Livv
Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 2, 17 octobre 2024, n° 23/03377

DOUAI

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Sci Maxerlau (SCI)

Défendeur :

SARL Wallis, SA Société Générale, SAS AB Inbev France, BNP Paribas (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Barbot

Conseillers :

Mme Cordier, Mme Soreau

Avocats :

Me Laforce, Me Humez, Me Rousseaux

T. com. Arras, du 16 juin 2023, n° 2023/…

16 juin 2023

FAITS ET PROCEDURE

La société Wallis, lorsqu'elle était en activité, a exploité une activité de débit de boissons et PMU située au [Adresse 5] à [Localité 9]. Cette activité avait été précédemment exploitée par Mme [X] qui est également gérante de la SCI Maxerlau, bailleresse des locaux d'exploitation.

Le 8 octobre 2021, la société Wallis a été placée en redressement judiciaire et a bénéficié d'un plan de redressement.

La dirigeante de la société Wallis, en raison d'une maladie, a été contrainte de fermer l'établissement momentanément et se résoudre à la cession du fonds de commerce.

Dans ces conditions, la société Wallis a recherché un cessionnaire. M. [R] a manifesté son intérêt pour reprendre l'exploitation du fonds.

Un compromis du 19 mai 2023, conclu sous diverses conditions suspensives, a fixé le prix de la cession à 40 000 euros.

Le 16 juin 2023, la société Wallis a été placée en liquidation judiciaire, M. [G] étant désigné en qualité de liquidateur.

Par requête du 27 juin 2023, déposée le 30 juin 2023, ce dernier a saisi le juge-commissaire afin d'être d'autorisé à céder le fonds de commerce au prix proposé.

Par ordonnance du 5 juillet 2023, le juge-commissaire a autorisé la vente de gré à gré du fonds de commerce moyennant le prix de 40 000 euros net vendeur, payable comptant à la signature de l'acte, se ventilant comme suit :

- éléments incorporels : 35 000 euros

- éléments corporels : 5 000 euros

au profit de M. [R] ou de toute personne physique ou morale s'y substituant.

Le greffier du tribunal de commerce a notifié l'ordonnance aux tiers intéressés, parmi lesquels la SCI Maxerlau, bailleresse.

Par déclaration du 19 juillet 2023, complétée par déclaration du 24 août 2023, la SCI Maxerlau a interjeté appel de l'ordonnance.

PRETENTIONS

Par conclusions signifiées le 10 mai 2024, la SCI Maxerlau demande à la cour de :

- infirmer l'ordonnance du 5 juillet 2023 ;

Et statuant à nouveau,

- débouter la SELURL [G] devenue MJ Solutio, ès qualités, de sa requête tendant à la cession du fonds de commerce de débit de boissons loteries de la société Wallis au profit de M. [R] ;

- débouter la SELURL [G], ès qualités, la SARL Wallis et M. [R] de leurs demandes ;

- condamner la SELURL [G], ès qualités, aux entiers dépens.

Elle fait valoir que les conditions prévues au compromis n'étaient pas réunies (absence de redressement judiciaire du vendeur, absence de production du contrat de fourniture et de prêt ; agrément du bailleur à la cession et au renouvellement). Cet acte de cession ne mentionne pas de condition suspensive tirée de l'autorisation de cession par les organes de la procédure collective, alors qu'il est stipulé que l'acte devrait être réitéré le 15 septembre 2023, avec prorogation d'un délai maximal d'un mois. Elle en déduit que la cession autorisée dans de telles conditions, sur la base d'un tel acte, préjudicie à ses droits et justifie qu'elle demande que M. [R] ne puisse être déclaré cessionnaire.

Par conclusions signifiées le 4 novembre 2023, la SELURL [G], en qualité de liquidateur de la société Wallis et M. [R] demandent de :

- débouter la SCI Maxerlau de son appel tendant à voir infirmer l'ordonnance du 5 juillet 2023 par le juge-commissaire ;

- confirmer l'ordonnance en toutes ses dispositions ;

- condamner la SCI Maxerlau au paiement de la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la SCI Maxerlau au paiement de la somme de 2 000 euros à M. [R] au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la SCI Maxerlau aux entiers frais et dépens

Le liquidateur fait valoir que les motifs invoqués par la SCI ne sont pas de nature à justifier l'infirmation de l'ordonnance puisque :

- seul M. [R] était en droit de se prévaloir de la clause prévue à l'article 10 du compromis, liée au redressement judiciaire, ce qu'il n'a pas fait, l'ordonnance du juge-commissaire ne reprenant pas cet empêchement ;

- les motifs tirés de l'obtention d'un prêt bancaire et de contrats de fournitures ne sont pas repris dans l'ordonnance autorisant la cession ;

- les seules conditions qui ont été ordonnées par le juge sont la substitution de M. [R] par une personne morale et le paiement comptant du prix de cession au jour de l'acte ;

- au vu du courrier adressé au liquidateur, il est manifeste que la bailleresse avait donné son accord à la cession du droit au bail en le conditionnant au paiement des loyers et autres indexations ;

- M. [R] est le successeur pur et simple de la société Wallis, ne souhaitant aucune déspécialisation du bail commercial ce qui ne soumettait pas la cession à l'agrément du bailleur, compte tenu de l'article 13 du bail.

Le liquidateur précise que la société Maxerlau ne caractérise pas son préjudice, d'autant que c'est son seul recours qui crée un préjudice, puisque, pendant le temps de la procédure, elle ne perçoit aucun loyer et subit ainsi une perte.

MOTIVATION

A titre liminaire, il doit être observé qu'en dépit des messages RPVA du greffe demandant au conseil des intimés, soit de régulariser des écritures précisant clairement pour lesquels des intimés il intervenait (messages du 10 novembre 2023 et du 26 février 2024), soit de communiquer son dossier de plaidoirie (message du 11 juin 2024), la cour n'a été rendue destinataire ni d'écritures rectificatives ni des pièces figurant au bordereau de communication de pièces de la part des intimés.

Compte tenu, d'une part, des constitutions d'avocat notifiées dans ce dossier, Me Rousseau s'étant constitué par RPVA le 17 août 2023 pour la SELURL [G], la SARL Wallis et M. [R], d'autre part, de la mention « défaillante » à côté du nom de certaines parties, figurant sur l'entête des écritures des intimés, la cour comprend que ce conseil, qui ne s'est constitué spécifiquement sur RPVA qu'au profit de M. [R] , de M. [G], ès qualités, et de la société Wallis, n'intervient qu'au soutien des seuls intérêts de ces parties.

Aux termes de l'article L642-19 du code de commerce, le juge-commissaire soit ordonne la vente aux enchères publiques, soit autorise, aux prix et conditions qu'il détermine, la vente de gré à gré des autres biens du débiteur lorsqu'elle est de nature à garantir les intérêts de celui-ci. Lorsque la vente a lieu aux enchères publiques, il y est procédé dans les conditions prévues, selon le cas, au second alinéa de l'article L. 322-2 ou aux articles L. 322-4 ou L. 322-7.

Le juge-commissaire peut demander que le projet de vente amiable lui soit soumis afin de vérifier si les conditions qu'il a fixées ont été respectées.

Les conditions de cession d'un bail diffèrent selon l'hypothèse dans laquelle cette cession intervient, soit à l'occasion d'une cession globale, c'est-à-dire à l'occasion d'un plan de cession d'entreprise, en vertu de l'article L. 642-7 du code de commerce, soit, en liquidation judiciaire, à l'occasion d'une cession isolée d'actif mobilier, sur l'autorisation du juge-commissaire rendue en vertu de l'article L. 642-19 du code de commerce.

Dans ce dernier cas de figure, les clauses restrictives de cession du bail doivent produire leur pleine efficacité, à l'exception de la clause de garantie solidaire pesant sur le cédant, que la loi répute non écrite, en vertu des dispositions de l'article L. 641-12 du code de commerce

Ainsi, le liquidateur doit respecter les conditions prévues au contrat de bail, notamment les clauses restreignant la cession, à l'exception de la clause imposant au cédant des dispositions solidaires avec le preneur. Tel est le cas de la clause limitant l'activité prévue au bail (Com. 11 mai 1999, n° 97-10015), de la clause stipulant un droit de préférence au profit du bailleur (Com. 13 févr. 2007, n° 06-11289, Bull. n° 34), de la clause d'agrément du bailleur et la clause imposant la rédaction d'un acte authentique (Civ. 3, 17 juin 2014, n° 13-15119).

La cour de cassation a ainsi rappelé qu'il résulte de la combinaison des articles 1134 ancien du code civil, L. 145-16 et L. 642-19 du code de commerce, qu'en cas de liquidation judiciaire, la cession du droit au bail, seule ou même incluse dans celle du fonds de commerce, autorisée par le juge-commissaire, se fait aux conditions prévues par le contrat à la date du jugement d'ouverture, à l'exception de la clause imposant au cédant des obligations solidaires avec le cessionnaire. En conséquence, le bailleur est fondé à se prévaloir de la clause du bail prévoyant l'agrément du cessionnaire par le bailleur (Com., 19 avril 2023, n° 21-20.655, publié).

En premier lieu, la SCI Maxerlau sollicite l'infirmation de la décision aux motifs que des stipulations du projet de cession de fonds de commerce sous conditions suspensives du 19 mai 2023 ne sont pas respectées.

Elle se prévaut de l'article 10, intitulé « sur la capacité des parties », prévoyant qu'il n'existe « aucun obstacle à la libre disposition du fonds par suite d'un obstacle ' par suite de mise sous sauvegarde de justice, de faillite, de redressement judiciaire », alors que le vendeur a été justement placé en redressement judiciaire puis en liquidation judiciaire. Elle argue également de ce qu'il n'aurait pas été apporté la preuve de l'obtention d'un prêt bancaire et des contrats de fourniture, avant la date prévue à l'acte.

Toutefois, la société Maxerlau n'expose pas les conséquences juridiques dont elle entend se prévaloir de ce chef et qui seraient de nature à lui porter préjudice en qualité de bailleur du cédant, et de nouveau bailleur éventuel du cessionnaire, lorsque la cession de fonds de commerce sera effective.

Il n'est pas démontré que le bail cédé, dans le cadre de la cession de fonds de commerce, ait comporté de quelconques engagements de ces deux chefs au bénéfice du bailleur.

Il ne ressort d'aucune stipulation du projet de cession de fonds de commerce, que le cessionnaire aurait dû justifier auprès du bailleur de la réalisation des conditions prévues dans le compromis produit aux débats.

Il n'est pas plus explicité en quoi les droits du bailleur seraient affectés par le non-respect de ces stipulations contractuelles, à le supposer établi, étant observé que le bailleur, d'une part, procède par motifs hypothétiques, notamment pour le second motif invoqué, en indiquant qu'il « croit savoir qu'aucun accord de prêt n'a été obtenu », d'autre part, se contente d'affirmer l'existence d'un préjudice qu'il ne démontre pas.

Ces moyens sont rejetés.

En second lieu, à l'article 9, intitulé « sur les locaux », page 6 du protocole de cession, il est expressément renvoyé aux stipulations du bail alors en vigueur entre le bailleur et le cédant, intitulées « cession ou sous location ».

A titre liminaire, il doit être précisé qu'aucune des parties n'a jugé utile de remettre à la cour le bail litigieux, les intimés n'ayant pas transmis, malgré la relance faite par le greffe, leur dossier de plaidoirie.

Cependant, la SCI Maxerlau reproduit dans ses écritures, un extrait du bail, qui n'est pas contesté par les intimés. L'alinéa 1 de la stipulation reproduite, dont se prévaut le bailleur, prévoit que « le preneur ne pourra céder son droit au présent bail, sans le consentement exprès et par écrit du bailleur si ce n'est à son successeur dans le commerce. Toute cession, pour être valable, devra faire l'objet d'un acte authentique établi par le notaire du bailleur auquel le bailleur sera appelé ».

Ainsi, l'agrément du bailleur, exprès et écrit, n'est exigé qu'au cas où le cessionnaire ne serait pas « le successeur dans le commerce », à savoir un cas où il ne vient pas aux droits du preneur initial et n'exerce pas, dans les locaux, une activité similaire à celle exercée par ce dernier.

En l'espèce, s'agissant d'une cession de fonds de commerce, M. [R] est bien le successeur du preneur initial et vient bien aux droits de ce dernier, pour exercer la même activité que celui-ci dans les locaux, objet du bail.

Il s'ensuit que la clause exigeant un agrément du bailleur ne trouvait pas à s'appliquer et que la SCI Maxerlau ne peut donc se prévaloir d'un non-respect de cette stipulation sur ce point pour remettre en cause l'ordonnance ayant autorisé la cession du fonds de commerce au profit de M. [R].

La SCI Maxerlau ne peut pas plus se prévaloir de l'obligation d'avoir recours à un acte authentique établi par le notaire du bailleur, auquel ce dernier sera appelé, dès lors que cette obligation n'a vocation à régir que la forme de l'acte, une fois la cession autorisée par le juge-commissaire.

Il ne peut, avant même la réitération de l'acte, être supputé un non-respect de cette obligation contractuelle, rendant inopérante la demande formée de ce chef par la SCI Maxerlau pour s'opposer à la cession ordonnée par le juge-commissaire.

Enfin, s'agissant du délai fixé dans le compromis pour réitérer l'acte, en l'espèce le 15 septembre 2023, prorogé d'un délai maximal d'un mois, seules les parties à cet acte peuvent s'en prévaloir, étant observé que le bailleur, de bonne foi, s'en empare pour rechercher à obtenir une infirmation de la décision entreprise, alors que le dépassement du délai n'est dû qu'au recours par lui intenté et pendant devant la présente cour d'appel.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, la demande d'infirmation de l'ordonnance entreprise ne peut prospérer et la demande formée par la SCI Maxerlau est rejetée.

La décision entreprise étant confirmée et la SCI Maxerlau succombant en ses prétentions, il convient de la condamner aux dépens d'appel.

La SCI Maxerlau, partie perdante, est condamnée à payer à la SELURL [G], ès qualités, et M. [R], la somme de 2 000 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour

CONFIRME l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

CONDAMNE la SCI Maxerlau aux dépens d'appel ;

CONDAMNE la SCI Maxerlau à payer à la SELURL [G], devenue MJ Solutio, en qualité de liquidateur de la société Wallis, la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SCI Maxerlau à payer à M. [R] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.