Cass. com., 23 octobre 2024, n° 23-11.772
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Le Mont Fleuri (SCI), SCP AJ Associés (ès qual.), SCP BR & Associés (ès qual.)
Défendeur :
Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de la Martinique et de la Guyane
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
Mme Coricon
Avocat général :
Mme Henry
Avocats :
SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, Me Corlay
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 8 novembre 2022) et les productions, le 2 avril 2015, la société civile immobilière Le Mont Fleuri (la SCI) a donné à bail un local commercial à la Caisse Régionale de Crédit Agricole de la Martinique et de la Guyane (la CRCAM).
2. Le 26 février 2016, le président d'un tribunal, saisi en référé, a condamné la SCI bailleresse à faire exécuter des travaux de désamiantage dans les locaux loués à la CRCAM et ordonné la mise sous séquestre des loyers dus par la CRCAM.
3. Le 25 février 2019, la SCI a assigné la CRCAM aux fins notamment de voir ordonner une expertise sur l'état actuel du local loué et sa remise en état au frais de la CRCAM. Cette dernière a demandé reconventionnellement la résiliation du bail aux torts de la SCI et sa condamnation au paiement de dommages et intérêts.
4. Le 30 juin 2020, le tribunal a prononcé la résiliation du bail conclu le 2 avril 2015, a condamné la SCI à payer une somme à la CRCAM au titre des travaux de désamiantage qu'elle avait dû réaliser elle-même et rejeté les autres demandes indemnitaires de la CRCAM. Le 5 octobre 2020, la CRCAM a interjeté appel de ce jugement.
5. Le 18 janvier 2021, la SCI a été mise en redressement judiciaire. La CRCAM a déclaré ses créances le 17 mars 2021et l'instance a été reprise après intervention volontaire de l'administrateur et du mandataire judiciaire.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, le deuxième moyen et le troisième moyen pris en ses première et deuxième branches
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche et le quatrième moyen, réunis
Enoncé des moyens
7. Par le premier moyen, la SCI fait grief à l'arrêt de la condamner à verser à la CRCAM de la Martinique et de la Guyane la somme de 94 400,74 euros au titre des travaux de désamiantage alors « que la règle de l'arrêt des poursuites individuelles consécutif à l'ouverture d'une procédure collective constitue une fin de non-recevoir pouvant être proposée en tout état de cause et qui, étant d'ordre public, doit être relevée d'office ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a condamné la SCI à verser à la CRCAM la somme de 94 400,74 euros ; que pourtant, l'administrateur judiciaire et le mandataire judiciaire de la SCI étant parties à l'instance, la cour d'appel, qui savait ainsi que la SCI était en redressement judiciaire, était tenue de relever, au besoin d'office, le moyen tiré de l'irrecevabilité de l'action en paiement de la CRCAM au regard du principe de l'interdiction des poursuites ; qu'en condamnant pourtant la SCI au paiement d'une somme d'argent, la cour a violé les articles 122 du code de procédure civile et L. 622-21 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021. »
8. Par le quatrième moyen, la SCI fait grief à l'arrêt de la condamner au paiement de la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts alors « que la règle de l'arrêt des poursuites individuelles, consécutif à l'ouverture d'une procédure collective, constitue une fin de non-recevoir pouvant être proposée en tout état de cause dont le caractère d'ordre public impose au juge de la relever d'office ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a condamné la SCI au paiement de la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts ; qu'en statuant ainsi, alors que l'administrateur et le mandataire judiciaires de la SCI étant parties à l'instance, la cour d'appel, qui ne pouvait ignorer que la société était en redressement judiciaire et qui était tenue de relever, au besoin d'office, le moyen tiré de l'irrecevabilité de l'action de la CRCAM au regard du principe de l'interdiction des poursuites, a violé les articles 122 du code de procédure civile et L. 622-21 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
9. La SCI conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il est nouveau et mélangé de fait et de droit.
10. Cependant, le moyen, qui ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations de l'arrêt, est de pur droit.
11. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
12. Vu les articles L. 622-21 et L. 622-22 du code de commerce, le premier dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance du 15 septembre 2021 :
13. Selon le premier de ces textes, le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 du code de commerce et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent. Selon le second, les instances en cours sont interrompues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance ; elles sont alors reprises de plein droit, le mandataire judiciaire et, le cas échéant, l'administrateur ou le commissaire à l'exécution du plan dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant.
14. Après avoir relevé que la SCI avait été mise en redressement judiciaire le 18 janvier 2021 et que les organes de la procédure avaient demandé la reprise de l'instance, la cour d'appel a condamné la SCI à payer à la CRCAM la somme de 94 400,74 euros au titre des travaux de désamiantage et la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts.
15. En statuant ainsi, alors que ces créances étaient nées antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure collective, de sorte qu'elle devait se borner à en fixer le montant sans pouvoir condamner le débiteur à les payer, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
16. La SCI fait grief à l'arrêt de la condamner à payer la somme de 324 500 euros au titre des loyers acquittés sans contrepartie alors « que la règle de l'arrêt des poursuites individuelles, consécutif à l'ouverture d'une procédure collective, constitue une fin de non-recevoir pouvant être proposée en tout état de cause, dont le caractère d'ordre public impose au juge de la relever d'office ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a condamné la SCI au paiement de la somme de 324 500 euros au titre des loyers acquittés sans contrepartie ; qu'en statuant ainsi, alors que l'administrateur et le mandataire judiciaires de la société étant parties à l'instance, la cour d'appel, qui ne pouvait ignorer que la société était en redressement judiciaire et qui était tenue de relever, au besoin d'office, le moyen tiré de l'irrecevabilité de l'action la CRCAM au regard du principe de l'interdiction des poursuites, a violé les articles 122 du code de procédure civile et L. 622-21 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 622-21 et L. 622-22 du code de commerce, le premier dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance du 15 septembre 2021 :
17. La cour d'appel a condamné la SCI à payer à la CRCAM la somme de 324 500 euros au titre des loyers acquittés sans contrepartie, puis a autorisé la CRCAM à prélever cette somme entre les mains du séquestre, désigné par une ordonnance de référé du 26 février 2016.
18. En statuant ainsi, alors, d'une part, que cette créance était née antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure collective, de sorte qu'elle ne pouvait pas condamner le débiteur à payer cette somme, d'autre part, qu'elle avait également prononcé la levée du séquestre au profit de la CRCAM, lui permettant ainsi de se voir restituer l'intégralité des loyers acquittés sans contrepartie, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
19. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
20. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond après la cassation prononcée sur le premier moyen pris en sa deuxième branche et le quatrième moyen réunis.
21. Il y a lieu de fixer la créance de la CRCAM au passif de la procédure collective de la SCI aux sommes de 94 400,74 euros au titre des travaux de désamiantage et 20 000 euros à titre de dommages et intérêts.
22. La cassation prononcée sur le troisième moyen pris en sa troisième branche n'implique pas qu'il soit à nouveau statué au fond.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la SCI Le Mont Fleuri à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole de la Martinique et de la Guyane les sommes de 94 400,74 euros au titre des travaux de désamiantage et de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts, et par voie de retranchement, en ce qu'il condamne la SCI Le Mont Fleuri à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole de la Martinique et de la Guyane la somme de 324 500 euros au titre des loyers acquittés sans contrepartie, l'arrêt rendu le 8 novembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Fort-de-France ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi ;
Fixe la créance de la Caisse Régionale de Crédit Agricole de la Martinique et de la Guyane au titre des travaux de désamiantage au passif de la procédure collective de la société civile immobilière Le Mont Fleuri à la somme de 94 400,74 euros ;
Fixe la créance de la Caisse Régionale de Crédit Agricole de la Martinique et de la Guyane à titre de dommages et intérêts au passif de la procédure collective de la société civile immobilière Le Mont Fleuri à la somme de 20 000 euros.