CA Grenoble, ch. com., 17 octobre 2024, n° 23/02574
GRENOBLE
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Les Mandataires (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Figuet
Conseillers :
M. Bruno, Mme Faivre
Avocats :
Me Arditti, Me Grimaud
Faits et procédure
La Sarl Caroma dont le siège social est [Adresse 5] à [Localité 1] avait pour activité la restauration, débit de boissons, crêperie, glacier, salon de thé et organisation de spectacles depuis le 2 mai 2006.
Les parts de la société ont été acquises par la société Monforens Finance le 31 mai 2017 et la société a alors été dirigée par M. [X] [D].
Sur la déclaration de cessation des paiements de la Sarl Caroma, le tribunal de commerce de Gap a ouvert une procédure de redressement judiciaire, fixé la date de cessation des paiements au 8 mars 2022 et désigné la Sas Les Mandataires représentée par Me [B] en qualité de mandataire judiciaire par jugement du 13 juillet 2022.
Par jugement du 14 septembre 2022, le tribunal de commerce de Gap a converti cette procédure en liquidation judiciaire et désigné la Sas Les Mandataires représentée par Me [B] comme liquidateur judiciaire.
Par acte du 10 février 2023, la Sas Les Mandataires a assigné M. [X] [D] devant le tribunal de commerce de Gap aux fins de voir prononcer sa faillite personnelle ou à défaut une interdiction de diriger toute entreprise commerciale ou artisanale et toute personne morale pour une durée ne pouvant excéder 15 ans et de le condamner au paiement de la somme de 217.000 euros au titre de la contribution à l'insuffisance d'actif.
Par jugement du 23 juin 2023, le tribunal de commerce de Gap a :
- prononcé une mesure de faillite personnelle à l'encontre de M. [X] [D] avec une mesure d'interdiction de diriger, gérer, administrer, contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale, artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale, ce pendant une durée de 8 ans,
- condamné M. [X] [D] au paiement de la somme de 135.400 euros au titre de la contribution à l'insuffisance d'actif,
- ordonné les mesures de publication,
- dit que les dépens seront portés en frais privilégiés de procédure,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Par déclaration du 6 juillet 2023, M. [X] [D] a interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
La clôture de l'instruction du dossier a été prononcée le 4 juillet 2024.
Prétentions et moyens de M. [X] [D]
Par conclusions remises le 20 septembre 2023, il demande à la cour de :
- réformer le jugement du tribunal de commerce du 23 juin 2023 en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
- dire et juger que M. [X] [D] n'a commis aucun détournement d'actifs et aucun acte susceptible d'engager une mesure de faillite personnelle,
- dire et juger que M. [X] [D] n'a commis aucune faute de gestion,
En conséquence,
- débouter la Sas Les Mandataires de ses demandes de faillite personnelle et d'interdiction de gérer,
- condamner la Sas Les Mandataires aux entiers dépens de la procédure,
A titre subsidiaire,
- constater que pendant la période incriminée par le mandataire, la société Monforens n'a prélevé que 90.900 euros sur le compte courant d'associé et en conséquent, si par extraordinaire, le tribunal condamnait M. [X] [D] à participer au passif, limiter la participation à 90.900 euros.
S'agissant de la somme versée à la société Monforens Finance, il fait valoir que:
- la société Caroma et la société Montforens ont passé une convention portant sur des prestations de secrétariat, administration et gestion,
- les sommes versées à la société Monforens Finance de janvier à mai 2020 correspondent au règlement de ces prestations,
- postérieurement, compte tenu des difficultés financières de la société Caroma, la société Monforens Finance a renoncé à facturer ses prestations de service et en contrepartie il a été fait le choix de rembourser le compte courant d'associé de la société Monforens Finance à hauteur de 3.000 euros par mois, soit la somme de 90.000 euros du 30 juin 2020 au 30 juin 2021,
- les remontées financières à la holding pour la somme de 120.600 euros correspondent au remboursement du compte courant d'associé et intègrent pour partie la somme de 90.000 euros visée précédemment,
- sur la somme de 120.600 euros, seule la somme de 51.800 euros peut être reprochée, l'autre partie correspondant à des apports faits par la holding.
Concernant les dépenses réglées par chèques pour un montant de 76.392 euros du 8 juin 2020 au 14 septembre 2022, M. [X] [D] expose qu'elles correspondent à des dépenses de fonctionnement de la société Caroma et au remboursement d'un compte courant de la société Blanchisserie Nouvelle pour 40.000 euros, somme qui a été restituée par 7 virements du 3 septembre 2020 au 15 janvier 2021, l'associé ayant déjà bénéficié d'un virement.
Il ajoute aussi que le virement effectué à son profit constitue le remboursement de ses frais de déplacement.
Sur la faillite personnelle, il fait observer que :
- le remboursement du compte courant d'associé, hors période suspecte, ne peut être qualifié de détournement d'actif,
- les réglements par chèques ont tous été justifiés,
- les flux financiers avec les différentes structures du groupe de la holding Monforens sont en faveur de la Sarl Caroma pour un montant de 31.000 euros,
- les aides gouvernementales ont permis de régler les salariés,
- il n'y a aucune faute de gestion à rembourser le compte courant d'associé hors période suspecte,
- les difficultés de trésorerie s'expliquent par des charges trop importantes et par trois derniers exercices déficitaires pour un EBE déficitaire sur 3 ans de - 152.163 euros,
- la demande de faillite personnelle en l'absence de caractérisation d'un détournement d'actif ne peut qu'être rejetée.
Sur la faute de gestion, il fait remarquer que :
- il n'a fait que rembourser un créancier conformément à la jurisprudence relative aux comptes courants d'associé,
- la société Monforens Finance a abandonné sa créance de prestation au profit de la société Caroma et la gestion de l'entreprise était gratuite,
- dès lors, il ne peut lui être reproché d'avoir avantagé la société holding,
- la seule cause de la liquidation judiciaire est la baisse du chiffre d'affaires et un loyer de 85.204 euros avec le refus du bailleur d'accepter un échelonnement de la dette.
S'agissant de la somme fixée au titre de la contribution à l'insuffisance d'actif, il fait valoir qu'il ne peut être reproché qu'un remboursement du compte courant d'associé pendant les aides Covid à hauteur de 90.900 euros et non pas de 217.000 euros.
Prétentions et moyens de la Sas Les Mandataires
Par conclusions remises le 15 décembre 2023, elle demande à la cour de :
- déclarer non fondé l'appel de M. [X] [D], l'en débouter,
- confirmer le jugement rendu le 23 juin 2023 par le tribunal de commerce de Gap en ce qu'il a :
* constaté que M. [X] [D] a commis des actes susceptibles de voir engagée une mesure de faillite personnelle à son encontre,
* constaté l'existence des fautes de gestion commises par M. [X] [D] qui ont entraîné l'insuffisance d'actif de la Sarlu Caroma,
* prononcé la faillite personnelle de M. [X] [D], avec une mesure d'interdiction de gérer pendant une période de 8 ans,
* condamné M. [X] [D] au paiement d'une somme au titre de sa contribution à l'insuffisance d'actif,
- réformer le jugement rendu le 23 juin 2023 par le tribunal de commerce de Gap sur le montant de la contribution de M. [X] [D] à l'insuffisance d'actif,
Statuant à nouveau,
- condamner M. [X] [D] au paiement de la somme de 217.000 euros au titre de sa contribution à l'insuffisance d'actif,
- condamner M. [X] [D] à la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de la procédure.
Elle expose que :
- au regard d'un passif exigible de 331.702,08 euros dont une créance de 71.385,72 euros, l'insuffisance d'actif s'élève à la somme de 217.000 euros,
- alors que la société Caroma a bénéficié d'aides 'Covid 19" pour la somme totale de 383.750,52 euros, elle a procédé à des dépenses injustifiées et contraires à l'intérêt social, effectuées dans l'intérêt exclusif de M. [X] [D] ou des sociétés appartenant et dirigées par celui-ci,
- des virements mensuels de 3.000 euros ont été effectués en réglement de 'prestations' au profit de la société Monforens Finance de janvier 2020 à juillet 2022 pour un montant total de 90.000 euros,
- le compte courant de la société Monforens Finance a été remboursé à hauteur de 90.000 euros passant de 105.704,86 euros au 31 août 2020 à 15.704,86 euros au 31 août 2021,
- des remontées financières ont été réalisées du 13 janvier 2020 au 19 mai 2022 au profit de la société Monforens Finance à hauteur de 120.600 euros,
- il existe des flux injustifiés entre les différentes structures du groupe, notamment entre la société Blanchisserie Nouvelle et la société Caroma,
- il existe des dépenses injustifiées pour la somme totale de 76.932 euros, M. [X] [D] ne démontrant pas que ces dépenses étaient indispensables au fonctionnement de la société et ne fournissant pas le moindre justificatif, les notes de frais de M. [X] [D] ne sont pas justifiées et semblent constituer des revenus déguisés,
- les aides de l'Etat ont permis de procéder au remboursement du compte courant de la société Monforens Finance alors que le bailleur a déclaré une créance de 92.882,05 euros au titre des loyers impayés de février 2021 au 13 juillet 2022,
- le détournement de la trésorerie a empêché la société Caroma de payer ses charges courantes et notamment son loyer,
- les fonds du PGE sont venus alourdir le passif de l'entreprise pour la somme de 71.907,83 euros,
- M. [X] [D] a donc détourné une partie de l'actif et augmenté son passif,
- il a aussi fait des biens ou du crédit de la société un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne dans laquelle il est intéressé,
- les aides octroyées à la société Caroma n'étaient pas destinées à pallier les difficultés financière de son associée, la société Monforens Finance,
- M. [X] [D] ne justifie pas de la réalité des prétendues prestations de service effectuées par la société Monforens Finance pour le compte de la société Caroma mais seulement de la nécessité pour la holding de percevoir des fonds afin de régler son crédit destiné à l'acquisition de la société Caroma,
- les factures communiquées en cours d'instance ont été établis pour les besoins de la cause et ne figurent pas dans l'extrait du compte courant,
- la facturation en juillet 2021 de 18.000 euros semble correspondre à de prétendues prestations de service effectuées 14 mois auparavant qui n'apparaissent pas dans les comptes de la société,
- la convention de prestation de service n'a jamais réellement été mise en oeuvre,
- M. [X] [D] ne consteste pas le remboursement du compte courant de la société Monforens Finance à hauteur de 90.000 euros au détriment du paiement des charges courantes ce qui constitue un usage contraire aux intérêts de la société Caroma,
- la somme de 40.000 euros n'a pas été immédiatement remboursée par la société Blanchisserie Nouvelle qui a ainsi bénéficié de la trésorerie de la société Caroma,
- M. [X] [D] reconnaît avoir abusivement utilisé la trsésorerie de la société Caroma à hauteur de 111.800 euros ce qui constitue un aveu judiciaire,
- le prononcé de la faillite avec interdiction de gérer doit donc être confirmé.
Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif de M. [X] [D], elle fait observer que :
- les agissements préalablement décrits constituent des fautes de gestion,
- l'insuffisance d'actif s'élève à la somme de 217.000 euros,
- les fautes de gestion ne peuvent être que l'une des causes de l'insuffisance d'actif,
- la nature même des griefs justifie la contribution du dirigeant à l'insuffisance d'actif.
Conclusions du ministère public
Le 3 septembre 2024, le ministère public a conclu à la confirmation du jugement en relevant qu'en procédant à divers retraits de fonds de la Sarl Caroma vers la société Monforens Finance dont il est l'associé et le bénéficiaire effectif pour un montant de plus de 200.000 euros, M. [X] [D] a commis des fautes de gestion ayant concouru à l'insuffisance d'actif, étant précisé que la société Caroma a reçu la somme de 383.750,52 euros au titre de diverses aides et prêt solidaires correspondant à la hauteur de ses besoins et permettant d'éviter la cessation des paiements.
Motifs de la décision
1/ Sur la demande de faillite personnelle
En application de l'article L. 653-4 du code de commerce, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant de droit ou de fait d'une personne morale contre laquelle a été relevé notamment le fait d'avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale ou d'avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement.
A - Sur le détournement d'actif et l'augmentation frauduleuse du passif
a) Sur les sommes versée à la société Monforens Finance au titre d'une prestation de service
M. [X] [D] produit une convention datée du 1er juillet 2017 portant sur des prestations de secrétariat, d'administration et de gestion effectuées par la société Monforens Finance au profit de la société Caroma prenant effet à compter du
1er juillet 2017 et devant faire l'objet d'une facturation pour un montant annuel sur l'exercice 2017/2018 de 30.000 euros HT.
Outre le fait que cette convention ne prévoit une facturation que sur l'exercice 2017/2018, il n'est produit aucune facture pour les années 2017, 2018 et 2019 et l'étude du compte courant ne fait pas apparaître une facturation des prestations pour ces années-là.
Les seules factures intitulées 'aide et accompagnement à la gestion de Caroma' versées par M. [X] [D] concernent les mois de janvier à mai 2020. Toutefois, comme relevé par le tribunal, l'étude du compte courant ne fait pas apparaître leur comptabilisation à ces dates. Par ailleurs, il n'est pas justifié de l'achat de ces prestations de services dans les comptes de la société pour l'exercice 2019/2020. La facturation de 18.000 euros figurant à la date du 1er juillet 2021 sur le relevé de compte courant n'est donc pas de nature à venir régulariser ces factures de prestations antérieures de plus d'un an.
Pour la période postérieure à mai 2020, M. [X] [D] reconnaît que les virements à hauteur de 3.000 euros ont été effectués à titre de remboursement du compte courant d'associé de la société Monforens Finance.
Le tribunal a donc reconnu de façon pertinente que l'ensemble des virements effectués à hauteur de 3.000 euros de janvier 2020 à juin 2022, soit une somme de 90.000 euros, constitue un remboursement de compte courant et non le règlement de prestations.
Toutefois, selon une jurisprudence constante, le remboursement du compte courant ne peut constituer un détournement d'actif ( Com., 20 octobre 2021, pourvoi n° 20-15.736 ).
Dès lors, les virements à hauteur d'une somme globale de 90.000 euros ne peuvent être considérés comme un détournement d'actif.
b) Sur les autres remontées financières en faveur de la société Monforens Finances
L'étude du compte courant d'associé fait apparaître plusieurs virements en faveur de la société Monforens Finance de janvier 2020 à mai 2022 pour un montant de 120.600 euros, autres que ceux recensés à hauteur de 3.000 euros par mois pour une somme globale de 90.000 euros.
Dès lors, contrairement à ce qui est soutenu par M. [X] [D], la somme de 120.600 euros n'intègre pas les virements de 3.000 euros et le liquidateur n'allègue pas deux fois des mêmes sommes.
Les remontées financières vers la holding s'établissent bien à la somme de 210.600 euros (120.600 + 90.000).
Toutefois, comme indiqué précédemment, le remboursement d'un compte courant ne constitue pas un détournement d'actif.
c) Sur l'augmentation frauduleuse du passif
Le seul fait d'avoir souscrit un PGE à hauteur de 75.000 euros ne caractérise pas une augmentation frauduleuse du passif.
Dès lors, il n'est pas justifié d'un détournement d'actif ou d'une augmentation frauduleuse du passif.
B - Sur l'utilisation des biens ou du crédit de la personne morale pour un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement
M. [X] [D] a des intérêts directs dans la holding Monforens Finance.
En qualité de dirigeant de la société Caroma, il a procédé à des remboursements du compte courant d'associé de la société Monforens Finances pour un montant de 210.600 euros de janvier 2020 à juin 2022 ainsi que développé précédemment.
Ces remboursements sont intervenus alors même que la société Caroma a dû souscrire un PGE de 75.000 euros perçu le 7 mai 2020 et qu'elle a bénéficié d'aides au titre de l'activité partielle à compter de mars 2020 et au titre du fonds de solidarité à compter de mai 2020 pour des montants respectifs de 179.852,52 euros et de 128.898 euros ce qui démontre ses difficultés financières.
Elle a ainsi cessé de régler ses loyers à son bailleur. L'analyse des créances déclarées mentionne l'existence d'une ordonnance de référé du 14 juin 2022. Il est fait état d'un impayé de 74.414 euros et de loyers et charges de février 2021 au 13 juillet 2022 pour un montant de 12.941 euros.
Comme le relève le tribunal, la liste des créances déclarées fait apparaître des montants très importants dont 71.907,83 euros au titre du PGE et 67.264 euros au titre de l'Urssaf.
En outre, certains remboursements ont été opérés après la date de cessation des paiements fixée au 8 mars 2022, étant relevé que ces règlements ne sont pas justifiées par des prestations de service ainsi que développé précédemment. Dès lors, M. [X] [D] ne peut invoquer au titre d'apport de la société Monforens Finance des factures de prestations de service intitulées 'ACH' figurant dans le compte courant.
La convention de trésorerie liant la holding à la société Caroma n'est pas de nature à supprimer le fait que l'utilisation des fonds de la société Caroma est contraire à son intérêt social d'autant que M. [X] [D] allègue que les remboursements du compte courant étaient nécessaires afin de pouvoir payer les emprunts de la holding sans en justifier.
En conséquence, il résulte de ces éléments que M. [X] [D] a fait du crédit de la société Caroma un usage contraire à son intérêt en procédant alors qu'elle avait des difficultés financières, à des remboursements du compte courant d'associé de la société Monforens Finance dans laquelle il a des intérêts puisqu'il en est l'associé unique. Il a ainsi privilégié ses intérêts au détriment d'autres créanciers.
Par ailleurs, il résulte du relevé du compte de la société Blanchisserie Nouvelle que celle-ci a perçu deux fois la somme de 40.000 euros le 30 juillet 2020, soit 80.000 euros, en remboursement d'une somme de 40.000 euros. S'il s'agissait d'une erreur comme allégué par M. [X] [D], la société Blanchisserie Nouvelle aurait immédiatement reversé la somme de 40.000 euros à la société Caroma. Or, le remboursement de cette somme est intervenu au moyen de 7 virements s'étalant de septembre 2020 à janvier 2021 pour un montant au demeurant supérieur.
A une époque où la société Caroma se trouvait dans une situation financière difficile en raison du Covid, elle a néanmoins fourni de la trésorerie à la société Blanchisserie Nouvelle. Cette utilisation de la trésorerie de la société Caroma n'était donc pas conforme à son intérêt et a favorisé la société Blanchisserie Nouvelle dans laquelle M. [X] [D] a des intérêts.
S'agissant des dépenses par chèques pour un montant de 36.932 entre le 8 juin 2020 et le 14 septembre 2022, M. [X] [D] en justifie pour partie en produisant des factures pour un montant total de 20.883 euros. Pour le surplus des chèques, il n'est pas démontré que ces chèques ont été adressés à M. [X] [D] ou à une personne morale dans laquelle il a un intérêt.
Dès lors, ces dépenses ne peuvent être considérées comme ayant été faites dans un intérêt contraire à l'intérêt social et dans l'intérêt de M. [X] [D] ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement.
S'agissant des virements pour un montant de 9.526,61 euros au profit de M. [X] [D], celui-ci verse aux débats ses notes de frais constitués de frais kilométriques, étant relevé que M. [X] [D] demeure à [Localité 2]. Ces notes correspondent aux virements effectués. Dès lors, il n'est pas établi que ces virements soient contraire à l'intérêt social.
C - Sur le prononcé de la faillite
S'il n'est pas retenu un détournement d'actif ou une aggravation frauduleuse du passif, il est néanmoins justifié d'une utilisation de la trésorerie de la société Caroma contraire à son intérêt social et pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle M. [X] [D] était intéressé directement ou indirectement s'agissant des remboursements du compte courant d'associé de la société Monforens Finance et de la mise à disposition d'une trésorerie à la société Blanchisserie Nouvelle.
Ces faits intervenus alors que la société Caroma a bénéficié d'aides importantes de la part de l'état sont particulièrement graves et justifient le prononcé de la faillite personnelle de M. [X] [D] tel que retenu par le tribunal.
En application de l'article L.653-2 du code de commerce, la faillite personnelle emporte interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale.
Toutefois, dès lors qu'il n'est pas retenu le détournement d'actif, la durée de la mesure sera ramenée à 7 ans.
2/ Sur la demande de contribution du dirigeant à l'insuffisance d'actif
L'article L.651-2 du code de commerce dispose que lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion.
Le montant de l'insuffisance d'actif à hauteur de 217.000 euros n'est pas contesté.
A - Sur les fautes de gestion
Le remboursement d'un compte courant d'associé dès lors qu'il a été réalisé au détriment des autres créanciers et en parfaite connaissance des difficultés financières de la société constitue une faute de gestion ( Cass. com. 24 mai 2018, n° 17-10119 ).
En l'espèce, ainsi qu'il a été exposé précédemment, la société Monforens Finance a bénéficié de remboursements de son compte courant alors que la société Caroma avait une situation financière difficile, et ce au détriment notamment de son bailleur. La faute de gestion est donc constituée.
La société Caroma a également fait une avance injustifiée de trésorerie à la société Blanchisserie Nouvelle constituant une autre faute de gestion.
Le dirigeant d'une personne morale peut être déclaré responsable sur le fondement de l'article L. 651-2 du code de commerce dès lors que sa faute de gestion a contribué à l'insuffisance d'actif, sans qu'il soit nécessaire de déterminer quelle part de l'insuffisance est imputable à cette faute (Cass. com. 17 novembre 2015 n°14-12.372).
Il suffit donc de prouver que les fautes de gestion ont contribué à l'insuffisance d'actif sans qu'il soit nécessaire de déterminer le montant précis de l'aggravation du passif résultant de chaque faute retenue.
En l'espèce, le remboursement du compte courant a privé la société Caroma de trésorerie alors qu'elle avait contracté un PGE pour assumer ses charges et qu'elle a accumulé une dette importante de loyers. Il en est de même de l'avance de trésorerie à la société Blanchisserie Nouvelle.
Ces fautes ont donc contribué à l'insuffisance d'actif.
La contribution du dirigeant à l'insuffisance d'actif qui ne peut excéder celui de l'insuffisance d'actif certaine au jour où le juge statue doit être proportionnée au nombre et à la gravité des fautes de gestion et tenir compte de la situation personnelle du dirigeant.
Les fautes de gestion telles que décrites précédemment ont été commises dans l'intérêt personnel du dirigeant et présentent donc une gravité certaine.
Au regard de ces éléments, le tribunal a fixé à juste raison le montant de la contribution à l'insuffisance d'actif à la somme de 135.400 euros. Il sera confirmé sur ce point.
3/ Sur les mesures accessoires
M. [X] [D] qui succombe dans l'essentiel de ses demandes sera condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel et à payer la somme de 3.500 euros à la Sas Les Mandataires représentée par Me [B] en qualité de liquidateur judiciaire de la société Caroma.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement rendu le 23 juin 2023 par le tribunal de commerce de Gap sauf en ce qu'il a fixé la durée de la faillite personnelle à 8 ans et en ce qu'il a dit que les dépens seront portés en frais privilégiés de procédure.
L'infirme de ces chefs.
Statuant à nouveau et ajoutant,
Fixe la durée de la mesure de faillite à 7 ans.
Condamne M. [X] [D] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Condamne M. [X] [D] à payer la somme de 3.500 euros à la Sas Les Mandataires représentée par Me [B] en qualité de liquidateur judiciaire de la société Caroma.