dernières années est habituel.
Le préjudice subi par la société Métal Protection pour un préavis de six mois doit être évalué à :
84 056,63 euros (moyenne annuelle de la marge) /2 = 42 028,31 euros.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté la demande de la société Métal Protection sur le fondement de la rupture brutale. La société Talbot sera condamnée à verser à la société Métal Protection la somme de 42 028,31 euros en réparation du préjudice subi.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation à ce titre de la société Talbot qui est à l'origine de la rupture brutale.
Sur les demandes accessoires
Les dispositions de première instance relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront confirmées.
La société Talbot qui succombe sera condamnée aux dépens d'appel et devra verser à la société Métal Protection la somme de 8000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Constate l'intervention et la constitution de la Selarl MJ & Associés, prise en la personne de Maître [W], en qualité de mandataire judiciaire et de la Selarl AJRS, prise en la personne de Maître [U], en qualité d'administrateur judiciaire,
Infirme le jugement en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation de la société Métal Protection sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales,
Le confirme pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne la société Talbot Découpage Emboutissage à verser à la société Métal Protection la somme de 42 028,31 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice résultant de la rupture brutale de la relation commerciale,
Condamne la société Talbot Découpage Emboutissage à verser à la société Métal Protection la somme de 8000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Talbot Découpage Emboutissage aux dépens d'appel.