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Décisions

CA Metz, 6e ch., 17 octobre 2024, n° 22/02605

METZ

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Faramé (SAS)

Défendeur :

Oenoconcept (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Flores

Conseillers :

Mme Devignot, Mme Dussaud

Avocats :

Me Vanmansart, Me Coutachot, Me Bettenfeld, Me Breuil

T. com. Epinal, du 5 mars 2019, n° 22/02…

5 mars 2019

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :

La SAS Oenoconcept et la société Caddie Portugal devenue Farame ont conclu le 7 décembre 2011 un contrat de fourniture exclusive pour une durée de deux ans tacitement renouvelable et comportant une clause de non-concurrence.

Le 17 février 2016, la SAS Oenoconcept a saisi le président du tribunal de commerce d'Épinal d'une requête aux fins d'obtenir l'autorisation de faire saisir des documents et informations figurant sur les supports informatiques des SAS Farame, Fileurope et CMP en se prévalant d'une violation de la clause d'exclusivité contractuelle de la part de la SAS Farame, ainsi que d'agissements constitutifs de concurrence déloyale par détournement de clientèle et d'atteinte à ses droits privatifs sur ses dessins et modèles caractérisant une concurrence illicite imputable à cette société mais également aux autres sociétés du groupe à savoir les SAS Fileurope et CMP.

Le 25 février 2016, le président du tribunal de commerce d'Epinal a rejeté cette demande par ordonnance et la SAS Oenoconcept a interjeté appel.

Par arrêt du 1er juin 2016, la cour d'appel de Nancy a infirmé cette ordonnance et ordonné la saisie et la mise sous séquestre par huissier de documents et informations figurant sur les supports informatiques relatifs à la vente et à la commercialisation de caisses de remuage par les SAS Fileurope et CMP.

Le procès-verbal des opérations de constat a été dressé le 9 novembre 2016.

Le 10 octobre 2018, la SAS Oenoconcept a déposé une requête à fin d'assignation à bref délai devant le président du tribunal de commerce d'Epinal. Par ordonnance rendue le 16 octobre 2018, la SAS Oenoconcept a été autorisée à assigner les SAS Fileurope, Farame, CMP et Aryes devant le tribunal de commerce d'Epinal pour l'audience publique du 6 novembre 2018.

La SAS Oenoconcept a assigné à bref délai les SAS Farame, Fileurope, Aryes et CMP devant le tribunal de commerce d'Epinal aux fins de le voir :

Condamner in solidum les SAS Farame, Fileurope, Aryes et CMP à :

Lui payer à titre provisionnel une somme de 1 163 288 euros et la somme de 105 192,25 euros soit un total de 1 268 480,25 euros sauf à parfaire en application des articles 1240 et 1241 du Code civil ;

À désigner un expert chargé de déterminer :

- d'une part le nombre exact de containers de remuage fabriqués, vendus et commercialisés par la SAS Farame directement ou indirectement par les SAS CMP et/ou Fileurope sur les années 2015 à 2020, objet du contrat liant les SAS Oenoconcept et Farame et en violation de celui-ci, et cela au-delà des chiffres déjà en possession de la SAS Oenoconcept, issus des mesures de constat auxquelles elle a été autorisée à procéder selon les décisions de justice ci-après détaillées ;

- d'autre part le nombre exact de caisses de remuage fabriquées et/ou vendues par les SAS Farame, Fileurope et CMP à la société CHANDON CALIFORNIE et commercialisées à compter de 2015 en violation du contrat liant la SAS Oenoconcept, issus des mesures de constat auxquelles elle a été autorisée à procéder selon les décisions de justice ci-après détaillées ;

A respecter la clause de non-concurrence liant la SAS Oenoconcept et la SAS Farame sous astreinte de 4000 € par jour de retard et par infraction constatée (à savoir par caisse vendue en infraction de la clause de non-concurrence) et ce jusqu'au 31/12/2020, cette astreinte commençant à courir à compter de la signification du jugement à intervenir, le tribunal se réservant la liquidation de l'astreinte ;

A restituer les outillages confiés par la SAS Oenoconcept à la SAS Farame sous astreinte de 4000 euros par jour de retard et par outillage :

a) Outil de presse de mise en forme des grilles de côté ;

b) Gabarits de soudure robot de côté droit ;

c) Gabarits de soudure robot de côté gauche ;

d) Gabarits de soudure robot fond de grille ;

e) Gabarits de soudure robot grille 6° face ;

Cette astreinte commençant à courir à compter de la signification du jugement à intervenir, le tribunal se réservant la liquidation de l'astreinte ;

La SAS Oenoconcept a également sollicité du tribunal qu'il :

a) Assortisse ses condamnations de l'exécution provisoire ;

b) Ordonne la publication du jugement à intervenir aux frais des SAS Aryes, Fileurope, Farame et CMP dans la limite de 1000 euros par publication dans deux journaux : Les Échos et L'Union ;

c) Condamne in solidum les SAS Aryes, Fileurope, Farame et CMP à lui payer une somme de 80 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

d) Condamne in solidum les SAS Aryes, Fileurope, Farame et CMP aux entiers dépens d'instance et ce y compris les frais d'exécution de la décision à intervenir ;

e) Déclare le jugement opposable aux sociétés CHANDON US et CHANDON France.

Par jugement contradictoire rendu le 05 mars 2019, le tribunal de commerce d'Epinal a :

- Condamné les SAS Fileurope, Farame, CMP et Aryes à verser in solidum à la SAS Oenoconcept la somme provisionnelle de 257 130 euros à titre de préjudice pour l'année 2016;

- Débouté la SAS Oenoconcept du surplus de sa demande;

- Reçu la SAS Oenoconcept en sa demande d'expertise judiciaire,

Nomme ainsi :

[A] [U] [Adresse 3], expert judiciaire près la cour d'appel de Nancy, avec pour mission :

- De déterminer:

- d'une part le nombre exact de containers de remuage fabriqués, vendus et commercialisés par la SAS Farame directement ou indirectement par les SAS CMP et /ou Fileurope sur la période allant du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2018, objet du contrat liant les SAS Oenoconcept et Farame et cela au-delà des chiffres déjà en possession de la SAS Oenoconcept, issus des mesures de constat auxquelles elle a été autorisée à procéder selon les décisions de justice;

- d'autre part le nombre exact de caisses de remuage fabriquées et/ou vendues par les SAS Farame, Fileurope et CMP à la société CHANDON US et commercialisées sur la période allant du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2018, et cela au-delà des chiffres déjà en possession de la SAS Oenoconcept, issus des mesures de constat auxquelles elle a été autorisée à procéder selon les décisions de justice;

- De se faire remettre tous documents utiles à l'accomplissement de sa mission;

- De donner tous éléments de nature à déterminer les préjudices subis;

Précise que cette recherche concernera les éléments relevés sur la période comprise entre le 1er janvier 2015 et le 31 décembre 2018;

Dit que l'expert, s'il le juge utile, pourra recueillir l'avis d'un autre technicien,

Dit que l'expert devra déposer son rapport définitif dans un délai de 6 mois à compter de sa saisine;

Dit qu'en cas de difficulté dans l'accomplissement de sa mission l'expert en fera rapport au juge chargé des expertises;

Fixe à 5 000 € le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l'expert, provision devant être consignée au greffe dans le mois de la présente décision par la SAS Oenoconcept;

Dit qu'à défaut de consignation dans le délai prescrit, il sera constaté que la désignation de l'expert est caduque;

Dit qu'en cas d'empêchement de l'expert ou de refus de sa part, il sera, à la requête de la partie la plus diligente et même d'office, procédé à son remplacement par ordonnance présidentielle;

Dit que le magistrat chargé du contrôle des mesures d'instruction suivra l'exécution de la présente expertise.

- Débouté la SAS Oenoconcept de sa demande au tribunal de faire respecter la clause de non-concurrence liant la SAS Oenoconcept et la SAS Farame sous astreinte;

- Ordonné la restitution des outillages confiés par la SAS Oenoconcept à la SAS Farame;

- Dit que cette restitution se fera aux frais de la SAS Oenoconcept, mais que la mise en place des modalités de retour incombera à la SAS Farame;

- Dit que ce retour devra se réaliser dans un délai de 60 jours à compter de la décision à intervenir, et ce sous astreinte d'une somme de 2 000 € par jour de retard, le tribunal se réservant la liquidation de l'astreinte;

- Débouté les SAS Fileurope, Farame, CMP et Aryes de l'ensemble de leurs demandes reconventionnelles;

- Condamné les SAS Fileurope, Farame, CMP et Aryes à verser in solidum à la SAS Oenoconcept la somme de 15 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile;

- Condamné les SAS Fileurope, Farame, CMP et Aryes in solidum aux dépens de l'instance;

- Dit que cette décision n'est pas opposable aux sociétés CHANDON USA et CHANDON France;

- Dit qu'il n'y a pas lieu à publication de cette décision;

- Dit qu'il ne sera pas fait application de l'exécution provisoire de cette décision.

Par déclaration du 1er avril 2019, enregistrée au greffe de la cour d'appel de Nancy le 02 avril 2019, les SAS Fileurope, Farame, CMP et Aryes ont interjeté appel aux fins de réformation du jugement rendu le 05 mars 2019 par le tribunal de commerce d'Epinal en ce qu'il a :

- Omis de statuer en son dispositif sur l'incompétence matérielle du tribunal de commerce en matière de propriété industrielle et concurrence déloyale au profit du tribunal de grande instance;

- Subsidiairement, omis de statuer en son dispositif sur l'incompétence géographique du tribunal de commerce d'Epinal au profit du tribunal de commerce de Paris;

- Intrinsèquement (et bien que cette mention ne soit pas reprise au dispositif du jugement) retenu l'application d'un engagement contractuel de non-concurrence et ce jusqu'au 31 décembre 2018;

- Condamné les SAS Fileurope, Farame, CMP et Aryes à verser, in solidum, à la SAS Oenoconcept la somme provisionnelle de 257 130 euros;

- Reçu la SAS Oenoconcept en sa demande d'expertise judiciaire;

- Dit que les modalités de retour des outillages incomberont à la SAS Farame et que ce retour devra se réaliser dans un délai de 60 jours sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard;

- Débouté les SAS Fileurope, Farame, CMP et Aryes de leurs demandes reconventionnelles;

- Condamné les SAS Fileurope, Farame, CMP et Aryes, in solidum, à payer à la SAS Oenoconcept la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par arrêt contradictoire rendu le 13 janvier 2021, la cour d'appel de Nancy a :

- Constaté que la pièce n°76 de la SAS Oenoconcept versée aux débats a été régulièrement communiquée aux appelantes ;

- Déclaré recevable les conclusions des appelantes du 23 septembre 2020;

- Confirmé le jugement du tribunal de commerce d'Epinal en date du 5 mars 2019, sauf en ce qu'il a :

- Condamné les SAS Fileurope, Farame, CMP et Aryes à verser in solidum à la SAS Oenoconcept la somme provisionnelle de 257 130 euros à titre de préjudice pour l'année 2016;

- Débouté la SAS Oenoconcept du surplus de sa demande;

- Donné pour mission à l'expert de : « déterminer d'une part le nombre exact de containers de remuage fabriqués, vendus et commercialisés par la SAS Farame, directement ou indirectement, par les SAS CMP et/ou Fileurope sur la période allant du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2018, objet du contrat liant les SAS Oenoconcept et Farame et cela au-delà des chiffres déjà en possession de la SAS Oenoconcept, issus des mesures de constat auxquelles elle a été autorisée à procéder selon les décisions de justice, et d'autre part le nombre exact de caisses de remuage fabriquées et/ou vendues par les SAS Farame, Fileurope et CMP à la société CHANDON US et commercialisées sur la période allant du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2018, et cela au-delà des chiffres déjà en possession de la SAS Oenoconcept, issus des mesures de constat auxquelles elle a été autorisée à procéder selon les décisions de justice »;

- Condamné les SAS Fileurope, Farame, CMP et Aryes à verser in solidum à la SAS Oenoconcept la somme de 15 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile;

- Condamné les SAS Fileurope, Farame, CMP et Aryes in solidum aux dépens de l'instance;

- Infirmé le jugement entrepris dans ces seuls chefs;

Statuant à nouveau dans cette limite et ajoutant au jugement déféré,

- Dit que le contrat a pris fin à son échéance du 31 décembre 2013;

- Débouté la SAS Oenoconcept de ses demandes relatives aux clients Cave coopérative de Turckheim, [Adresse 6], Gruet Winery et Mignon Distribution;

- Débouté la SAS Oenoconcept de ses demandes dirigées contre les SAS Aryes et CMP.

- Dit que la SAS Farame a engagé sa responsabilité contractuelle à l'égard de la SAS Oenoconcept pour manquement à l'obligation de non-concurrence découlant du contrat de fourniture exclusive du 7 décembre 2011;

- Dit que la SAS Fileurope a engagé sa responsabilité délictuelle à l'égard de la SAS Oenoconcept pour concurrence déloyale par détournements de clientèle et agissements parasitaires;

- Condamné la SAS Fileurope et la SAS Farame in solidum à payer à la SAS Oenoconcept la somme provisionnelle de 257 130 euros à valoir sur son préjudice pour l'année 2016;

- Débouté la SAS Oenoconcept du surplus de sa demande de provision;

- Sursis à statuer sur l'évaluation du préjudice subi par la SAS Oenoconcept dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise;

- Modifié la mission confiée à l'expert en ce qu'il devra déterminer le nombre exact de containers de remuage fabriqués, vendus et commercialisés directement ou indirectement par les SAS Farame et/ou Fileurope sur la période allant du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2018, à destination de la société [Adresse 5] au-delà des chiffres déjà en possession de la SAS Oenoconcept issus des mesures de constat auxquelles elle a été autorisée à procéder selon les décisions de justice;

- Sursis à statuer sur les dépens et frais irrépétibles de première instance;

- Renvoyé la cause et les parties devant le tribunal de commerce d'Epinal pour qu'il soit statué sur le préjudice après dépôt du rapport d'expertise;

- Débouté les SAS Fileurope, Farame, CMP et Aryes de leur demande en application de l'article 700 du Code de procédure civile;

- Condamné la SAS Farame et la SAS Fileurope in solidum aux entiers dépens d'appel ainsi qu'à payer à la SAS Oenoconcept une indemnité de procédure d'un montant de 15 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Les SAS Farame et Fileurope ont formé un pourvoi en cassation contre l'arrêt rendu le 13 janvier 2021 par la cour d'appel de Nancy.

La SAS Oenoconcept a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

Par arrêt du 28 septembre 2022, la Cour de cassation a:

- Cassé et annulé l'arrêt rendu le 13 janvier 2021 par la cour d'appel de Nancy, mais seulement en ce qu'il dit que la SAS Farame a engagé sa responsabilité contractuelle à l'égard de la SAS Oenoconcept pour manquement à l'obligation de non-concurrence découlant du contrat de fourniture exclusive du 7 décembre 2011;

- En ce qu'il condamne la SAS Farame à payer à la SAS Oenoconcept la somme provisionnelle de 257 130 euros à valoir sur son préjudice pour l'année 2016;

- Et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile entre la SAS Oenoconcept et la SAS Farame;

- Condamné la SAS Oenoconcept aux dépens.

Par déclaration au greffe de la cour d'appel de Metz du 17 novembre 2022, la SAS Farame a saisi la cour de céans aux fins de reprise d'instance après cassation, en intimant la SAS Oenoconcept.

Par dernières conclusions du 9 mars 2023, auxquelles il est référé pour l'exposé des moyens et prétentions, la SAS Farame demande à la cour d'appel de Metz de:

"Réformer le jugement du tribunal de commerce d'Epinal en date du 5 mars 2019 en ce qu'il a:

- Retenu l'application d'un engagement contractuel de non-concurrence et ce jusqu'au 31 décembre 2018 ;

- Condamné la SAS Farame, à verser - in solidum - à la SAS Oenoconcept la somme provisionnelle de 257 130 euros;

- Reçu la SAS Oenoconcept en sa demande d'expertise judiciaire de ces chefs et attrait la SAS Farame aux mesures d'expertise ordonnées;

- Condamné la SAS Farame - in solidum - à payer à la SAS Oenoconcept la somme de 15.000 euros en application de l'article 700 Code de procédure civile et aux entiers dépens;

Statuant à nouveau.

- Constater, conformément aux motifs de cassation, qu'il ne peut être retenu à l'encontre de la SAS Farame aucune faute à défaut de violation d'une quelconque obligation contractuelle de non-concurrence ou d'exclusivité applicable;

- Constater que la cour d'appel de Nancy n'a retenu aucune responsabilité délictuelle à l'encontre de la SAS Farame, que la SAS Oenoconcept n'a pas formé pourvoi en cassation de ce chef et qu'à ces titres l'arrêt de la cour d'appel de Nancy ne retenant aucune responsabilité délictuelle de la SAS Farame a un caractère définitif;

- Débouter la SAS Oenoconcept de l'ensemble de ses demandes de ces chefs et de toute condamnation à l'encontre de la SAS Farame;

- Exclure la SAS Farame des mesures d'expertise ordonnées;

- Condamner la SAS Oenoconcept à payer à la SAS Farame la somme de 50.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile;

- Condamner la SAS Oenoconcept aux entiers dépens.

Par dernières conclusions du 16 février 2024, auxquelles il est référé pour l'exposé des moyens et prétentions, la SAS Oenoconcept demande à la cour de:

- 1°/ Débouter la SAS Farame de l'intégralité de ses demandes de réformation.

PRINCIPALEMENT, juger que la SAS Farame a engagé sa responsabilité contractuelle;

SUBSIDIAIREMENT, juger que la SAS Farame a engagé sa responsabilité délictuelle;

- 2°/ Confirmer le jugement du tribunal de commerce d'Epinal en date du 5 mars 2019:

- En ce qu'il a condamné la SAS Farame in solidum avec la SAS Fileurope « à verser in solidum à la SAS Oenoconcept la somme provisionnelle de 257 130 € à titre de préjudice pour l'année 2016 » en retenant pour l'essentiel que M. [T] en tant que dirigeant des SAS Farame et Fileurope « a effectivement bien fait détourner comme il l'avait annoncé la fabrication et la commercialisation des caisses de remuage de la SAS Farame vers la SAS Fileurope, sans tenir compte des mises en garde faites par la SAS Oenoconcept par l'intermédiaire de son conseil;

- En ce qu'il a jugé :

- « que ces actions engageaient la responsabilité extracontractuelle de ce groupe de sociétés »;

- que l'interdépendance de ces sociétés, démontrée précédemment, ne fait aucun doute, amenant à entraîner la responsabilité extracontractuelle de ce groupe, que par conséquent le fait que le groupe Aryes pris dans sa globalité ait conclu ce marché sans passer par la SAS Oenoconcept s'assimile à une violation des obligations contractuelles stipulées dans le contrat signé le 7 décembre 2011, et ce en dépit des mises en garde formulées au préalable par la SAS Oenoconcept » ;

- Reçu la SAS Oenoconcept en sa demande d'expertise judiciaire contre la SAS Farame, en retenant pour l'essentiel que « pour la détermination du préjudice ci-dessus évoqué, les années 2017 et 2018 n'ont pu être prises en compte faute d'éléments probants fournis au tribunal »;

- Condamné la SAS Farame in solidum avec la SAS Fileurope à verser in solidum à la SAS Oenoconcept la somme de 15 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile;

- 3°/ En cause d'appel condamner la SAS Farame aux entiers dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la SAS Oenoconcept une somme de 30.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 février 2024.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur la saisine de la cour d'appel de Metz :

Conformément à l'article 624 du code de procédure civile, la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce. Elle s'étend également à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.

Selon l'article 631 du code de procédure civile, devant la juridiction de renvoi, l'instruction est reprise en l'état de la procédure non atteinte par la cassation.

En vertu de l'article 638 du code de procédure civile, l'affaire est à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi, à l'exclusion des chefs non atteints par la cassation.

La Cour de Cassation a partiellement cassé l'arrêt de la cour d'appel de Nancy, seulement en ce -qu'il dit que la SAS Farame a engagé sa responsabilité contractuelle à l'égard de la SAS Oenoconcept pour manquement à l'obligation de non-concurrence découlant du contrat de fourniture exclusive du 7 décembre 2011;

- En ce qu'il condamne la SAS Farame à payer à la SAS Oenoconcept la somme provisionnelle de 257 130 euros à valoir sur son préjudice pour l'année 2016;

- Et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile entre la SAS Oenoconcept et la SAS Farame, et a remis sur ces seuls points, l'affaire et les parties dans l 'état ou elles se trouvaient avant cet arrêt.

Dès lors le litige à trancher par la cour d'appel de Metz est restreint à celui opposant la SAS Oenoconcept et la SAS Farame sur la question de savoir si la responsabilité de la société Farame est engagée et si la provision à laquelle le tribunal a condamné celle-ci est justifiée dans son principe et son montant.

A ces égards la société Oenoconcept est susceptible d'invoquer des moyens nouveaux ainsi que prévu par l'article 632 du code de procédure civile.

Par ailleurs l'arrêt de la cour d'appel de Nancy n'a pas été cassé en ce qu'il a dit que le contrat a pris fin à son échéance du 31 décembre 2013. Il n'y a dès lors pas lieu de statuer sur la date de fin du contrat.

Enfin la cour d'appel de Metz n'est pas saisie de la question de la responsabilité de la société Fileurope, déjà tranchée par la cour d'appel de Nancy, de sorte que les moyens soutenant que celle-ci n'aurait pas engagé sa responsabilité sont inopérants.

Au fond :

- sur la responsabilité contractuelle de la société Farame :

Les développements de la SAS Farame concernant l'absence de droit de propriété intellectuelle opposable par la SAS Oenoconcept, et l'absence d'un usage de loyauté sont inopérants, dès lors que cette dernière ne se prévaut pas de la violation d'un droit de propriété intellectuelle, ni d'un usage de loyauté, mais d'un manquement à une obligation contractuelle de non-concurrence.

Les parties ont signé un contrat de fourniture exclusive en date du 07/12/2011, aux termes duquel, notamment :

- il est préalablement rappelé que "Caddie Portugal SA (devenue Farame) fabrique notamment des containers de stockage de bouteilles", et que "la SAS Oenoconcept fabrique ou fait fabriquer et commercialise notamment des containers de remuage destinés à l'industrie vinicole",

- il est stipulé à l'article "1, objet du contrat" :

"La SAS Oenoconcept s'engage à commander un volume de containers de remuage fabriqué par Caddie Portugal pendant les deux années du contrat, pour une valeur totale minimum de 1.200.000 € HT",

En contrepartie de cet engagement de la SAS Oenoconcept, la société Caddie Portugal SA s'engage à fournir à la SAS Oenoconcept en exclusivité, les produits Containers de Remuage de sa fabrication.

Caddie Portugal SA s'interdit pendant toute la durée du contrat de vendre directement ou indirectement les produits Containers de Remuage, à une autre personne que la SAS Oenoconcept",

- il est stipulé à l'article "10 : Clause de non-concurrence" :

« La Caddie Portugal SA s'engage à ne pas fabriquer ni à commercialiser pour son propre compte ou pour le compte de tiers, les Containers de Remuage et accessoires qui lui sont commandés par la SAS Oenoconcept sur ses propres plans ou concepts et à ne pas la concurrencer directement ou indirectement sur l'ensemble de son activité de remuage, le tout pendant toute la durée du contrat et également pendant une durée de trois années, postérieurement à la date de résiliation du présent contrat quel que soit le mode ou la raison de la résiliation du présent contrat.

Toute infraction à l'obligation définie aux alinéas précédents sera considérée comme un évènement qui pourra, à la seule volonté de la société Oenoconcept, être immédiatement sanctionné par la rupture du contrat et le versement d'indemnités proportionnelles au préjudice subi par le non-respect du présent engagement par la société Caddie Portugal.

Cette obligation de non-concurrence trouve sa cause dans l'exécution du présent contrat et sans la souscription de laquelle le contrat n'aurait pas été conclu».

- sur l'exception de nullité du contrat :

Selon l'article 1108 du code civil, dans sa version applicable à la date de conclusion du contrat du 7 décembre 2011, l'existence d'un objet certain qui forme la matière de l'engagement est une condition essentielle de la validité de la convention.

L'article 1126 du code civil, dans sa version applicable au litige, précise :" Tout contrat a pour objet une chose qu'une partie s'oblige à donner, ou qu'une partie s'oblige à faire ou à ne pas faire".

En, l'espèce le contrat précise en son article 1 les obligations réciproques des parties, à savoir la passation de commandes de containers de remuage pour un minimum de 1 200 000 euros HT pour la SAS Oenoconcept, et la fabrication de ceux-ci par la société Caddie Portugal SA devenue Farame.

Dès lors le contrat comporte un objet certain et licite, de sorte que l'exception de nullité du contrat invoquée par la société Farame doit être rejetée.

- sur le moyen selon lequel le contrat n'aurait jamais pris effet :

Le contrat a été établi pour une durée de deux ans du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013, ainsi qu'il ressort de son article 5.

Il ressort de l'attestation de M. [E] [J], commissaire aux comptes de la SAS Oenoconcept, qui indique avoir effectué des vérifications de concordances nécessaires entre les factures du fournisseur "Caddie Farame", et les éléments servant de base à l'établissement des comptes annuels, que les montants du chiffre d'affaires réalisés par la société Caddie devenue Farame avec la SAS Oenoconcept se sont élevés à 373 649,81 euros TTC pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2012 et à 724 667,60 euros pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2013, soit un total de 1 098 317,41 euros TTC. Cette attestation corrobore les indications figurant sur les extraits du Grand Livre (comptes fournisseurs) pour les années concernées (pièce 26 de la SAS Oenoconcept).

Dans une seconde attestation en date du 7 mai 2019 M. [E] [J] a joint l'ensemble des commandes effectuées par la SAS Oenoconcept de fin 2011 à fin 2013 (portant sur quelques prototypes, et principalement sur des caisses fil boulonnées et des Grilles 6' face, soit des produits listés dans l'annexe 1 au contrat du 7 décembre 2011) ainsi que les factures correspondantes de la SAS Farame.

Face à ces éléments de preuve établissant que le contrat a été partiellement exécuté, l'appelante ne détaille pas les factures ainsi produites et ne démontre pas en quoi, le cas échéant, elles seraient sans lien avec le contrat conclu par les parties.

La SAS Farame soutient à tort que le contrat n'aurait jamais pris effet.

- sur l'exception d'inexécution :

L'exception d'inexécution permet au débiteur d'une obligation de ne pas l'exécuter si l'autre partie au contrat n'exécute pas la sienne de manière suffisamment grave.

En l'espèce il ressort des pièces 26 et 76 précitées que les commandes passées par la SAS Oenoconcept sur la durée de deux ans du contrat de janvier 2012 au 31 décembre 2013, qui ont permis le chiffre d'affaires correspondant pour la société Caddie - Farame, ont totalisé 990 492,92 euros TTC, en ne retenant que les commandes passées à partir du 1er janvier 2012, comptabilisées dans le tableau joint à la seconde attestation de M. [J].

L'engagement de commander un volume de "containers de remuage" de 1 200 000 euros HT ne portait pas que sur les produits correspondant uniquement à des "containers" mais aussi sur leurs "accessoires" et sur tous leurs "composants entrant dans leur fabrication", qui relèvent de la dénomination "containers de remuage" choisie par les parties en page 2 du contrat. Ainsi les prototypes, grilles 6ème face, grilles de fond, portillons et kit grilles font partie des produits containers de remuage à intégrer dans les commandes au titre du contrat. En outre le montant ci-dessus de 990 492,92 euros TTC n'inclut pas les commandes antérieures au 1er janvier 2012. Enfin si le contrat contient en annexe 1 une "liste des produits standard", il ne ressort pas de l'article 1 que le montant de commandes totalisant 1 200 000 euros HT ne devait porter que sur lesdits produits standard, de sorte que la commande 195 du 26 février 2013 n'a pas à être exclue. La SAS Farame soutient à tort que le montant des commandes devrait être corrigé en déduisant 135 014,80 euros ainsi qu'elle ne soutient en page 29 de ses conclusions.

Ainsi le montant des commandes effectivement passées par la SAS Oenoconcept durant les deux ans du contrat a représenté 990 492,92 euros TTC.

Le montant hors taxe étant inférieur à ce chiffre, il est manifeste que l'engagement de commandes d'un total de 1 200 000 euros hors taxes n'a pas été respecté.

Cependant cette inexécution partielle du contrat n'était pas suffisamment grave pour que la SAS Farame s'affranchisse de son obligation de non-concurrence.

En premier lieu la clause de non-concurrence prévue à l'article 10 du contrat ne constitue pas la répétition de l'engagement d'exclusivité pris par la société Caddie Portugal à l'article 1er. La clause d'exclusivité s'impose durant les relations contractuelles, alors que la clause de non-concurrence, rédigée de manière différente, se prolonge au-delà de la durée du contrat.

En second lieu l'engagement pris à l'article 10 du contrat précité par la société caddie Portugal devenue SAS Farame envers la SAS Oenoconcept "à ne pas la concurrencer directement ou indirectement sur l'ensemble de son activité de remuage", "pendant une durée de trois années, postérieurement à la date de résiliation du (présent) contrat" ne constitue pas la contrepartie de l'engagement de la SAS Oenoconcept à lui commander 1 200 000 euros HT de containers de remuage.

En effet il est précisé à l'article 10 que cet engagement de non concurrence pour une période de trois ans postérieure à la résiliation du contrat existe " quel que soit le mode ou la raison de la résiliation du présent contrat", ce qui couvre l'hypothèse d'une défaillance de la SAS Oenoconcept dans l'exécution de son obligation. En outre les deux derniers alinéas l'article 10 indiquent le caractère essentiel de cette clause de non-concurrence pour la société Oenoconcept.

Il ressort expressément de l'article 10 que la SAS Oenoconcept a conditionné la conclusion du contrat à la souscription de cette clause de non-concurrence par la société Caddie Portugal, et il n'en ressort pas que celle-ci a conditionné l'engagement de non-concurrence postérieur à la résiliation à l'exécution intégrale des obligations de sa cocontractante.

De plus il est précisé à l'article "4.1.1 engagement bi-annuel de fabrication" - dont l'appelante se prévaut - que : "la SAS Oenoconcept s'engage à faire fabriquer par Caddie Portugal SA des produits pour un montant minimum de 1 200 000 € HT, sur la période contractuelle. La sanction d'une telle inexécution sur deux années consécutives ouvrant à la société Caddie Portugal SA la possibilité de ne pas renouveler le présent contrat." Il a été ainsi prévu par les parties que l'engagement "bi-annuel" ou biennal de 1 200 000 euros HT portait sur la période contractuelle de 2 ans, et qu'à défaut la société Caddie Portugal SA pourrait ne pas renouveler le contrat.

Par ailleurs il se déduit des conclusions de la SAS Farame que le taux de TVA représentait 20 % (notamment page 27), de sorte que le montant de commandes en deux ans représente 825 410,76 euros HT sur une somme totale de 990 492,92 euros TTC. Ainsi la SAS Oenoconcept qui a commandé pour 825 410,76 euros HT sur un engagement de 1 200 000 euros HT a respecté la majeure partie de ses obligations contractuelles (plus de 68 %).

Enfin cette inexécution partielle par la SAS Oenoconcept justifie d'autant moins l'inexécution de l'obligation de non-concurrence après la fin du contrat que la SAS Farame a fait le choix en toute connaissance de cause de continuer ses relations d'affaires avec celle-ci. Il ressort de la pièce n° 26 précitée qu'elle lui a facturé au total 801 225,225,61 euros TTC pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2014, soit durant l'année qui a suivi la résiliation du contrat datant du 31 décembre 2013.

Au regard de tout ce qui précède le manquement de la SAS Oenoconcept n'est pas suffisamment grave pour justifier une exception d'inexécution de la part de la SAS Farame.

- sur la violation de l'obligation de non-concurrence par la SAS Farame :

La clause de non-concurrence a notamment pour objet d'interdire à la SAS Farame d'exercer une activité professionnelle similaire sur l'ensemble de l'activité de remuage, directement ou indirectement, trois ans après l'expiration du contrat, soit jusqu'au 31 décembre 2016.

La SAS Oenoconcept soutient à tort que "la réalité juridique de la transmission par la SAS Farame à la SAS Fileurope d'information ne peut plus être discutée par la société Farame devant la cour d'appel de Metz".

En effet, si l'arrêt de la cour d'appel de Nancy est définitif en ce qu'il "Dit que la SAS Fileurope a engagé sa responsabilité délictuelle à l'égard de la SAS Oenoconcept pour concurrence déloyale par détournements de clientèle et agissements parasitaires", en revanche l'arrêt a été cassé s'agissant de la responsabilité de la SAS Farame elle-même, de sorte qu'il y a lieu de statuer à nouveau en fait et en droit à cet égard, conformément à l'article 638 du code de procédure civile précité. De surcroît l'autorité de chose jugée ne s'attache qu'à ce qui a été tranché dans le dispositif de l'arrêt, et la question de l'éventuelle transmission des plans par la société Farame ne figure pas dans le dispositif de l'arrêt de la cour d'appel de Nancy.

Dès lors, et en application des articles 9 du code de procédure civile et 1353 du code civil, il incombe à la SAS Oenoconcept de démontrer que la SAS Farame a engagé sa responsabilité contractuelle en transmettant des plans à la société Fileurope.

Il ressort des plans produits en pièces 29-01 à 29-03 que la SAS Oenoconcept a conçu le 6 octobre 2014 une modification de la face horizontale supérieure de la caisse de remuage de magnums en la réalisant en deux parties, l'une fixe, l'autre amovible, afin de faciliter les opérations manuelles de chargement et de déchargement de bouteilles (alors qu'auparavant la face supérieure des caisses vendues était entièrement fixe, cf notamment pièce 36-3), et qu'elle a mis au point un système de blocage du portillon amovible avec des encoches en L sur les côtés de la caisse et des vis s'y insérant.

Il ressort en outre d'échanges de courriels du 1er mai 2015 que M. [S] [X] US a validé ce système de blocage de la partie amovible qui lui avait été présentée par M. [C] [H] de la SAS Oenoconcept en présence de Mme [R] [F] [G] US (pièce n° 44).

Dans un mail du 6 mai 2015 M. [C] [H] indique à M. [M] [T], président de la SAS Farame : "Nous revenons vers vous avec de nouveaux éléments relatifs au projet Chandon USA 2015/2016.

Les quantités à fabriquer expédier en 2015 et à livrer chez Chandon à partir de début janvier 2016 sont les suivantes :

- 2625 caisses 480 bouteilles WP106,

- 420 caisses 420 bouteilles Sonata,

- 150 caisses 216 Magnums.

La caisse 216 Magnum est nouvelle, elle doit intégrer un demi-portillon fixe et un demi portillon amovible afin de faciliter l'amboxage et le déboxage manuels.

La grille 6' face Sonata est compatible avec la caisse Magnum.

Nous vous transmettons les plans PDF ci-joints de la caisse complète que nous avons étudiée à notre bureau d'étude.

Également selon les plans PDF ci-joints nous vous demandons de chiffrer le coût de ce nouveau portillon adapté la caisse Sonata.

Vous pourrez télécharger les fichiers 3D de ces 2 caisses avec le lien suivant (')

(...)'

Nous vous remercions de nous adresser votre meilleure offre pour le mardi 12 au plus tard, compte tenu de la demande de notre client Chandon qui veut clôturer son étude des offres et son budget d'investissement au plus vite.

(...)

Parmi les plans joints figurait notamment le système de blocage élaboré pour le demi portillon amovible.

Or dans un mail du 2 juin 2015 Mme [R] [F] [G] US indique à M. [H], de la SAS Oenoconcept, avoir reçu des offres de prix directement de M. [M] [T] (qui présidait également la société Fileurope) le 14 avril 2015 pour des caisses standard, puis le 25 mai 2015 pour des caisses Magnum et Sonata, et qu'il lui a transmis les plans en 3D de ces trois caisses le 28 mai 2015 (pièce 10-20 de l'appelante).

Le lendemain, 3 juin 2015, Mme [R] [F] [G] US transmet par courriel les plans qu'elle a reçus de [W] à M. [H] afin qu'il confirme si elles ont les mêmes dimensions que leurs caisses actuelles (pièce 11-21).

Les plans en question, transmis par la société Fileurope à Chandon US concernent la "caisse de remuage 216 magnums" et la "caisse de remuage 420 bts Sonata" et comportent en partie supérieure un demi portillon fixe et un demi portillon amovible identiques à ceux des plans élaborés par la SAS Oenoconcept, ainsi qu'un système de blocage distinct mais présentant des éléments comparables à celui réalisé par celle-ci, avec encoches en L dans le côté de la caisse et vis (le système de blocage de Fileurope pièces 11-21 et H46 est comparé notamment avec le détail de celui de la SAS Oenoconcept produit en pièce 29-02). Ces plans ont été dessinés le 27 mai 2015, soit postérieurement au mail du 6 mai 2015 de M. [H] adressant les nouveaux plans à la SAS Farame, et ils portent les mentions "Fileurope Vosges" "Ces plans et modèles de produits sont la propriété de Fileurope Vosges (...)" (pièce 11-21 de la SAS Oenoconcept).

Il ressort de l'ensemble de ces éléments de preuve que la SAS Farame présidée par M. [T], a transmis à la société Fileurope du même groupe et également présidée par M. [T], les nouveaux plans des caisses de remuage 420 Sonata et 150 Magnums qu'elle avait reçus le 6 mai 2015, qui avaient été élaborés par la SAS Oenoconcept pour son client Chandon US, et ce afin que la société Fileurope les utilise en copiant le 27 mai 2015 le système du demi portillon amovible pour ces deux types de caisses et afin qu'elle transmette directement une offre de prix à la société Chandon US.

Il s'agit de la part de la SAS Farame d'un acte de concurrence direct ou indirect de la SAS Oenoconcept sur son activité de vente de caisses de remuage, et ce à destination de la société Chandon US dont la SAS Farame savait qu'elle était cliente de la SAS Oenoconcept.

Par ailleurs le fait que [R] [F] ait démarché la société Fileurope en 2009 et 2010, ainsi qu'il ressort de mails produits en pièce 16 par la défenderesse, n'est pas de nature à disculper la SAS Farame des faits de l'espèce. Ce d'autant plus qu'il résulte d'un mail du 5 février 2010 de [R] [F] qu'elle a effectué la même démarché auprès de la SAS Oenoconcept (pièce 36 de l'intimée), et des pièces du dossier que les faits de manquements à la clause de non-concurrence sont largement postérieurs et ont été commis alors que la société Chandon était cliente de la SAS Oenoconcept.

En conséquence la SAS Farame a commis un manquement grave à son obligation contractuelle de non-concurrence qui était toujours en cours à cette date.

Sa responsabilité contractuelle est engagée à l'égard de la SAS Oenoconcept.

- Sur la demande de provision :

La cour d'appel de Metz n'est pas saisie de la question de l'indemnisation définitive de la SAS Oenoconcept, mais seulement d'une demande de provision.

La responsabilité contractuelle de la SAS Farame est engagée. Il ressort des pièces H 52 à H 57 que la SAS Oenoconcept a perdu le marché auprès de la Société Chandon pour les caisses de remuage, celle-ci ayant contracté en 2015 avec la société Fileurope.

La SAS Oenoconcept est fondée à obtenir une provision dans l'attente de l'indemnisation définitive.

Dans la mesure où les deux sociétés ont concouru au préjudice de la SAS Oenoconcept, la condamnation de la SAS Farame à payer une provision in solidum avec la société Fileurope est justifiée.

Au vu des pièces H 52 à H 57 de l'appelante, indiquant que Fileurope a conclu un marché de 877 450 euros pour l'année 2016 avec la société Chandon US, la provision sera fixée à la somme de 257 130 euros.

La condamnation de la SAS Farame à cette provision, in solidum avec la société Fileurope, est confirmée.

Il appartiendra au tribunal, devant évaluer le préjudice après expertise, d'apprécier si l'indemnisation doit s'effectuer sous l'angle d'une perte de chance, ainsi que l'existence d'un lien de causalité entre chaque poste de préjudice invoqué et la violation de la clause de non-concurrence.

Sur l'expertise :

Dès lors que la responsabilité contractuelle de la SAS Farame est engagée, la demande tendant à exclure la SAS Farame des opérations d'expertise est rejetée.

Il est rappelé que la mission d'expertise ordonnée par le tribunal a été modifiée par la cour d'appel de Nancy qui n'a pas été cassée sur ce point. Le contenu de la mission d'expertise n'a pas de lien de dépendance nécessaire ou d'indivisibilité avec la décision cassée concernant la responsabilité de la SAS Farame. La cour d'appel de Nancy n'a pas à statuer sur le contenu de la mission d'expertise ordonnée.

Sur les dépens et l'indemnité prévue par l'article 700 du code de procédure civile :

La décision de la cour d'appel de Nancy a été cassée "en ce qu'elle statue sur les dépens de l'article 700 du code de procédure civile entre la SAS Farame et la SAS Oenoconcept".

La cour d'appel de Nancy n'a pas statué sur les dépens et frais irrépétibles de première instance mais a "sursis à statuer" à cet égard. Elle n'a donc pas été cassée sur ce point. Il n'y a pas lieu de statuer sur les dépens et frais irrépétibles de première instance.

En revanche il doit être statué sur les dépens d'appel et indemnité de l'article 700 du code de procédure civile entre la SAS Farame à la SAS Oenoconcept, y compris ceux devant la cour d'appel de Nancy en application de l'article 639 du code de procédure civile, étant observé qu'elle a statué sur ce point et a donc été cassée.

La SAS Farame, qui n'a pas respecté la clause de non-concurrence s'imposant à elle, est condamnée aux entiers dépens de la procédure d'appel, et ce :

- in solidum avec la SAS Fileurope déjà condamnée par la cour d'appel de Nancy en ce qui concerne la procédure suivie devant ladite cour,

- et seule en ce qui concerne la présente procédure devant la cour d'appel de Metz.

De plus pour les mêmes raisons la SAS Farame est condamnée à payer à la SAS Oenoconcept une indemnité de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, dont 15 000 euros in solidum avec la SAS Fileurope déjà condamnée par la cour d'appel de Nancy.

Les demandes de la SAS Farame au titre des dépens et indemnités prévues par l'article 700 du code de procédure civile sont rejetées.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Confirme le jugement en ce qu'il a condamné la SAS Farame à verser - in solidum avec la SAS Fileurope - une provision de 257 130 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice ;

Rappelle que la cour d'appel de Nancy a sursis à statuer sur les dépens et frais irrépétibles de première instance ;

Y ajoutant

Dit que la SAS Farame a engagé sa responsabilité contractuelle à l'égard de la société SAS Oenoconcept pour manquement à l'obligation de non-concurrence découlant du contrat de fourniture exclusive du 7 décembre 2011;

Rejette la demande de la SAS Farame tendant à l'exclure des opérations d'expertise ;

Rappelle que la mission d'expertise a été modifiée par arrêt de la cour d'appel de Nancy du 13 janvier 2021 ;

Condamne la SAS Farame aux entiers dépens de la procédure d'appel, et ce :

- in solidum avec la SAS Fileurope en ce qui concerne la procédure suivie devant la cour d'appel de Nancy,

- et seule en ce qui concerne la présente procédure devant la cour d'appel de Metz ;

Condamne la SAS Farame à payer à la SAS Oenoconcept une indemnité totale de 20 000 euros, dont 15 000 euros in solidum avec la SAS Fileurope, au titre de la procédure d'appel ;

Déboute la SAS Farame de ses demandes au titre des dépens et de l'indemnité prévue par l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel.