CA Grenoble, ch. com., 17 octobre 2024, n° 22/04321
GRENOBLE
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
AR Construction (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Figuet
Conseillers :
M. Bruno, Mme Faivre
Avocats :
Me Laurent, Me Spinelle, Me Mihajlovic, Me Molina
Faits et procédure
La Sarl à associé unique AR Construction, gérée par M. [Y] [M], domiciliée [Adresse 3] à [Localité 7], avait une activité de travaux de maçonnerie générale et gros oeuvre de bâtiment, BTP, Démolition, charpente, couverture, zinguerie, ossature en bois, terrassement, VRD, étanchéité, installations de produits électriques et domotiques.
M. [Y] [M] est aussi président de la Sas Studio AR ayant pour activité l'importation, la vente en gros et au détail, l'installation de mobiliers, sanitaires, carrelages et autres équipements de la maison et petits travaux s'y rapportant et domiciliée [Adresse 3] à [Localité 7].
Sur la déclaration de cessation de paiements effectuée par son gérant le 5 novembre 2021, par jugement du 16 novembre 2021, le tribunal de commerce de Grenoble a prononcé la liquidation judiciaire de la Sarl AR Construction, a fixé provisoirement au 1er août 2021 la date de cessation des paiements et a nommé Me [B] [W] en qualité de liquidateur judiciaire de la société AR Construction.
Par acte d'huissier de justice du 6 février 2022, Me [B] [W] en qualité de liquidateur judiciaire de la société AR Construction a assigné M. [Y] [M] sur le fondement de l'article L.651-2 du code de commerce pour le voir condamner à supporter partiellement l'insuffisance d'actifs à hauteur de 500.000 euros.
Par jugement du 2 novembre 2022, le tribunal de commerce de Grenoble a :
- dit que M. [Y] [M] a, en qualité de mandataire social de la société AR Construction, commis des fautes de gestion causales de l'insuffisance d'actifs,
- condamné M. [Y] [M] à supporter partiellement l'insuffisance d'actifs à concurrence d'une somme de 49.091 euros,
- condamné M. [Y] [M] à payer à Me [B] [W], en qualité de liquidateur judiciaire de la société AR Construction, la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par déclaration du 5 décembre 2022, Me [B] [W], en qualité de liquidateur judiciaire de la société AR Construction a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a condamné M. [Y] [M] à supporter partiellement l'insuffisance d'actifs à concurrence d'une somme de 49.091 euros et condamné M. [Y] [M] à payer à Me [B] [W], en qualité de liquidateur judiciaire de la société AR Construction, la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 6 juin 2024.
Prétentions et moyens de Me [B] [W], en qualité de liquidateur judiciaire de la société AR Construction
Dans ses conclusions remises et notifiées le 14 novembre 2023, il demande à la cour d'appel de :
- confirmer le jugement entrepris quant à la détermination de l'insuffisance d'actifs et la matérialité des fautes de gestion reprochées,
- réformer le jugement pour le surplus,
- condamner M. [Y] [M] à payer entre les mains de Me [B] [W] en qualité de liquidateur judiciaire de la société AR Construction une somme de 500.000 euros en comblement partiel de l'insuffisance d'actifs déplorée,
Subsidiairement,
- condamner M. [Y] [M] à payer entre les mains de Me [B] [W] en qualité de liquidateur judiciaire de la société AR Construction une somme en principal de 233.422 euros,
- débouter M. [Y] [M] de son appel incident,
En toutes hypothèses,
- condamner M. [Y] [M] à payer à Me [B] [W] en qualité de liquidateur judiciaire de la société AR Construction une somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Il expose que l'insuffisance d'actifs s'élève à présent à la somme de 680.165,60 euros en prenant en considération le seul passif définitif échu de 878.291,50 euros et non pas le passif déclaré à hauteur de 886.592 euros, que si les chiffres avancés au titre de l'actif recouvré ont évolué entre la délivrance de l'assignation et la date du jugement, cela s'explique par le fait qu'il a pu procéder entre temps à la vente aux enchères de meubles et recouvrer un compte client, que si M. [Y] [M] considère que le liquidateur a failli dans sa mission de recouvrement, il lui appartient d'agir en responsabilité à son encontre, qu'en tout état de cause même à recouvrer la totalité des créances, l'insuffisance d'actifs se serait encore élevée à 604.477,49 euros, qu'en outre, si le compte client est resté largement irrecouvré, c'est en raison du manque d'éléments communiqués par M. [Y] [M] pour répondre aux clients se plaignant de malfaçons.
S'agissant des fautes de gestion, il relève :
- que M. [Y] [M] a attendu plus de 3 mois avant de déclarer son état de cessation des paiements, que ce retard est nécessairement fautif, que cette faute ne saurait être limitée à une durée d'un mois et demi sauf à considérer que le fait de poursuivre une activité en état de cessation des paiements dans les 45 premiers jours de sa constitution serait un acte de bonne gestion alors même que le passif exigible s'accumule,
- que les comptes annuels de 2020 et 2021 n'ont pas été réalisés ainsi qu'il en ressort d'une attestation de l'expert-comptable, que la faute de gestion est ainsi caractérisée, que l'absence de tenue de comptabilité n'a ainsi pas permis au gérant de gérer sainement son entreprise, d'anticiper ses difficultés et d'optimiser son fonctionnement, que l'absence de synthétisation des comptes n'a pas permis au liquidateur de procéder au recouvrement du compte client avec efficacité,
- que le détournement d'actifs par le transfert du marché des consorts [C] et [D] de la société AR Construction à la société Studio AR est parfaitement établi par l'attestation de M. [C] et les écrits de M. [Y] [M], que son incidence sur l'insuffisance d'actifs qui est une notion de trésorerie doit s'entendre de la totalité du marché et non pas de la seule marge nette.
Par ailleurs, il fait remarquer que :
- la juridiction qui condamne le dirigeant n'a pas à déterminer la quote-part de l'insuffisance d'actifs imputable à chaque faute de gestion,
- il suffit que le fait reproché au dirigeant soit l'une des fautes ayant contribué à la réalisation du dommage, peu importe qu'elle soit sa cause unique ou même principale, pour que la totalité de l'insuffisance d'actifs lui soit imputée,
- l'action en comblement du passif ne constitue pas une simple action en responsabilité de droit commun mais une sanction commerciale destinée à réparer les conséquences préjudiciables mais aussi à réprimer de tels agissements,
- l'article L. 651-2 du code de commerce prévoit ainsi de mettre à la charge du dirigeant tout ou partie de l'insuffisance d'actifs et non pas la seule aggravation de l'insuffisance résultant directement de la commission de chaque faute de gestion prise individuellement,
- le tribunal en s'attachant à démontrer le lien de causalité sur la croissance de l'insuffisance d'actifs au regard de chaque faute de gestion prise isolément a ajouté au texte une condition qui n'existe pas,
- la poursuite de l'activité postérieurement à la constatation de la cessation des paiements est nécessairement fautive et c'est à tort que pour déterminer l'incidence causale, le tribunal a pris en considération le 15 septembre 2023 et non le 1er août 2023,
- c'est à tort aussi que le tribunal a considéré que la tenue incomplète de la comptabilité n'a pas généré une augmentation de l'insuffisance d'actifs, étant au surplus relevé que la faute doit avoir seulement contribué à l'insuffisance d'actifs,
- par ailleurs, en l'absence de transfert du marché au bénéfice de la société Studio AR, la société AR Construction se serait vu créditer d'une trésorerie de 141.874 euros ce qui aurait pu lui permettre de tenir jusqu'à la signature de marchés importants ou de se placer sous le régime de la sauvegarde.
Prétentions et moyens de M. [Y] [M]
Dans ses conclusions remises et notifiées le 26 mars 2024, il demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
* dit que M. [Y] [M] a, en sa qualité de mandataire social de la société AR Construction, commis des fautes de gestion causales de l'insuffisance d'actifs,
* condamné M. [Y] [M] à supporter partiellement ladite insuffisance d'actif à concurrence d'une somme de 49.091 euros,
* condamné M. [Y] [M] à payer à Me [B] [W] en qualité de liquidateur judiciaire de la société AR Construction une somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
Statuant à nouveau,
- débouter Me [B] [W] en qualité de liquidateur judiciaire de la société AR Construction de toutes ses demandes,
- condamner Me [B] [W], en qualité de liquidateur judiciaire de la société AR Construction, à payer à M. [Y] [M] la somme de 10.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
- condamner Me [B] [W], en qualité de liquidateur judiciaire de la société AR Construction, aux entiers dépens.
Sur le prétendu retard dans la déclaration de l'état de cessation des paiements, il fait observer que :
- la société AR Construction qui a vu son autorisation de découvert de 50.000 euros prendre fin le 1er août 2021 avait jusqu'au 15 septembre 2021 pour effectuer sa déclaration de cessation des paiements,
- elle devait recevoir deux importants acomptes début septembre 2021 pour un montant de 549.000 euros dont on lui a annoncé le décalage en octobre 2021,
- son retard d'un mois et demi dans la déclaration de cessation des paiements n'est pas fautif dans la mesure où il avait toutes les raisons de penser qu'il percevrait les acomptes, ce dans un contexte de crise économique post-covid qui a vu de nombreux chantiers retardés,
- ce léger retard n'a pas augmenté ou contribué à l'augmentation du passif,
- la juridiction dispose du plus large pouvoir d'appréciation sur l'opportunité de la sanction au regard des circonstances entourant le retard.
Sur la prétendue absence de tenue de la comptabilité, il fait valoir que :
- la comptabilité a été régulièrement tenue de façon mensuelle jusqu'à la date de liquidation et les déclarations de TVA et sociales ont été réalisées ainsi qu'il en résulte de l'attestation de l'expert-comptable,
- les comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2020 n'ont pas été établis compte tenu du non règlement de la facture mais la comptabilité était tenue,
- les comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2021 n'étaient pas clôturés à la date de la liquidation judiciaire prononcée le 16 novembre 2021 et devaient être établis seulement en mai/juin 2022, il ne peut donc être retenu comme faute l'absence d'établissement des comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2021,
- il a mentionné dans sa déclaration de cessation des paiements le montant des créances clients à recouvrer pour un montant de 100.332,79 euros en indiquant précisément les 11 clients débiteurs de la société, alors qu'il a répondu aux courriers du liquidateur et qu'il continue à suivre les fins de chantier pour sortir les DGD, Me [W] est d'une particulière négligence dans le recouvrement des créances, aucune faute de gestion ne peut donc lui être reproché alors qu'il démontre sa collaboration active avec les organes de la procédure,
- il a indiqué très précisément le montant du passif, soit 719.485,82 euros, ce qui démontre que la gestion et le suivi de la comptabilité de la société étaient particulièrement rigoureux,
- le liquidateur ne démontre aucunement le lien entre un prétendu défaut de tenue de comptabilité et l'insuffisance d'actif à hauteur de 500.000 euros, montant de la somme qui lui est réclamée.
Sur le prétendu détournement d'actifs, il fait valoir que :
- début 2021, il a été contacté par M. [D] aux fins de rénovation de sa cuisine,
- la société Studio AR a alors émis un devis le 1er juin 2021 pour la fourniture et la pose d'une cuisine,
- elle a émis un second devis le 10 juin 2021 pour des travaux de second oeuvre suite au déplacement et à la pose d'une cuisine, le client ayant sollicité une rénovation plus globale,
- le marché devait être réalisé par la société Studio AR et seule la partie maçonnerie devait être effectuée par la société AR Construction,
- à la suite des échanges avec le juge chargé de la prévention des difficultés, il a été décidé de ne pas prendre de petits chantiers,
- M. [D] ayant insisté pour travailler avec lui, il a fait souscrire une assurance décennale à la société Studio AR et celle-ci a établi un troisième devis pour un montant de 141.874,73 euros en sous traitant à des entreprises tierces, notamment à la société AR Construction qui a établi une facture de 5.512,54 euros qui lui a été réglée,
- à supposer que cela constitue une faute de gestion, au regard d'une marge nette de 8%, la perte n'aurait été que de 11.349,97 euros sans lien avec la réclamation à hauteur de 500.000 euros,
- ce marché n'aurait pas pu permettre le redressement de la société, les difficultés étant antérieures à la signature du contrat [D],
- il a eu l'honnêteté de ne pas faire signer un devis et de ne pas faire empocher un acompte par la société AR Construction alors que celle-ci était en difficultés et que son placement en liquidation judiciaire n'aurait pas permis la restitution de l'acompte.
Il ajoute que :
- si les arrêts cités par le liquidateur ont mis à la charge du dirigeant la totalité du passif, les fautes commises par ces dirigeants sont autrement plus graves que celles qui peuvent être retenues contre lui,
- le raisonnement de Me [W] selon lequel le fait de ne pas déclarer l'état de cessation de paiement dès sa survenance est constitutif d'une faute de gestion est parfaitement erroné,
- par ailleurs, en cas de signature du marché [D], la société AR Construction n'aurait pas immédiatement encaissé une somme de 141.000 euros mais seulement un acompte à hauteur de 42.562 euros qui
aurait été utilisé pour régler les marchandises, les autres acomptes ont été émis postérieurement à l'état de cessation des paiements,
- en tant que caution envers la Caisse de Crédit Mutuel, il a été condamné à payer la somme de 107.392,91 euros.
Par conclusions remises le 26 juin 2024, le ministère public a conclu à la confirmation de la décision parfaitement motivée du tribunal de commerce de Grenoble.
Pour le surplus des demandes et des moyens développés, il convient de se reporter aux dernières écritures des parties en application de l'article 455 du code de procédure civile.
Motifs de la décision
L'article L.651-2 du code de commerce dispose que lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion.
1) Sur l'insuffisance d'actif
Il a été déclaré entre les mains du liquidateur un passif échu de 870.291,59 euros dont 42.405,67 euros à titre superprivilégié, 187.482,54 euros à titre privilégié et 640.403,29 euros à titre chirographaire.
Selon les justificatifs produits par le liquidateur arrêtés au 7 avril 2023, l'actif que ce dernier a été en mesure de recouvrer et de réaliser s'est élevé à la somme de 106.409,97 euros.
Si M. [Y] [M] produit un courrier du 1er février 2024 de la société Isère Aménagement faisant état d'une libération de la retenue de garantie pour un montant de 3.072,08 euros, il n'est pas justifié du virement.
Par ailleurs, si M. [Y] [M] reproche au liquidateur de ne pas avoir été suffisamment diligent dans le recouvrement des créances, il ressort que celui-ci s'est heurté à l'opposition des clients faisant état de nombreuses réserves sur les chantiers réalisés par la société AR Construction. Ainsi, contrairement à ce que soutient M. [Y] [M], s'agissant du dossier Laforest-Joly, l'architecte indique dans son mail du 15 décembre 2021 que la retenue de garantie ne peut être libérée qu'à la condition que l'ensemble des réserves soit levé. Le dossier [J] fait aussi apparaître un désordre sur le bardage.
Il ressort de ces éléments que l'insuffisance d'actifs s'élève à la somme de 763.881,62 euros que le liquidateur ramène à la somme de 680.165,50 euros après avoir déduit le passif résultant directement du prononcé de la liquidation judiciaire (rupture des contrats de travail) pour un montant de 83.716,03 euros.
En tout état de cause, à considérer que l'intégralité du compte client tel que déclaré lors de la cessation des paiements (100.332 euros) puisse être récupéré, l'insuffisance serait encore de 600.597,28 euros, somme bien supérieure au montant réclamé à M. [Y] [M].
2) Sur les fautes de gestion
Sur le défaut de déclaration de la cessation des paiements :
Selon les articles L.631-4 et L.640-4 du code de commerce, le débiteur doit demander l'ouverture d'une procédure collective de redressement ou de liquidation judiciaire au plus tard dans les 45 jours qui suivent la cessation des paiements, s'il n'a pas dans ce délai demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.
Le tribunal a fixé la date de cessation des paiements de la société AR Construction au 1er août 2021. M. [Y] [M] a sollicité l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire le 5 novembre 2021, soit postérieurement au délai de 45 jours.
L'omission par le dirigeant de la personne morale débitrice de procéder à la déclaration de son état de cessation des paiements dans le délai maximal de 45 jours constitue une faute de gestion.
Néanmoins, contrairement à ce qui est soutenu par le liquidateur, la faute tenant à la déclaration tardive de cessation des paiements ne peut exister avant l'expiration du délai de quarante-cinq jours pour déclarer.
Dès lors, la faute de gestion retenue à la charge de M. [Y] [M] ne peut consister qu'en un retard de 52 jours pour solliciter l'ouverture d'une procédure collective.
Contrairement à ce que soutient M. [Y] [M], ce retard est bien fautif puisque le mail concernant le chantier du manoir du 15 septembre 2021 ne lui donnait aucune assurance sur une perception rapide d'un acompte et qu'il était au contraire mentionné: 'La nouvelle propriétaire n'ayant toujours pas débloqué les fonds liés aux travaux, nous pensons qu'il ne serait pas judicieux de poursuivre les interventions de devis et consultations.'
Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a retenu le retard dans la déclaration de cessation des paiements comme faute de gestion.
Sur l'absence de tenue de comptabilité
En application de l'article L123-12 du code de commerce, toute personne physique ou morale ayant la qualité de commerçant doit procéder à l'enregistrement comptable des mouvements affectant le patrimoine de son entreprise. Ces mouvements sont enregistrés chronologiquement.
Elle doit contrôler par inventaire, au moins une fois tous les douze mois, l'existence et la valeur des éléments actifs et passifs du patrimoine de l'entreprise. Elle doit établir des comptes annuels à la clôture de l'exercice au vu des enregistrements comptables et de l'inventaire. Ces comptes annuels comprennent le bilan, le compte de résultat et une annexe, qui forment un tout indissociable.
Il ressort de l'attestation de l'expert-comptable en date du 21 avril 2022 que s'il a effectué régulièrement jusqu'à la liquidation de la société les déclarations de Tva et les déclarations sociale périodiques sur la base des documents communiqués par l'entreprise, il n'a pu en revanche établir les comptes annuels pour l'année 2020 face aux difficultés majeures rencontrées par la direction de la société.
M. [Y] [M] en sa qualité de dirigeant de la société AR Construction a donc manqué à ses obligations comptables. Il ne peut justifier ce manquement par l'existence de difficultés financières dès lors que si la société était dans l'impossibilité de payer les prestations de son comptable, il lui incombait d'en tirer toutes conséquences et de prendre les mesures adéquates.
En revanche, ainsi que retenu à juste titre par le tribunal, il ne peut lui être reproché de ne pas avoir fait établir les comptes annuels de l'année 2021, l'exercice comptable n'étant pas encore arrivé à son terme lorsque la liquidation judiciaire de la société AR Construction a été ordonnée le 16 novembre 2021.
Dès lors, seul sera retenu comme faute de gestion le défaut d'établissement des comptes annuels pour l'année 2020.
Sur le détournement d'actifs
M. [Y] [M] était le dirigeant de la société AR Construction une activité de travaux de maçonnerie générale et gros oeuvre de bâtiment, BTP, Démolition, charpente, couverture, zinguerie, ossature en bois, terrassement, VRD, étanchéité, installations de produits électriques et domotiques. Il est aussi président de la Sas Studio AR ayant pour objet social la vente au gros et au détail, l'installation de mobiliers, sanitaires, carrelages et autres équipements de la maison et petits travaux s'y rapportant.
Par courrier du 6 décembre 2021, le Crédit Mutuel a écrit au liquidateur pour lui indiquer avoir eu connaissance de factures émises par la société Studio AR portant sur des travaux de gros oeuvre, maçonnerie, charpente, ce depuis le 30 juin 2021 et laissant suspecter que la société Studio AR a facturé des prestations accomplies par la société AR Construction.
Il est produit 3 factures émanant de la société Studio AR adressées à M. et Mme [C]/[D] pour des montants respectifs de 42.564,91 euros, 19.617,02 euros et 21.127,59 euros relatives à des prestations de maçonnerie, enduit de façade, mur ossature bois, couverture étanchéité, zinguerie, menuiseries extérieures, isolation, électricité, chauffage, plomberie, sanitaire, carrelage, peinture.
La cour relève que l'essentiel des travaux visés par ces factures ne correspond pas à l'objet social de la société Studio AR mais à celui de la société AR Construction.
En outre, il résulte de l'attestation rédigée par M. [C] qu'il avait pris contact avec la société AR Construction pour la réalisation de son chantier prévue initialement début 2021, que les travaux ont dû être décalés, que M. [M] lui a alors indiqué qu'il ne voulait pas engager la société AR Construction uniquement sur son projet dans l'attente de la validation d'un gros dossier, qu'il a proposé de faire exécuter le chantier par son autre société, la société Studio AR, et a souscrit à cette fin une assurance décennale pour cette société.
Il en résulte que M. [Y] [M] a commis une faute de gestion en confiant à la société Studio AR un chantier destiné initialement à la société AR Construction à un moment où celle-ci avait besoin d'une activité et de liquidités, étant relevé que ce chantier ne relevait pas de l'objet social de la société Studio AR qui a dû souscrire une assurance spécifique et que M. [Y] [M] avait des intérêts dans cette société.
C'est donc avec raison que le tribunal a retenu cette faute de gestion.
3) Sur le lien de causalité
Le dirigeant d'une personne morale peut être déclaré responsable sur le fondement de l'article L. 651-2 du code de commerce dès lors que sa faute de gestion a contribué à l'insuffisance d'actif, sans qu'il soit nécessaire de déterminer quelle part de l'insuffisance est imputable à cette faute (Cass. com. 17 novembre 2015 n°14-12.372).
Dès lors, comme soutenu par Me [B] [W], en qualité de liquidateur judiciaire de la société AR Construction, le dirigeant peut être condamné à supporter en partie ou en totalité l'insuffisance d'actif, même si les fautes retenues n'en sont pas la cause unique.
Il suffit donc de prouver que les fautes de gestion ont contribué à l'insuffisance d'actif sans qu'il soit nécessaire de déterminer comme l'a fait le tribunal le montant précis de l'aggravation du passif résultant de chaque faute retenue.
Le retard dans la déclaration de cessation des paiements a contribué à l'insuffisance d'actif par l'augmentation du passif social (salaires impayés de septembre, octobre et novembre).
Comme retenu par Me [B] [W], en qualité de liquidateur judiciaire de la société AR Construction, l'absence d'établissement des comptes annuels pour l'année 2020 a privé le gérant de détenir tous les paramètres lui permettant de gérer convenablement son entreprise, d'apprécier dans toute son ampleur sa mauvaise santé financière et de prendre les mesures adéquates pour en limiter les effets. Cette faute de gestion a donc contribué à l'insuffisance d'actif sans qu'il soit nécessaire d'apprécier si elle a empêché le liquidateur de répondre de façon pertinente aux contestations des débiteurs.
Le détournement de chantier au profit de la société Studio AR a privé la société AR Construction de l'obtention d'une trésorerie à un moment où cela était essentiel pour elle. Ce détournement a donc aussi contribué à l'insuffisance d'actif.
4) Sur le montant de la condamnation
La contribution du dirigeant à l'insuffisance d'actif qui ne peut excéder le montant de l'insuffisance d'actif certaine au jour où le juge statue doit être proportionnée au nombre et à la gravité des fautes de gestion et tenir compte de la situation personnelle du dirigeant.
En l'espèce, M. [Y] [M] a commis trois fautes dont seul le détournement d'actif présente une gravité certaine. Il a été condamné par décision du 24 février 2023 à payer en sa qualité de caution de la société AR Construction la somme de 107.392,91 euros. Il fait l'objet d'une procédure de saisie immobilière.
Au regard de ces éléments, sa contribution à l'insuffisance d'actif de la société AR Construction sera fixée à la somme de 65.000 euros. Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il n'a retenu que la somme de 49.091 euros.
5) Sur les mesures accessoires
M. [Y] [M] qui succombe sera condamné aux entiers dépens et à payer la somme de 3.000 euros à Me [B] [W], en qualité de liquidateur judiciaire de la société AR Construction sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement rendu le 2 novembre 2022 par le tribunal de commerce de Grenoble sauf en ce qu'il a condamné M. [Y] [M] à supporter partiellement l'insuffisance d'actif à concurrence d'une somme de 49.091 euros.
L'infirme de ce chef.