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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 17 octobre 2024, n° 22/02024

GRENOBLE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Palais de la Bière (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Figuet

Conseillers :

M. Bruno, Mme Faivre

Avocats :

Me Triquet-Dumoulin, Me Benhamou, Me Mitaud

T. com. Grenoble, du 4 févr. 2022, n° 20…

4 février 2022

Faits et procédure :

1. En 1943, la société le Palais de la Bière a été créée afin d'exploiter une activité de bar et restaurant, situé [Adresse 8]. Elle a été transformée en Sarl en 1984, et son gérant est [C] [X] depuis 1996. Elle compte comme associés :

- [C] [X] : 19 parts sociales en pleine propriété et 91 parts en nue propriété ;

- [T] [X] : 38 parts sociales en usufruit ;

- [L] [A] : 101 parts sociales en pleine propriété ;

- [T] [X] et [C] [X], en leur qualité d'ayants droits de [D] [X] : 29 parts sociales en pleine propriété et 53 parts en usufruit.

2. En 1974, madame [A] a été engagée par la société en qualité de directeur commercial, et elle a été licenciée en 1998. Par arrêt du 24 mars 2003, la cour d'appel de Grenoble a jugé son licenciement sans cause réelle et sérieuse, et a condamné la société à lui payer notamment 40.000 euros de dommages et intérêts, outre 1.500 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral.

3. Les consorts [X] ont tenté de se rapprocher de madame [A] afin d'envisager la cession de ses parts au profit des associés restants. En 2009, le cabinet d'expertise [W] a procédé à l'évaluation de la société à cette fin. Sur les bases de ce rapport, les consorts [X] ont proposé à madame [A] de lui racheter ses 101 parts pour la somme de 187.000 euros. Ils lui ont proposé un nouveau rachat en 2016 au prix de 210.000 euros.

4. Suivant exploits signifiés les 12 et 13 juillet 2017, madame [A] a saisi le tribunal de commerce de Grenoble notamment afin de constater un abus de majorité, caractérisé par le versement de la totalité des bénéfices en réserve, contraire à l'intérêt social et paralysant le bon fonctionnement de la société. Elle a demandé, en conséquence, de prononcer la dissolution de la société, ainsi que la condamnation des autres associés à lui payer 100.924,32 euros correspondant à 42 % des bénéfices de la société de 2004 à 2015, ainsi que 100.000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la résistance abusive de ses associés.

5. Par jugement du 4 février 2022, le tribunal de commerce de Grenoble a :

- débouté [L] [A] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- débouté la société à responsabilité limitée le Palais de la Bière, [D] [X], [C] [X] et [T] [X] née [A] de leurs demandes de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

- condamné [L] [A] à payer à la société à responsabilité limitée le Palais de la Bière, [D] [X], [C] [X] et [T] [X] née [A] une somme arbitrée à 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens de l'instance ;

- rejeté toutes les autres demandes des parties ;

- liquidé les dépens.

6. [L] [A] a interjeté appel de cette décision le 23 mai 2022, en toutes ses dispositions reprises dans sa déclaration d'appel, à l'exception de celle ayant débouté la société à responsabilité limitée le Palais de la Bière, [D] [X], [C] [X] et [T] [X] née [A] de leurs demandes de dommages et intérêts pour préjudice moral.

L'instruction de cette procédure a été clôturée le 23 mai 2024.

Prétentions et moyens de [L] [A] :

7. Selon ses conclusions remises le 5 juin 2023, elle demande à la cour, au visa de l'ancien article 1108 du code civil, des articles 1832 et suivants, 1844-7 5° du code civil, de l'article R.210-15 du code de commerce :

- de juger recevable et bien fondé son appel ;

- d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la concluante de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions et condamné la concluante à payer à la Sarl le Palais de la Bière, [D] [X], [C] [X] et [T] [X] née [A], une somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens de l'instance ;

- de juger l'existence d'un abus de majorité des actionnaires majoritaires - [D] [X], [C] [X], [T] [A] épouse [X]- en la mise en réserve systématique et le report à nouveau systématique des dividendes depuis l'origine de la société ;

- de condamner in solidum [C] [X], [T] [A] épouse [X] et [C] [X]-[T] [X], en qualité d'héritiers de [D] [X], à payer à la concluante :

* 120.000 euros, correspondant à 42 % des bénéfices de la société de 2004 à 2019 et de la rémunération et des primes excessives versées au gérant aux fins de faire diminuer artificiellement le bénéfice ;

* 100.000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la résistance abusive de ses associés ;

* 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de condamner les mêmes aux entiers dépens comprenant les frais d'expertise de monsieur [R], expert-comptable. (4.200 €) ordonnée par le tribunal de commerce.

L'appelante expose :

8. - que la régularité formelle des assemblées générales n'est pas contestée, alors qu'il n'a pas été demandé au tribunal de statuer sur ce point ; que le fait que la concluante ait participé à ces assemblées n'est pas remis en cause ;

9. - que par contre, le tribunal n'a pas statué sur la notion d'abus de majorité, alors que les bénéfices sont systématiquement mis en réserve depuis au moins 20 ans, et restent inutilisés sur les comptes bancaires de la société et exposés à la dévaluation monétaire ; que cette affectation constitue un abus de majorité, puisqu'il s'agit ainsi de favoriser les associés majoritaires et d'exclure la concluante afin de lui racheter ses parts à vil prix ;

10. - que si la concluante n'a jamais perçu de dividendes, les autres associés, qui ont été ou sont salariés de la société, ont perçu ou perçoivent des rémunérations confortables et des avantages en nature (primes et assurance-vie pour le gérant, véhicules de fonction); que le gérant a ainsi perçu, pour l'exercice 2021, 60.083 euros bruts de rémunération, outre 30.000 euros à titre de primes, tout en continuant à bénéficier des avantages en nature et d'un intéressement sur le chiffre d'affaires, dont on ignore le montant puisqu'il n'est pas soumis au vote des associés ;

11. - en 2016, l'assemblée générale extraordinaire a autorisé la gérance à signer le renouvellement du bail commercial des locaux appartenant à la société [V], dont les seuls associés sont les consorts [X], au prix de 61.200 euros HT par an, de sorte que cette augmentation a bénéficié à ces derniers ; que ce loyer a été porté en 2018 à 64.212 euros ;

12. - que le refus de distribuer des dividendes n'a jamais été motivé, alors que la société n'a réalisé aucun investissement ;

13. - que la concluante est mise devant le fait accompli, d'autant que l'assistance par un expert-comptable lui a été refusée en 1998, de même que celle de son avocat en 2002 ;

14. - qu'en raison de cet abus de majorité, les intimés doivent ainsi être condamnés au paiement de 100.924,32 euros, correspondant à 42 % des bénéfices déclarés par la société de 2004 à 2015, dont le total est de 240.295,99 euros ; qu'ils doivent également être condamnés au paiement de 100.000 euros au titre du préjudice subi du fait de leur résistance abusive.

Prétentions et moyens de la société le Palais de la Bière, de [C] [X] et de [T] [X], tant en leur nom personnel qu'en qualité d'ayants droits de [D] [X] :

15. Selon leurs conclusions remises le 28 mars 2023, ils demandent à la cour, au visa des articles L.223-26, R.223-15, L.721-3 et L.721-5 du code de commerce, des articles 1844-7 et 2224 du code civil, des articles 122 et 330 du code de procédure civile :

- de leur donner acte de leur intervention volontaire en tant qu'héritiers de [D] [X], décédé le [Date décès 5] 2021, et de la déclarer recevable ;

- d'accueillir la fin de non-recevoir soulevée par la société le Palais de la Bière et les concluants, et ainsi, de dire et juger que les demandes indemnitaires de madame [A], formulées au titre de l'absence de distribution de dividendes décidée aux termes des assemblées générales antérieures à l'année 2012 sur les exercices clos antérieurement à 2011, sont prescrites ;

- de constater que la société le Palais de la Bière et ses associés n'ont commis aucun abus de majorité ;

- de dire qu'il n'existe aucun acte de gestion notamment au titre de la rémunération de [C] [X] ;

- de dire que toutes les décisions prises par l'assemblée générale des associés ont été prises dans l'intérêt exclusif de la société ;

- de dire et juger qu'il n'existe en conséquence aucun abus de majorité ;

- de constater que madame [A] a un comportement particulièrement nuisible tant à l'égard des associés que de la société le Palais de la Bière ;

- de condamner [L] [A] à payer la somme de 50.000 euros à la seule société le Palais de la Bière à titre de dommages et intérêts ;

- de condamner [L] [A] à payer à chacun des autres associés la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

- de condamner madame [A] à payer à la société le Palais de la Bière d'une part, à l'indivision [D] [X] d'autre part, et enfin à [C] et [T] [X], chacun, la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Les intimés soutiennent :

16. - que [C] [X] est le seul gérant de la société mais également le seul exploitant au sens opérationnel du terme, aucun autre des associés n'ayant la moindre activité au sein de la société ;

17. - concernant la prescription des demandes de l'appelante, qu'il est acquis en jurisprudence que les dividendes non réclamés ou non distribués afférents à des parts sociales sont prescrits, conformément au droit commun, à l'issue d'un délai de cinq ans à compter de la décision ; que ce délai commence à courir à compter de la décision de l'assemblée générale de distribuer les bénéfices ou non, de les affecter en réserve, ou en report à nouveau ; que la demande de l'appelante visant l'octroi de dommages et intérêts en raison d'assemblées générales régulièrement tenues ne peut indirectement remettre en cause les décisions prises et non contestées en justice ; ainsi, que toutes les réclamations faites au titre de l'absence de distribution de dividendes, ou au titre de leur équivalent en dommages et intérêts sont prescrites pour les exercices clos antérieurement à l'année 2011 ;

18. - sur le fond, que l'appelante ne critique que les contreparties financières accordées à [C] [X], alors qu'en raison de sa détention de seulement 19 parts sociales, il est ultra minoritaire de sorte que ce n'est pas sa rémunération qui a motivé les décisions prises lors des assemblées générales ; que l'appelante ne prouve pas que les associés majoritaires ont, collectivement, trouvé un intérêt personnel et distinct de celui de la société ;

19. - que la rémunération de monsieur [X] est justifié par la gestion, seul, d'un établissement occupant plusieurs centaines de mètres carrés et une vingtaine de salariés ; que sa rémunération a débuté en 2004 à un niveau très bas (1.200 euros par mois) puis a évolué en fonction de l'augmentation du chiffre d'affaires qu'il a développé ; que son salaire mensuel en 2022 a été de 6.250 euros hors primes, ce qui n'est pas anormal en raison d'un temps de travail hebdomadaire de 80 h et de la fermeture de l'établissement à une heure du matin; que le montant de cette rémunération n'est pas ainsi contraire à l'intérêt social ;

20. - qu'en jurisprudence, un abus de majorité est caractérisé par le fait que les décisions adoptées en assemblée sont contraires à l'intérêt social et qu'elles aboutissent intentionnellement à une rupture d'égalité entre les associés au profit des majoritaires ;

21. - que la mise en réserve systématique des bénéfices ne constitue pas en soit un abus de majorité ;

22. - qu'en l'espèce, la politique de mise en réserve n'est pas contraire à l'intérêt social, puisque cela permet d'augmenter les capitaux propres et de consolider et de valoriser la société lors d'une revente ; qu'il n'y a pas de rupture intentionnelle d'égalité entre les associés, puisque tous sont placés dans la même situation; que lors d'une revente de la société, l'appelante percevra 49 % du prix de cession, incluant les réserves; que l'appelante a un intérêt personnel à une distribution de dividendes et se désintéresse du sort de la société en cas de difficulté ;

23. - que le montant des dommages et intérêts demandés ne tient pas compte des règles comptables, puisqu'une société doit porter en réserve légale au moins 5 % du résultat de chaque année, à concurrence de 10 % du capital social ; qu'en cas de résultat bénéficiaire, elle doit procéder par priorité à l'apurement des pertes antérieures, ce qui a été le cas pour les exercices 2011 à 2014, de sorte qu'il ne pouvait y avoir de distribution de dividendes au titre de ces exercices ;

24. - qu'il n'y avait aucun risque causé par l'inflation sur les fonds mis en réserve au titre des années visées par l'appelante ;

25. - que la société le Palais de la Bière a réalisé de nombreux investissements entre 2003 et 2016, soit pour la rénovation intégrale du fonds de commerce soit pour la mise en place du marché de noël, soit pour la mise en place du kiosque [Adresse 8] et bien d'autres investissements de matériel de cuisine et de mobilier, investissant ainsi sur quatorze années plus de 756 000 euros HT;

26. - que si l'appelante sollicite la condamnation solidaire des concluants, elle oublie de diriger ses demandes contre la société le Palais de la Bière, alors que les associés ne peuvent à eux seuls porter la responsabilité d'un abus de majorité ;

27. - reconventionnellement, que les procédures multiples développées par l'appelante sont devenues un véritable fardeau pour la société et son dirigeant ; que l'appelante n'a de cesse d'intervenir violemment dans les locaux de la société, s'en prenant physiquement à son gérant, alors qu'elle reconnaît que les assemblées ont été régulièrement tenues.

*****

28. Il convient en application de l'article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

MOTIFS DE LA DECISION

1) Sur l'intervention volontaire de [C] [X] et [T] [X], en leur qualité d'ayants droits de [D] [X] :

29. Il résulte de l'acte de notoriété établi par maître [P], notaire, que [D] [X] est décédé à [Localité 6] le [Date décès 5] 2021, laissant pour lui succéder son épouse [T] [A] et son fils [C] [X]. Il en résulte que ces derniers sont bien fondés à intervenir volontairement ès-qualités aux droits de monsieur [X], cette intervention n'étant en outre pas contestée par l'appelante.

2) Sur l'application de la prescription quinquennale :

30. En application de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

31. En l'espèce, l'appelante a engagé son action par exploits des 12 et 13 juillet 2017, et cette action est personnelle et mobilière. Il en résulte, comme soutenu par les intimés, alors que l'appelante ne conteste pas ce point, qu'elle ne peut invoquer des faits antérieurs à l'année 2012, sur les exercices clos antérieurement à l'année 2011. La cour ne peut en conséquence apprécier les faits invoqués par [L] [A] antérieurs à l'exercice clos en 2011 et ne peut que déclarer irrecevables les demandes indemnitaires tirées d'une absence de distribution de dividendes décidée lors des assemblées générales antérieures à l'année 2012 sur les exercices clos antérieurement à l'année 2011.

3) Sur l'abus de majorité invoqué par [L] [A] au titre des décisions prises postérieurement à la clôture de l'exercice 2011 :

32. Selon le tribunal de commerce, les pièces du dossier montrent que les vingt assemblées générales ordinaires du Palais de la Bière de 1998 à 2017 se sont déroulées conformément à la réglementation. Les vingt comptes rendus des assemblées générales ordinaires sont tous signés par les présents et madame [A] a participé à quatorze de ces assemblées. L'assemblée a répondu aux questions posées par madame [A]. Pour les six autres, rien ne prouve qu'elle ait été empêchée d'y participer. Il apparaît que le fonctionnement du Palais de la Bière est tout à fait normal et respecte la réglementation ; que les décisions prises lors de ces assemblées générales sont opposables à madame [A] ; que les tentatives de rapprochement et de conciliation ont échoué. Le tribunal a ainsi débouté [L] [A] de l'ensemble de ses demandes.

33. La cour ne peut qu'approuver ces motifs. Il résulte en effet du procès-verbal de l'assemblée du 25 mai 2011 que l'appelante est présente et vote contre les résolutions. Le bénéfice de 19.754 euros est affecté au report à nouveau. Selon le procès-verbal de l'assemblée du 20 juin 2012, l'appelante est présente et vote contre les résolutions. Le bénéfice de 11.039 euros est affecté au report à nouveau. Le gérant se voit accorder une rémunération brute de 79.848 euros, un avantage en nature de 4.897 euros et une prime brute de 25.586 euros.

34. Selon le procès-verbal de l'assemblée du 12 juin 2013, l'appelante est présente et vote contre toutes les résolutions. Le bénéfice de 3.356,64 euros est affecté au report à nouveau. Le gérant se voit accorder une rémunération brute de 85.999 euros, un avantage en nature de 4.950 euros. Le procès-verbal de l'assemblée du 25 juin 2014 indique que l'appelante est absente. Le bénéfice de 8.851,16 euros est affecté au report à nouveau en intégralité. Le gérant se voit accorder une rémunération brute de 96.124 euros, un avantage en nature de 4.973 euros et une prime brute de 2.500 euros.

35. Selon le procès-verbal de l'assemblée du 29 juin 2015, l'appelante est absente. Le bénéfice de 34.332 euros est affecté au report à nouveau pour 5.544,59 euros, et le solde de 28.787,61 euros aux réserves. Le gérant se voit accorder une rémunération brute de 71.495 euros, un avantage en nature de 4.973 euros et une prime brute de 19.498 euros. Le procès-verbal de l'assemblée du 5 octobre 2016 mentionne que l'appelante est absente. La réunion concerne le montant du bail commercial, porté à 61.200 euros HT.

36. Le rapport de la gérance au titre de l'exercice 2016 indique que le gérant a perçu une rémunération brute de 85.999 euros, une prime brute de 27.576 euros, outre un avantage en nature de 4.979 euros bruts. Le rapport de la gérance pour l'exercice 2017 mentionne que le bénéfice de 23.455,37 euros sera à mettre en réserve. Le gérant a perçu une rémunération brute de 85.999 euros, une prime brute de 20.179 euros et un avantage en nature brut de 5.033 euros. Enfin, le rapport de la gérance pour 2020 prévoit que le bénéfice de 49.048,86 euros est à mettre en réserve. La rémunération du gérant est de 67.861 euros bruts, outre 30.000 euros bruts à titre de prime, et 5.047 euros bruts pour l'avantage en nature. Le bail commercial conclu avec la Sci [V] est poursuivi, pour un loyer annuel HT de 33.049 euros.

37. Il résulte de ces éléments que pour les faits non atteints par la prescription quinquennale, les décisions de l'assemblée générale ont toujours été légalement prises, ce que l'appelante reconnaît formellement. Aucune action tendant à leur annulation n'a ainsi été engagée.

38. Aucun élément ne permet en outre de constater que la mise en réserve des bénéfices sur cette période puisse constituer un abus de majorité, avec le dessein de favoriser les autres associés. Ainsi que soutenu par les intimés, il y a lieu de prendre en compte l'obligation de porter une partie des bénéfices à la réserve légale, et pour le surplus, rien n'indique que le montant des reports ait été contraire à l'intérêt de la société au préjudice de l'appelante. Le montant de ces bénéfices est resté relativement modeste, au regard du chiffre d'affaires, dépassant annuellement le million d'euros, et sur les années 2011 et 2012, la société a subi des pertes. Il en est de même pour les exercices 2019 et 2020, avec 70.000 euros de pertes cumulées sur cette période. La constitution de réserves tant légales que statutaires ou facultatives a justement pour objet d'anticiper un tel risque.

39. Si l'appelante invoque en outre la rémunération et les avantages en nature perçus par [C] [X], il n'est pas contesté que ce dernier est le seul associé à travailler au sein de la société, outre ses fonctions de gérant. Au regard du chiffre d'affaires dégagé, la cour constate que sa rémunération et les avantages perçus ne sont pas excessifs, au regard de son investissement personnel. Sa rémunération a en outre été fluctuante selon les résultats de la société. Il n'est pas justifié par l'appelante de son intéressement aux résultats de la société, aucune pièce n'étant produite sur ce point, alors qu'en sa qualité d'associé, l'appelante dispose légalement du pouvoir d'accéder aux comptes sociaux, l'article R223-15 du code de commerce disposant que tout associé a le droit, à toute époque, de prendre par lui-même connaissance des documents

suivants au siège social : bilans, comptes de résultats, annexes, inventaires, rapports soumis aux assemblées et procès-verbaux de ces assemblées concernant les trois derniers exercices. Sauf en ce qui concerne l'inventaire, le droit de prendre connaissance emporte celui de prendre copie. A cette fin, il peut se faire assister d'un expert inscrit sur une des listes établies par les cours et tribunaux.

40. Concernant les conditions du renouvellement du bail conclu avec la Sci [V], dont il est effectivement justifié que ses associés sont [C] [X] et sa mère, la cour constate qu'aucun élément ne permet de considérer que le prix du loyer a été excessif, compte tenu de l'emplacement du local, situé au centre de Grenoble et dans une zone particulièrement attractive (centre historique, présence d'un parc très fréquenté, avec disposition d'un kiosque l'été dans ce parc). En outre, il doit être observé que le montant du loyer a diminué notablement en cours de procédure, ainsi que l'indique le rapport de la gérance pour l'année 2020, année où des pertes importantes ont été constatées pour la société Le Palais de la Bière. Aucun élément ne permet de retenir que [C] et [T] [X] ont ainsi cherché à favoriser la société civile dans laquelle ils sont associés.

41. Le fait que le refus de distribuer des dividendes n'ait jamais été motivé est sans influence, aucune disposition légale ou statutaire ne prévoyant une telle obligation. En outre, l'appelante ne peut invoquer le refus de l'assistance d'un expert-comptable en 1998 ou d'un avocat en 2002, en raison de la prescription des faits remontant à cette époque.

42. Il en résulte, comme retenu par le tribunal de commerce, que la preuve d'un abus de majorité n'est pas rapportée. Le jugement déféré ne peut ainsi qu'être confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de l'appelante.

4) Sur l'appel incident des intimés :

43. Il n'est pas établi que les actions de [L] [A] soient abusives, compte tenu du conflit persistant de longue date entre les associés, ayant d'ailleurs abouti à un arrêt de la chambre sociale de la présente cour du 24 mars 2003 constatant le licenciement sans cause réelle et sérieuse de l'appelante, décision relevant que les dirigeants associés étaient à l'origine, pour une grande partie, des relations particulièrement dégradées dont [L] [A] était la victime. En outre, il n'est justifié d'aucun préjudice. Le jugement déféré sera ainsi confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de dommages et intérêts des intimés.

44. Succombant en son appel, [L] [A] sera condamnée à payer aux intimés la somme complémentaire de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens, tant de première instance que d'appel, le tribunal ayant omis de statuer sur ce point, omission qu'il appartient à la cour de rectifier.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu les articles 122 et 330 du code de procédure civile, les articles 1844-7 et 2224 du code civil, les articles L223-26 et R223-15 du code de commerce ;

Reçoit l'intervention volontaire de [C] [X] et de [T] [A] épouse [X], ès-qualités d'ayants droits de [D] [X] décédé le [Date décès 5] 2021 ;

Déclare irrecevable les demandes formées par [L] [A] au titre de l'absence de distribution de dividendes décidée aux termes des assemblées générales antérieures à l'année 2012 sur les exercices clos antérieurement à l'année 2011 ;

Confirme le jugement déféré en ses dispositions soumises à la cour ;

y ajoutant,

Condamne [L] [A] à payer à la société Le Palais de la Bière, [C] [X] et [T] [A] épouse [X], la somme de 3.500 euros au titre des frais exposés en cause d'appel en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne [L] [A] aux dépens de première instance et d'appel.