CA Paris, Pôle 4 ch. 1, 18 octobre 2024, n° 23/14328
PARIS
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Sentucq
Conseillers :
Mme Bret, M. Creton
Avocats :
Me Lallement, Me Lebreton, Me Jeronimo
Par acte notarié du 9 février 2020, Mme [C] [W] a consenti à M. et Mme [N] une promesse unilatérale de vente au prix de 220 000 euros portant sur une maison d'habitation située à [Localité 6], [Adresse 1].
Informés le 29 mai 2020 du projet de construction d'un château d'eau sur une parcelle voisine, M. et Mme [N], après le rejet de leur proposition de ramener le prix à 200 000 euros, ont renoncé à l'acquisition du bien.
Mme [C] [W] a refusé la restitution de la somme de 5 000 euros versée par M. et Mme [N] entre les mains du notaire et les a assignés en paiement de la somme de 22 000 euros au titre de l'indemnité d'immobilisation prévue par la promesse, outre 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
M. et Mme [N] ont conclu à la condamnation de Mme [C] [W] à leur payer la somme de 22 000 euros en réparation de leur préjudice matériel, à titre subsidiaire au rejet de la demande en paiement de l'indemnité d'immobilisation et, plus subsidiairement encore, à la réduction à un euro de la somme de 22 000 euros due au titre de clause pénale. Ils ont enfin sollicité la condamnation de Mme [C] à leur payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 27 juin 2023, le tribunal judiciaire de Melun a condamné M. et Mme [N] à payer à Mme [C] la somme de 22 000 euros, comprenant celle de 5 000 euros placée sous le séquestre du notaire qui lui sera attribuée, outre les intérêts au taux légal à compter du 25 août 2020, capitalisés annuellement, et a débouté M. et Mme [N] de leurs demandes.
Pour rejeter les prétentions de M. et Mme [N] en paiement de la somme de 22 000 euros fondée sur un manquement de Mme [C] à son obligation d'information et les condamner au paiement de la somme due au titre de l'indemnité d'immobilisation, le tribunal a retenu que M. et Mme [N] ne rapportaient pas la preuve de la connaissance par Mme [C], avant la conclusion de la promesse, du projet de construction d'un château d'eau sur la parcelle voisine alors qu'eux-mêmes auraient dû s'informer auprès de la mairie sur le sort de cette parcelle appartenant à la commune. Il a ajouté que la construction d'un château d'eau n'affectait le bien d'aucune servitude d'utilité publique et qu'en outre il n'est pas justifié que cette construction lui a fait perdre de la valeur.. Le tribunal a enfin refusé de qualifier de clause pénale la clause prévoyant le paiement d'une indemnité d'immobilisation qui s'analyse comme le prix de l'exclusivité dont ont bénéficié M. et Mme [N], justifiant leur condamnation au paiement de la somme convenue dès lors qu'ils ont renoncé à acquérir le bien.
M. et Mme [N] ont interjeté appel de ce jugement dont ils sollicitent l'infirmation et demandent à la cour, sur le fondement de l'article 1112-1 du code civil, de prononcer 'la résiliation' de la promesse de vente en invoquant un manquement de Mme [C] à son devoir d'information et de la condamner à leur payer la somme de 20 000 euros au titre de la clause pénale. Ils soutiennent que Mme [C] a eu connaissance du projet de construction du château d'eau puisque le permis de construire du 16 mai 2019 a été affiché en mairie et sur le terrain entre le 1er août et le 1er octobre 2019, soit antérieurement à la conclusion de la promesse, et qu'il lui incombait de leur délivrer cette information.
A titre subsidiaire, ils invoquent le jeu de la condition suspensive prévoyant que 'les titres de propriété antérieurs, les pièces d'urbanisme ou autres, ne doivent pas révéler de servitudes, de charges, ni de vices non indiqués aux présentes pouvant grever l'immeuble et en diminuer sensiblement la valeur ou le rendre impropre à la destination que le bénéficiaire entend donner' et que la révélation du projet de construction du château d'eau entre dans le champ de cette condition.
Ils soutiennent que la 'résiliation' de la promesse est également encourue en raison d'une erreur sur les qualités essentielles du bien vendu.
Ils sollicitent enfin la restitution de la somme de 22 912,04 euros réglée au titre de l'exécution provisoire du jugement et la condamnation de Mme [C] à leur payer la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme [C] conclut à la confirmation du jugement et à la condamnation de M. et Mme [N] à lui payer la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle conteste avoir eu connaissance du projet de construction du château d'eau avant la conclusion de la promesse et indique qu'il n'est pas rapporté la preuve de l'affichage du permis de construire antérieurement à la conclusion de la promesse.
Elle ajoute que l'absence de construction sur le terrain voisin n'a pas été érigée en condition essentielle du contrat et que, par conséquent, M. et Mme [N] ne sont pas fondés à agir en nullité de la promesse en raison de la construction du château d'eau qui, tout au plus, peut être génératrice d'une erreur sur la valeur qui est indifférente.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Considérant qu'il ne peut y avoir manquement d'un contractant à l'obligation d'information prévue par l'article 1112-1 du code civil que s'il est établi sa connaissance effective de l'information qu'il lui est reproché de ne pas avoir révélée à l'autre partie ; que si M. et Mme [N], pour démontrer cette connaissance, produisent des attestations du maire de la commune et du directeur général du syndicat de l'eau, maître d'ouvrage, indiquant que la décision accordant le permis de construire a fait l'objet d'un affichage à compter du 1er août 2019, la preuve de cet affichage n'est pas suffisamment établie en l'absence de constat d'huissier de justice alors qu'en outre, d'une part, Mme [C] produit les témoignages de riverains déclarant qu'en l'absence d'affichage du permis de construire ils n'ont eu connaissance du projet de construction litigieux que lorsque les travaux ont commencé, d'autre part, il résulte d'un procès-verbal de constat d'huissier de justice du 3 juin 2020 l'absence de panneaux d'affichage sur le site du chantier alors que l'affichage du permis doit être maintenu pendant toute la durée du chantier ; que l'action de M. et Mme [N] fondée sur un manquement de Mme [C] à son obligation d'information n'est donc pas fondée ;
Considérant qu'en matière de vente d'une maison d'habitation, l'environnement du bien constitue une qualité essentielle ; que M. et Mme [N] n'ayant été informés que le 29 mai 2020 du projet de construction du château d'eau, dont la proximité à moins de 100 mètres du bien litigieux et les imposantes dimensions, révélées par les photographies produites, sont la cause de graves nuisances visuelles, leur consentement a été vicié par une erreur ; qu'en application des articles 1130 et 1131 du code civil, il y a donc lieu de prononcer la nullité de la promesse et, par conséquent, de débouter Mme [C] de ses demandes ;
Considérant que l'arrêt infirmatif vaut titre de restitution des sommes réglées en exécution du jugement ; qu'il n'y a donc pas lieu de statuer sur la demande de restitution, qui est de droit ;
PAR CES MOTIFS : statuant publiquement
Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Déboute M. et Mme [N] de leurs demandes fondées sur la violation par Mme [C] [W] de son obligation d'information ;
Annule la promesse unilatérale de vente du 9 février 2020 ;
Déboute Mme [C] [W] de ses demandes ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme [C] [W] et la condamne à payer à M. et Mme [N] la somme de 3 000 euros ;
La condamne aux dépens.