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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 2, 17 octobre 2024, n° 24/01653

DOUAI

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Earl du Marronnier

Défendeur :

Mjs Partners (Selas)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Barbot

Conseillers :

M. Gilles, Mme Cordier

Avocats :

Me Verague, Me Soinne

TJ Boulogne-sur-Mer, du 21 mars 2024, n°…

21 mars 2024

FAITS ET PROCEDURE

Le 19 décembre 2013, la société Du Marronnier, qui exploite un élevage d'autruches, a été mise en redressement judiciaire, la société MJS Partners étant nommée en qualité de mandataire judiciaire, et la période d'observation fixée jusqu'au 23 juillet 2014.

Un jugement du 2 juillet 2015 a arrêté le plan de redressement de la société Du Marronnier sur une durée de 15 ans et désigné la société MJS Partners en qualité de commissaire à l'exécution du plan, le passif étant apuré à 100 % des créances admises, en 15 annuités égales de 25 193 euros chacune, sans intérêts, la première échéance étant payable en 2016.

Un jugement du 17 décembre 2020 a modifié ce plan, en reportant la 5e échéance du 2 juillet 2022 au 2 juillet 2031, sans modification de la date de paiement des autres échéances.

Le 22 août 2022, le commissaire à l'exécution du plan a assigné la société Du Marronnier en résolution de son plan et ouverture d'une liquidation judiciaire, en se fondant sur le non-paiement de l'annuité exigible le 2 juillet 2023.

Par un jugement rendu le 21 mars 2024, en l'absence de comparution de la société Du Marronnier, le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer a, pour l'essentiel :

- prononcé la résiliation du plan ;

- mis la société Du Marronnier en liquidation judiciaire ;

- nommé la société MJS Partners en qualité de liquidateur.

Le 8 avril 2024, la société Du Marronnier a relevé appel de ce jugement, en critiquant l'ensemble de ses chefs de dispositif.

PRETENTIONS DES PARTIES

Par ses conclusions notifiées par la voie électronique le 19 juin 2024, la société Du Marronnier demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions [listées dans le dispositif des conclusions, p. 7] ;

Statuant de nouveau,

- constater qu'elle a payé en totalité le dividende exigible du 2 juillet 2023 ;

- constater qu'elle a réglé en totalité des honoraires majorés du commissaire à l'exécution du plan ;

- En conséquence, juger n'y avoir lieu à résolution du plan de redressement du 2 juillet 2015 ;

- juger qu'elle continuera de bénéficier de ce plan ;

- dire que chacune des partie conservera la charge de ses propres frais et dépens.

Par un avis du 20 août 2024, notifié à l'avocat de l'appelante par la voie électronique le 28 août 2024, le ministère public demande qu'il soit dit que l'appel est devenu « sans objet », les causes de l'assignation, à l'origine du jugement querellé, ayant été réglées.

La société MJS Parners n'ayant pas constitué avocat, l'appelante lui a signifié sa déclaration d'appel et ses conclusions respectivement les 31 mai 2024 et 20 juin 2024, par des actes délivrés à personne morale. En application de l'article 473 du code de procédure civile, le présent arrêt est donc réputé contradictoire.

MOTIVATION

En droit, l'article L. 626-27, I du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 18 décembre 2008 applicable en la cause, eu égard à la date du jugement d'ouverture, dispose que :

En cas de défaut de paiement des dividendes par le débiteur, le commissaire à l'exécution du plan procède à leur recouvrement conformément aux dispositions arrêtées. Il y est seul habilité.

Le tribunal qui a arrêté le plan peut, après avis du ministère public, en décider la résolution si le débiteur n'exécute pas ses engagements dans les délais fixés par le plan.

Lorsque la cessation des paiements du débiteur est constatée au cours de l'exécution du plan, le tribunal qui a arrêté ce dernier décide, après avis du ministère public, sa résolution et ouvre une procédure de redressement judiciaire ou, si le redressement est manifestement impossible, une procédure de liquidation judiciaire.

Ce texte, applicable au redressement judiciaire, prévoit deux causes distinctes de résolution d'un plan :

- l'inexécution de ce plan par le débiteur ;

- ou l'apparition d'un nouvel état de cessation des paiements en cours d'exécution du plan.

Ces deux causes de résolution ne doivent pas être confondues.

Dans la première hypothèse prévue à l'article L. 626-27, I, alinéa 2 (i.e. le non-respect des engagements prévus au plan), les juges du fond disposent d'une simple faculté de résolution du plan, qui relève de leur pouvoir souverain d'appréciation, quand bien même ils constateraient l'inexécution par le débiteur de ses engagements dans les délais fixés par le plan (v. not. : Com. 30 juin 2015, n° 14-16543 ; Com. 28 févr. 2018, n° 17-10289). Autrement dit, dans ce cas, la résolution du plan ne s'impose pas aux juges.

En outre, cette première cause de résolution du plan est subordonnée à une seule condition : le constat de l'inexécution de ses engagements par le débiteur (Com. 24 juin 2008, n° 07-13720). Les juges ne sont pas tenus de rechercher si cette inexécution revêtait un caractère suffisamment grave (Com. 30 juin 2015, n° 14-16544), ni de constater l'état de cessation des paiements (Com. 16 déc. 2008, n° 07-17130, publié ; Com. 18 mai 2016, n° 14-24313).

Surtout, selon une jurisprudence constante, si, concomitamment à la résolution du plan fondée sur cette première cause, les juges peuvent ouvrir une liquidation judiciaire, c'est toutefois à la condition qu'ils caractérisent la cessation des paiements du débiteur (V. not. : Com. 13 déc. 2017, n° 16-21159 ; Com. 9 sept. 2020, n° 18-23615), que l'article L. 631-1 du code de commerce définit comme « l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible. » La cessation des paiements doit alors être appréciée à la date à laquelle les juges statuent, soit à la date de l'arrêt de la cour d'appel si un recours a été exercé contre une décision de première instance, mais elle n'a pas à être constatée au cours de l'exécution du plan (Com. 31 mai 2016, n° 13-14109).

Le seul défaut de respect du plan n'établissant pas, à lui seul, la cessation des paiements, encourt la cassation la décision qui prononce la résolution du plan pour inexécution de celui-ci et ouvre une liquidation judiciaire sans analyse, même sommaire, de l'actif disponible à la date de sa décision (Com. 2 juin 2021, n° 20-14101).

En revanche, lorsque la résolution du plan est basée sur la seconde cause prévue par l'article L. 626-27, I, alinéa 3 (i.e. la survenue d'un nouvel état de cessation des paiements), les juges du fond ne disposent d'aucune marge d'appréciation et sont tenus de prononcer de la résolution du plan.

La résolution du plan est, dans cette seconde hypothèse, subordonnée à une seule condition : la caractérisation de la cessation des paiements (v. not. : Com. 9 sept. 2020, n° 18-23615 ; Com. 2 juin 2021, n° 20-14101), qui doit être constatée au cours de l'exécution du plan comme au jour où la cour d'appel statue (V. not. : Com. 8 janv. 2020, n° 18-16295 ; Com. 1er juill. 2020, n° 18-23552). Cette caractérisation suffit à justifier la résolution du plan et le prononcé concomitant de la liquidation judiciaire, et ce alors même que le débiteur aurait régularisé tous les dividendes impayés (Com. 8 mars 2017, n° 15-17.691 ; Com. 8 janv. 2020, n° 18-16.295). Autrement dit, les juges n'ont pas à rechercher si le plan a été, ou non, correctement exécuté par le débiteur (Com. 8 mars 2017, précité).

En outre, toujours dans cette seconde hypothèse de résolution, lorsque le plan résolu est un plan de redressement (et non de sauvegarde), l'article L. 631-20-1 du code de commerce impose l'ouverture d'une liquidation judiciaire (Com. 30 juin 2015, n° 14-16544). Néanmoins, il n'est alors pas nécessaire que les juges caractérisent l'impossibilité manifeste du redressement (Com. 30 juin 2015, n° 14-16543), à l'inverse de ce qu'exige l'article L. 640-1 en cas d'ouverture d'une liquidation judiciaire dans des conditions « classiques. »

En l'espèce, il ressort de l'assignation délivrée par le commissaire à l'exécution du plan de la société Du Maronnier que le seul motif invoqué à l'appui de la demande de résolution du plan en cause était le non-paiement de l'échéance du plan exigible le 2 juillet 2023. En effet, bien que, dans le dispositif de cette assignation, le commissaire à l'exécution du plan ait également demandé l'ouverture concomitante d'une liquidation judiciaire, il n'alléguait pas l'existence d'un état de cessation des paiements dans les motifs de cette assignation.

Il s'en déduit que la résolution du plan était demandée uniquement en application de l'article L. 626-27, I, alinéa 2, c'est-à-dire pour inexécution, par la société Du Maronnier, des engagements prévus dans son plan de redressement.

Par conséquent, non seulement les premiers juges avaient la faculté de ne pas prononcer la résolution du plan, même s'ils constataient le non-paiement de l'échéance de juillet 2023, mais en outre et surtout, ils ne pouvaient ouvrir la liquidation judiciaire de la société Du Maronnier sans caractériser l'état de cessation des paiements de celle-ci.

Or, dans sa motivation, le jugement entrepris se borne à faire état de ce que la société Du Maronnier n'est pas en mesure de faire face au paiement de l'échéance du plan prévue au 2 juillet 2023 au regard des fonds dont elle dispose en comptabilité (14 868,30 euros), ce dont il déduit, à tort, que l'état de cessation des paiements est caractérisé, cependant que cette caractérisation supposait une analyse, même sommaire, du passif exigible de la société débitrice - et non de son seul actif disponible.

Ces seuls motifs justifient la réformation du jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la liquidation judiciaire de la société Du Maronnier.

Et dans la mesure où, en cause d'appel, n'est produit aucun élément démontrant que la société débitrice serait en état de cessation des paiements, la demande d'ouverture d'une liquidation judiciaire ne peut qu'être rejetée.

Par ailleurs, le ministère public verse aux débats un courriel du commissaire à l'exécution du plan du 19 août 2024, indiquant qu'il a reçu, le 26 avril 2024, soit postérieurement à la date du jugement entrepris, les sommes de 15 764,94 et 2 603 euros, ce dont il conclut que cela lui permet de payer le dividende en cause, de juillet 2023.

En considération de ces éléments récents, et bien que le paiement de l'annuité de l'année 2023 soit intervenu postérieurement à la date d'échéance fixée dans le plan, la cour, faisant usage de son pouvoir souverain, estime qu'il n'y a pas lieu de prononcer la résolution de ce plan. Il convient donc de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a accueilli la demande formée en ce sens par le commissaire à l'exécution du plan.

En définitive, ce jugement est donc infirmé en toutes ses dispositions.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

Les circonstances de l'espèce justifient que chacune des parties conserve la charge des dépens qu'elle a exposés en première instance et en appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour

- INFIRME en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

- REJETTE les demandes de la MJS Partners, en qualité de commissaire de la société Du Maronnier, tendant à la résolution du plan arrêté au profit de cette dernière et à l'ouverture d'une liquidation judiciaire à son égard ;

- Dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens de première instance et d'appel.